22 juil. 2022

SOUVIENS-TOI

 


 

Vous connaissez la sensation de « déjà vu » ? Vous savez cette impression de vous retrouver dans un endroit connu alors que vous savez pertinemment que vous n’y avez jamais mis les pieds auparavant…Vous avez beau chercher dans votre mémoire, demander à vos parents, d’autres membres de votre famille, des amis afin d’avoir un semblant d’explication, regarder des albums photos, rien ne parvient à vous faire comprendre pour quelle raison vous savez qu’il y a une rivière au-delà du petit bois où vous avez décidé de camper avec vos potes de fac, ou pourquoi vous êtes persuadé qu’à une heure précise le chien de la ferme voisine va venir devant la porte de la maison que vous avez louée le week-end, afin de demander une friandise. Friandise dont vous connaissez l’emplacement, sans savoir comment. D’autant que toute votre vie vous l’avez passé sans sortir de votre ville de naissance, et qu’il vous a fallu attendre l’âge de 25 ans, par la pression de votre petite amie, pour vous décider à vous rendre dans un coin perdu au milieu de la montagne…

 

Face à ce phénomène, il y a plusieurs attitudes : ceux qui sont convaincus qu’il s’agit d’un lieu ressemblant trait pour trait à un autre où vous vous êtes déjà rendu, même si vous ne vous en souvenez pas sur le moment ; ceux pensant qu’ils sont sujets à des hallucinations, dû à l’absorption d’une dose trop forte de l’herbe qu’ils ont l’habitude de prendre dans la journée ; et ceux qui se disent qu’ils sont victimes d’un sort, une malédiction, à cause de l’accident qu’ils ont provoqué la semaine passée, ou du refus de sauver un gamin en train de se noyer, parce qu’ils sont trop lâche pour jouer les héros. Et il existe une dernière catégorie. Mais je ne vais pas me contenter de vous l’énumérer. Non, le mieux, c’est de vous raconter ce pourquoi je m’adresse à vous aujourd’hui. Je dois vraiment donner les détails de ce qui m’est arrivé, en espérant qu’elle parviendra à aider ceux qui ont été soumis à ce phénomène, se demandant la raison de cette impression.

 

Et s’il m’est impératif de relater mon histoire à travers les lignes de ce site, c’est parce que mon temps est compté. A l’heure où je vous parle, elle attend le moment fatidique qui signera mon arrêt de mort. L’heure exacte où ma vie se doit de finir, afin de lui permettre de prétendre à un repos qu’elle attend depuis des années, après avoir arpenté les ténèbres et les couloirs de ce chalet où je me trouve. A elle… Celle qui me harcèle sans cesse depuis notre arrivée au sein de son territoire, m’adressant constamment le même message à mon intention :

 

« Souviens-toi… »

 

Dire que ce séjour à la montagne aurait dû être le cadre idyllique pour ma demande de mariage à Claire, celle qui partage ma vie depuis déjà 3 ans. Depuis ce jour magique où elle est entrée dans la salle du cours de philo de l’université où j’étudiais. Je me souviens de son air désolé, s’étant excusé en continu auprès du prof pour un malheureux retard de 3 minutes. Il y avait une telle candeur dans son attitude, une telle innocence dans les propos sortant de ses lèvres tellement fines qu’on les aurait dites sorties d’un personnage de comics, qu’il était impossible de ne pas avoir le regard plein de rêve en l’observant. De toute ma vie d’ado un brin attardé, selon les propres termes de mon cher connard de beau-père, je n’avais jamais vu une fille me faire autant d’effet. Et pourtant, elle était loin d’être un canon de beauté, selon les critères populaires chez les garçons de mon âge en tout cas. Elle portait un jean bien trop serré au vu de l’épaisseur apparente de ses jambes, des cheveux qui partait dans tous les sens, à peine retenue par des couettes à la Mary Ingalls, et un Tee-shirt où on pouvait nettement apercevoir une tache de cacao, judicieusement placé au-dessus de l’espace formé par ses deux seins, dont les tétons montraient l’envie de sortir du tissu de manière évidente.

 

Et la première chose que tout le monde a retenu ce jour-là, quand le prof lui a demandé de se trouver une place où s’asseoir, c’était que son allure de campagnarde s’accompagnait d’une gourde de première. Il m’arrive encore de me demander comment elle a fait pour trébucher et se vautrer au sol, alors qu’il n’y avait aucun obstacle ayant pu lui donner la justification de cette chute. Comme vous pouvez l’imaginer, à l’instant même où elle est tombée, la classe fit résonner une multitude de rires. Rires qui s’amplifiaient en la voyant tenter de se relever en ramassant les cahiers tombés de son sac. En temps normal, je me serais contenté de profiter de ce spectacle comique comme les autres. Mais, allez savoir pourquoi, quelque chose en moi me donnait l’instinct de me lever, et de l’aider à se remettre debout, déclenchant divers quolibets de la part de mes camarades, allant du Prince Gerbant à celui de Preux chevalier crasseux, à cause de ma propension à dédaigner les habits de marque, comme 99 % des élèves, ce qui me mettait quasiment en position d’être inférieur à leurs yeux. Mais je me foutais de ce que ces petits fils de riches pouvaient penser de moi. Quelque part, encore aujourd’hui, je pense que, plus encore le fait de son allure, c’était le sentiment que Claire était comme moi qui m’avait fait me lever pour venir à son « secours ». Elle était à peine arrivée qu’aux yeux des autres, elle se trouvait immédiatement classée comme appartenant au rayon le plus bas de ce qui constituait l’élite de l’établissement. Exactement comme moi je l’avais été à mon arrivée au sein de ce festival des pourris-gâtés par leurs riches parents.

 

Quand je pris sa main pour qu’elle puisse se remettre debout, nos regards se sont croisés, et dès cet instant j’ai compris qu’elle était celle qui partagerait ma vie, et aucune autre qu’elle. Et les jours qui suivirent me confortèrent dans cette intuition. Pas un jour qui passait sans que nous discutions ensemble de tout et de rien, partageant notre passion pour les comics. Elle pouvait me parler des heures de son admiration pour Wonder Woman, pendant que je tentais de lui expliquer que Tony Stark n’était pas qu’un vantard détestable agissant en premier lieu pour faire briller son égo démesuré. Des conversations enflammées qui se perpétuaient en dehors des murs de cette école privée, où tous les deux nous demandions pourquoi nos parents avaient décidés de nous y inscrire, si ce n’était pour que nous remplissions des critères de prestige qu’eux-mêmes n’avaient jamais pu obtenir dans leur jeunesse…

 

Nous avons franchi plusieurs étapes de notre scolarité ensemble, comme deux inséparables que rien ne pouvait diviser. Et après avoir obtenu notre diplôme universitaire, il était inconcevable pour nous de ne pas bosser au même endroit. Elle était comme un rayon de soleil dans ma triste vie qu’avait été la mienne auprès d’une mère et d’un beau-père qui ne m’avait jamais compris. Elle comprenait ça pour avoir été dans une situation similaire. Un père toujours absent, et une mère cherchant à se faire une place auprès de ses riches amies, ne s’apercevant pas que ces dernières la considéraient comme une distraction à leurs yeux, mais certainement pas comme une amie. De fil en aiguille, notre relation a atteint un tel niveau que je ne pouvais pas concevoir qu’elle ne puisse pas atteindre son apogée. Un firmament qui devait se concrétiser par une demande en mariage. Mais je ne voulais pas d’une demande basique au coin d’une rue, ou bien en étant installé sur l’un des coins de notre lit. Non, Claire méritait un cadre parfait pour une demande de ce type. Alors, j’ai farfouillé sur le net, cherchant un endroit de rêve pour nous deux, et j’ai fini par trouver. Un petit chalet isolé, au pied d’une montagne et entouré d’un paysage digne d’un conte de fée. En fait, en y repensant, dès l’instant où j’ai mis la main sur cet endroit, j’aurais dû déceler quelque chose de curieux. Si ce lieu m’avait attiré l’œil, c’était qu’inconsciemment, il me donnait l’impression de m’appeler, et surtout que je m’y étais déjà rendu, et que j’en savais donc suffisamment pour savoir qu’il serait le cadre parfait pour ma demande.

 

C’était comme si une partie de mon cerveau m’avait dirigé vers le site de l’agence de location qui proposait le chalet de manière incontrôlée. Mais je me disais que ce n’était qu’une impression. Je n’étais jamais allé dans un tel endroit. Jamais ma mère n’aurait eu les moyens de se rendre dans un tel cadre, que ce soit du temps où mon père était vivant, ou avec le gros con qui l’a remplacé après son décès. Me débarrassant de mes doutes, et me servant du prétexte de congés bien mérités après plusieurs mois de boulot au sein de l’entreprise où nous travaillions, j’emmenais Claire en villégiature dans cet endroit qui allait être le point de départ de mon cauchemar. L’épicentre d’une série d’évènements qui allait me faire comprendre le sens de ce qu’on appelle le déjà vu, et qui échappe à la plupart d’entre nous. L’endroit où le passé rencontre le présent, se mélangeant, et se transformant en tornade de peur et de vérité sur moi et Claire.

 

Les signes que nous n’étions pas seuls se montraient dès le premier soir, à l’issue d’une sortie à l’extérieur, pour récupérer quelques bûches dans la remise afin de donner à la cheminée de quoi nous offrir une chaleur bienveillante, et peut-être les prémices d’une soirée remplie de tendres enlacements. C’est là que j’apercevais une silhouette près du petit bois. Celle d’une femme vêtue de ce qui semblait être un jean, et d’un débardeur portant des taches dont je ne percevais pas bien la couleur de là où j’étais. Je ne pouvais pas non plus définir clairement les traits de son visage, en dehors de ses yeux et sa bouche, et de ses longs cheveux d’un roux saisissant. Je n’en étais pas sûr à ce moment, mais je crus voir ses lèvres former des mots, comme si elle s’adressait à moi. Je me frottais les yeux, comme pour vérifier que cette vision n’était pas dû à mon goût pour les films de fantômes, l’atmosphère des paysages environnants étant propice à une imagination galopante. Et quand je regardais à nouveau là où j’avais aperçu la femme, il n’y avait plus rien. Malgré tout, cela m’avait un peu déstabilisé, et j’en oubliais le but de ma présence ici aux côtés de Claire.

 

Ce ne fut pas la première fois que je vis la femme. Le lendemain, je vis nettement son visage se dessiner sur la fenêtre de la cuisine, du salon ou de la chambre à l’étage, provoquant un effroi à chaque fois. A chacune de ses apparitions, je m’étais précipité dehors, pensant la trouver, et obtenir une explication à sa présence ici. Mais elle disparaissait aussi soudainement qu’elle était apparue. Et ce n’était pas l’unique bizarrerie. Sur les fenêtres derrière lesquelles elle était apparue, je trouvais toujours les mêmes mots dessinés avec la buée : « Souviens-Toi… ». Quand je demandais à Claire si elle voyait quelque chose d’inscrit sur la fenêtre, celle-ci me répondait par la négative, s’étonnant de mes questions. A cause de tout ça, je me trouvais dans un état d’esprit où demander à Claire si elle acceptait de devenir mon épouse passait au second plan. Je devais savoir qui était cette femme, pourquoi je semblais être le seul à la voir, tout comme ses messages. Et le sens de ceux-ci. Ces mots qui n’avaient aucun sens à mes yeux : « Souviens-Toi ». Bientôt, ces apparitions extérieures laissèrent la place à d’autres au sein de la maison. A chaque fois quand je me trouvais seul dans une pièce, alors que Claire dormait ou était occupée à diverses tâches. Plus les jours passaient, plus les apparitions s’accentuaient, et plus je pouvais mieux voir son visage, qui me semblait familier, sans que je puisse savoir où je l’avais vu. Et toujours ces mêmes mots à mon encontre quand elle se montrait à moi :

 

« Souviens-Toi… »

 

Je sentais la folie m’envahir, ne comprenant pas pourquoi cette femme ayant tous les caractéristiques d’un fantôme, me visait moi directement, et toujours en l’absence de Claire. Mais cette situation empirait par la suite, l’apparition se montrant toujours plus, proférant ces mots devenus comme une sorte de rituel démoniaque, mais s’accompagnant d’autres :

 

« Souviens-Toi de ce que tu m’as fait… »

 

A partir de là, il devenait évident qu’elle me considérait coupable de quelque chose la concernant. Mais quoi ? C’était la première fois de ma vie que je me rendais dans cette région, à des kilomètres de notre lieu de résidence habituelle, à Claire et moi. Alors pourquoi le fantôme de cette femme me harcelait, me désignant comme celui qui lui avait fait je ne savais quoi… De plus, à chacune de ses apparitions de plus en plus régulières au cours de la journée, son aspect se dégradait, se parant de traces ensanglantées sur le débardeur qu’elle arborait, sur le tissu de son jean, sur son cou, son visage, ses cheveux… Des traces qui devinrent des marques, des entailles, des coupures profondes de plus en plus prononcées et béantes. Et ce regard accusateur, noir, mauvais, maléfique…

 

Puis vint cette nuit où tout basculait et où je compris la raison de tout ça… Ce soir-là, Claire s’était couchée plus tôt que d’habitude, fatigué d’une journée harassante à nettoyer le grenier qu’elle avait entrepris de libérer des dizaines de toiles d’araignées s’y trouvant. Pour ma part, je ne parvenais pas à trouver le sommeil, attendant la prochaine apparition de l’être fantomatique, me réfugiant dans le fumage intempestif de cigarettes, et remplissant les cendriers sur la table du salon. J’en étais à entamer mon deuxième paquet quand elle vint à nouveau à moi, dans un état encore pire que les fois précédentes, les habits déchirés, montrant des lacérations sur le corps, des os des jambes ressortis, les yeux exorbités, la bouche fendue. Ce qui ne l’empêchait pas de parler :

 

« Alors ? Te souviens-tu de ce que tu m’as fait ? Te souviens-tu des blessures que tu m’as fait subir, de la vie que tu m’as pris, assassin ? »

 

A ce moment, je craquais et répondais :

 

« Je ne sais pas qui tu crois que je suis, mais tu te trompes. Je ne peux pas être celui qui t’a fait ça. C’est la première fois que je viens ici... Laisse-moi tranquille, moi et celle qui partage ma vie… »

 

L’apparition m’observait furtivement, puis s’adressait à nouveau à moi :

 

« N’as-tu pas compris qu’elle et moi ne faisons qu’une ? Es-tu si aveugle pour ne pas l’avoir remarqué ? »

 

Je restais soudain interdit, comme ayant subi un électro-choc. Je ne m’apercevais qu’à ce moment-là de sa ressemblance troublante avec Claire, malgré ses blessures qui masquaient une grande partie de son visage. Me remettant de ma surprise, je fonçais vers la chambre de Claire, ne serait-ce que pour vérifier les paroles de l’apparition. Et là, je tombais les genoux au sol en constatant l’absence de Claire, juste avant de voir l’apparition se positionner soudain devant moi, prenant les traits de Claire peu à peu, de manière plus distincte, leurs deux visages se mélangeant, et me tétanisant sur place…

 

« J’ai longtemps attendu ce jour. Celui où tu te déciderais à revenir ici, là où tu m’as tuée il y a 50 ans de cela, dans une autre vie. J’ai fini par te retrouver, après m’être réincarné, et j’ai manipulé le destin pour que tu subisses ma vengeance… »

 

Dès l’instant où elle m’indiquait ce qu’elle était, des images horribles me vinrent en tête. Des images où je me voyais tuer cette femme, Claire, la parsemant de coups de couteau tel une bête sauvage, ne lui laissant pas le temps de réagir à mes attaques. Je voyais le sang couler sur le parquet, être projeté sur les murs, les draps. Je la voyais s’échapper, avant que je la poursuive jusqu’au dehors, achevant de faire partir sa vie par les nombreux coups de lame de mon couteau. Juste avant qu’un coup de feu retentisse, et me frappe en pleine poitrine, me laissant moi aussi au sol. Avant que mes yeux se ferment, je pus apercevoir un homme portant un pistolet. D’autres images me revinrent, me faisant comprendre mon statut de tueur prenant pour cible des femmes seules, alors que leurs maris étaient absents. Mais cette fois-là, l’un d’entre eux était revenu plus tôt que prévu, et m’avait surpris en train de massacrer son épouse, avant de me tuer à mon tour. J’étais bien ce que Claire me disait, sans le savoir. J’étais la réincarnation d’un tueur sanguinaire. Pris de panique, je me suis enfermé ici, dans ce bureau, craignant que Claire décide de parfaire sa vengeance.

 

J’ignore pourquoi elle ne m’a pas encore achevé. Sans doute un désir de me torturer mentalement avant de sonner l’hallali. Au moment où vous lirez ces lignes, j’aurais vraisemblablement subi le sort qu’elle me réserve. Je sais que ça parait fou et impossible, mais tout ce que j’ai décrit est la stricte vérité. Alors, si vous aussi vous avez l’impression de revivre quelque chose, de voir des objets, des lieux sans vous sembler les avoir vu auparavant, ce sont des messages que vous avez vécu une autre vie avant celle présente. J’ignore s’ils ont pour fonction de ne se faire voir qu’à ceux qui ont fait des choses atroces dans leur vie antérieure, mais en tout cas, ne prenez pas cela pour des choses sans importance. Si vous êtes victime d’un déjà vu, dans le doute, fuyez immédiatement l’endroit où il s’est déclaré. Cela peut vous éviter des souvenirs douloureux, et une fin atroce, tel que celle que je m’apprête à recevoir, une fois que Claire se sera lassé de me voir avoir peur, et décidera qu’il est temps de finir mon cycle dans cette vie…

 

Publié par Fabs

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