25 juin 2024

NENSHA-Photographies Psychiques (Partie 2 : Sadako)


 

Il m’a fallu un peu de temps avant de me décider à contacter Sadako. Les funérailles d’Ikuko étaient encore fraichement installées dans ma mémoire, et je commençais à me demander si je ne portais pas malheur. Peut-être que les expériences menées, le fondement même de mes travaux, cela avait irrité un Kamui (1). Je sais que ça peut paraître ridicule de penser ça pour un scientifique tel que moi. Cependant, il faut savoir que ma mère m’a appris, étant jeune, à ne pas irriter les cieux, quel que soient les croyances que l’on portait en soi. Par pur respect. C’était une chose de ne pas croire en l’existence de divinités nous observant chaque jour. C’en était une autre de se moquer de ceux qui en étaient persuadés. J’ai vécu au sein d’une famille qui était très partagée sur la question. Mon père n’y croyait pas du tout, mais il mettait un point d’honneur à respecter les hommes et les femmes profondément religieux dans leur être. Jamais il ne serait permis de railler quiconque exprimait le besoin de prier pour obtenir les faveurs de divinités ou d’esprits, dans quelque domaine que ce soit.

 

Pour preuve de sa tolérance et de son respect, ma mère avait une pièce à elle spécialement dédiée à la prière. A l’origine, ce n’était rien de plus qu’une simple remise qui ne nous servait qu’à entreposer des choses sans grande valeur. Il ne le montrait pas, mais, avant ça, il avait du mal à supporter les mantras et demandes en prières aux dieux de ma mère. Il faut dire qu’elle les effectuait devant un petit autel portatif placé par ses soins dans un coin du salon. Connaissant la réticence de mon père sur se sujet, elle n’avait pas voulu imposer cela dans leur chambre. Elle s’était donc choisi un endroit qui soit le plus discret possible, de manière à ne pas imposer ses rituels à mon père. Toutefois, elle avait beau faire preuve de précautions, il était arrivé plusieurs fois à mon père de rentrer de son travail et entendre ma mère en pleine séance, sans oser indiquer que cela l’importunait, pour lui qui était un non-croyant. D’autant que le bureau où il aimait lire et rédiger des documents en marge de son travail jouxtait le salon où ma mère s’adonnait à ses prières. Les murs étant fins, il lui était impossible de ne pas entendre ce qui se disait de l’autre côté.  Il aimait trop ma mère pour l’empêcher de se livrer à ce qu’elle ressentait comme un besoin journalier.

 

Il a donc eu l’idée de vider cette remise de son contenu, ce qui ne fut pas très difficile vu le peu d’objets s’y trouvant, l’insonorisa, et en fit un petit isoloir privé pour ma mère. Il a même commandé du mobilier exprès pour qu’elle puisse y placer tout ce dont elle avait la nécessité d’avoir dans le cadre de ses prières. C’était la seule pièce de la maison dépourvue de fusuma (2), les parois composées de boiseries et de washi (3), typique des maisons traditionnelles japonaises. Ce qui en faisait un lieu totalement étanche à tout son, pour qui que ce soit passerait devant la porte ou se situerait dans les pièces adjacentes. Ma mère fut fortement touchée de cette délicate attention. Elle n’aurait plus à se forcer à réciter ses demandes aux cieux à voix basse pour ne pas offusquer mon père. Ce dernier avait même installé un petit meuble spécialement dédié à la cérémonie du thé, au cas où elle aurait l’envie d’inviter des amies à la rejoindre et leur offrir de quoi se détendre par la suite autour d’une tasse.

 

J’ai eu l’occasion de me joindre à ma mère lors de ces moments, peu de temps après avoir entendu la prédiction de mon avenir par Reiko Kobanashi, la médium que consultait ma mère en secret. Celle qui était à l’origine de mon intérêt pour divers types de science. Pour moi, assister à ces séances privées de ma mère, cela faisait partie de mon envie de comprendre ce que je percevais comme un élément ayant amené l’homme à vouloir dissocier la science du mystique. C’est aussi dans cette pièce que j’ai eu l’occasion de découvrir que les esprits et le monde où ils vivaient n’appartenaient pas complètement à l’imagination, mais pouvaient se révéler être tangibles. Ma mère ne faisait pas appel uniquement aux Kamui, mais à des esprits dédiés à certaines demandes bien spécifiques. Que ce soit la protection de la maison, la réussite de mon père pour des contrats importants, un examen que je devais passer… C’était une sorte de continuité à ses visites auprès de sa médium attitrée.

 

Je ne saurais dire si les expériences vécues dans cette pièce ont été déterminantes pour ma destinée de scientifique et mon désir de prouver l’existence du surnaturel, mais il est certain qu’elles y ont joué un rôle. Peut-être était-ce les vapeurs de l’encens, celle des bougies, ou simplement l’envie de croire, au même titre que ma mère, mais plusieurs fois j’ai eu la sensation de voir des visages semblant sortir des cloisons se mêlant aux fumées envahissant la pièce. Parfois, j’ai aussi eu la sensation d’une main se posant sur mon épaule, d’un souffle sur la base de mon cou, ou bien encore de voix me chuchotant des phrases incompréhensibles à l’oreille car usant d’un japonais très ancien que je ne comprenais pas. à moins qu'il s'agissait d'une autre langue. J’étais très jeune à l’époque et je ne me souviens pas de tous les détails. Je me rappelle pourtant certaines fois où ma mère m’a fait participer à ces séances dans le but de soigner des maux bénins, comme un rhume ou un mal de tête. D'autres fois c'était dans l'objectif de me redonner confiance à la veille d’une soirée, au début de mon adolescence.

 

Avant que je participe à ces moments avec elle au sein de ce petit sanctuaire, ses demandes aux esprits n’étaient pas très efficaces, car elle était seule et devait opérer dans des conditions pas vraiment appropriées, tel que je vous l’ai expliqué auparavant. Tout a changé le jour où elle a pu bénéficier de ce lieu privé. Surtout que je faisais toujours preuve de curiosité et de confiance en elle pour l’accompagner dans ses prières. Ces attouchements de la part de ces esprits, bien qu’ils se limitaient à des silhouettes engoncées dans les murs la plupart du temps, disparaissant quand je me retournai, et ce, dès lors que je ressentais ne serait-ce qu’un frôlement, provoquaient des effets que je ne pouvais pas nier. Quel que soit la maladie dont j’étais atteint, quelques heures après avoir participé avec ma mère à l’une de ces séances, j’étais guéri. C’est quelque chose qui a beaucoup participé au fait que, bien que mes croyances dans les dieux priés par ma mère (dont je n’ai jamais perçu la présence) se sont estompées en grandissant, celles concernant les esprits sont restées intactes.

 

Au contraire des Kamui, les esprits m’ont donné des preuves palpables de leur existence, par leurs apparitions ou leurs touchers. Depuis ma rencontre avec Sadako, je suis encore plus certain de la réalité de leur monde. Bien plus encore que je ne l’étais lors de mon enfance, du fait de ces séances de prière avec ma mère. Le premier jour où j’ai rencontré Sadako, je savais qu’elle avait en elle quelque chose de particulier. Quelque chose que Chizuko et Ikuko ne possédaient pas : un lien. Un lien avec le monde des esprits. Je l’ai ressenti alors que je discutais avec elle, en ce jour du 5 Septembre 1911, après que je l’ai contacté, suivant en cela les indications fournies sur la lettre posthume d’Ikuko. J’ai d’abord été surpris par sa maturité, malgré sa jeunesse. Elle n’avait que 17 ans et raisonnait pourtant parfois comme une adulte. En plus de ça, elle semblait anticiper la moindre de mes questions. Comme si quelqu’un lui soufflait mes pensées dans l’oreille.

 

– Mr. Fukuraï, je sais que vous n’êtes pas là simplement pour juger de mes capacités. Il me sera très aisé de vous prouver leur réalité. Vous voulez me demander de prendre la suite de Chizako et Ikuko dans votre quête de reconnaissance du surnaturel au grand public, n’est-ce-pas ?

 

-Je… oui, en effet… Mais comment…

 

Elle ne me laissa pas finir ma phrase, fermant les yeux en esquissant un léger sourire.

 

– Je suis une médium, Mr. Fukuraï, ne l’oubliez pas. Mes prédécesseures étaient très douées, je ne le nie pas, et Ikuko était une amie sincère. Une des rares qui comprenait ce que j’ai endurée par le passé. Je ne la remercierais jamais assez pour ça. Mais ni elle, ni Chizuko ne pouvaient prétendre à avoir en elles la même puissance.

 

– Vous affirmez donc être en possession d’un pouvoir plus grand qu’elles. C’est un peu présomptueux, et je suis prêt à vous croire. Mais pouvez-vous seulement…

 

Elle m’interrompit à nouveau en rouvrant les yeux et en dirigeant la paume de sa main droite dans ma direction.

 

– Vous voulez une preuve ? Aucun souci. J’ai ici de quoi satisfaire votre curiosité et votre méfiance.

 

Là-dessus, elle se leva et se dirigea vers un petit Oshiire (4), l’ouvrit et en sortit des tirages photos à priori classiques, tel que je le constaterais par la suite et montrant des paysages divers, d'autres n'ayant pas encore servis, ainsi que deux plaques photographiques vierges. Elle posa le tout sur la table. Il y avait 3 photos en plus des plaques. Elle sépara chacun des éléments d’une distance de quelques centimètres, après me les avoir fait examiner au préalable. Ceci afin que je m’assure qu’elles ne comportaient aucun trucage. Pour éteindre toute suspicion de ma part, elle se leva à nouveau, puis ouvrit la fenêtre située derrière moi, dans le but de laisser entrer la lumière du soleil. Elle éteignit ensuite les lampes de la pièce, devenues inutiles, avant de s’adresser à moi.

 

– De cette manière, vous n’aurez aucun doute possible sur mes pouvoirs. Aucune lampe permettant de traverser le papier, pas d’enveloppes, pas de produits sur les supports comme vous avez pu le constater.

 

Je devinais qu’elle faisait allusion aux subterfuges utilisés par Chizuko et Ikuko. Bien que pour cette dernière, je ne l’ai jamais vu se servir d’un quelconque produit. Mais il est vrai que je n’ai jamais tenté de fouiller sa tenue lors des séances publiques. Je lui fournissais les plaques photographiques et les photographies devant servir pour les expériences quelques minutes avant ses entrées en scène, dans sa loge. Je suivais en ça ses instructions afin qu’elle puisse imprégner les photos et plaques de son essence. Une étape nécessaire pour lui permettre d’assurer le succès de l’expérience, selon ses instructions. Après les doutes émis par les journalistes et les analyses effectuées ultérieurement par des spécialistes, attestant qu’il y avait des traces d’un produit inconnu présent sur les photos sans qu’ils aient pu affirmer que cela avait été la cause d’une éventuelle supercherie, les mots de Sadako semblaient confirmer qu’Ikuko avait sans doute “aidé” ses compétences psychiques. Et ce, à mon insu. Il était tout à fait possible que, lors de notre rencontre , pendant laquelle elle avait effectué une première démonstration de ses capacités, les plaques servant au test avaient été “préparées”. Ne les ayant pas étudiées en détail, faisant confiance à Ikuko, j’avais très bien pu être trompé.

 

Tandis que là, j’examinais en long et en large chaque photographie et plaque que Sadako s’apprêtait à utiliser, et rien ne montrait un quelconque subterfuge habilement dissimulé pour tromper ma vigilance. La jeune fille se mit alors en transe. Ses yeux semblaient se blanchir, comme si les iris de ceux-ci s’étaient retournés de l’autre côté de l’œil. C’était stupéfiant et terriblement effrayant. Je ne saurais le jurer, mais j’ai eu l’impression qu’une partie de sa longue chevelure noire se soulevait, jusqu’à arriver à hauteur de la table. L’une après l’autre, les plaques, puis les photos, firent apparaître des motifs remplissant tout le support. Rien à voir avec ce qu’Ikuko s’était montré capable d’incruster. Les visages apparaissant sur une plaque semblaient sortir tout droit d’un cauchemar. Il y en avait 3 semblant se mêler l’un sur l’autre. Ils donnaient l’impression de grimacer et se tordre de douleur. On aurait dit qu’ils tentaient de sortir de leur “prison”.

 

Sur une autre, on voyait une sorte de gouffre rempli de lave bouillonnante, où étaient immergés des corps en décomposition. Sur une photographie se trouvait auparavant l’image d’un cerisier en fleurs. Celui-ci, sous mes yeux, se vida et les fleurs se retrouvèrent au bas de l’arbre. J’ai eu presque la vision de les voir tomber l’espace de quelques secondes. Sur une autre photographie, on voyait une maison passer de l’état de demeure resplendissante à l’état de gravats. Sur la dernière c’était un chien qui se transforma en créature cauchemardesque. À la vue de l'ultime preuve de ce terrible pouvoir, je me levais de la chaise où j’étais assis, proprement épouvanté de ce que je venais de voir, pendant que Sadako montrait toujours ce visage aux yeux blancs horribles à regarder, son visage empli d’une pâleur irréelle. Sentant sans doute ma terreur, et malgré son état, mon interlocutrice reprit la parole.

 

– Ne vous inquiétez pas Mr. Fukuraï. Je ne voulais pas vous effrayer. Je vais revenir à un état plus… présentable…

 

Dès cet instant, son visage revint à des couleurs naturelles, ses yeux se remirent en place, montrant à nouveau ses pupilles, de la même couleur que celles aperçues lors de ma venue ici et d’un vert presque éclatant de luminosité. Ce qui en soit m’avait déjà frappé par leur aspect inhabituel. Elle rouvrit les yeux et afficha un sourire radieux, à mi-chemin entre l’amusement de me voir sur mes gardes et une intention visible de vouloir me rassurer.

 

– Êtes-vous satisfait, Mr. Fukuraï ? Ou dois-je vous en montrer plus ?

 

Je reprenais peu à peu mon calme, sortant un mouchoir de ma veste et m’épongeant le front nerveusement, avant de m’asseoir à nouveau.

 

– Non, surtout pas ! Enfin, je veux dire : non, ça ira. Je suis pleinement convaincu. Juste une question : ces images… Vous les avez vraiment créées avec votre esprit ? On aurait dit des représentations d’un monde infernal…

 

Sadako souriait à ma remarque.

 

– Non, rien de tel : ce ne sont que de simples images qui ne sont pas plus infernales que ce dont sont capables certains hommes. Maintenant, si vous êtes rassuré sur mes pouvoirs, je pense que nous pourrons donc commencer notre collaboration très prochainement…

 

Durant la démonstration, j’ai ressenti la même impression que lors des séances de prière avec ma mère. Une sensation qu’il y avait quelque chose d’autre avec nous dans la pièce, sans que je puisse déterminer si cela avait été déclenché par ma terreur de voir ces images horribles se former devant mes yeux ou s’il s’agissait d’autre chose. Rien ne m’a touché. Je n’ai pas vu de visage ni de silhouette sortant des murs ou nulle part ailleurs. Pourtant, j’ai vraiment eu la nette impression que quelque chose d’invisible m’avait observé pendant tout le temps de ma présence au sein de cette pièce. Pour me permettre de me détendre, Sadako m’a invité à la suivre dans le grand salon de sa maison.

 

Elle affichait une attitude plus conforme à une jeune fille de son âge. Moins solennelle, plus enfantine, émettant de petits rires étouffés en me voyant à nouveau éponger mon front qui suait encore par moments, avant de s’excuser de son impolitesse à mon égard. J’avais l’impression d’avoir une toute autre personne que la Sadako m’ayant terrifié par ses pouvoirs l’instant d’avant. Quelque chose d’autre m’intriguait. Il n’y avait pas de photographies de parents ou d’amis sur les meubles ou les murs, et aucun serviteur ne s’était montré quand je me suis rendu à l’entrée de la maison. C’était Sadako qui était venu m’ouvrir dès l'instant où j’eus sonné à la porte. Elle me surprit à nouveau en semblant lire mes pensées de l’instant.

 

– Je vis seule depuis plusieurs années, Mr. Fukuraï. Je ne peux pas vous dire qui sont mes parents, où ils sont, ni pourquoi je ne vis plus avec eux malgré mon jeune âge, comme vous semblez vous le demander. Je n’ai pas de serviteurs car je n’en ai aucune utilité. De toute façon, je n’aurais pas les moyens de leur verser un salaire. Puis-je vous poser une question maintenant que nous avons brisé la glace ?

 

Je n’ai pas bien fait attention à sa dernière phrase. J’étais un peu surpris de ce qu’elle m’avait confié. Comment une jeune fille de son âge pouvait être en possession d’une maison aussi luxueuse ? Dans un petit village qui plus est. Elle disait ne pas avoir les moyens d’avoir des serviteurs, mais cette maison et le luxe qui s’y trouvait contredisait son affirmation. Et l’absence de ses parents se rajoutait à mes interrogations… Malgré cela, je préférais ne pas m’interroger davantage. Comme elle m’assurait de vivre seule, sans assistance de qui que ce soit, je ne voyais rien qui puisse m’empêcher de faire d’elle ma nouvelle découverte. S’apercevant de mon « absence », d’un point de vue mental, Sadako s’adressait à moi à nouveau.

 

– Mr. Fukuraï ? Vous vous sentez bien ?

 

Sortant de ma torpeur, je me confondais en excuses.

 

– Oh, Euh… oui… Excusez-moi, je suis confus. J’étais dans mes pensées…

 

Elle souriait, consciente de ma gêne.

 

– Je sais à quoi vous pensez Mr. Fukuraï. Mais vous n’avez pas à vous inquiéter : je vis parfaitement bien et suis très heureuse ici. Maintenant, pour reprendre ma demande, puis-je me permettre de vous appeler par votre prénom ? Ce sera plus simple pour nous deux de nous tutoyer, vu que nous allons travailler ensemble désormais.

 

– Oui, bien sûr. Je n’y vois pas d’objection. Ce sera plus facile, effectivement… Sadako.

 

A la suite de cela, elle m’a suivi jusqu’à Tokyo, où je la faisais séjourner dans la même chambre d’hôtel occupée par Chizuko et Ikuko auparavant. Même si, dans leur cas, leur séjour avait été plus épisodique, du fait qu'elle habitaient toutes les deux Tokyo. Leur chambre à l'hôtel avait surtout servie à leur éviter des va-et-vient incessants les jours précédant chaque séance publique. Tandis que pour Sadako, vivant plus loin de la métropole, ce serait de manière plus prolongé. J'avais pris la précaution de m'assurer de la présence d'un de mes assistants dans une des chambres proches de la sienne et la mienne. Une précaution que j'avais déjà mise en place pour mes précédentes protégées. Cela dans un souci d'éviter, là encore, des rumeurs malvenues, quand à la proximité d'un adulte séjournant au même endroit qu'une jeune fille. D'autant plus que Sadako était mineure, contrairement à celles qui l'avaient précédées dans le cadre de mes travaux. Elle a immédiatement exprimé le désir de visiter les alentours, me confiant qu’elle n’avait jamais séjourné dans une grande ville jusqu’à présent, tout en m’indiquant que ce serait un bon moyen de faire plus ample connaissance dans le même temps. Je me suis prêté volontiers à la fonction de guide. J’avoue que cela a permis de me remettre de cette première démonstration de ses pouvoirs dont je ne m’étais pas encore tout à fait remis. C’était un sentiment qui m’habiterait durablement à chacune des séances officielles qui suivraient. Au vu de ce dont j’avais été témoin, je jugeais inutile d’avoir recours à un test privé comme pour Chizuko et Ikuko. Je n’en étais pas certain, mais je soupçonnais que certains des invités, ceux que j’avais conviés aux tests privés de mes deux protégées précédentes, avaient fait preuve de traîtrise en divulguant des informations en secret sur ce qu’ils avaient vu et constaté. Ceci auprès des journalistes qui seraient présents ultérieurement lors des séances publiques.

 

Je supposais que c’était sans doute ce qui avait permis à ces derniers de préparer leurs attaques futures et pouvait expliquer leurs airs moqueurs prononcés avant même le début des séances. En procédant par surprise, sans test privé, je pensais prendre de cours mes détracteurs et ne pas leur laisser d’opportunité d’établir un plan à l’avance, dans le but de me déstabiliser d’office. Je n’avais rien dit sur la présence de Sadako à Tokyo dans les premiers jours. A aucune de mes connaissances, à l'exception de l'assistant présent près de nos chambres respectives, et tenu, lui aussi, au silence le plus absolu, sans que je lui en donne l'autorisation. J'avais confiance en lui plus que tout autre, et je savais qu'il ne ferait jamais preuve d'indiscrétion de cet ordre. Les autres membres de mon équipe n’ont été au courant de son existence que deux semaines avant la date fournie pour une nouvelle séance publique en présence de ma nouvelle découverte. Ils n’ont même pas su son prénom avant ça, voulant préserver un secret total. Ce qui m’a permis d’approfondir ma relation avec ma jeune protégée, en compagnie de mon assistant qui se prêtait volontiers au rôle de "chaperon". Là encore, sa présence était indispensable pour faire taire d'éventuelles histoires pouvant me dépeindre comme un pervers, friands de jeunes filles innocentes. je savais mes détracteurs capable de recourir à n'importe quelle ignominie pour me décrédibiliser encore plus, et je ne voulais pas leur offrir ce genre d'opportunités, au cas où quelqu'un indiquerait m'avoir vu déambulant dans les rues de Tokyo avec une jeune fille inconnue. Dans le même ordre d'idée, j'avais indiqué à mon assistant nous suivant dans tous nos déplacements, dans la perspective qu'il soit approché par ses amis ou des journalistes, d'indiquer que Sadako était ma jeune nièce que j'avais en garde quelque temps, et à qui je faisais découvrir la ville. Toutes ces précautions visaient à faire en sorte que Sadako ne subisse pas de pression quant à sa future prestation, et avait pour consigne de prétendre à se présenter comme un membre de ma famille le cas échéant. Ceci en attendant que je juge du moment venu pour désigner sa véritable identité et raison de sa présence à mes côtés. Sadako s'est prêté au jeu sans opposition. Malgré tout, comme je vous l’ai déjà dit au début de mon récit, elle pouvait être fortement déstabilisante par moments, à l'opposé de la personnalité de jeune fille qu'elle était en apparence.

 

Quand je discutais avec elle de la probabilité qu’elle soit l’objet de critiques assez virulentes, voire insultantes, de la part des journalistes et des scientifiques présents lors des futures expériences en public, elle n’a jamais montré d’inquiétude sur le sujet. Elle faisait preuve d’une insouciance totale sur ça, car habitée par l’innocence de la jeune fille qu’elle semblait être. Je dis bien semblait, car quand nous nous prêtions à de nouveaux petits tests brefs, dans le but de la préparer aux conditions dans laquelle elle allait se trouver, elle changeait complètement. La jeune fille frêle et sensible, se comportant quasiment comme si j’étais son père lors de nos sorties pour lui faire visiter la ville, devenait une femme, mentalement parlant j’entends, lors de ces moments. Elle devenait plus froide, plus mature, plus adulte. Elle posait des questions extrêmement précises sur son positionnement futur sur scène, sur le temps à suivre entre chaque impression sur les photographies, ainsi que d’autres questions très techniques.

 

J’avoue que je ne me sentais pas très rassuré quand elle agissait de la sorte. En même temps, j’étais persuadé qu’elle ne se laisserait pas faire et ne sombrerait pas comme l’avaient fait Chizuko et Ikuko. C’est lors de ces tests qu’elle montrait d’autres dispositions. Elle pouvait imprimer par la pensée d’autres supports. Pas seulement tout ce qui avait trait aux supports photographiques, mais également des cartes à jouer, des lithographies, des journaux ou de simples feuilles de papier Genkoyoushi (5). Elle pouvait littéralement transformer un dessin présent sur une affiche, le modifiant à un tel point qu’on ne reconnaissait même plus l’image d’origine. C’était vraiment stupéfiant et terriblement effrayant. Autant elle pouvait faire preuve d’une tendresse touchante, prenant toujours soin de me souhaiter bonne nuit au moment de rejoindre nos chambres respectives à l’hôtel où nous étions logés,  ainsi qu'à mon assistant, voire se blottir dans mes bras pour me remercier de lui avoir acheté un vêtement ou une breloque pour décorer sa chambre ; autant elle devenait un être suscitant l’effroi, munie d’un sérieux sur le visage à toute épreuve, dès lors qu’on se prêtait à des essais. Ceci à sa demande.

 

Ces nombreux tests, ce n’était pas moi qui les avais demandés. Les premiers, oui, pour l’habituer, comme je vous l’ai déjà dit. Mais je n’en avais prévu qu’un ou deux, ce qui me semblait suffisant pour la préparer. Cependant, Sadako jugeait qu’il fallait qu’elle “s’entraîne” plus. Elle précisait qu’elle avait besoin d’être en phase régulièrement avec le monde des esprits. Celui-là même qui lui assurait de disposer pleinement de ses pouvoirs. Elle disait que son gardien, son hôte, celui qui la protégeait et lui laissait libre cours pour utiliser ses capacités, avait la nécessité de s’imposer parfois pour investir son corps et conserver le lien entre eux. Je n’ai pas bien compris à ce moment ce qu’elle voulait dire par là. Je supposais que c’était un langage à elle pour indiquer qu’elle devait avoir recours régulièrement à ces transes pour garder la mainmise sur ses pouvoirs. Ce qui se justifiait pleinement. Raison pour laquelle je n’insistais pas sur cette nécessité. J’acceptais de multiplier ces tests privés, qui se déroulaient eux aussi en présence de mon assistant. Ce dernier se montrait au moins aussi terrifié des facultés de Sadako que je l'éprouvais moi-même. Ces séances m'avaient permis d’être témoin de l’étendue de ses pouvoirs qui dépassait largement le cadre d’une simple médium comme elle se désignait l’être malgré tout. Mais je ne m’attendais pas à ce que la suite de notre relation allait déclencher. Dès les jours suivants la première séance publique, alors même que le nom de Sadako, dont j’avais parlé officiellement entretemps à mon entourage et aux médias, était sur toutes les lèvres, des faits tragiques allaient secouer tout Tokyo. Tous liés aux expériences mis en place pour prouver l’existence des capacités psychiques de l’être humain.

 

Le jour-J de la première présentation de Sadako au grand public, j’ai pu voir la surprise qu’elle suscitait auprès des spectateurs. Même les scientifiques discutaient entre eux. Les journalistes, les premiers habituellement à émettre des ricanements, comme ils l’avaient fait pour Chizuko et Ikuko, semblaient rester interdits. Je ne saurais dire si c’était son jeune âge qui en était la cause ou bien l’aura terrifiante qui émanait d’elle. Moi-même, j’avais beau être habitué à ce qui se dégageait d’elle en mode “adulte”, je ressentais des frissons. Je pouvais donc comprendre le double étonnement des personnes présentes. Sadako n’avait que 17 ans, mais le regard qui s’affichait sur son visage lors de la séance montrait celui d’une femme nettement plus âgée. Je pense que cela faisait partie aussi de ses pouvoirs. Je ne pourrais pas le certifier, mais j’avais l’impression que ceux-ci n’apparaissaient que lorsqu’elle était sur le point de procéder à des actions nécessitant leur apparition.

 

J’en voulais pour preuve son attitude désinvolte lors de nos sorties, sa candeur, son émerveillement de voir tout ce qui l’entourait, elle qui n’était jamais sortie de son village auparavant. Elle m’avait expliqué qu’au début de sa “carrière”, il y avait de cela 2 ans, la nouvelle de ses pouvoirs de divination attirait nombre de personnes dans le village où elle avait élu domicile. Village qui n’était pas celui où elle était née, comme je l’apprendrais plus tard. Les habitants des grandes cités et petites localités proches venaient la voir pour bénéficier de ses “lumières” sur leur avenir. Cependant, cela a changé le jour où elle a commencé à faire apparaître des impressions sur des photos à des clients qui lui demandaient de leur montrer le visage de leurs chers disparus, car n’ayant pas eu l’opportunité de les prendre en photo de leur vivant. Soit par manque d’argent permettant d’acquérir un appareil, soit parce que ceux dont ils voulaient un souvenir impérissable ne tenaient pas à être pris.

 

Certaines croyances étant tenaces, beaucoup voyaient d’un mauvais œil le fait de voir leur apparence se positionner sur du papier. Pour eux, c’était quasiment comme de la sorcellerie. Ils craignaient que leur âme soit emprisonnée sur ces photographies. Un peu à l’image de quelques tribus des Indiens d’Amérique. C’était une demande innocente de la part de ces familles endeuillées en apparence, mais que beaucoup ont regretté avoir formulé. L’aspect des défunts s’affichant sur les supports apportés par les clients montraient des traits horribles, comme s’il s’agissait de monstres sortis tout droit du Yomi No Kuni, l’enfer japonais. Cependant, Sadako n’avait fait qu’accéder à leur demande. Elle leur montrait leur aspect tel qu’il se présentait dans l’autre monde. Que ce soit le Yomi No Kuni ou bien le Takama Ga Hara, le paradis japonais. Leur véritable apparence. Pas celle cachée par une fausse peau lorsque les âmes de ces défunts étaient invoquées pour se présenter au sein de séances de spiritisme, quand ce n’était pas  à l’intérieur de temples shinto ou bouddhiques.

 

Des visages décharnés, abîmés par le temps passé dans l’autre monde, aux os effrités le plus souvent, et ne portant que des morceaux de tissus élimés. Il s'agissait de visions horribles faisant ressortir les clients de Sadako de chez elle en hurlant de terreur. Ou en tout cas suffisamment choqués pour ne plus jamais revenir la voir. Bien entendu, ceux qui avaient fait ces demandes ne tardèrent pas à évoquer ce qu’ils avaient vu, et donc de quelle sorcellerie était capable celle chez qui ils s'étaient rendus. À partir de là, le “commerce”de la jeune fille s’effondra, plus personne ne voulant s’approcher de sa demeure considérée comme l’antre d’Onis (6) puissants, pouvant influer sur les pouvoirs de la jeune médium. Nombreux étaient ceux et celles affirmant même que ces démons la contrôlaient et que, si on avait le malheur de contrarier Sadako, il en résulterait des conséquences dramatiques pour les fautifs. Je comprenais mieux le pourquoi des regards épouvantés des habitants lorsque je leur avais demandé où se trouvait la maison de Sadako, lors de mon arrivée au village où elle séjournait. Certains ne me répondirent même pas, traçant leur chemin sans se retourner. Les rares m’ayant donné des indications pour me rendre chez elle, je les ai vus exécuter des signes religieux avant que je m'éloigne d'eux. Comme si je me rendais au sein d’un lieu sans retour.

 

Pour en revenir au présent de mon récit, j’ai pu donc constater l’existence de 2 Sadako bien distinctes lors des jours ayant précédés cette première séance officielle. Le mode enfant : tendre, innocent, joueur, m’ayant adopté comme un père ; et le mode adulte, sombre, inquiétant, s’amusant de la terreur qu’elle inspirait dans ces moments. C’était ce mode qui “s’activait” quand ses pouvoirs se mettaient en fonction et mettait mal à l’aise journalistes, public et scientifiques. Contrairement aux séances exécutées par Chizuko et Ikuko, il n’y avait pas le moindre bruit quand Sadako a commencé à produire ses “œuvres”. Un silence glacial s’était installé, un climat de peur perceptible envahissait la salle. Les personnes chargées de surveiller les gestes de la star de la soirée, et constater ce qui avait résulté de ses facultés, tremblaient. Il faut dire que la pâleur du visage et le blanc des yeux que cette dernière affichait à ce moment ne les incitaient pas vraiment à faire autrement.

 

On se serait cru à une oraison funèbre jusqu’à la fin. Jusqu’à ce que Sadako reprenne son mode “enfant” et affiche un sourire qui permit de détendre l’atmosphère ambiante. Semblant être revenus à un état moins angoissé, les scientifiques n’en étaient pas moins inquiets de s’approcher de la table où figurait ce qui avait été produit. J’ai vu l’horreur remplissant leurs visages à cet instant, et, pour l’avoir vécu également à plusieurs reprises, je comprenais parfaitement leur désarroi. Là encore, il y avait des visions de cauchemars sur ces photos et ces feuilles de papier constituant le “matériel” utilisé pour la séance. Des visages déformés, des paysages enflammés où s’accumulaient des corps enchevêtrés les uns dans les autres, des lieux lugubres habités par des silhouettes tout aussi terrifiantes. Je me retenais de sourire en voyant leurs mines déconfites. Je pensais à ce moment que j’avais gagné, qu’ils ne pourraient rien trouver à redire cette fois.

 

Effectivement, sur l’instant, personne n’a osé émettre la moindre réticence ou critique sur ce dont ils avaient été témoins. L’effet de choc ressenti leur avait ôté toute envie de dire quoi que ce soit. Par la suite, lors des autres séances, ils ont été plus loquaces. Leurs attaques ont débuté le lendemain de cette première démonstration publique, à distance, par l’intermédiaire d’articles de journaux ou de déclarations officielles, lors de conférences de presse. Conférences dans lesquelles ils expliquaient avoir été victimes d’un grand tour de passe-passe savamment orchestré, conçu pour leur faire perdre leurs moyens, sans qu’ils sachent comment moi et ma protégée avions procédés. Ceci dans l’objectif de masquer l’escamotage des supports pour les remplacer par des ignominies monstrueuses. Je n’avais jamais vu autant de mauvaise foi de la part de soi-disant professionnels de la science et de l’information.

 

Certains affirmaient que j’avais dû utiliser un gaz ou un procédé du même genre pour provoquer des hallucinations, ou en tout cas capable de perturber leurs sens. Ce qui les avaient empêchés de disposer de toutes leurs capacités pour s’apercevoir du stratagème employé dans la création des horribles images montrées à l’issue de ce qu’ils qualifièrent de nouvelle farce. Même s’ils m’accordaient d’avoir été plus imaginatif qu’à l’accoutumée. C’était aberrant. Je craignais que Sadako ne tombe, elle aussi, dans une forme de mutisme en apprenant ce qu’on disait d’elle, en la désignant comme une actrice douée pour le spectacle, mais restant malgré tout une impostrice. Les plus virulents employant les mots de “sauvageonne dressée pour terroriser” ou de “pantin ayant bien appris les leçons de son maître”. Ce qui me visait ouvertement. Pourtant, Sadako n’a pas montré un seul instant les signes d’une déception ou de la tristesse en ayant connaissance des horreurs dites par ces menteurs éhontés.

 

– ça n’a pas d’importance. Ils n’ont aucune idée de ce qu’est le vrai pouvoir qui m’habite. C’est leur ignorance qui les fait réagir ainsi. L’homme a peur de ce qu’il ne comprend pas : ce n’est pas nouveau. Je me moque de ce qu’ils pensent de moi. En revanche, je ne pourrais pas leur pardonner qu’ils t’aient inclus dans leur chasse à la désinformation…

 

Elle était en mode “enfant” quand elle a dit ça. Ou peut-être était-ce un état intermédiaire. J’avoue que je ne savais plus trop quoi penser d’elle. Cela étant, elle s’est contentée de sourire, tout en me demandant ce qu’on allait bien pouvoir faire comme sortie. Elle voulait que je m’amuse et que je ne pense plus à ce qui s’était déroulé. J’avais en effet besoin de me détendre après un tel coup dur, et j’ai accédé à sa requête, après avoir pris soin de demander à mon assistant de nous accompagner, comme à chaque fois. Nous sommes tous rentrés assez tard à l’hôtel et j’étais épuisé. Il devait être environ 23 heures. Je me suis presque effondré sur mon lit avant de m’endormir. Le lendemain, alors que je descendais à l’accueil pour commander le petit déjeuner, pendant que je laissais Sadako dormir dans sa chambre, je prenais connaissance des informations matinales en présence de Kôsuke, mon assistant-chaperon, qui, lui, s'était dirigé vers le fumoir de l'hôtel, comme il en avait pris l'habitude chaque matin. Je m’attendais à lire de nouveaux articles incendiaires sur la séance d’il y avait 2 jours. Mais c’est une autre nouvelle qui attira mon regard.

 

La nuit précédente, le corps de deux journalistes avaient été tués chez eux. Selon l’auteur de l’article, ils étaient dans un état à peine descriptible. Leurs corps avaient été déchiquetés, leurs visages ravagés, leurs entrailles sorties de leurs corps. C’était à peine si leurs proches s’étaient montrés capables de les identifier. Les pièces où leurs corps avaient été découverts par un membre de leur famille baignaient dans le sang. La même nuit, un scientifique, officiant comme professeur dans la même université que moi, avait été retrouvé dans un état similaire dans la chambre qu’il occupait occasionnellement dans l’établissement. Par habitude, il travaillait tard. Quand il se sentait trop fatigué pour rentrer au sein de sa demeure, cette pièce spécialement aménagée pour lui, à sa demande, lui permettait de s’éviter un trajet risqué. Les nuits n’étaient pas sûres dans certaines alvéoles de Tokyo, et, pour rentrer à son domicile, il était obligé de traverser certaines d’entre elles.

 

Si la thèse du cambriolage, évoqué par les policiers chargés de l’enquête, pouvait éventuellement tenir la route pour les journalistes, ça n’était pas le cas pour le scientifique. L’université était gardée par deux veilleurs de nuit qui avaient montré à maintes reprises leur efficacité. Qui plus est, l’établissement ne possédait aucun objet de valeur qui vaille la peine de s’introduire en son sein et risquer de se faire prendre en flagrant délit. Mais surtout, ce sont les noms des victimes qui m’interrogeait. Les trois hommes faisaient partie de ceux ayant été les plus abjects envers moi et Sadako. Cela à travers des déclarations virulentes concernant l’expérience publique s’étant déroulée deux jours plus tôt. Ils ne furent pas les derniers, comme j’allais le constater dans les jours à venir. 4 jours après, un autre scientifique a succombé à l’attaque d’un agresseur inconnu. Le jour suivant, ce fut le tour d’un journaliste, puis un autre le surlendemain. Au total, en l’espace d’une semaine, 8 personnes furent assassinées. Toutes étaient présentes lors de la séance publique de Sadako. Toutes avaient émises des critiques violentes sur sa prestation dès le lendemain, par voie de presse interposée pour la plupart. Ça ne pouvait pas être une coïncidence.

 

J’ai repensé aux yeux terrifiés des habitants du village, leur panique quand j’avais évoqué mon désir de me rendre chez ma future protégée. Je me suis souvenu aussi de ce que j’avais ressenti la première fois où cette dernière m’avait fait la démonstration de ses pouvoirs, puis lors des autres tests en privé. Je savais que les pouvoirs de Sadako étaient terrifiants, bien plus que ce que tout le monde pouvait imaginer. Il y avait aussi ces paroles qu’elles m’avaient confiés, sur cette partie d’elle qui l’habitait, sur son lien avec le monde des esprits. Ça me faisait revenir en mémoire également ma propre expérience, lors de mon enfance, au cœur de cette pièce où j’accompagnais ma mère pour ses prières. Là où j’ai ressenti et vu ces esprits. Là où j’ai été convaincu de leur existence. Si Sadako avait ce lien avec le monde des esprits, si ce n’était pas une métaphore ou une expression comme je l’ai supposé dans un premier temps, de quelle ampleur pouvait-il être ? Etait-elle capable de commander à l’un d’entre eux, voire à plusieurs, en leur demandant de procéder à des actes inhumains sur des personnes ayant commis des choses qu’elle n’acceptait pas ?

 

Elle m’avait elle-même indiqué qu’elle se moquait de ce qu’on disait d’elle. Toutefois, elle s’était tellement attachée à moi… Il y avait cette phrase prononcée lors de la découverte des attaques me visant. Celle où elle indiquait qu’elle ne pourrait pas pardonner ceux m’ayant humilié par leurs paroles… La vague de meurtres s’est arrêtée soudainement, au moment où Sadako et moi sommes retournés dans son village, à sa demande. Elle m’avait un peu forcé la main pour effectuer ce voyage à dire la vérité. Ceci pour que je mette de côté les critiques et les meurtres. Elle avait remarqué que cela m’avait fortement affecté. Cela lui avait fait de la peine. Elle m'avait précisé que ce séjour loin de Tokyo permettrait d’établir la prochaine séance publique, et nous mettraient loin des rumeurs m'ayant obligé à la présence de Kôsuke auprès d'eux, au sein de l'hôtel leur servant de refuge. Elle semblait être très attachée à mon confort mental. Et, plus que tout, elle voulait que mon honneur soit réhabilité, maintenant qu’un grand nombre de menteurs ne seraient plus là pour s’opposer à moi. Ceci dans le but de discréditer mon travail et ses pouvoirs. C’est durant ce séjour que j’ai eu l’idée de poser les bases de mon futur livre : “Clairvoyance et thougtography”. L’autre nom que je donnais à cette faculté possédée par Ikuko et Sadako, consistant à créer mentalement des impressions sur des supports photographiques. Bien que pour celle qui me considérait comme un père, ce pouvoir était capable de s’exécuter sur d’autres supports.

 

Cependant, à l’époque, je préférais me concentrer sur la partie photographique, sans trop exposer les autres facultés de Sadako. D’ailleurs, pour les autres séances publiques qui viendraient par la suite, je demanderais à cette dernière de se limiter aux seuls supports photographiques, en évitant les autres. Je pensais que ça limiterait les attaques des sceptiques d’une manière ou d’une autre. C’était illusoire, mais j’avais le secret espoir que cela puisse avoir une incidence. Je me trompais lourdement...

 

La 3ème et dernière partie arrive bientôt...

 

LEXIQUE :

(1) Kamui : Divinités japonaises représentant divers éléments de la nature, affiliés à des métiers ou des tâches du quotidien.

(2) Fusuma : parois coulissantes des maisons traditionnelles japonaises, séparant les pièces du couloir principal, parfois placées entre deux pièces adjacentes aux fonctions proches.

(3) Washi : papier de riz servant à la confection des parois des Fusuma. 

(4) Oshiire : placard japonais présent dans les pièces d'agrément, comme les chambres ou les salons, et servant à entreposer du linge de maison principalement, et plus rarement pour y cacher des objets de valeur.

(5) Genkouyoushi : papier comportant des cases, spécialement étudié pour l'apprentissage de l'écriture du japonais. On s'en sert également régulièrement pour la correspondance dans divers domaines.

(6) Oni : démon japonais.


Publié par Fabs

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire