3 juil. 2022

LES COLLECTIONNEURS 2 : OBSESSION PHILATELIQUE

 


 

Ils ne l’auront pas. Jamais. Jamais je ne leur permettrais ne serait-ce que poser leurs sales pattes sur ce que j’ai de plus précieux au monde. Mon fils et ma femme ont été incapables de comprendre la richesse culturelle qui se trouve dans ce petit objet rectangulaire, sans compter son prix inestimable, tellement sa rareté fait passer tous les autres timbres au statut d’insignifiance. Je ne bougerais pas de cette pièce. Je le protègerais jusqu’au bout, jusqu’à ma mort s’il le faut. Et même là, ils ne mettront pas la main dessus, tout ces jaloux qui veulent me déposséder de lui. J’ai déjà éliminé de l’équation des ennemis de mon timbre ceux qui se prétendaient mes proches. Cette idiote de Freya qui prétendait tant me comprendre, à chacune des soirées où nous étions conviés, me défendant devant des petits industriels insignifiants qui ne voyaient pas le mal de détruire une forêt pour y installer un centre commercial. Prétextant qu’un bois n’avait de toute façon pas sa place dans une zone urbaine. J’ai failli lui mettre mon poing dans la gueule à ce petit con qui ne sait pas reconnaitre la beauté des choses simples. Et je ne parle même pas des SDF qui vivent en camp au sein de ce bois, et qui vont faire les frais de cette « modernisation » du quartier, telle que cette merde habillée en Gucci la désigne. C’est exactement à cause de ce genre de prédateur que j’ai agi de la sorte pour protéger mon petit rectangle de bonheur.

 

Pourtant, je n’ai pas toujours été comme ça lors de mes jeunes années. Je dois même avouer que je n’étais pas loin des aspirations commerciales impartiales de ce petit con, à un certain niveau. Seul comptait le profit, c’était la règle d’or qu’on m’avait enseigné quand j’avais débuté dans le métier. Néanmoins, le jour où j’ai vu qu’un des chantiers dont l’exécution était de mon fait, avait fait mettre à la rue des familles entières sans ressource, sans espoir de s’en sortir, car n’ayant aucune aide à espérer de la part des membre du conseil municipal corrompu, ma vision du bien fondé de l’entreprise auquel j’appartenais a fondu aussi vite que se sont écroulés les immeubles du quartier où vivait auparavant ces mères, ces pères, ces enfants, dans des conditions certes précaires, mais qui avaient néanmoins un toit. A partir de là, j’ai tout plaqué : mes clients, mes collègues, ces petits toutous acceptant tout sans broncher, mon patron, et l’entreprise dont j’étais soi-disant le fer de lance. Pourtant, j’en ai pas vu un seul s’offusquer de mon départ annoncé, ou essayant de me faire changer d’avis sur ma décision de partir. Des faux-culs, j’en avais déjà vu de toutes sortes avant eux, mais jamais d’un tel niveau.

 

A cause de tout ça, ma nature protectrice a changé du tout au tout. Et dans tous les domaines. J’ai créé ma propre société, y investissant mes bénéfices obtenus sur le dos de malheureux, sans que je l’apprenne de manière directe. Pendant des années, mon supérieur avait réussi à cacher toute l’ignominie dont j’étais le pion, parce que les chantiers se situaient loin de ma vue, et ne suscitaient que quelques personnes, et dans des quartiers n’ayant pas de forte influence médiatique. Et puis, il y a eu celui de trop, celui où j’ai découvert la face cachée de l’entreprise, alors que je pensais qu’elle apportait du neuf à des villes et des gens de toute sortes, mais qui le faisaient en détruisant d’autres vies derrière. A cause de l’impact social important, car concernant cette fois de nombreuses familles, j’ai pu m’apercevoir de l’ordure qu’était mon chef. C’est là que m’est venu l’idée de consulter en profondeur les dossiers des anciens chantiers, utilisant mes aptitudes à hacker pour m’introduire dans les fichiers qui m’étaient normalement interdits. 

 

Aujourd’hui, cet ancien lieu de ramassis de sous-merde en masse est en faillite, grâce à mes nouvelles relations acquises au cours des années, mettant à jour d’autres malversations cachées, et provoquant un tumulte médiatique énorme. C’est lors de la même période que s’est développé ma passion des timbres. Sur les recommandations de mon psy, afin d’évacuer le stress auquel j’étais soumis de manière récurrente dans mon travail. Une passion adoubée par Freya, celle-là même qui m’avait convaincu de consulter un spécialiste pour obtenir une certaine sérénité, là où d’autres n’avaient pas réussi à ce que ça fasse partie de moi. Séances de yoga, d’acuponcture, de massage relaxants, séminaires, groupes de paroles, rien n’y faisait. A dire la vérité, le psy, c’était la première chose dont m’avait parlé Freya, mais j’avais refusé net, prétextant que je ne voyais pas en quoi un psy pouvait m’aider à moduler mon stress quotidien.

 

Et finalement, vu que tout le reste avait échoué, j’y suis revenu, changeant de position sur ce corps de métier, et me disant que ça ne pouvait pas être pire que le reste. Et le fait est que ces séances de parlotte m’ont fait plus de bien que je pensais de prime abord. Le docteur Ferns m’a donné cette confiance que je refusais d’emblée à sa profession auparavant. Et de fil en aiguille, parlant des méthodes pour évacuer la pression, il m’a fait voir sa collection de timbres, en parlant avec passion, relatant l’histoire de chacun pour se les procurer. Il en parlait comme de ses patients, ça me faisait sourire sur le coup. Mais, j’étais tellement subjugué par les visuels de certains timbres, de la précision des dessins, des traits, des couleurs, que j’ai adopté cette passion à mon tour. Et ce qui devait être au départ un moyen de refouler mes inquiétudes, allait devenir le point de départ d’encore plus de comportement névrotique de ma part, ayant allié la rareté de certains, de leur valeur, du symbole qu’ils représentaient à une forme de compulsivité dont je n’allais pas me défaire, et qui allais même s’accentuer par la suite.

 

Au fur et à mesure que j’acquérais des timbres à la grande rareté, ma méfiance envers les autres a pris des proportions inattendues, ayant toujours la peur que quelqu’un les abîme s’il étaient observés de trop près, ou qu’on tente de me les dérober. Je ne sais pas trop comment cet état d’esprit s’est insinué en moi, c’est arrivé presque naturellement. Je pense que j’avais cette propension à la violence et la méfiance exacerbée depuis ma naissance en fait, et cette passion l’a développée plus qu’elle ne s’insinue dans n’importe quel être humain. Mis à part peut-être chez les psychopathes. C’est le mot qu’a employé mon fils, Dean, quand je lui ai planté les deux pointes de ma pince à timbres dans la main, pour avoir voulu sortir un timbre de mon album, pour, soi-disant, le voir de plus près. Mais je savais bien qu’il voulait s’en emparer. Je lui avais dit sa valeur l’instant d’avant, et sa rareté. Et son instinct de profiteur a cherché à m’endormir, avec sa prétendue innocence d’enfant de 12 ans. J’ai agi par réflexe, pour protéger mes autres enfants, ces timbres devenus l’objet d’une protection de ma part, parce qu’à part moi, qui pourrait éloigner d’eux des prédateurs avides de notoriété et empreint d’un haut degré de cupidité ? Mon fils a hurlé tellement fort que plusieurs domestiques sont venus accourir, pensant que Dean était tombé, ou qu’un intrus s’était faufilé dans la maison.

 

 Il y avait déjà eu des menaces par courrier à mon encontre, à cause de mes actions envers des sociétés comme celle dont je faisais partie autrefois, et des vitres avaient été la proie de petits groupes d’antisociaux d’envergure. Mais quand ils sont arrivés dans la pièce, ils n’ont vu que moi et Dean, ce dernier pissant le sang, la main traversée de ma pince à timbres, et hurlant à tout rompre qu’il me détestait, moi et mes foutus timbres. Qu’il allait les brûler un jour. Que ça me permettrait peut-être de me rendre compte que j’avais un fils. Des accusations injustes. Comment pouvait-il considérer sa place à celle de mes chers timbres ? Comparé à eux, il n’avait pas de valeur marchande suffisamment prononcé pour oser se penser supérieur à eux. Ma femme m’a affirmé le contraire. Qu’une vie valait bien plus que tout l’ensemble de ma collection. Stupide Freya ! Comme si elle pouvait comprendre la valeur de mes timbres par rapport à elle. Elle m’a même dit, entre deux vagues de larmes, tentant de rassurer notre fils, qu’en me prenant de passion pour ces timbres, j’étais devenu la réplique exacte de ce que je combattais. Cette injustice envers l’être humain que je défendais avant de que je débute mes séances auprès du Docteur Ferns. Indiquant également qu’elle regrettait de m’avoir poussé à ces séances, et qu’elle maudissait Ferns de m’avoir transmis cette passion maladive à des bouts de papier ridicules. Mais je ne faisais pas attention à ses accusations infondées, je ne voulais pas perdre mon temps à lui expliquer que grâce aux timbres, mon vrai moi, celui qui se cachait depuis des années, avait trouvé le moyen de venir à la lumière.

 

Et puis, j’ai déniché la perle rare. Un timbre du Klondike que tout le monde pensait qu’il n’en existait plus un seul. Un exemplaire qui avait été tiré à seulement 4 unités, à l’occasion de la fin de la ruée vers l’or en 1899. En fait, il y en avait plus au départ, mais un incendie avait détruit l’endroit où ils étaient entreposés, et seuls ces 4 exemplaires avaient pu être sauvés, car entreposés dans un coffre, destinées à des collectionneurs. Par la suite, 2 d’entre eux ont fini de la même façon que leurs prédécesseurs, dans un incendie où périrent leurs propriétaires. Les 2 autres ont disparus de la circulation pendant des années, jusqu’à ce que l’un d’entre eux fasse parler de lui. Il avait été retrouvé dans un veston d’un vieil homme d’une maison mise aux enchères. Mais à moitié mangé par les mites, ce qui faisait qu’il n’avait plus aucune valeur. Et le dernier des 4, je l’ai dégotté par l’intermédiaire d’un ami qui s’en est porté acquéreur auprès de son propriétaire qui en ignorait la véritable valeur, estimée à plusieurs milliers de dollars. Connaissant ma passion pour les timbres, il me l’a fait envoyer chez moi pour rien, juste en souvenir de notre amitié, et surtout parce que c’était grâce à moi qu’il avait eu le bonheur de se marier, ayant joué les intermédiaires auprès de la femme qu’il convoitait, mais que sa timidité légendaire l’empêchait d’aborder. Ce cadeau, ce timbre, c’était un signe de sa reconnaissance envers ce fait. Et l’acquisition de ce timbre modifia radicalement ma position envers ceux habitant le lieu où j’habitais, personnel comme proches. Le timbre était placé dans un coffre, dans mon bureau, mais je redoutais que quelqu’un d’assez doué en combinaison puisse s’en emparer.

 

Deux jours après l’avoir acquis, j’ai surpris l’une des domestiques dans mon bureau, prétextant d’y faire le ménage, à la demande de mon épouse. Freya. Ça devait être elle qui l’avait envoyé pour me délester de mon timbre. Elle devait avoir engagé cette Evelyn, parce qu’elle était sûrement douée en craquage de combinaison, c’était une évidence. Je n’ai rien dit sur le coup, fermant la porte à clé. S’étonnant de cet acte, Evelyn m’a demandé la raison, alors que je m’approchais d’elle. Prise de panique, elle sortit d’une poche de son costume de soubrette une bombe anti-agression, me menaçant de s’en servir si je continuais à m’avancer, et demandant que j’ouvre la porte. Mais je n’entendais pas ses suppliques. La prenant de vitesse, je lui fis lâcher prise, laissant tomber sa bombe aérosol, avant de mettre mes deux mains sur son cou, la plaquant contre la bibliothèque. Elle tentait d’appeler à l’aide, mais la pression de mes mains était telle que cela lui était impossible, et en quelques minutes, la vie n’était plus en elle. Pour n’alerter personne, je profitais de la nuit et du sommeil de toute la maisonnée pour enterrer le cadavre dans le fond du jardin, derrière la cabane où personne n'allait jamais, car menaçant de s’écrouler à tout instant, à la moindre bourrasque. 

 

Le lendemain, je changeais la serrure de mon bureau, afin de ne plus subir ce type de désagrément. S’apercevant de ça, et me demandant pourquoi, Freya me demandait aussi si je savais où se trouvait Evelyn, qu’elle la cherchait partout. Étant très maladroit en la matière, Freya comprit très vite que je mentais. Et quelques heures plus tard, je la surpris, en compagnie de deux des domestiques, à tenter de crocheter la serrure de mon bureau. M’emplissant d’une fureur sans nom à cette vision, je m’en pris violemment à elle, et ses deux complices, la faisant se cogner la tête contre le mur d’en face. De manière tellement brutale, que son corps glissa le long de la surface de celui-ci, laissant une trainée sanglante couler sur le plâtre, ne bougeant plus. Épouvantés, les deux domestiques tentèrent de s’enfuir, mais j’avais prévu le coup, ayant acquis auprès d’un armurier il y avait quelques mois, à l’insu de tous, dans un but préventif au départ, pour donner suite aux menaces par courrier, un pistolet. Sans même réfléchir, je tirais à bout portant, visant la tête des deux hommes, qui s’écroulaient sur place. Eux non plus n’auraient pas mon timbre. Ni le reste de ma collection. Ils n’auraient sans doute pas hésité à tout revendre, afin de se remplir les poches, et changer de vie. Mais c’était sans compter sur ma vigilance envers eux. Je me méfiais d’eux depuis déjà un moment, et je savais qu’ils fomentaient une trahison avec l’accord de Freya. Maintenant, cette menace n’était plus. Mais il restait les autre

 

Dès lors, je me mis en quête des 3 autres domestiques qui officiaient dans la maison, les traquant les uns après les autres, avant de les éliminer d’une balle dans la tête à leur tour. Mes cours de tir, après chaque séance chez le Docteur Ferns, à l’insu de tous, n’avaient pas été vain. Malheureusement, l’un d’entre eux, du fait d’un geste de sa part ayant fait glisser la balle sur le côté du crâne, et lui ayant évité la mort, parvint à s’enfuir en sautant par la fenêtre. Je tirais bien quelques coups de semonce dans la rue dans sa direction, mais il fut plus rapide. Sans doute en proie à l’énervement, quand mon fils entrait dans la pièce, derrière moi, demandant ce qui se passait, je me retournais et tirait dans sa direction, par réflexe. Il fut projeté par l’impact de la balle contre la porte, avant de s’écrouler sur le sol. En même temps, vu qu’il faisait sûrement partie du complot de s’emparer de mon timbre lui aussi, ça me faisait gagner du temps. Je me suis enfermé dans mon bureau, mon timbre à la main, profitant de ce qui pourrait bien être mes derniers instants, en entendant les sirènes de police se dirigeant vers la maison. Mais eux non plus n’auront pas mes timbres. J’ai commencé à les avaler, l’un après l’autre, afin que personne ne puisse s’en emparer. Ainsi, ils resteraient à jamais avec moi. Je me réserve le clou de ma collection, le timbre du Klondike, en dernier. Je le mangerais à l’instant même où la porte du bureau ou la fenêtre subiraient l’assaut des forces de police. Une manière pour moi de leur dire que mes timbres et moi partirions ensemble dans l’au-delà, et qu’ils étaient venus pour rien. C’est la plus belle fin dont puisse rêver un collectionneur tel que moi. Ne faire plus qu’un avec sa collection, à l’abri de tous les voleurs qui ont tout fait pour me séparer de mes enfants…

 

Publié par Fabs

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