Quelques jours s’étaient passés depuis ma découverte des liens d’Alexei avec Nastya et ses désirs de vengeance envers Vladimir. Sur le fond, je comprenais ce désir, au moins aussi puissant que celui que j’avais envers ceux qui détruisait l’environnement d’où j’étais issu. Moi aussi, j’ai tué des humains en représailles d’actes tout aussi odieux. J’ai tué Irina après avoir compris ce qu’elle avait fait subir à Nastya, à son père, et qu’elle comptait me donner en pâture à un scientifique, comme un cobaye, une « chose » à étudier, un rat de laboratoire, sans savoir à cette époque qu’il s’agissait de Vladimir, qui, indirectement, était l’homme à qui je devais la vie, après qu’il me l’ai fait ôter par l’intermédiaire de Sergueï, ce pion sous ses ordres, dont je ne connaissais pas encore l’histoire exacte concernant ses liens avec Vladimir. Mais je supposais, qu’au même titre que moi et Alexei, il s’était lui aussi fait manipuler à grande échelle, berné par les paroles de bonimenteur de ce stratège hors pair.
Dans ce sens, je ne vaux guère mieux que les aspirations d’Alexei à se venger, pour l’avoir fait maintes et maintes fois envers ceux que je considère comme des ennemis de la nature, que j’ai massacré sans vergogne aux côtés de Svetlana. D’un certain point de vue, je pourrais même dire que je suis bien pire que les ressentiments d’Alexei envers Vladimir. Car j’ai entraîné Svetlana dans ma quête sanguinaire, sous le prétexte de défendre un idéal que je pensais juste et équitable. Pour moi, punir ceux coupable de couper un arbre, de brûler une forêt, de prendre la vie d’un animal ne demandant qu’à vivre sa vie n’était ni plus ni moins qu’un acte d’équilibre, sans penser qu’en faisant cela, je devenais exactement comme ceux à qui je reprochais leur comportement. Avant qu’Alexei ne me rende quasiment à l’état d’esclave entre ses mains, par le biais de ce petit boitier de métal agissant en contrôleur de la puce implantée en moi, et son désir de tuer Vladimir, je n’avais pas vraiment réfléchi à mes actes de vengeance, à ces chasseurs écrasés par des racines, ces touristes souillant un parterre de plantes en installant leur campement dessus, jetant des branches dans le feu, ou des ces adolescents considérant comme un acte d’amour envers leur compagne le fait de graver leur nom sur l’écorce d’un arbre hurlant de douleur. Je ressentais cette douleur, entendais ce supplice silencieux aux oreilles des humains, et n’y voyant rien d’autre qu’un acte odieux, qui méritait ma sentence de mort.
Mais ces derniers jours, j’ai réfléchi à tout ça, j’ai repensé à toutes ces vies que j’ai ôté de manière arbitraire, alors qu’il m’aurait suffi de me contenter de les effrayer par ma présence, en ne faisant que leur faire subir des blessures suffisamment profondes pour les inciter à ne plus commettre ce type d’actes. Peut-être que par acte magnanime, j’aurais eu un effet moins dévastateur sur mon propre mental, devenant pour les humains ce que j’essayais de ne pas être : un monstre. J’ai sans doute été influencé par le souvenir douloureux des actes d’Irina envers Nastya en cela. Sans doute la seule personne envers qui je ne regrette absolument pas le sort que je lui ai réservé. Irina méritait de mourir, c’était indéniable. La souffrance qu’elle a fait subir à Nastya, je ne pourrais jamais lui pardonner. Mais en ce qui concerne mes autres victimes, y compris les hommes ne faisant qu’agir aux ordres d’Irina, aveuglé par le pouvoir dominant qu’elle exerçait sur eux, leur promettant un meilleur avenir par le biais de l’argent, ce vecteur responsable de bien des ravages au sein du monde humain, j’en étais venu à regretter de les avoir fait devenir des corps inertes, débarrassé de toute vie, pour des actes dont ils n’étaient pas conscient, trop aveuglé, moi aussi, par les cris de la nature qui s’était servi de moi comme son bras vengeur, sans que je m’en aperçoive.
A un certain niveau, j’étais devenu l’un des hommes que contrôlait Irina, dominé par des directives qui n’appartenait pas à mon moi profond, et l’enthousiasme dont faisait preuve Svetlana à chacune des morts que je causais avait conforté mon impression que je m’adonnais à des actes de justice. Mais au fond, ce n’était que des meurtres, des exécutions sans sommation pour des actes somme toute mineurs à l’échelle de la planète. Pour autant, je n’ai jamais pris la vie des enfants, car en chacun d’eux je revoyais l’image de Nastya, son innocence, la brûlure de son cœur, et il m’était impossible d’apposer ma main vengeresse sur eux, me contentant de leur faire subir la plus grande frayeur de leur vie. Le côté ironique de tout ça, le fait de me rendre compte de mes actes irréfléchis par vengeance, par colère, et indirectement par le fait d’un certain sentiment amoureux envers Svetlana, je le devais à Alexei. C’est lui, en me faisant subir la même injustice dont j’avais fait preuve envers mes victimes passées, qui m’avait fait prendre conscience du mal que j’avais fait, simplement parce que je voyais les yeux brillants de Svetlana à chaque bras que je faisais arracher par des branches, à chaque gorge perforée par la pousse accélérée de brins d’herbe se transformant en aiguilles de mort, à chaque corps tombant sur la terre humide de la forêt.
Avant Svetlana, je n’avais jamais connu cet étrange sentiment qui s’était déversé en moi. Tout juste connaissais-je son existence par ce qu’en m’en avait dit mon regretté père. Celui-là même à qui je devais d’être ce que je suis. Et aussi en partie par son assistant, qui vit en moi indirectement, par le biais de mes cellules et d’un morceau de son cerveau, qui est désormais partagé par celui de Svetlana. Je sais que désormais elle vivra éternellement en moi. Une manière pour moi de soulager quelque peu la peine d’avoir appris sa mort en me réveillant ici, dans l’enceinte du laboratoire de Vladimir. Et même sachant que c’est ce dernier qui a vraisemblablement provoqué sa fin, je ne peux m’empêcher dans le même temps de lui être reconnaissant de lui avoir donné cette opportunité de vivre pour toujours à mes côtés, à l’intérieur de moi. Une cohabitation qui a donné lieu à des instants curieux, où je revois Svetlana. Ça arrive de plus en plus souvent d’ailleurs. De plus, je ne sais pas si c’est l’influence de mes propres regrets concernant ceux à qui j’ai pris la vie injustement, mais elle aussi a changé de comportement en faisant désormais partie de moi. Elle qui m’incite régulièrement à ne plus faire les mêmes erreurs. A vrai dire, ce changement en moi et en elle a débuté dès l’instant où j’ai découvert la vérité sur les projets de Vladimir
Je reste persuadé que si celui-ci a mis à ma disposition, de manière presque flagrante, les documents expliquant ce qu’il désigne comme le « Projet Crystal Soldier », c’est une nouvelle méthode de sa part de me manipuler, en me faisant croire qu’il me veut du bien en m’offrant cette vérité. Sans doute prévoyait-il déjà la probable trahison d’Alexei, conscient que ce dernier m’utiliserait pour s’attaquer à lui, et ayant déjà préparé le terrain pour m’associer quelque peu à sa « cause ». Mais ce n’est qu’une probabilité parmi d’autres, tellement les desseins de Vladimir sont parfois tellement ambigus et difficilement compréhensibles, qu’il est presque impossible de savoir ce que ce scientifique aussi machiavélique que génial a en tête. Je me demande parfois quelle enfance il a bien pu avoir pour avoir fait de lui ce qu’il est aujourd’hui. Quels évènements l’ont amené à devenir cet être froid et calculateur, et l’ayant fait croiser le chemin de cette organisation derrière tout ça ? La Chambre des 9, c’est le nom que j’ai lu dans les dossiers que Vladimir, de manière intentionnelle ou non, a laissé à mon intention. Qui est vraiment Vladimir ? Est-il un ennemi ayant des ressentiments coupables envers ses actes, ou bien un allié qui, malgré tout, pense avant tout à ses propres intérêts avant tout le reste ? Je pense que je n’aurais jamais de véritable réponse à ces questions, Vladimir est bien trop imprévisible pour le savoir. A moins d’explorer son cerveau comme il l’a fait pour le mien…
« Tu ne devrais pas te poser autant de questions sur Vladimir, Viktor. Au stade actuel, tu devrais plus te préoccuper de te libérer de l’emprise d’Alexei sur toi, et l’empêcher de devenir à son tour un meurtrier. Au fond de toi, je sais que tu devines la souffrance qu’il y a en lui, à cause de Nastya. »
Nastya. Une nouvelle fois, le souvenir de cette petite fille que j’avais vu comme une personne réfractaire à ma présence, et qui avait fini par devenir ma petite sœur, se rappelait à moi, provoquant des larmes coulant sur mes joues
« Je le sais bien, Svetlana. Je sais que c’est la colère et la vengeance, tel que je les ai ressentis moi aussi qui l’ont poussé à me rendre à l’état de marionnette. J’ai eu la même sensation en apprenant qu’il t’avait sans doute sacrifiée pour me permettre de vivre. Je ne pourrais jamais lui pardonner pour ça. Mais je ne veux plus être le meurtrier que les actes d’Irina envers Natya m’ont fait devenir. Je ne veux plus prendre de vie. Et j’aimerais qu’Alexei comprenne ça également. Afin qu’il ne finisse pas par regretter ses actes après avoir tué Vladimir. »
L’image de Svetlana m’apparut alors devant moi, comme elle le faisait à chaque fois que j’avais besoin de ressentir sa présence. Une manière d’apaiser mes doutes, de m’aider à aller de l’avant
« Tu ne dois pas te sentir coupable pour ce que tu as fait. Au fond, tu es comme moi. Quelqu’un de brisé parce que tu as vu de quoi l’être humain était capable autour de toi. C’est ce qui nous a rapproché d’ailleurs. Sans ce ressentiment commun, jamais nous n’aurions pu vivre tout ce que nous avons vécu ensemble. Et jamais ce sentiment de rédemption n’aurait pu naitre en toi comme en moi, en l’instant présent… »
« Oui… Tu as raison Svetlana… Comme toujours… Tu arrives toujours à me faire sentir plus humain que je ne le suis. Plus humain qu’un humain. Alexei s’est égaré dans sa quête de vengeance, et je ne sais pas si je serais capable de lui en faire prendre conscience avant qu’il commette l’irréparable. Mais je vais essayer, je te le promets… »
La silhouette de Svetlana me souriait, comme satisfaite de ma réponse
« Je suis persuadé que tu feras ce qui est le mieux. Vladimir est certes un monstre, bien plus que l’image qu’on a de lui, mais il reste une vie. Nous avons fait des erreurs tous les deux, et je sais que j’en suis en partie responsable. Non, ne dis pas le contraire, tu sais que c’est vrai. Mais toi, comme moi avons évolué en ce sens. Et il est de notre devoir de faire comprendre la même chose à Alexei, et faire disparaitre ce sentiment ravageur qui l’envahit, tout comme il nous a envahi tous les deux. »
Avant que la silhouette de Svetlana disparaisse peu à peu, je la remerciais pour ses mots, pour sa présence, pour le fait d’être elle
« Merci, Svetlana. Une fois de plus, tu as su dissiper mes doutes, et je ferais de mon mieux pour faire changer d’avis Alexei. Mais si je n’y parviens pas, tu sais comme moi que je n’aurais peut-être pas d’autre choix de recourir à nouveau à la violence. Je ne le tuerais pas, mais je devrais faire en sorte de l’empêcher commettre quelque chose qui le hanterait à jamais. »
Svetlana avait disparue, s’étant à nouveau enfouie en moi. Au même moment, j’entendais les pas d’Alexei se rapprochant de ma chambre. Je ne savais pas encore de quelle manière j’allais procéder, mais je devais faire prendre conscience de la folie s’étant insinué en lui, afin qu’il renonce à son projet de tuer Vladimir, et qui aurait pour conséquence de le détruire psychologiquement parlant. Bientôt, Alexei apparaissait devant moi
« Bonjour, Viktor. J’espère que tu resteras aussi calme qu’hier aujourd’hui. J’ai pu constater que tu t’étais fait à ta condition depuis notre petite altercation dans le jardin d’il y a quelques jours. C’est bien Viktor, c’est le signe de ton intelligence. Ce dont je n’ai jamais douté »
Je le regardais fixement, déterminé à lui faire partager ce que j’avais compris sur mes propres actes, afin qu’il comprenne que tuer Vladimir ne ferait pas revenir Nastya, et, au contraire, ne ferait qu’accentuer le mal-être qui était en lui
« Alexei… Je… Je dois te parler… C’est important »
« Si c’est encore pour me faire renoncer à ce que je destine à Vladimir, tu perds ton temps. Je suis décidé à faire disparaitre cette ordure de la surface de la terre, et toutes les excuses que tu lui trouveras n’y changeront rien »
« Je suis bien placé pour savoir le pouvoir de manipulation de Vladimir. Tout comme son absence de compassion et de remords. Mais le tuer ne fera pas revenir Nastya. Tu le sais au fond de toi. En le tuant, tu deviendras comme lui. Un être froid et calculateur, pour avoir préparé son exécution sans le moindre ressentiment. Tu n’es pas comme ça, j’en suis persuadé. Tu peux encore revenir en arrière. Vladimir reste un être vivant, malgré tout ses défauts. Tu ne peux pas décemment devenir ce qu’il est, juste par vengeance… »
Alexei restait interdit quelques instants, avant d’éclater de rire à mes mots. Puis, se reprenant, il me répondait :
« Dit le monstre coupable de dizaine de morts pour des raisons futiles. Tu as tué des hommes parce qu’ils ont pissé contre un arbre, massacré des femmes pour avoir fait griller des chamallows au-dessus d’un feu de camp, et tu voudrais me dire que tuer est mal ? C’est très drôle Viktor. Je ne te connaissais pas des talents de comique. »
« Je suis conscient de ce que j’ai fait, et tu ne peux même pas imaginer combien je le regrette. Mais j’ai eu le temps de réfléchir à ce que j’ai fait, et je le regrette. Je ne peux pas réparer les torts que j’ai fait. Ces hommes, ces femmes… Ils avaient sans doute des familles, des proches qui ont pleuré leur perte… A cause de moi… »
Alexei s’approchait un peu plus, projetant mon regard dans le mien
« Et ces regrets s’appliquent aussi à Irina ? »
Je ressentais cette question comme un électrochoc. J’étais incapable de mettre Irina au même niveau de regrets que mes autres victimes. Et Alexei le savait parfaitement en me faisant cette demande. Rien que par cette question, je savais que le faire changer d’avis serait très compliqué. Surtout venant de ma part…
« Tu ne réponds rien Viktor ? Pas la peine de le faire, ton regard est suffisamment éloquent en ce sens. Jamais tu ne pourras regretter d’avoir tué Irina, je le sais. Je sais combien tu considérais Nastya comme l’équivalent à ton niveau d’une petite sœur. Ne me demande pas comment je le sais. Je le sais, c’est tout. La mort d’Irina, elle t’est venue dans ta tête d’instinct. C’est ce qu’on appelle l’esprit de famille. Un instinct qui n’a pas de remède pour des gens comme nous Viktor. Tu es et tu resteras un tueur, quel que soit tes ressentiments actuels… »
Alexei s’éloignait de moi, avec toujours ce petit rire moqueur sur son visage.
« Si tu savais à quoi te destine Vladimir, tu aurais une tout autre opinion de lui. Et je ne te parle pas des quelques documents que tu as pu lire. Ne mens pas, je sais que tu les as vu. Il y a des caméras de surveillance un peu partout ici. »
Alexei donnait l’impression de réfléchir, puis reprenait :
« Tu sais quoi ? Je vais te montrer ce que l’esprit malade de Vladimir garde en secret, loin de tes yeux, et qui est bien plus horrible que tu ne le penses. Je vais te montrer l’ampleur de la puissance technologique qui a été mise dans les mains de cet esprit tordu, laissant libre cours à sa folie scientifique, utilisant des créatures comme toi, à des fins bien peu recommandable. Suis-moi, Viktor : je vais te montrer l’antre de Frankenstein, qui se situe dans ces murs… »
Interrogatif quant à ces paroles, je suivais Alexei, qui me conduisait vers un ascenseur escamoté, situé dans la salle où il me faisait subir les expériences demandées par Vladimir de manière régulière, à la demande de Vladimir, afin de tester la résistance de mon corps aux armes humaines, et s’ouvrant par la pression d’un bouton placé à l’intérieur du mur, de manière indétectable à l’œil nu. Il me fit entrer à l’intérieur, et nous descendîmes à plusieurs mètres de profondeur, du moins c’est ce que me faisait penser le temps passé dans l’appareil en déplacement. Arrivé à destination, les portes s’ouvrirent, et devant mes yeux ébahis s’offrait un spectacle digne d’un roman de science-fiction. Devant moi se trouvait des dizaines de machines gigantesques, dotées de lumières, de boutons, d’écrans de contrôles, reliés à des sortes de cuves remplies d’un liquide bleu, presque fluorescent. A l’intérieur, se trouvait diverses créatures dont je découvrais l’existence. Je reconnaissais certaines, pour les avoir vus dans les dossiers du bureau de Vladimir. Pour les autres, j’avais du mal à croire que de telles bêtes appartiennent à ce monde que je pensais connaitre.
« Voilà, Viktor. Voilà l’endroit où celui que tu désignes comme une vie qu’il ne faut pas prendre fabrique des monstres dont tu n’imagines même pas la manière dont il les traite. En ce sens, je dois avouer que tu es sacrément privilégié par rapport à elles. Alors ? Toujours convaincu que Vladimir n’est pas un monstre lui-même qui mérite de disparaitre ? »
Je ne comprenais pas comment on pouvait se servir de cette manière de formes de vie… J’avais lu les lignes principales du Projet Crystal Soldier, et d’autres évoquant la création à partir de gênes de créatures, afin d’en former d’autres, mais je n’imaginais pas l’ampleur et la barbarie subies par elles pour parvenir à ce que Vladimir avait en tête, au nom de la science, et à la demande de cette fameuse Chambre des 9. Certaines étaient dépecées, n’étant constituées que de troncs, de cerveaux flottant dans des cuves plus petites. Dans d’autres flottaient des bras tous aussi difformes les uns que les autres, des jambes, des queues aux longueurs et aux couleurs diverses. Et au fond du labo figuraient d’autres cuves plus grandes, où se trouvaient ce qui devait constituer les « produits finis ». Des créatures composées d’amalgames des autres présentes dans les premières cuves, ou d’autres bêtes enfermées dans des sortes de cages, dont les barreaux étaient constitués de flux électriques. Cet endroit était une vraie caverne des horreurs pour quelqu’un comme moi.
« Pourquoi ? Pourquoi faire subir ça à ces créatures ? Qu’ont-elles fait pour mériter d’être traitées de cette manière ? Ces cuves, ces cages… Je ne comprends pas comment on peut arriver à de tels actes… Je pensais avoir déjà vu le pire de l’homme, mais j’étais très loin d’imaginer à quel point sa cruauté pouvait aller… »
Alexei semblait exulter à mes mots, montrant un large sourire, avant de me montrer l’une des cuves du fond en particulier, où figurait une sorte de clone de moi, constitué d’un corps en tout point conforme au mien, mais doté d’une tête s’assimilant à celle d’un loup de taille démesurée, de ce que j’en connaissais en tout cas, à travers les livres. Je m’approchais de la cuve, ayant encore du mal à comprendre la finalité d’utiliser l’ADN de mon corps, afin de créer quelque chose d’autre…
« Ces créatures, dont ton presque frère jumeau, si ce n’est qu’il a été affilié à celui d’un lycanthrope, sont destinées à en combattre d’autres, vivant dans un univers parallèle au nôtre. Un monde qui est nommé le ShadowEarth, peuplé de créatures surpuissantes, et dominés par une race bien distincte : les Spectres Noirs. Des créatures qui ont déjà foulé le sol de notre planète par le passé, et dont il subsiste des portails sur notre planète, créés par des hommes au moins aussi fous que Vladimir. C’est pour empêcher leur invasion que la Chambre des 9 s’est adjugé le concours d’un certain Jeffrey Forks, chargé de chercher et mettre hors de portée des humains les artefacts capables de créer ces portails. C’est une certaine Pulsar qui supervise sa mission. Si je te parle d’elle, c’est parce qu’elle entretient une relation plutôt intime avec ce cher Vladimir. Une relation qui date du moment où Irina était occupée à collecter des fonds pour son chéri de scientifique en charmant le père de Nastya. Je pense que ça montre bien le talent de Vladimir à manipuler tout et tout le monde, sans exception. Et je suis persuadé que Pulsar elle-même n’est qu’un pion à ses yeux, pour nourrir ses propres ambitions qui est de monter en grade dans la Chambre des 9 »
Je posais mes mains sur la cuve où se trouvait mon « clone », ou plutôt l’hybride constitué de mon ADN. J’avais de la peine pour toutes ces créatures présentes ici, réduites à des objets, des morceaux de briques qu’on assemblait l’une sur l’autre pour créer d’autres formes de vies, plus puissantes que les originelles. Je ne savais plus quoi penser. Sur Vladimir, ses commanditaires, cette fameuse Pulsar dont Alexei m’avait parlé, l’organisation dont elle faisait partie, le rôle d’Irina dans tout ça. Ce flux d’informations engrangé d’un seul coup me donnait l’impression de faire exploser mon crâne.
« Je ne comprends pas tout, et je ne peux pas pardonner à Vladimir l’utilisation qu’il fait de ces créatures, qui sont, en quelques sortes, comme des frères et des sœurs pour moi. Elles aussi ont certainement souffert de leur condition de « monstre »
Relâchant ma main de sur la cuve, et me retournant vers Alexei, je continuais de parler à Alexei :
« Malgré tout, tu m’as parlé de leur rôle futur pour une sorte de guerre, afin de sauver la planète d’une invasion par des créatures, que j’imagine suffisamment dangereuse pour les hommes pour que de telles dispositions aient été entreprises. Avant de juger qui que ce soit sur leurs actes, j’aimerais avoir le point de vue sur Vladimir sur tout ça. Certes, sa méthode est monstrueuse, à la hauteur de ce que je savais déjà sur lui, mais tu as aussi dit qu’il a fait ça à la demande de cette Chambre des 9. A première vue, les vrais monstres, c’est plutôt elle. Mais là encore, elle agit dans un but de protection. »
Alexei montrait un sourire évident de surprise doublé de découragement
« T’es pas possible, Viktor. Désespérant. Même en voyant tout ça, tu trouves encore le moyen de trouver des excuses à ce malade qu’est Vladimir, et même ses commanditaires. Dis-toi une chose : si j’ai accepté d’être son complice, c’est parce que je l’ai fait pour mieux l’approcher. Et si ça a été aussi facile de le faire, c’est parce que j’ai été « coaché » par un des membres de la Chambre. Comment te dire ? Disons qu’il y a une forme de dissension au sein de la Chambre. Certains membres ont une autre idée de l’utilisation de ces hybrides face aux créatures du ShadowEarth. Pour faire simple, là où les membres de base de la Chambre veulent détruire les Spectres Noirs et leur monde, ceux à qui je dois d’être là aujourd’hui, veulent les capturer, afin d’assouvir leurs propres desseins. Eh oui, Viktor : quel que soit les enjeux et les personnes, tout le monde est pourri jusqu’à l’os… »
« Mais pourquoi obéir à ces gens, à l’encontre de Vladimir et des autres membres de la Chambre, puisque leurs intentions sont moins louables ? Je ne comprends pas. Il y a bien une raison ? »
Là-dessus, Alexei émettait un nouveau sourire :
« En effet Viktor. J’y ai un certain avantage. Vois-tu, en me confortant à ces dissidents de la Chambre, j’y gagne le droit de faire revivre un être qui m’est cher. Quelqu’un que tu as bien connu… Nastya… »
J’ouvrais de grands yeux à cette évocation. Nastya était morte… Comment pourrait-elle revenir à la vie ? C’était impossible. On ne pouvait pas faire revenir un corps mort. Et j’exprimais ma surprise envers Alexei suit à cette confession :
« Comment ? Nastya ? Mais… Elle est morte ! J’ai vu son corps sans vie sur le sol… Je l’ai enterré moi-même. Elle ne peut pas être vivante, et personne n’a le pouvoir de faire revivre un mort ! Aussi puissante soit cette organisation, elle ne peut aller contre les lois de la nature ! »
« Tu n’imagines même pas de quoi est capable une organisation comme la Chambre, ayant à sous ses ordres des milliards à dépenser, et capable de technologies insensées pour le commun des mortels… »
S’arrêtant un instant, regardant la cuve où se trouvait mon clone, puis me fixant à nouveau, Alexei continuait :
« A dire vrai, ce ne sera pas tout à fait Nastya. Pas celle que toi et moi avons connue en tout cas. Ce sera bien son corps, qui a été déterré de l’endroit où tu l’as mise, et conservé, cryogénisé dans un endroit secret, à l’insu du chef de la Chambre. Mais sa mémoire sera une version remodelée, reconstruite numériquement à partir des données que je leur ai fournies sur sa naissance, son enfance, sa personnalité, ses goûts, ce qu’elle déteste, ses passions, … Tout ce qui faisait Nastya, mais en mode 2.0. Une Nastya identique physiquement, avec les mêmes émotions, les mêmes ressentiments, mais qui n’aura aucun souvenir de toi et de moi. Ce sera à moi de renouer les liens que j’avais avec elle. Elle sera comme un nouveau-né, sans connexion avec qui que ce soit, mais capable des mêmes fonctions qu’un être humain. Et je serais en quelque sorte son nouveau père, celui qui aura tout à lui apprendre de ce monde dans lequel elle va renaitre… »
J’étais horrifié de ce que je venais d’entendre. C’était encore plus horrible que tout ce qui était possible de m’imaginer. Le projet d’Alexei, de la Chambre, la raison pour laquelle il acceptait de faire ce que les dissidents de cette organisation lui avaient demandé, était inommable, tellement il allait à l’encontre de toute raison. Le corps de Nastya, ma chère petite sœur, avait été souillé par des scientifique sans scrupules, tout ça pour s’assurer le concours d’Alexei. J’avais beau tenter d’empêcher la colère monter en moi, je ne pouvais pas permettre un projet aussi ignoble, simplement pour assouvir les désirs contre-nature d’un homme qui se révélait aussi monstrueux que Vladimir. N’y pouvant plus, je fonçais sur Alexei, prêt à renoncer à ce que j’avais promis à Svetlana, car ce que je venais d’entendre allait au-delà de ce que je pouvais supporter. Mais Alexei avait prévu ma réaction, et sortait le boitier contrôlant la puce dans ma tête, avant d’appuyer sur le bouton déclenchant une immense douleur en moi, et me faisant s’écrouler sur le sol. Alexei me regardait alors avec dédain, s’amusant de ma soumission
« Viktor, Viktor… Aurais-tu oublié que tu es mon esclave, et que je suis ton maitre ? Tu ne peux rien contre moi tant que j’ai ce boitier, tu as déjà oublié ? Et j’imagine déjà la tête de Vladimir en te voyant foncer sur lui, victime de sa propre création, la gorge lacérée. J’ai tellement hâte de voir son corps inanimé sur le sol… »
Soudain, tout occupé à notre confrontation, aussi bien Alexei que moi n’avions pas entendu les portes de l’ascenseur se fermer, remonter silencieusement, avant de redescendre au labo, afin de faire ressortir 4 hommes habillés de costumes sombres. L’un d’entre eux s’adressait directement à Alexei.
« Ça suffit Alexei ! Vous allez trop loin, et surtout vous avez oublié les conditions de nos accords ! Pour mémoire, je vous rappelle que Nastya 2.0 ne devait vous être offerte que si vous obéissiez à nos directives. Et celles-ci incluaient de laisser Vladimir en vie ! Je vous rappelle que nous avons encore besoin de lui. Il a des connaissances dont vous n’atteignez même pas le tiers. Votre mission était de comprendre les bases d’élaboration des hybrides et d’être capable de les reproduire, afin de nous livrer notre propre armée. En aucun cas, nous ne vous avons autorisé à procéder à votre vendetta personnelle. Je pensais que nous étions d’accord sur ce point… Mais je vois qu’il n’en est rien… »
Alexei se retournait. Reconnaissant l’homme présent qui venait de lui parler, il tentait de se défendre :
« Vous vous trompez ! J’en sais autant que Vladimir ! J’ai accès à toutes ses notes ! Je sais le mode de fonctionnement du labo, je sais quels produits utiliser pour les cuves, les méthodes d’hybridations, d’assemblage des corps ! Il ne vous sera plus utile, vu que vous m’avez maintenant ! »
Imperturbable, l’homme continuait de s’avancer, escorté des 3 hommes l’accompagnant. Il fit un geste à l’un d’eux, et ce dernier tirait dans la jambe droite d’Alexei, qui tombait en hurlant de douleur au sol, et laissant échapper le boitier de contrôle de ma puce. Arrivé à la hauteur d’Alexei, dont le sang sortant de sa jambe innondait le sol, l’homme reprenait :
« Vraiment ? Vous savez tout ? Même comment reproduire le cristal de vie, et la manière de le connecter à un cerveau et aux muscles moteurs, afin de faire des hybrides des êtres autonomes ? »
A ces mots, Alexei baissait la tête, montrant sa méconnaissance :
« Je reconnais ne pas encore maitriser cette partie, mais je forcerais Vladimir à me le dire. Je n’ai trouvé aucune note sur le cristal, il n’y a rien ici. Mais quand il reviendra… »
L’homme l’interrompit :
« Quand il reviendra, vous ne serez plus là… En tout cas, pas en vie. Il est évident qu’on ne peut pas vous faire confiance. Réfléchissez un peu imbécile : si vous usez de la force sur Vladimir, vous croyez vraiment qu’il va tout vous dire comme un petit chien obéissant, simplement en le menaçant avec l’autre plante verte là ? Vladimir est plus intelligent que ça. Le connaissant, je suis sûr qu’il n’existe aucune note sur le cristal. Tout est dans sa tête. Si vous vous en prenez à lui, il ne fera que vous donner de faux renseignements sur le cristal, et sa mort nous fera revenir des années en arrière, à l’époque de la Purge, dont j’ai miraculeusement réchappé, vu que Black Hole ignorait que j’aidais Stardust dans l’ombre. Je ne prendrais pas le risque de tout faire foirer parce que vous avez décidé d’assouvir vos désirs de vengeance futile… »
« Vortex, je… Pardonnez-moi… J’ai merdé sur le coup… Je vous promets de faire comme vous dites… Je ne tuerais pas Vladimir… J’obtiendrais les renseignements pour le cristal de manière discrète… »
Le nommé Vortex s’accroupissait, souriant :
« Désolé, mais j’ai des ordres : vous avez perdu toute la confiance que Stardust avait en vous. Et j’ai été envoyé pour faire le ménage… Si vous voyez de quoi je veux parler… »
Vortex sortait une arme de l’intérieur de son veston, avant de la pointer sur Alexei
« Attendez ! Vortex, je vous en prie… Je veux revoir Nastya, vous me l’avez promis… Je vous jure que je ferais tout comme vous voulez… Ne me tuez pas… Nastya… Je veux revoir Nastya… »
« Vous êtes pathétique, Alexei… On a fait une grosse erreur en pariant sur vous. On pensait se servir de votre ressentiment envers Vladimir pour obtenir votre dévouement, mais vous êtes encore plus con que je pensais en mettant votre vengeance avant les ordres… »
Au même moment, Vortex abaissait son arme légèrement, et sortait un téléphone de son poche droite, puis le portait à son oreille :
« Carver, c’est vous ? Bon, écoutez-moi, je vais faire vite. Annulation du projet Nastya 2.0. Plus besoin de perdre du temps avec ça. Mais gardez le corps en salle de cryogénie. Il peut encore servir pour le Rebirth. C’est ça, comme c’était prévu au départ. C’est tout. Ah et dites aussi à Stardust que le problème Alexei est résolu. On revient à la méthode classique d’analyse du cristal de vie. Nova sera ravie d’étudier le protégé de sa propre création. Je me charge de la prévenir de l'envoi de la plante verte, une fois pratiqué son export aux USA. Non, évidemment : elle ignore les détails. Mais le document comportant la fausse signature de Black Hole suffira à endormir sa méfiance. Dans le même temps, elle devrait contacter la mère de Woodsman pour qu’elle explique tout à son fils. Scary Girl, elle, est déjà au courant de son futur rôle depuis sa rencontre avec Nova. On va enfin pouvoir juger de la capacité de ces deux-là à grande échelle contre l’armée de Sacham et Krysta. Faudra aussi penser à envoyer les agents Y10 et M34 à la route du pêché. Ouais, c’est ça : pour implanter le brouilleur de mémoire par intraveineuse sur le Dévoreur. Pour qu’il puisse rejoindre le fort par ses propres moyens, à la demande de Vladimir. Tu sais quoi ? J’ai hâte de voir toute cette poiscaille décimée par nos petites créations. De quoi ? Non, rien de prévu concernant les troupes de Myrga. On la laisse faire ses petites affaires avec le Général Weiss. Mais n’oubliez pas d’activer les drones pour immortaliser tout ça en numérique. Pas d’autres directives à donner. Fin de transmission. »
Rangeant le portable dans sa poche, Vortex souriait en regardant Alexei, comme un enfant s’apprêtant à déballer son cadeau.
« Vous ne pouvez pas faire ça… J’ai trop travaillé pour Nastya. Vous ne pouvez pas détruire mes rêves pour une simple erreur… »
Vortex, toujours souriant, dit alors ses dernières paroles à Alexei :
« Pauv’ chochotte… T’as peur de mourir, c’est ça ? Ben, tu sais quoi ? J’en ai rien à foutre… »
Puis, le bruit d’une détonation résonnait dans le labo, pendant que le corps d’Alexei s’écroulait au sol, le front paré d’un trou de balle suintant de sang, les yeux exorbités par la terreur. Pour ma part, j’avais assisté impuissant à toute cette scène, incapable de bouger à cause de la douleur causé par le boitier. J’entendais alors Vortex donner des ordres aux hommes qui l’accompagnaient :
« T89, R56 : nettoyez-moi tout ce merdier, et foutez-moi le corps de cet imbécile d’Alexei dans une des cuves. Je me charge d’envoyer un message à Vladimir pour lui apprendre la trahison de son petit con d’assistant. Il n’a pas besoin d’en savoir plus. Si ce n’est qu’il pourra se servir de son corps comme élément de base pour ses expériences le cas où. K23, toi tu te charges d’anesthésier la plante verte, et de la charger dans le van. Après ça, on passe au dépôt 7 pour l’expédition aux USA de la marchandise. Moi, je vais me taper un whisky dans le bureau de Vladimir en attendant. Dites-moi quand tout est prêt pour partir… »
Les 3 hommes acquiescèrent, pendant que Vortex se dirigeait vers l’ascenseur. Puis, K23, le terme pour désigner l’agent chargé de s’occuper de moi, alors que j’étais toujours sous le coup de l’action de la puce en moi, s’approchait, et la dernière chose dont je me souvenais, c’était cette seringue plantée à la base de mon cou, et me faisant tomber dans un profond sommeil…
Publié par Fabs
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