25 oct. 2020

RETOUR A PURGATORY PEAKS

 


Purgatory Peaks, en temps normal, fait partie de ces petites villes tranquilles, où il ne se passe pas grand-chose. La police est surtout occupée à donner des contraventions pour excès de vitesse envers des conducteurs ayant trop abusé de leur fin de soirée au bar du coin, des violences conjugales, ou des jeunes, en mal d’occupation, trouvant fun de balancer des œufs sur les fenêtres de leur tête de turc préféré, pendant que ses parents sont absents. Rien de bien original. Mis à part quelques altercations entre voisins à cause de la fumée du barbecue salissant le linge étendu, c’est à peu près tout ce qu’on peut y trouver en terme d’animation. Quant au cinéma de quartier, les films proposés trouvent rarement un public, du fait d’une programmation imbécile établie par un fana des années 50, ayant oublié que d’autres films ont été tournés depuis cette période. Non, vraiment, cette ville pourrait être désignée comme l’une des villes les plus ennuyeuses du pays. A part le jour d’Halloween.

Ce jour-là, les habitants retrouvent le goût de faire la fête, décorant les vitrines de citrouilles effrayantes à souhait, parsemant leurs maisons de décors constitués de squelettes dansant, d’épouvantails ricanant, ou encore de démons rugissant. Le soir venu, les familles envahissent les rues, revêtus de déguisements confectionnés mains, ou achetés chez Finney’s, spécialiste du tout et n’importe quoi, dont Halloween lui permet de multiplier son chiffre d’affaire par 3. C’est le soir où chacun retrouve son âme d’enfant, ses rires véritables, et oublie l’ennui des jours précédents. Même les personnalités les plus respectables, qu’ils soient agents immobiliers, notaires, médecins ou fonctionnaire municipal se joignent à la mouvance populaire, persuadés que ce jour-là, il ne peut rien arriver de plus que les autres soirs de l’année. Grave erreur, car ce soir, quelque chose va arriver. En fait, à l’heure où débute cette histoire, une sorcière et un vampire ont déjà fait augmenter le taux de criminalité de la ville, sans que les habitants s’en soient rendu compte. Et ce n’est pas fini. Car un nouvel arrivant s’apprête à débarquer dans cette petite ville à priori tranquille.

En fait, cette personne est sur le point d’y revenir, car elle en est partie il y a déjà longtemps, espérant retrouver les personnes qui lui sont chères l’accueillir à bras ouverts. Mais ça ne vas pas se passer exactement comme elle l’aurait voulu. Jarrod Forkes a été absent depuis longtemps de l’ambiance de cette ville, et à dire vrai, il n’a jamais vraiment connu l’euphorie propre à Halloween, ses parents ne portant pas cette fête dans leur cœur, qu’ils considéraient comme une abomination païenne. Du coup, chaque année, Jarrod restait cloîtré chez lui, ignorant tout de la gaieté s’appropriant les rues aux sons des musiques de films d’horreur, des nombreux « Trick or Treat » vociférés par des gamins de tout âge et des masques divers arborés par des fans de Michael Myers, Freddy Kruegger, Ghostface ou Jason Voorhees, véritables stars de cette nuit. Il devait se contenter de l’ennui annuel d’une soirée placée sous le signe des chants religieux s’échappant du tourne-disque de ses parents. Puis, vint la délivrance. Jarrod fit le choix de devenir soldat, au grand désespoir de sa mère, qui craignait de ne pas le voir revenir, mais rendant fier son père, en ancien lieutenant de l’armée qu’il était.

Alors, il partit. Il découvrit que l’horreur ne se trouvait pas toujours sur un petit écran de télévision, pendant les infos du soir, ou en allant voir un film au cinéma. Non, l’horreur, il l’a vécue de plein fouet, à travers les corps éventrés de ses camarades sur les champs de bataille, soufflés par l’explosion d’un obus. Il l’a vue, en assistant, impuissant, au calvaire de femmes ou d’enfants, criblés de balles, alors qu’ils tentaient de fuir une guerre stupide. Une horreur bien réelle, dépourvue de tout maquillage, de tout effet visuel et de tout scénario logique. Car, pour Jarrod, la guerre, contrairement à ce que lui avait dit son père, n’avait rien de merveilleux, ou d’élément de fierté. Il avait honte d’être soldat. D’enlever la vie à des gens qu’ils ne connaissaient pas. De priver de père, de fils, de cousin des familles entières, ignorant encore qu’ils ne verraient plus leurs proches. Malgré tout, il faisait ce qu’on lui demandait. Un jour, il se releva au sein de la tranchée où il avait l’habitude d’attendre l’ennemi, et s’aperçut qu’il était seul. Les bruits des balles sifflantes s’étaient tus. Ses camarades avaient disparus. Le champ de bataille était vide. La guerre était finie, pensait-il. Sinon, pourquoi n’y aurait-il plus personne ? Alors, il décida que comme il n’y avait plus rien à faire ici, il était temps de rentrer à la maison.

Temps de revoir sa jeune sœur qui avait du bien grandir depuis toutes ces années d’absence, sa mère et même son père, même s’il lui en voulait de l’avoir plus ou moins envoyé découvrir cet enfer. Jarrod prit donc le chemin du retour pour Purgatory Peaks. Un long périple, qui dura plusieurs jours, parcourant seul, à  pied, des territoires immenses. Mais quelque chose l’étonnait. A chaque fois qu’il rencontrait quelqu’un, celui-ci se sauvait à sa vue, comme s’il avait vu une créature de l’enfer. Le monde était-il devenu fou ? Ou bien était-ce lui qui ne comprenait pas ce qu’il était devenu ? Qu’importe, se disait-il. Seul comptait de revoir Trudy, son père et sa mère. Et enfin, il parvint à Purgatory Peaks. Le soir d’Halloween. Il n’avait jamais connu la ville dans un tel état d’effervescence. Toutes ces lumières, ces décorations, ces gens en costumes… Tout cela était nouveau pour lui qui n’avait jamais connu l’esprit de cette fête qu’était Halloween. Cependant, il y avait quelque chose de plaisant dans tout ça. Les gens ne fuyaient pas en le voyant. Au contraire, ils lui souriaient. Ils le félicitaient pour son costume et son maquillage. Un maquillage ? Il n’avait pas de maquillage. Pourquoi tous ceux qu’ils croisaient pensaient-ils qu’il en portait ? C’était curieux. Mais Jarrod se disait que c’était sans doute dû à l’ambiance de la fête.

Il continuait à marcher au sein de petits diablotins courant, un petit pot en forme de citrouille à la main, garni de friandises diverses ; de monstres dégoulinant de bave verdâtre, avec un couteau dans la tête ; ou encore de jeunes filles dont le visage était rempli de veines ressorties, les cheveux en bataille, aux habits semblant déchirés. Décidément, quelle fête curieuse que cet Halloween. Mais il devait avouer qu’il trouvait cette ambiance très plaisante. Pourquoi son père et sa mère n’avaient-ils jamais voulu qu’il y participe ? Certains personnages croisés étaient quand même bizarre. Tel cet homme, avec une blouse de scientifique, portant à sa main droite ce qui avait tout l’air d’un Katana japonais. Et, contrairement à ce qu’il avait vu auparavant, cela n’avait pas l’air d’un jouet. Il aurait voulu lui demander où il allait avec cette arme dangereuse, mais il était déjà loin. Jarrod poursuivit son périple jusqu’à chez lui. Et là, il la vit. Sa maison.

Elle n’avait pas changée. A quelques exceptions près. Elle était décorée, comme les autres maisons, de citrouilles, de lumières orangées, de fantômes en papier mis en banderolles sur les murs. Quel changement ! Qu’est-ce qui avait bien pu faire changer ses parents au point de perdre leur foi, et s’adonner à cette « fête du diable », comme ils la désignaient ? Il n’allait sûrement pas tarder à le savoir, car il se trouvait maintenant sur le perron. Il sonna à la porte, tout heureux de voir le visage radieux des membres de sa famille. Comme ils allaient être contents de le revoir !  Il sonna à la porte, le sourire aux lèvres, impatient. Au bout de quelques secondes, la porte s’ouvrit. Une jeune fille d’une rare beauté se montra. Même si elle avait beaucoup grandi, il reconnut son visage : c’était Trudy, sa jeune sœur. Il allait entrer, quand celle-ci se mit à crier, en lui disant de partir. Elle dit qu’elle ne trouvait pas cette blague très drôle, même le jour d’Halloween. Pourquoi disait-elle ça ? Puis, il vit s’approcher son père et sa mère. Même réaction. Ne comprenant pas, il demanda pourquoi il le repoussait. Il était revenu. Ils devraient être contents.

Et là, son père lui annonça que son fils était mort il y avait déjà 15 ans de ça. Qu’il devrait avoir honte de se moquer de leur malheur en prenant son aspect, avec l’apparence d’un zombie tout juste sorti de la tombe. Et avant qu’il essaie de comprendre cette phrase, un jeune homme sortit avec une batte de base-ball, en lui demandant de partir s’il ne voulait pas se prendre un coup dans la tête. Il voulait encore essayer de parler. Leur dire qu’ils se trompaient. Qu’il n’était pas mort, puisqu’il se tenait là devant eux. Son père revint alors, avec un papier. Un certificat de décès. Cette fois, Jarrod devait se faire à l’évidence. Il était donc bien mort. C’était impossible. Il resta figé ainsi plusieurs minutes. Puis, son père lui demanda de partir, en le poussant violemment. D’un seul coup, le comportement de Jarrod changea. Sans qu’il sache pourquoi, il sentit un sentiment de colère, de haine l’envahir de tout son être. C’était sa faute. C’était à cause de son père s’il s’était engagé dans l’armée. C’était à cause de lui s’il était mort. A cause de lui s’il était devenu cette… «chose». Un zombie. C’était le mot qu’ils avaient employé. Il avait déjà entendu ce mot auparavant, par le biais de ses amis férus de films d’horreur. Un zombie est un mort revenu à la vie qui mange de la chair humaine.

La haine qui le submergea alors lui fit perdre le peu d’humanité qui lui restait. Comme obéissant à un instinct qu’il avait refoulé en lui, il se jeta sur son père, croquant à pleine dents son visage, avant d’avaler la chair au fond de sa gorge. Une curieuse sensation s’imprégna alors en lui. Il aimait ça. Non. Il adorait ça. Il en voulait encore. Il se dirigea alors à nouveau vers son père, pendant que celui-ci tentait de se relever, alors que du sang coulait à profusion sur le gazon, accompagnés de lambeaux de chair. Trudy et le jeune homme, terrorisés, s’enfuyaient vers la maison, laissant seul Jarrod et son père. Celui-ci le suppliait de le laisser en vie. Il s’excusait de ce qu’il venait de lui dire. Mais Jarrod était parti. Il ne restait plus qu’une créature avide de chair humaine, qui s’empressa d’arracher un à un la chair délicieuse de l’homme qui avait été autrefois son père. Maintenant, ce n’était plus qu’un morceau de viande. Alors qu’il continuait à dévorer goulûment ce corps au goût exquis, le jeune homme ressortit. Il tenait un fusil à la main cette fois. Derrière lui, Trudy lui criait de revenir, les larmes aux yeux. Jarrod délaissa sa victime, puis, comme guidé par un instinct primaire, se releva et se dirigea vers sa nouvelle proie. Ce dernier tira sur Jarrod, mais les balles ne faisaient que s’enfoncer dans son corps, sans lui faire le moindre mal. Il continuait à avancer. D’autres balles furent tirées. Sans plus de résultat. Puis, un bruit de cliquetis se fit entendre. Plus de balles. Le jeune homme, pris de panique, tenta de s’enfuir, mais Jarrod lui attrapa une jambe, et mordit dedans avec force, faisant tomber sa proie au sol. Jarrod continua à mordre, avalant la chair, remordant, entama les bras, pendant que celui-ci hurlait de plus belle. Ses cris étaient insupportables pour la créature, qui remonta jusqu’à sa gorge, qu’il arracha d’un coup.

Pendant que le zombie continuait à croquer et dévorer le jeune homme, il vit sa mère venir à la porte de la maison, voulant empêcher Trudy de venir à la rescousse de l’homme qui servait de repas à Jarrod. Alerté par ces nouveaux cris, le zombie se releva, et se dirigea vers la maison, prenant pour cible Trudy et sa mère. Ayant enfin réussi à convaincre sa fille de rentrer se barricader à l’intérieur, les deux femmes se faufilèrent à l’intérieur de la maison. Mais, alors que Trudy était déjà monté à l’étage, suivant les recommandations de sa mère, cette dernière ne put empêcher Jarrod de parvenir à accéder à la maison. La faute à la batte de Base-ball du jeune homme, que celui-ci avait laissé à terre, avant de prendre le fusil, et qui bloquait la porte de la maison.

La mère ne s’en était aperçu que trop tard, et Jarrod, comme pour ses précédentes victimes, lui fonça dessus, prenant pour cible sa joue gauche, et lui arrachant, comme il avait arraché les parties du corps de ses autres proies, mettant à découvert les os de son visage. Elle avait beau crier, suppliant son fils de redevenir ce qu’il était, cela ne servait à rien, et la créature avide de chair, s’affaira à déguster le corps de son ancienne mère, pendant que celle-ci hurlait à tout rompre. Enfermée dans sa chambre, Trudy ne tenait pas en place. Elle ignorait encore que sa mère avait déjà perdu la vie, et pensait que cette dernière avait réussi à repousser cette créature horrible qui avait dévoré son père et son petit ami.  Elle avait les yeux dans le vide, complètement paniquée, attendant que sa mère remonte les escaliers pour lui dire que tout danger était écarté. Soudain, elle entendit des pas sur les marches. Des pas lents, mais plein d’assurance. Pour Trudy, il était clair que ce n’était pas ceux de sa mère. Cherchant autour d’elle un moyen de barricader sa porte, elle jeta son dévolu sur sa petite coiffeuse, et commença à la pousser. Mais elle avait pris trop de temps à se décider, et Jarrod était déjà à la porte.

Et alors que celui-ci commençait à tourner la poignée, en proie à une panique incontrôlée, Trudy ouvrit la fenêtre, et commença à escalader le rebord de celle-ci. Si elle sautait de cette hauteur, elle risquait de se rompre le cou. Elle jeta un coup d’œil derrière elle. Jarrod commençait déjà à avancer vers elle, posant un pied après l’autre, alors que Trudy hésitait encore. Elle eut l’inconscience de fermer les yeux quelques secondes, comme pour se donner du courage, ou peut-être espérait-elle que ce cauchemar serait terminé quand elle les rouvrirait. Mais en les rouvrant, Jarrod était là, à quelques centimètres de son visage, prêt à croquer son nouveau repas. Il s’approcha encore. Trudy, prise d’un réflexe qu’elle-même ne saurait expliquer, s’empara de la petite paire de ciseaux sur le bureau à proximité. Les ciseaux qui lui servaient pour confectionner ses robes, dont sa mère et elle-même étaient si fières. Sans réfléchir plus, se souvenant des méthodes pour tuer de telles créatures, elle enfonça alors la paire de ciseaux en plein milieu du front du zombie qui avait autrefois été son frère adoré. A la fois paniquée, et retrouvant un courage qu’elle pensait s’être enfui, elle appuya encore plus sur les ciseaux, enfonçant ceux-ci plus profondément. La créature s’arrêta net, comme si le « moteur » qui la faisait avancer jusque-là venait de rendre l’âme.

Soulagée, Trudy esquissa un sourire nerveux. Un signe de soulagement pour avoir enfin mis un terme à ce cauchemar vivant. Mais le destin trouve toujours le moyen de tout compliquer, et la panique fait oublier parfois des éléments essentiels. Le zombie, bien que mort, bascula en avant, vers Trudy, son corps n’étant plus régi par rien. Comme un objet tombant au sol. Pensant que Jarrod était encore en vie, sans penser à l’endroit où elle se trouvait, Trudy recula, et bascula dans le vide. Elle n’eut pas le temps de crier, et tomba avec force au pied de la maison, la tête en avant, se brisant net le cou, rejoignant ainsi les autres membres de sa famille parmi les victimes de ce soir. Un soir bien rempli en morts de toutes sortes, entre celles de la sorcière revancharde, le néo-vampire et le zombie inconscient de son état. Demain matin, le calme de la petite ville de Purgatory Peaks allait être chamboulé pour la première fois de son existence, et la police de la ville allait se trouver face à une série de crimes complètement inexplicables, donnant le champ libre aux théories les plus farfelues. Alors qu’il n’y a rien de plus simple à expliquer que dire que la nuit d’Halloween, tout peut arriver. Les monstres et créatures que nous aimons tant représenter et imiter ne sont pas toutes issues d’un imaginaire débordant. Elles sont juste cachées dans l’ombre, attendant le moment où elles pourront se révéler aux yeux de tous. Un moment que l’on nomme Halloween.

 

Publié par Fabs

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