12 mars 2022

LE JEU DU LAPIN DE PÂQUES

 

 

Killy… Killy… Tu es toujours là ? Tu n’es pas parti ? J’ai tant besoin de toi… Ils ne peuvent pas comprendre… Tous ces gens qui sont autour de moi, comme si j’étais fou… Je ne suis pas fou… Je sais que tu existes… Je sais que tu es mon ami… Je leur ai dit pourtant que ce n’était pas ma faute… Tout ça, c’était un jeu… Juste un jeu…Mais ils ne me comprennent pas…Ils ne me croient pas… Ils croient que tu as été créé par mon imagination… Mais moi, je sais bien qu’on a fait tout ça ensemble, pas vrai Killy ? Pourquoi tu me réponds pas ? Tu es fâché parce que j’ai parlé de toi, c’est ça ? Je voulais pas le faire, mais ils m’ont obligé… Ils m’ont dit que si je parlais pas de toi, ils m’enfermeraient loin de toi, dans un endroit où je serais tout seul… Loin de maman… Loin de Chloé… Loin de toi… Comme ici, mais en pire… Dans un endroit où même toi, tu n’arriverais pas à me consoler quand ça va pas… J’ai peur, Killy… Réponds- moi !!

 

« Du calme, je suis là. N’aies pas peur, Matt. Tu sais que jamais je ne te laisserais… Tu es mon ami, tu le sais… Ton ami pour la vie… »

 

Bien sûr que je le sais, mais tous ces gens qui m’interrogent sur toi, ça me fait tellement peur. Je comprends pas pourquoi lls font ça… On a fait que jouer, pourtant… Juste jouer… Tu sais, Killy, je me souviens la première fois que tu es apparu auprès de moi… Ce jour-là aussi, j’étais triste…On venait d’emmener mon papa que j’aimais tant. Les journaux ont dit des choses horribles sur lui. Ils ont dit qu’il était méchant. Qu’il avait fait du mal à d’autres gens. Je sais bien que c’était pas vrai. Je l’ai dit aux policiers qui sont venus à la maison. Maman, elle pleurait aussi quand on lui a dit ce qui était arrivé aux voisins… Ainsi qu’à leur petite fille… Samantha… Elle, je l’aimais pas… Elle était méchante avec moi… Je l’avais dit à Papa…

 

« Oui, je me souviens de ça aussi. Il n’y avait pas que Samantha qui avait été méchante avec toi… Ses parents aussi, parce qu’ils n’ont rien fait quand ils ont appris que leur fille se moquait de toi en classe… La maitresse non plus ne t’as pas crue… »

 

Oui, elle non plus… Tout ça parce que j’avais demandé si le lapin de Pâques existait, et comment on faisait pour le rencontrer… Toute la classe a ri, je sais pas pourquoi… Et puis la maitresse a dit que le lapin de Pâques n’existait pas. Que c’était une invention, une histoire pour les petits garçons. Mais que moi, j’étais grand, et que je ne devais plus croire à ces fables. C’est là que Samantha a commencé à se moquer de moi… Pendant plusieurs jours… Me traitant de bébé… Et la maitresse riait aussi quand elle disait ça… Quand je l’ai dit à papa, il était en colère. Il m’a dit qu’il allait leur parler, et qu’il leur demanderait de me faire des excuses. Et le lendemain, la maitresse est pas venue à l’école. C’est une autre maitresse qui l’a remplacé. Elle était gentille elle. Elle me disait qu’elle savait que le lapin de Pâques existait. Et quand Samantha a essayé de dire que c’était pas vrai, la maitresse l’a grondée.

 

« Oui, et Samantha l’a dit à ses parents, qui en ont parlé au directeur, c’est bien ça ? »

 

Oui. Et la maitresse elle a plus parlé du lapin de Pâques après ça. Elle évitait de répondre à mes questions. Je sentais bien qu’elle osait pas. Et Samantha ricanait en voyant ça. Ça aussi, j’en ai parlé à papa. Et le lendemain, Samantha est pas venu à l’école. Le directeur a essayé d’appeler ses parents, mais personne a répondu au téléphone. Alors il a appelé la police. C’est plus tard que les policiers sont venus à la maison et ont mis des menottes à papa. J’ai pleuré tellement fort. Je voulais pas qu’il soit emmené. Maman  m’a alors emmené dans ma chambre. Elle m’a dit que papa viendrait plus à la maison pour un très long moment. Parce qu’il avait fait quelque chose de très mal. Que c’était à cause de lui si la première maitresse, ainsi que Samantha et ses parents avaient disparus. Qu’il leur avait fait de vilaines choses. Mais elle a jamais voulu m’expliquer ce que c’était…

 

« Et c’est là que je suis venu. Pour te consoler. Pour devenir ton ami. »

 

Oui. Après ça, j’étais plus triste. Chaque fois que j’allais pas bien, tu étais là pour enlever mes larmes sur mon visage. On jouait à plein de jeux. J’ai voulu parler de toi à Chloé. Je l’ai fait venir dans ma chambre pour qu’elle puisse te voir. Elle avait l’air si contente quand je lui ai dit que le vrai lapin de Pâques était devenu mon ami, et qu’il était dans ma chambre. Mais quand elle est venue, elle ne t’a pas vu. Elle a cru que j’étais un menteur. Et pourtant, tu étais là, juste devant elle.

 

« C’est parce qu’elle ne croyait pas assez en moi à ce moment. Pas autant que toi. »

 

Oui, ça doit être ça. Après, elle voulait plus croire ce que je lui disais. Elle m’a dit qu’elle m’avait observé en secret dans ma chambre pour voir si tu étais là. Mais elle ne voyait que moi, parlant dans le vide, comme si quelqu’un était en face de moi. Mais elle ne voyait personne d’autre que moi. Elle a dit que j’étais pas bien dans ma tête. Elle l’a même dit à Maman. Du coup, maman a voulu, elle aussi, me persuader que tu n’existais pas. Elle aussi elle a dit que le lapin de Pâques n’était qu’une histoire pour les petits garçons et les petites filles. Elle aussi, elle te voyait pas. Mais je leur en voulais pas. C’était pas très grave. Je me disais qu’un jour, elles finiraient par te voir. Et là, elles verraient bien que j’avais raison. Mais d’autres étaient plus méchants. Comme Samantha. Ils me disaient que j’étais un idiot pour croire à des histoires pour bébé. J’étais en colère contre eux.

 

« C’est à ce moment-là que je t’ai appris d’autres jeux. Pour les punir. Pour leur montrer qu’ils n’avaient pas le droit de se moquer de toi. »

 

Oui. Au début, j’avais peur de pas arriver à faire comme tu me disais. Je savais pas comment bien tenir le couteau, le faire bouger, viser… J’ai du beaucoup m’entrainer. Sur les peluches, les murs, ou à l’intérieur du placard. Dans des endroits qui pourraient pas être vus par maman. Et les peluches, je leur mettais des sparadraps, en disant à maman que je jouais au docteur avec toi, pour pas l’inquiéter, et qu’elle sache pas que je m’entrainais à des jeux qu’elle pourrait pas comprendre. Pourquoi tu voulais pas qu’elle le sache ? Après tout, c’était pas méchant : peut-être qu’elle aurait aimé jouer elle aussi. Et peut-être qu’elle t’aurait vu comme ça. Qu’elle aurait compris que tu étais bien réel…

 

« Non, tous les adultes ne comprennent pas forcément ce genre de jeux. Ils croient que c’est dangereux. Alors que ce ne sont que des jeux d’enfant. De simples jeux d’enfant. »

 

C’est bizarre qu’ils peuvent pas te voir quand même. Même Chris il te voyait pas, quand je lui ai mis le couteau dans le ventre, à la sortie de l’école, dans cette petite rue.

 

« C’était drôle pas vrai, ce jour-là ? Ta première fois. Tu as parfaitement compris comment faire. »

 

J’étais tellement fier. C’était drôlement bien comme jeu. La couleur rouge, on aurait dit la même que dans les films que maman regarde parfois à la télévision. Les films d’horreur. Mais pourquoi je devais me nettoyer le visage à la rivière après ? Et laver mes vêtements aussi, après avoir mis ceux de rechange dans mon sac ?

 

« Parce que ça faisait partie du jeu. C’est un jeu très spécial. Comme dans les films que regarde ta maman. Il ne fallait pas que les autres devinent trop vite que c’est toi qui avais puni tes camarades. Sinon, ça aurait été moins amusant »

 

Je comprends. C’était pareil pour les autres aussi, mais avec d’autres méthodes. D’autres « outils », c’est comme ça qu’on dit ?

 

« C’est tout à fait ça. Différents outils pour différentes punitions. Pour éviter qu’on devine qui est le coupable. Comme dans les films. Pour brouiller les pistes et éviter que le jeu se termine trop vite… »

 

Oui, c’est logique. Mais pourquoi c’était toujours pendant la période de la semaine de Pâques qu’on jouait à ce jeu ? On aurait pu y jouer les autres jours de l’année ?

 

« Non. Si on joue trop souvent à ce jeu, il se termine trop vite. Et c’est important que ça dure longtemps, n’est-ce pas ? Les autres jours de l’année servaient à te perfectionner, apprendre plein d’autres méthodes pour le jeu. En plus d’autres jeux plus classiques, pour occuper tes journées.»

 

Ah, d’accord. Mais pourquoi on montrait les visages de ceux avec qui j’avais joué à la télévision ? En plus, c’était que des photos où ils fermaient les yeux, et y’avait des images de policiers et les lumières de voiture de police aussi…

 

« Ça, c’était parce qu’ils étaient de mauvais joueurs. Ils trichaient pour qu’on leur donne des indices pour te trouver, et finir le jeu plus vite »

 

C’était pas très gentil de faire comme ça. J’aime pas les tricheurs. Maman m’a dit que ceux qui trichaient ils allaient pas au paradis. Ils allaient en enfer. Moi, je veux pas aller en enfer. J’ai vu des images dans des livres. Ça fait peur.

 

« Il ne faut pas avoir peur de cet endroit. Ni croire ceux qui en parlent en mal. Crois-moi, je connais bien cet endroit. Je suis sûr que tu aimerais beaucoup y aller. C’est très amusant là-bas. »

 

Tu en parles comme si tu y allais souvent… Maintenant que tu m’as dit ça, ça me donne envie de le voir de près l’enfer. Si tu dis que c’est un bel endroit, alors je sais que c’est vrai. Parce que toi, je te fais confiance. Je sais que t’es pas un méchant, et que tu mens pas. Tu as toujours été gentil avec moi. Tu m’as appris ce jeu très drôle. Je me demande si papa ira un jour ?

 

« Ton papa ira certainement, tu peux en être certain. Et toi aussi, je suis persuadé que tu pourras voir toutes les merveilleuses choses qu’il y a là-bas. Ça ne devrait plus tarder d’ailleurs. Le jeu est presque terminé à présent. »

 

Oui, mais c’est parce que j’ai fait des erreurs ou que les policiers ont triché, pas vrai ? Sinon, le jeu aurait pu durer plus longtemps. Ils m’ont montré toutes les photos des méchants qui ont servi au jeu. Ils m’ont demandé si c’était papa qui m’avait montré comment faire. C’est là que j’ai été obligé de dire que c’était toi qui m’avais appris le jeu. Ils ont fait une drôle de tête quand j’ai dit ça. On aurait dit qu’ils savaient pas que c’était un jeu. Même maman. Elle pleurait d’ailleurs. Ça m’a fait de la peine. Tu crois qu’elle était triste parce que j’ai perdu le jeu ?

 

« Tu n’as pas encore totalement perdu le jeu. Tu as toujours le petit canif que je t’ai demandé de garder dans le revers de ta manche ? »

 

Oui, je l’ai placé bien comme tu m’as dit, pour pas qu’on le trouve. Et j’ai bien limé la lame, pour qu’elle soit plus tranchante. Alors, c’est vrai ? Le jeu n’est pas terminé ? J’ai pas encore perdu ? Comment je dois faire alors ?

 

« Ne t’inquiète pas, tu vas vite comprendre. Tu es très doué à ce jeu. Exactement comme l’étais ton père. Avant toi, c’est à lui que j’ai appris ce jeu, quand il avait ton âge. Dommage qu’il ne m’ait pas écouté quand il a pris la décision de te venger de ceux qui t’avaient fait du mal, sans prendre toutes les précautions requises. Pourtant, il avait toujours suivi ce que je lui disais avant, et il ne s’était jamais fait prendre. Mais il a manqué de prudence en apprenant qu’on s’était moqué de toi. Tu étais sa faiblesse. »

 

Papa aussi a joué à ce jeu ? Mais alors, c’est parce que papa ne pouvait plus jouer que tu es venu vers moi, et que tu me l’as appris à mon tour ? Pour que je continue ce qu’il n’avait pas pu continuer ? 

 

« C’est tout à fait ça. Je suis apparu à ton père, il y a bien longtemps, quand il avait à peu près ton âge. Toute sa vie, il a joué à ce jeu avec moi. C’est grâce à moi qu’il est devenu le tueur de Pâques. Grâce à moi que tu as pris la relève brillamment toutes ces années. Ton papa était un peu plus doué que toi : il a fallu longtemps avant qu’il perde le jeu. Mais si tu fais bien ce que je te dis, tu peux encore faire mieux que son score de 34 points. En seulement 7 ans de jeu, tu as déjà à ton actif 17 points. C’est très bien. Attends le bon moment, quand un policier t’emmènera vers le camion dehors, pour aller dans l’endroit où tu ne veux pas aller, et là, en utilisant ton canif, tu pourras continuer le jeu »

 

Super ! J’ai hâte de continuer. Mais dis-moi, je peux te demander quelque chose ? J’ai remarqué un truc depuis tout à l’heure. Chloé. Elle a l’air de te voir à travers la vitre. Depuis un moment, elle fixe pile où tu te trouves. Tu penses qu’elle croit en toi maintenant ?

 

« Oui, je pense que très bientôt, elle aussi, elle pourra jouer à son tour… »

 

Publié par Fabs


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire