Je ne sais pas si vous avez déjà vécu une relation toxique, de celles qui vous empoisonnent la vie à jamais, à cause d’un mauvais choix, ou parce que vous n’avez pas su voir ce qui se cachait derrière le masque. Un masque qui vous a subjugué en premier lieu, vous mettant des étoiles dans les yeux, et vous faisant entrevoir quelque chose qui ne pouvait, à vos yeux, n’être qu’une réponse à vos désirs les plus fous, un idéal rêvé ayant pris forme. Mais une fois révélé le vrai visage derrière ce masque, vous montrant la réalité de l’être pour quoi vous étiez prêt à tout donner, vous avez tenté de reculer. Votre esprit s’est réveillé en voyant la réalité, et vous avez voulu y mettre un terme, avant que vous ne puissiez plus maitriser quoi que ce soit. Seulement, vous n’avez pas pu procéder à cette fuite. Pas parce que vous n’aviez pas la volonté de le faire, mais parce que cet autre a refusé de vous laisser faire, allant jusqu’à faire de votre vie un enfer. Tout ça par jeu, ou tout simplement parce que le côté machiavélique de cet autre a fait de vous son jouet involontaire, vous emportant dans sa danse néfaste, sans possibilité de modifier le scénario, car c’est elle qui tient le crayon ayant le pouvoir de changer les lignes… Certains ont réussi à obtenir l’aide d’amis, de proches, de connaissances ou de contacts de ces derniers pour mettre fin à votre calvaire. Parfois après plusieurs années. Parce qu’il y avait cette part de bonté en vous, collée à votre conscience, qui tentait de trouver une issue sans faire souffrir l’autre. Une forme d’espoir s’étant emparé de vous, persuadé que la situation allait changer, et que vous alliez parvenir à restructurer le mode de pensée de cet autre.
Une période utopique qui, très souvent, ne fait que consolider le mal-être, la malveillance de cette relation, et quand vous parvenez à réagir, comprenant que cette vision d’amélioration appartient à l’impossible, et que votre soi profond est déjà craquelé de partout, il est souvent trop tard, vous plongeant dans le désespoir, abandonnant tour à tour les possibilités qui vous étaient offertes de revenir à une situation normale. Celle que vous connaissiez avant cette rencontre regrettée. Bien sûr, vous auriez pu fuir loin, laissant le mal fait ronger votre être peu à peu, faisant de vous une loque se dirigeant vers un avenir incertain. Mais pour diverses raisons, qu’elles soient sentimentales, financières, ou simplement à cause de votre état d’esprit buté, de votre désir de combattre le mal par votre force mentale, même sachant qu’elle était vouée à l’échec, vous avez décidé de rester. Vous avez voulu tenir tête à l’autre, le faire fuir du territoire que vous jugiez être vôtre, refusant de vous abaisser à suivre les règles que votre relation tentait de vous imposer. Malgré toute cette détermination, votre sentiment intérieur jugeant faussement que vous alliez vous en sortir, l’autre vous dominait. Une toxicité relationnelle qui peut agir sur un couple, mais aussi des amis, des relations de travail, un partenariat commercial qui n’aurait dû être que temporaire. Et il ne s’agit là que d’exemples liés au réel, au monde que nous connaissons, celui d’une humanité propre à ne croire qu’au rationnel. J’ai vécu une relation comme celles que je vous ai décrites, mais elle n’avait rien de commun, je peux vous l’assurer.
Et la personne qui m’a fait basculer dans l’enfer que j’ai vécu, je ne vous souhaite pas de la vivre. En tout cas, je vous souhaite sincèrement de ne jamais croiser le chemin d’un être tel que Célia. C’est le prénom de celle qui m’a fait douter de moi, qui m’a fait me rabaisser continuellement, riant de mes tentatives pour me soustraire à son emprise, me faisant devenir l’étincelle déclenchant le malheur autour de moi, par des phrases que je pensais anodine, des colères provoquées par une frustration, du genre de celles qu’on regrette l’instant d’après. Mais pour Célia, rien n’était anodin, tout était sujet à me tourmenter, en me faisant comprendre que c’était moi qui avais désiré cette situation, et qu’elle n’en avait été que le vecteur… Je la détestais pour ça ! Elle parvenait toujours à user de cette influence qui la caractérisait pour justifier ses actes monstrueux, ses « punitions », tel qu’elle les désignait. Et quand je parvenais à maîtriser mes émotions, afin de ne pas lui donner de la matière à utiliser ses facultés, elle me tourmentait encore plus, se faisant plus présente, jouant avec mes nerfs de façon prononcée, installant ce climat de peur, d’instabilité mentale ayant fait penser aux autres que je me dirigeais vers les terres de la folie. Je me souviens de sa phrase fétiche dans ces moments-là :
« N’oublie pas que c’est toi qui as créé la rupture de la frontière séparant ton monde du mien. Par ton appel, ton désir de faire cesser tes angoisses, tu as déclenché ce que tu vis. Je ne suis que la réponse à ton envie de changer ton quotidien. C’est toi qui as demandé que je sois ta muse, ton inspiration. Ce pacte qui nous relie, tu l’as accepté en toute connaissance de cause. Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même de ses conséquences. Désormais, toi et moi, que tu le veuilles ou non, nous sommes liés à jamais. Et tu ne pourras rien faire pour changer ça, cher petit mortel… »
A chaque fois qu’elle prononçait ses mots, sur un air sarcastique et moqueur, je sombrais encore plus dans le désespoir, conscient qu’elle avait raison. C’était moi qui avais prononcé l’acceptation de sa proposition. Moi qui lui avais donné l’accord de diriger ma vie comme elle l’entendait. Moi encore qui lui avais donné les directives pour me fournir l’inspiration qui me manquait pour mon livre… Ce foutu bouquin ! Pourquoi ai-je eu cette panne, ce mal de l’écrivain qu’on nomme la page blanche ? Pourquoi a-t-il fallu que j’emménage ici, malgré les mises en garde de Vic, le gardien de l’immeuble où je vis ? Lui, il savait le danger que représentait cet appartement. Il avait tenté de me dissuader, surtout qu’au départ, ce n’est pas celui-là que je devais prendre, mais un autre, situé plus loin à l’étage. Mais je pense que dès ma présence dans le couloir, Célia a senti que je pourrais devenir sa proie prochaine, elle m’a fait ressentir cette envie de venir à elle, de me diriger vers sa porte, et de contrôler mon destin.
Dire que tout a commencé à cause d’une euphorie de succès. Ah, j’ai oublié de préciser qui j’étais. Je me nomme Alejandro Gimenez. Je suis chilien. J’ai fui mon pays, suite aux manifestations de 2019, ayant plongé le pays dans un tel état de crise sociale qu’il ne m’était plus possible, comme beaucoup d’autres, de vivre décemment. Être écrivain au Chili n’assure déjà pas des revenus suffisants pour bénéficier d’une vie correcte, avec la crise, cela s’est amplifié. Et mes déclarations à des médias locaux, critiquant les actions des carabiniers chargés du maintien de l’ordre envers les manifestants, n’ont fait qu’envenimer les choses. Je suis devenu « persona non grata » aux yeux du pouvoir en place, n’appréciant pas mes attaques verbales virulentes dans les journaux, les radios. Un désir de réclamation de justice qui m’a obligé à fuir, à cause de menaces à peine dissimulées, de courriers m’enjoignant à me taire sous peine de sanctions « adaptées ». La peur aidant, j’ai fini par prendre l’avion, et j’ai migré vers les Etats-Unis, espérant y trouver un climat moins pesant. Quelques mois plus tard, mon premier livre « made in USA » est sorti. Un livre critiquant le régime chilien récent, sous couvert d’une histoire romancée et fictive, où était décrit un couple devant faire face à l’inégalité sociale du pays, et cherchant à le fuir, malgré les menaces.
Vous l’aurez deviné, c’était une manière détournée de relater ma propre expérience, et le livre a été encensé par les critiques de toute part, faisant de moi l’écrivain à la mode, invité dans diverses émissions culturelles, où on ne manquait pas de faire le lien entre mes personnages et mon vécu. J’ai été le premier surpris d’un tel succès, et je pense que la peur de décevoir pour mon prochain livre a joué sur mon problème d’inspiration. Je pensais que me déplacer dans un autre environnement, loin de ma maison, de mes relations que j’avais établies au fil des mois, m’aiderait à faire partir mon blocage. J’ai pris contact avec de nombreuses agences de location d’appartements, sans trouver l’ambiance que je recherchais. Ce petit déclic me disant que je trouverais l’ambiance adéquate pour écrire mon prochain livre. Au bout de plusieurs jours, durant lesquels je me contentais d’une chambre d’hôtel, c’est par hasard que je me retrouvais devant le panneau d’un immeuble, annonçant des chambres à louer. L’atmosphère qui se dégageait de cette bâtisse ancienne était intense, et j’étais persuadé d’y trouver ce que je cherchais en y séjournant. Alors, je suis entré, et je me suis présenté au petit bureau du rez-de-chaussée, où officiait le gérant de l’immeuble, et également gardien, ou concierge selon les appellations qu’on veuille bien donner à cette fonction. L’homme était trapu, la cinquantaine passée, mais avec un sourire qui ne pouvait qu’encourager à s’avancer plus avant dans la pièce. Il s’adressait à moi :
« Bienvenue dans l’immeuble du bonheur, monsieur ! Asseyez-vous, je vous en prie… »
Son enthousiasme était très encourageant, et il y avait un petit je ne sais quoi chez lui qui faisait que je me sentais en totale confiance. Au point de ne pas négliger les détails sur les raisons de ma démarche ici.
« Vous me faites pas de blagues hein ? Vous êtes vraiment l’auteur de « Fuite Vers L’Espoir » ? J’ai adoré ce livre ! Je l’ai même lu 2 fois ! »
Je lui montrais mes papiers, et j’ai vu des lumières dans ses yeux, tout heureux qu’un de ses auteurs préférés ait choisi SON immeuble pour retrouver l’inspiration pour sa prochaine œuvre
« Monsieur Gimenez, vous n’imaginez pas la joie que vous pouvez procurer à un vieil homme tel que je suis d’avoir choisi mon immeuble ! Vous pouvez compter sur moi : je sais déjà quel appartement devrait être idéal pour vous… »
Puis il reprenait :
« Au fait, vous pouvez m’appelez Vic… Et, si j’osais… Est-ce que vous accepteriez de me dédicacer votre livre pendant votre séjour ? ça serait une telle joie de montrer ça à mon frère. Il va être vert de jalousie. Lui aussi, c’est un grand fan… »
Je lui promettais de lui offrir une dédicace, en précisant que je l’agrémenterais d’un petit message spécial pour le fan qu’il est, et en remerciement pour l’appartement »
« C’est moi qui vous remercie, Monsieur Gimenez. C’est un immense honneur pour moi. Tenez : je vous ferais même un prix pour le loyer. Non, non, ne refusez pas : j’y tiens ! »
Me dit-il avec un immense sourire sur le visage. Je n’osais pas refuser sa proposition, et acceptais la petite ristourne pour le loyer. L’instant d’après, il m’invitait à le suivre au 3ème étage, pour me montrer l’appartement qu’il me destinait. Nous prîmes l’ascenseur. Un appareil assez vétuste, mais fonctionnel, si ce n’est quelques couinements parfois, en lien avec son âge. Voulant sans doute me rassurer, l’homme reprit :
« Ne vous inquiétez pas : l’ascenseur se plaint parfois, mais il est solide… Jamais il ne vous fera faux bond par une panne. Ça fait 15 ans que je suis ici, et pas une seule fois, je n’ai eu besoin d’appeler un réparateur »
Je répondais à son sourire par un autre, ponctué juste d’un discret « Je n’en doute pas », et bientôt, nous nous trouvions à l’étage où devait se trouver mon eldorado. A ce moment, je ne savais pas encore que le choix que j’allais faire changerait ma vie en tout point. C’est en arpentant le couloir que je perçus cet appel silencieux que je vous ai décrit précédemment. Et je demandais à Vic si je pouvais visiter l’appartement 38, que je sentais que j’y trouverais l’inspiration encore plus que les autres. A ce moment, je vis l’enthousiasme de Vic s’effacer, prenant un air interdit, presque apeuré. Il tentait de me dissuader :
« Vous êtes sûr, Monsieur Gimenez ? Je ne pense pas que cet appartement soit adapté au calme que vous recherchez… Je ne peux pas vous dire pourquoi, mais vraiment, vous devriez prendre celui dont je vous ai parlé, un peu plus loin. Cela serait moins risqué pour vous… »
Intrigué par cette phrase, je demandais à Vic le pourquoi de ce conseil, mais Vic ne voulait pas en dire plus, me confirmant juste que cet appartement était loin d’être un havre de paix, et qu’il ne ferait qu’attirer le malheur sur moi. A force d’insister, Vic finit par me faire entrer dans l’appartement 38, à ma demande, bien que dépité. A peine entré, je ressentais cette ambiance particulière que je recherchais. Une sérénité indéniable ressortait des lieux. Toutefois, je m’étonnais que l’appartement soit plongé dans le noir, d’où il fut immergé uniquement par la lumière du plafonnier. Là encore, à cette question, Vic se murait dans le silence, avant de s’avancer lentement vers la fenêtre du salon où nous venions d’arriver, ouvrant les volets, et laissant ainsi les rayons du soleil pénétrer dans les lieux, avant d’offrir toute sa majesté à mon regard ébahi. J’avais l’impression de me trouver dans une vieille maison datant du XIXème siècle. Les meubles semblaient tout droit sortis des films d’époque dont je me régalais régulièrement. Les craquements du plancher lui donnaient une forme d’authenticité d’époque qui achevait de me convaincre que c’est bien cet appartement que je voulais, sans même avoir besoin de voir les autres pièces, indiquant que je ferais le reste de la visite moi-même. Vic insistait encore pour tenter de me faire changer d’avis :
« Vous ne voulez vraiment pas voir l’autre appartement ? Il est d’un style plus récent, qui serait bien plus appréciable. Celui-ci n’a pas été changé depuis au moins 10 ans. L’année où… »
Il s’interrompait soudainement, conscient qu’il en avait sans doute trop dit. Et malgré mes interrogations sur sa dernière phrase, il se forçait à sourire, m’affirmant que ce n’était rien d’important, et devant mon insistance, il se résignait à me laisser la clé de cet appartement, faisant suite à ma joie de l’ambiance propre aux lieux. Il me laissait ensuite profiter de la découverte du reste de ceux-ci, en repartant, non sans me donner une recommandation étrange :
« Monsieur Gimenez, si par hasard, vous vous rendiez compte de choses inhabituelles ici, et que vous désiriez avoir un autre appartement, surtout n’hésitez pas à m’en faire part. Je vous en fournirais un autre immédiatement… »
Bien qu’un peu surpris d’un tel discours, j’assurais Vic que celui-ci me convenait parfaitement, tout comme les meubles, les rideaux et le reste. Ce qui ne manquait pas de m’étonner. A aucun moment, Vic ne m’avait dit que les appartements étaient déjà meublés, ce qui m’évitait de faire rapatrier quelques affaires dans les prochains jours, et me faisait l’économie d’une société spécialisée. Selon les dires de Vic, cet appartement était le seul de l’immeuble de « bénéficier » de cet intérieur. Tous les précédents locataires n’ont jamais pu refaire quoi que ce soit de neuf d’ailleurs. « Elle » ne l’aurait pas permis. A nouveau conscient d’avoir fait une gaffe, Vic rajoutait :
« Oh, euh… Excusez-moi… Oubliez ce que je viens de dire. De simples souvenirs que m’a rappelé cet endroit concernant sa « locataire » qui a séjourné le plus longtemps ici »
Et murmurant, sans que j’en perçoive le sens :
« Et qui est encore là, malheureusement pour vous… »
Mais avant que je puisse interroger Vic là-dessus, il s’excusait à nouveau de ses propos, ceux d’un vieux radoteur, précisant que si j’avais besoin de commander de la nourriture, ou tout autre service, que je pouvais lui en faire part, grâce à l’interphone situé à droite de la porte. Il me suffirait de composer le « 0 » pour le joindre dans son bureau, et il s’affairerait au service demandé. Après ça, il me souhaitait un bon séjour, et me laissait seul dans mon nouvel environnement. Comme l’intérieur était déjà meublé, je n’ai eu qu’à demander à Sven, le voisin de ma maison, à qui j’avais laissé les clés, de me ramener mon ordi, et quelques vêtements et babioles, histoire que je puisse commencer à travailler. Ce à quoi Sven répondit présent tout de suite, avec toute la serviabilité qui le caractérisait.
« Pas de souci, gratteur à papier, je réunis tout ça, et je te les ramène dès demain. J’espère que y’a de la bière dans ton frigo pour la peine… Non, je déconne… Tu peux compter sur moi, t’inquiètes ! Au fait, tu as de belles voisines dans ta piaule provisoire ? Si je peux t’aider à ce qu’elles ne te perturbent pas pendant tes phases d’écriture… Les amis, c’est fait pour ça, non ? »
Il conclut avec un rire à peine dissimulé. Je lui indiquais que pour l’instant, je ne connaissais qu’un vieil homme charmant à lui présenter. Ce à quoi Sven me répondit :
« Ah, mais merci, c’est comme ça que tu remercies mon dévouement unique au monde ? T’es quand même au courant que je suis pas en manque à ce point ? T’as intérêt à commander de la bière pour t’excuser de ces paroles hautement insultantes envers un dragueur haut de gamme comme moi… »
Je riais de bon cœur à nouveau, lui promettant de demander à Vic de commander un pack de la meilleure bière pour lui. Quant aux voisines, je ne manquerais pas de lui en faire part dès que j’aurais eu l’occasion de faire la connaissance des autres occupants de l’immeuble. Sven continuait à me tenir au téléphone encore quelques minutes, sortant des blagues comme il en avait le secret, avant que je mette fin à la conversation, prétextant qu’il fallait que je me repose maintenant. Je connaissais Sven, et si je ne m’étais pas servi de ce faux prétexte, j’en aurais eu encore pour une bonne heure avant qu’il se lasse de parler. Un vrai moulin à paroles, ce Sven. Mais sa bonne humeur était toujours un grand plaisir pour moi, même quand ses blagues ne volaient pas haut. Une fois raccroché, j’en profitais pour déambuler dans l’appartement, et même si je ne voyais personne, j’eus soudain l’étrange sensation d’être observé en parcourant les lieux. Une sensation très réaliste, ayant même parfois l’impression de sentir un souffle dans le cou, ou le frôlement d’une main sur mes bras nus, m’étant délesté de mon sweat, et restant en tee-shirt. A plusieurs reprises. Je me disais que c’était sans doute la fatigue qui déclenchait en moi des hallucinations, et riais de moi-même.
Cependant, cette sensation ne me quittait pas plus après avoir fini ma visite personnelle de l’endroit. Je dirais même qu’elle s’était accentuée, et je me surprenais à me retourner plusieurs fois, afin de vérifier qu’il n’y avait personne. Je resongeais aux paroles étranges de Vic, à son insistance à me proposer un autre appartement que celui-ci, et à son marmonnement avant de me laisser seul. Je n’avais pas bien compris ses paroles à ce moment, mais j’avais cru comprendre l’énonciation du mot « elle ». Comme s’il indiquait que quelqu’un vivait toujours ici, ce qui n’avait pas de sens. Qu’est-ce que Vic avait voulu dire par là ? Je ne le connaissais que depuis peu, il m’était donc difficile de juger son comportement, mais je me posais la question si Vic avait voulu évoquer, par des allusions indirectes, au fait que cet appartement serait hanté, et donc toujours habité par un de ses précédents propriétaires. Sur le coup, je trouvais ça stupide d’avoir de telles pensées, d’autant que j’étais quelqu’un de très rationnel. Tout le contraire de Sven, qui, lui, croyait dur comme fer aux fantômes, malédictions et sortilèges. Il avait même tenté de me faire intégrer un cercle de spirite, ou encore de me faire rencontrer une de ses amies, un médium. Cependant, je ne pouvais m’empêcher de penser à ça et à cette sensation de frôlement ressentie durant mon parcours au sein de l’appartement.
Mais cette impression bizarre de ne pas être seul perdurait, je percevais des sortes de chuchotements par moments, presque inaudibles, mais suffisants pour faire monter mon angoisse, et je repensais de plus en plus aux recommandations de Vic, me demandant de ne pas m’installer dans cet appartement, qu’il n’était pas fait pour le calme que je recherchais. Pour la première fois de ma vie, je ressentais un malaise dans un lieu. Malaise qui atteint son apogée dans la salle de bains, alors que je me brossais les dents devant le miroir. C’est là que je vis son visage pour la première fois, ainsi que son sourire que je pris pour celui de quelqu’un de bienveillant au départ. Lourde erreur. Car elle était bien loin d’être un modèle en ce sens, mais elle avait un tel talent de manipulatrice, que j’étais tombé dans ses griffes avec une facilité déconcertante. Pour en revenir au visage aperçu, j’étais tellement effrayé par son apparition que j’en faisais tomber mon gobelet sur le carrelage, renversant l’eau qu’il contenait, traçant une petite rivière le long des rainures du sol. C’est la seule chose que je voyais en me retournant brusquement après avoir vu ce visage dans le miroir au-dessus de l’évier. Cet écoulement d’eau. Mais là encore, un phénomène étrange se montrait à moi. D’un coup, le parcours de l’eau s’arrêtait net, comme s’il faisait face à un obstacle. Mais il n’y avait rien. Et pourtant, l’eau semblait contourner quelque chose, c’était indéniable.
Je m’approchais, voulant en avoir le cœur net, mais dès les premiers pas, le filet liquide reprit un chemin plus normal. Comme si l’obstacle avait soudainement disparu d’un coup. A ce moment, je me disais que la fatigue accumulée et les paroles de Vic devaient avoir eu un impact plus important que je pensais sur mon mental. Une forme d’autosuggestion qui me persuadait que des évènements étranges se déroulaient, alors que mon esprit rationnel me prouvait que ce n’était que le fruit de mon imagination. Cela me perturbait. Je prenais un somnifère, pensant que cela m’aiderait à dissiper mes troubles lors de mon sommeil. Ce n’était pourtant que le début d’une aventure que j’aurais préféré ne jamais avoir, et qui allais me faire rencontrer une âme pervertie, envahie par la méchanceté, le désir de détruire psychologiquement ceux qui commettaient l’erreur de venir habiter au sein de son territoire. Cet appartement où j’avais eu la stupidité de m’installer, espérant y trouver l’inspiration qui me faisait défaut allait devenir mon purgatoire, ma chambre des tortures, un piège sans issue où mon mental deviendrait un jouet se craquelant de toutes parts, jusqu’à sa rupture…
En plein milieu de la nuit, l’impression d’être observé se fit écrasante, mettant tous mes sens en alerte au point de me réveiller brusquement, enveloppé par la panique. Je regardais autour de moi, comme pour me rassurer. Je ne voyais personne de prime abord. Pourtant, je ressentais clairement un regard posé sur moi de manière intensive, me faisant passer pour un animal au sein d’une cage de zoo, soumis à un jugement sur mes attitudes, mes réactions sur ce que mes sens désignaient comme un danger. J’en étais à me préparer à faire le tour de l’appartement, afin de vérifier s’il n’y avait vraiment personne dans les lieux, et rendormir ma méfiance, quand j’entendais son rire pour la première fois.
Un rire tonitruant, assourdissant, qui aurait pu mettre mal à l’aise la personne la plus sensée sur terre. Un rire féminin par ses aspérités sensuelles qui émargeait de sa source, bien que je ne puisse pas encore trouver son origine, ni même voir un semblant de forme qui me donnerait une réponse. Une réponse qui allait enfin se montrer à moi par l’irruption d’une silhouette dans la pénombre et le bruit de pas s’avançant vers moi, alors que les rires s’étaient tus. Instinctivement, voulant savoir qui était l’intruse ayant réussi à pénétrer chez moi sans que j’entende le cliquetis de la serrure de la porte, j’allumais le plafonnier, et elle m’apparut. Dans toute sa splendeur et son inquiétante aura dominante. Imaginez une représentation de la noirceur, un symbole physique ayant pris forme humaine, enveloppée d’une sorte de bulle sombre semblant sortir directement du corps et vous faisant ressentir une gravité tellement puissante que vous ayez la sensation que votre corps s’affaisse sur lui-même, se réduisant à une marionnette dont on venait subitement de couper les fils, et vous aurez une idée de ce que j’ai perçu à ce moment en la voyant se dresser devant moi. Célia. Celle qui allait devenir la pire co-locataire que vos cauchemars les plus dingues ne seraient jamais capables d’imaginer. Celle qui allait prendre possession de moi, presque littéralement, asseyant sa domination sur mon être par des moyens retors, sans possibilité d’autre choix que d’accepter sa présence à mes côtés, sous peine de me faire briser psychologiquement parlant.
Et pourtant, malgré cette sensation de ténèbres émanant d’elle, je ne pouvais être que subjugué par son allure qui apparaissait peu à peu, son charme, sa sensualité capable de faire devenir esclave tout homme happé par son regard. Un regard à la fois moqueur, vénéneux et empli d’une force impossible à décrire avec de simples mots. Des yeux représentant à eux seuls ce qu’était la femme se dirigeant vers moi lentement, me laissant dévisager ses contours pouvant faire damner le plus saint des saints de l’histoire religieuse. Des courbes affolantes, lovés dans une jupe rouge aux couleurs éclatantes, à l’opposé de l’âme sombre se cachant en elle. Des mains fines, dépourvues de toutes traces de canaux sanguins à sa surface, de plis ou autres signes qui aurait pu montrer une preuve d’une quelconque humanité. C’était comme si elles avaient été sculptées par un artiste de la Renaissance, avec le plus pur des argiles. Bien que je ne puisse en voir qu’une infime partie, il en était de même pour la peau de ses jambes découvertes sous ses genoux, qui me donnaient l’impression de m’appeler à les toucher, les caresser sans discontinuer, jusqu’à ce que mon cœur s’arrête de battre. Des chaussures sorties tout droit d’un magazine de mode, d’un noir absolu, à l’image de son âme qui allait se révéler à moi par la suite, cachaient ses pieds que j’imaginais de la même teneur que le reste.
Le haut de son corps était paré d’un tailleur au bleu pâle contrastant avec le rouge vif de sa jupe, compressant divinement sa poitrine, et laissant deviner un corps voluptueux au possible, tout juste caché par une petite veste du même rouge que sa jupe. Ses longs cheveux bruns donnaient l’impression de flotter autour de ses épaules, sans cesse balayés par un vent invisible, et mettant en évidence la beauté parfaite de son visage. Comment décrire ce dernier sans évoquer ses traits irréels, quel que soit la portion que l’on regardait ? Son nez, ses joues, son front, ses yeux. Tout l’ensemble formait une succession de formes artistiques d’un haut niveau de contemplation offert à la rétine de mes globes oculaires. Et que dire de ses lèvres ? Tellement pulpeuses, nacrées d’une couleur rose sans posséder la moindre ligne pouvant gâcher le spectacle, que je ne pouvais détacher mon regard d’elles. Mis à part pour remonter plus haut, vers ses yeux, maquillés de manière sobre, tel une lady de l’aristocratie du XIXème siècle, m’hypnotisant et me faisant me demander si tout ce qui se montrait à moi était un rêve, une image folle formée par mon cerveau me montrant une incarnation de mon idéal féminin, ou bien si ce que je voyais était bien la réalité ? Mon questionnement allait vite être dissipé par la voix de cette apparition divine, et s’adressant à moi, après avoir stoppé ses pas :
« Bienvenue chez moi, Alejandro. Je me présente : je me nomme Célia. Juste Célia. Mon nom de famille ne t’apporterait rien de plus que ce tu as besoin de savoir me concernant. Je vois par ta présence que tu as résisté aux mises en garde de cet imbécile de Vic. Ce petit ingrat qui refuse de m’offrir de nouveaux jouets depuis des années… »
J’avais du mal à respirer, toujours bloqué de tout mouvement par la présence de cette femme qui m’avait offert son prénom, sans que j’aie le temps de lui demander. Et qui, sans que je sache comment, semblait déjà me connaitre. Mais je supposais qu’elle avait du découvrir mon identité et mon prénom par le biais de ma carte d’identité ou des documents du bail que j’avais laissé trainer sur le dessus de la commode dans l’entrée de l’appartement. Je n’avais même pas réagi à l’évocation qu’elle venait de faire concernant Vic, mon regard se perdant sur les formes et le visage de cette somptueuse déesse de beauté devant moi. Je n’arrivais même pas à parler, ma gorge étant d’une sécheresse telle qu’elle m’empêchait de faire sortir le moindre mot de ma gorge. Sans doute consciente de l’état dans lequel je me trouvais, par suite de son apparition, Célia reprenait :
« Tu te feras très bientôt à mon apparence. Comme tous les hommes qui t’ont précédé dans cet appartement. Eux aussi se sont retrouvés dans un mur de silence en me voyant apparaitre sous leurs yeux. Et comme eux, je te laisserais le choix de devenir ta muse, ou ton pire cauchemar, selon le choix que tu feras d’accepter de partager ma demeure… »
Elle penchait son visage sur moi, prenant mon menton entre ses mains. Je goûtais ainsi la première fois à la douceur de sa peau, qui me transportait dans une extase encore plus profonde, et emplissais mes narines de son parfum affolant mes sens.
« Je préfère te prévenir tout de suite sur les relations futures à lesquelles tu dois t’attendre en vivant à mes côtés. Je ne suis pas comme les femmes que tu as pu côtoyer dans ta petite vie insignifiante d’humain. Contrairement à toi, je ne peux pas mourir, je ne peux pas souffrir, je ne peux pas ressentir d’émotions. Je me suis libéré de tout ces sentiments inutiles depuis bien longtemps. Depuis le jour où je suis devenue ce que tu vois aujourd’hui. »
Me sentant comme un pantin de bois, manipulé par ses mains, Célia me faisait me lever en poussant légèrement mon menton vers le haut, me libérant du carcan d’immobilité auquel j’étais soumis jusqu’à présent.
« Si tu es suffisamment intelligent pour comprendre ta place ici, nous pourrons devenir les meilleurs amis du monde. Je pourrais faire de toi l’être le plus envié du monde humain. Si tu acceptes mes règles, tu deviendras l’écrivain le plus adulé de tous, laissant ton empreinte indélébile dans l’histoire de la littérature. En retour, je ne demande de ta part qu’une soumission sans limite. Tu devras obéir à mes moindres désirs, et ne jamais contredire mes décisions pour t’aider à devenir ce à quoi je te destine, quelles qu’elles soient. Et surtout, ne jamais poser de questions sur mes méthodes pour faire tienne l’inspiration qui te fait défaut. Comprends-tu cela ? Es-tu prêt à devenir mon petit jouet personnel en retour de mes facultés ? Ou bien préfères-tu subir les pires tourments si tu t’y refuses et décide de t’opposer à moi ?»
J’étais désormais debout face à Célia, ayant encore du mal à me défaire de l’emprise de son regard qui déferlait sur moi. Je n’étais pas sûr de comprendre le sens exact de ce « contrat » qu’elle me demandait d’accepter ou non, n’étant pas vraiment dans mon état normal de réflexion, à cause de l’emprise que Célia avait sur moi à ce moment. A cause de ça, je n’ai pas vraiment réfléchi à ma réponse, inconscient de ce qu’elle entrainerait sur ma vie avec elle, et même au-dehors de cet appartement. J’ignorais les conséquences que cette acceptation de ses règles, tel qu’elle le définissait, aurait sur mes proches, afin de faire ressurgir en moi l’inspiration que j’espérais faire revenir. Elle se disait prête à devenir ma muse en ce sens. Et quelque chose en moi me disait qu’elle n’avait pas employé ce mot par hasard. Même si aujourd’hui encore, je ne sais pas vraiment qui est réellement Célia, malgré mes recherches sur elle, malgré les indications que Vic m’avait données sur elle, j’en suis toujours à me demander si elle ne serait pas vraiment une muse. L’une des 9 de l’antiquité. Ces muses que chaque humain rêve de rencontrer, afin de bénéficier de ses pouvoirs dans le domaine artistique qui le caractérise.
D’un point de vue général, les muses appartiennent au registre de la mythologie, d’un certain folklore fantastique, mais plus j’y pense, plus je suis persuadé que ces muses, en retour de ce qu’elles offrent, demandent des compensations bien plus terribles que ce que les livres leurs prêtent. Ce sont des êtres qui prennent plus que ce qu’elles offrent, et transforment la vie de ceux qui ont eu le malheur de les invoquer involontairement, par leurs suppliques silencieuses de voir l’inspiration leur revenir, et leurs mains redevenir des objets capables du meilleur. Parfois dans leur sommeil, ou lors de moments leur ayant échappés. Des instants de faiblesse où leur inconscient leur a fait appeler ces créatures, accepter leurs règles, et devenir des jouets, des petits pantins dont elles contrôlent les fils, et qu’elles peuvent couper dès l’instant où l’on trahit la soumission promise. Les écrits indiquent qu’il n’existe qu’une muse pour chaque art, mais je suis persuadé qu’il y en a bien plus, et qu’elles n’apparaissent pas à n’importe qui ayant demandé leur venue. Des quelques renseignements que j’ai pu lire, parmi les plus obscurs sur elles, et que je soupçonne avoir été écrit par des victimes de ces créatures, ayant trouvé cette entorse pour prévenir de leurs méfaits, les muses étaient humaines à l’origine. Elles ont reçu leurs pouvoirs parce qu’elles ont attirés l’œil de dieux, ayant vu leur potentiel en elles. Que ce soit leur beauté, leur faculté de manipulation, leur cruauté forgée au fil du temps, faisant de ces êtres des monstres capables du meilleur comme du pire, suivant les désirs enfouis de la personne les ayant invoquées.
Des créatures qui ont évoluées au cours des siècles, pouvant choisir à leur tour d’autres femmes ayant les mêmes dispositions qu’elles, et servant à étendre leur territoire, tout comme elle leur ont permis de « manquer » le moins possible des cibles potentielles. Voilà ce que j’ai découvert sur la véritable nature des muses, qui est très loin d’être bénéfique aux personnes qui se sont adjoint leurs services. Les muses actuelles ne sont en fait, pour la plupart d’entre elles en tout cas, que des assistantes des 9 muses d’origine. Les humaines ayant été choisies par les 9 ont cependant des contraintes : elles sont limitées à un territoire bien définies. Des territoires dont le « siège social », le lieu où elles officient directement, peuvent prendre la forme d’un hôtel, une maison, un immeuble… ou un appartement. Mais leurs pouvoirs leurs permettent de se déplacer dans toute la zone qui constitue leur territoire, ou d’y utiliser leur puissance psychique sans équivalent. Une fois qu’on a conclu un pacte avec l’une d’entre elles, on ne peut plus sortir de cette zone définie. Et ça agit aussi sur les personnes proches de la personne qui a établi le contrat verbal. Comme une sorte de clause non évoquée, et empêchant toute personne liée ayant conclu le pacte de franchir l’espace contrôlé par la Muse. Comme une sorte de champ de force les repoussant s’ils essaient de s’enfuir, par quelque moyen que ce soit. Les personnes tentant de le faire se retrouvent dans l’inconscience, avant de découvrir qu’elles sont revenues à l’intérieur de ce territoire, sans avoir de souvenir de ce qui s’est passé.
Cette « barrière » peut agir sur les personnes, et les moyens de locomotion qu’elles utilisent. Le seul moyen de la briser, c’est en cas de mort de la personne qui a fait le pacte. De plus, dans ce que j’ai lu, plus le territoire est restreint, plus les muses sont dangereuses, car ce qu’elles demandent en retour de leurs services est bien plus personnel, plus terrible, plus macabre et destructeur. Elles peuvent rendre leurs jouets, tels qu’elles les désignent sommairement, toujours selon les écrits interdits auquel j’ai eu accès, au statut de loques humaines, une fois que ceux-ci se sont rendu compte de ce qu’impliquait les cadeaux offerts. Des chocs psychologiques pouvant détruire mentalement les personnes les plus fragiles. L’histoire est parsemée de créateurs ayant eu recours aux services de muses, du fait de leur lieu d’habitation, ignorant qu’ils vivaient au sein d’un de leurs territoires, et en subissant le contrecoup en acceptant le contrat qu’elles proposaient. Je préfère ne pas vous indiquer ici quels sont ces artistes célèbres qui ont vu leur choix de devenir des références dans leur domaine respectif tourner au cauchemar. Je vous dirais simplement que nombre d’entre eux ayant eu des fins de vies brutales et dramatiques, sont ceux qui se sont adjoints les services d’une muse. Tout ceci, je l’apprendrais plus tard par l’intermédiaire de Russell, le précédent locataire de l’appartement où j’ai choisi de loger, pour y trouver l’inspiration.
Ce même appartement où mon désir enfoui d’avoir de l’aide pour l’écriture de mon nouveau livre m’a dirigé vers cet immeuble. Celui où se trouvait Célia, qui a répondu à mon appel involontaire et inconscient. C’est moi qui l’ai appelé sans m’en rendre compte, bien avant que je trouve le chemin de cet immeuble. Car cela fait partie aussi du pouvoir des muses. Même si elles ont un territoire d’action restreint, leur territoire sensoriel et psychique est bien plus étendu, et il n’est pas rare que des muses se disputent une même personne pour l’inciter à venir à elle. Des sortes de guerres invisibles que les humains n’ont pas idée qu’elles se déroulent sous leurs yeux, à leur insu, et créant des drames et des destins parfois sanglants dont on ne sort jamais indemne. Russell m’a fait découvrir cette vérité sur Célia. Il n’est pas complètement certain que cette dernière appartienne effectivement au rang de ces muses. Mais au vu du contrat demandé, des pouvoirs dont elle dispose, des monstruosités dont il a été le commanditaire insoupçonné, tout comme j’allais le devenir après lui, quelque chose lui dit que Célia est bien l’une de ces muses modernes. Une assistante des 9 muses d’origine qui prend le fait de manipuler ceux tombant entre ses mains comme un jeu dont elle se délecte. Et au vu de ce que j’ai pu subir psychologiquement à cause d’elle, je n’ose imaginer le sort des malheureux ayant affaire à l’une des 9 muses principales, dont les pouvoirs et les paiements de services doivent être à la hauteur de leur puissance. C’est-à-dire à un niveau qu’il est difficile d’imaginer, et il n’est pas impossible que quelques-uns des conflits armés qui parsèment le monde soient l’œuvre d’une muse à son point de départ, sans qu’on s’en doute…
Mais au moment où j’ai donné ma réponse à Célia, j’ignorais tous ces détails, et j’étais bien trop sous l’emprise du charme et du regard de celle-ci pour réfléchir à ce que cachait les « services » offerts et le contrat proposé par Célia. Alors, bien sûr, en ma qualité de simple humain cherchant à obtenir ce que j’étais venu chercher en ces lieux, à savoir l’inspiration, inconscient de ce qui allait en découler, j’ai accepté les règles établies par Célia, provoquant sur elle un sourire non dissimulé. Dès cet instant, dès le moment où j’ai dit oui à sa proposition, au fait qu’elle m’aide à trouver ce à quoi j’aspirais dans cet appartement, ma vie ne serait plus jamais la même, dans tout ce qu’il y a de plus terrible et monstrueux qui soit.
« Parfait, Alejandro. Tu as fait le bon choix. Désormais, je serais celle qui fera de toi l’un des plus grands écrivains de ce siècle, si tu te tiens à nos accords. Par ton acceptation verbale, notre contrat est établi, et tu ne peux désormais plus revenir en arrière. »
Puis, je ressentais soudain un relâchement de mes membres, comme libéré de liens invisibles qui m’empêchait d’être libre de mes mouvements jusqu’à présent. A ce moment, je pensais que cette immobilité était dû principalement au fait de la beauté de Célia, un choc émotionnel. Mais aujourd’hui, je reste persuadé, en apprenant ce que Russell m’avait fait découvrir sur sa propre relation avec elle, et ce qu’il avait découvert sur sa probable nature, que le fait de mon incapacité soudaine à bouger est du fait de Célia elle-même, de l’une de ses facultés. Le destin des proches ayant subi ses actions me conforte encore plus sur cette supposition. Au même moment, Célia fit mine de repartir dans l’obscurité d’où elle était sortie, cachée quelque part dans une sorte de plan dimensionnel parallèle à cet appartement, dont elle sortait à sa convenance, se faisant voir des personnes qu’elle voulait, sans être vue des autres. Juste avant, elle m’adressait une dernière recommandation :
« N’oublie jamais ce que notre contrat implique. Je serais ton inspiration, ta muse, mais jamais tu ne dois me dire ce qui est bien ou mal concernant mes actes pour toi. Si tu décides de te rebeller, si tu refuses ma manière de faire, si tu tentes de me chasser, par quelque moyen que ce soit, je ferais de ta vie un enfer dont tu n’imagines même pas la teneur… »
Là-dessus, elle disparaissait, en emplissant la pièce d’un rire à la limite du démoniaque, me laissant dans un désarroi total sur ce qui s’était passé, et me faisant encore me demander si j’avais rêvé ou si cette rencontre était tout ce qu’il y avait de bien réel. En y repensant, lors de cette dernière phrase, elle avait encore employé le mot « muse ». Ce qui me faisait penser encore plus que Russell avait bien deviné la nature de Célia, et qu’elle était bien la créature issue de la mythologie dont il m’avait parlé. Une muse moderne, mais tout aussi dangereuse et cruelle que celles d’origine. Celles-là même qui ont peut-être un œil amusé sur les contrats de leurs assistantes à travers le monde, et qui ont du bien rire de la facilité avec laquelle Célia m’avait fait passer celui qui nous liait désormais. J’allais bien trouver l’inspiration demandée, mais cela s’accompagnerait d’une souffrance dont j’étais loin d’imaginer le niveau. Et qui impliquerait le sacrifice des personnes qui m’étaient le plus cher, l’une après l’autre, en compensation des « services » de Célia…
Fin de la Partie 1
A suivre…
Publié par Fabs
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