30 avr. 2021

LE CHAT DE BYAM STREET

 


S’il y a bien un animal qui n’a pas fini d’intriguer, c’est le chat. Vous connaissez tous le côté câlin de cet animal de compagnie, sa moue capable de faire fondre le plus réfractaire aux bêtes, son caractère à part, pouvant passer de l’ange au démon en seulement quelques secondes. On le maudit parce qu’il a renversé la théière en porcelaine de Mamie, qu’on pensait pourtant bien à l’abri en haut de l’armoire ; et dans le même temps, on ne peut s’empêcher de le filmer en train de faire des bonds dans tous les sens, avec une simple boulette de papier, ou parce qu’il s’est endormi dans son carton préféré. A la fois peluche angélique et démon retors qui adore faire ses griffes dans les endroits pas du tout préparés à son espièglerie ; nous rendant fou de colère après s’être rendu compte qu’il a marqué son territoire en urinant dans nos chaussons fétiches ; et l’instant d’après, c’est nous qui allons le chercher pour nous consoler d’une rupture amoureuse, en le caressant sur tous les angles, en véritable anti-dépresseur vivant à part entière.

 

Pourtant, l’histoire que je vais vous raconter aujourd’hui va vous faire changer d’avis sur le côté à priori adorable de cette mascotte, qui, de plus en plus, séduit les humains à travers la planète, face à son éternel concurrent le chien. Au départ, ce chat particulier, va vous sembler à l’image des autres : attendrissant, plein d’affection, mais gardant cet aspect indépendant qui fait sa différence. Mais son comportement étrange va susciter tout d’abord l’étonnement, puis la perplexité, tel que je l’ai ressenti au fil des jours où j’ai rencontré cette petite boule de poils, juste avant que je découvre toute l’horreur dont était capable ce petit être à 4 pattes. Ha, un point qui aura toute son importance à la fin de ce récit : ce chat est en fait une femelle. Primordial pour que vous compreniez bien la raison de ses actes, une fois que je vous aurais décrit ce que j’ai vu.

 

Maintenant que ce détail a été mis en lumière, je vais vous raconter ma rencontre avec cet animal, et ce qui m’a conduit à découvrir le secret dont il était le détenteur. Tout d’abord, je me dois de me présenter à vous : je me nomme Stanley O’Callaghan. Je suis écossais de par mes parents, mais je suis né dans la glorieuse Angleterre, n’ayant gardé de mes origines qu’un léger accent, propice à de petites moqueries de part et d’autre, mais sans réelle méchanceté. Dites-vous que l’accent d’un écossais pour un anglais, c’est comme si vous compariez le goût du Ketchup à la mayonnaise, ou un panaché à une guiness : de loin, son apparence semble identique, mais dès qu’on s’approche, et qu’on découvre le contenu, éloigné de ses propres standards, de ses habitudes, eh bien on ne peut que se surprendre à sourire de notre erreur de jugement. C’est très imagé bien sûr, mais ce n’est pas très éloigné de la réalité, telle qu’on la ressent sur l’instant.

 

Bref, ça c’était pour dire qu’un écossais qui emménage dans un quartier huppé de Londres, au début personne n’y prête attention. Jusqu’à ce qu’il se mette à parler. Et là, les allusions fusent. Elles ne sont pas toutes entendues, fort heureusement, le tact anglais étant loin d’être à toute épreuve, malgré la légende du flegme britannique. Alors, une fois cette étape franchie, l’écossais, qui en plus est célibataire, ce qui rajoute un écueil supplémentaire, eh bien, il se sent un peu seul, sans avoir de voisins avec qui discuter, de canapé et de muffin à partager en regardant un match de football à la télévision entre amis. C’est une solitude qu’on pense pouvoir apprendre à s’habituer, mais qui au bout d’un certain temps finit par vous miner le moral à petit feu. C’est dans cet état d’esprit que j’ai rencontré cette fameuse minette, Shona, en référence à ma défunte sœur. N’y voyez pas une offense à sa mémoire, bien au contraire. Ma sœur était vraiment comme ce chat. Indépendante à l’excès, ne supportant pas qu’on lui dise quoi faire, au caractère bien trempé, comme on dit familièrement. Et dans le même temps, capable d’une tendresse et d’une gentillesse hors-norme pour ceux qui avaient toute son estime. Dont je faisais partie.

 

Shona, le chat, donc, est arrivé un matin dans mon jardin, alors que j’étais occupé à tailler mes haies. Je sais qu’on dit beaucoup de stupidités sur les chats noirs, mais moi, ils m’ont toujours fasciné. Je ne saurais pas dire pourquoi. Je trouve qu’il y a une telle aura qui de dégage d’eux. Et c’était tout à fait ce que j’ai ressenti à l’arrivée de Shona. Il y avait un je ne sais quoi de majestueux dans sa démarche, sa façon de bouger sa queue. C’est bien simple : on aurait presque dit qu’elle était de la famille royale, tellement elle semblait adopter une attitude digne d’une princesse. Une princesse qui n’avait pas son pareil pour obtenir ce qu’elle voulait. Elle se frotta à moi, avec un ronronnement à déplacer les murs. Tournant, virevoltant, passant d’une jambe à l’autre. Pour ceux qui ont l’habitude des chats, vous savez ce qu’une telle attitude signifie. Vous avez le choix entre « Fais-moi un câlin » ou « Donne-moi à manger ». Ce n’est pas vraiment un ordre direct, parce qu’ils n’ont pas le don de parole, mais ça ressemble quand même fortement à une demande sans commune mesure.

 

Alors, je l’ai pris dans mes bras, cherchant dans un premier temps si elle disposait d’un collier ou tout du moins une marque d’appartenance à un quelconque propriétaire. Mais il n’y avait rien. Après s’être frotté quelques secondes, elle est descendue sur le gazon, et s’est dirigé vers la porte de ma maison, miaulant dans sa direction, me donnant l’impression que ce qu’elle voulait, c’était la deuxième phrase citée auparavant. Alors, je suis rentré chez moi, ouvrant la porte, suivie par Shona, faisant comme chez elle. J’ai sorti d’un placard un petit bol où j’ai versé le contenu d’une boite de thon. Elle l’a dédaigné, mais a tout de suite été intéressée par le steak posé sur la cuisinière, que je prévoyais de cuire pour le déjeuner. Après l’avoir sacrifié pour elle m’a lancée un petit miaulement, comme pour me dire « merci », et puis elle est repartie vers la porte, attendant patiemment que je vienne lui ouvrir. Ce petit rituel s’est répété plusieurs jours. Seul changeait la nature du repas. Mais elle ne voulait pas de pâtée, préférant la viande sous différentes formes.

 

De manière identique, elle n’a jamais voulu une seule des marques de croquettes que je lui présentais. Je lui faisais des repas particuliers, rien que pour elle. C’était ma manière à moi de la remercier d’égayer ma solitude. Elle était devenue plus qu’un animal de compagnie. Elle était une amie. Une amie aux mœurs particuliers, cependant, ce dont j’allais m’apercevoir, après quelques jours. J’appréciais beaucoup ses visites, mais j’avais toujours la hantise que son propriétaire débarque un jour, me traitant de tous les noms, parce que je lui avais plus ou moins « volé » son chat, à force de l’avoir habitué à manger chez moi. Un sentiment de culpabilité a commencé à se former ainsi en moi, et je me suis mis en tête de découvrir d’où Shona venait. Ainsi, après son repas habituel, je la suivais discrètement, afin de savoir si oui ou non, elle avait des maîtres. Je n’eus pas à aller très loin en la suivant, puisque je la vis se glisser par la fenêtre de la maison voisine. Depuis mon arrivée, cette maison m’intriguait, sans que je puisse trop savoir pourquoi. Appelez-ça l’intuition… ou la paranoïa, au choix. Mais le fait est que, contrairement aux autres habitants du quartier, je n’avais jamais vu quiconque sortir de cette maison. A se demander si elle n’était pas abandonnée.

 

Il n’y avait jamais le moindre son d’une chaîne Hi-Fi ou d’une radio qui en sortait, ni même celui d’une télévision, de travaux de bricolage, de cris d’enfants. Le vide absolu. J’aurais bien demandé à mes autres voisins si quelqu’un y habitait, mais au vu de ma popularité, c’était peine perdue que qui que ce soit me donne le moindre renseignement, ni même m’adresse la parole. La fierté anglaise n’a pas d’égal. Et à chaque fois, chaque soir, Shona s’adonnait au même parcours. De ma maison à celle-ci, et inversement. Je me demandais de plus en plus s’il n’était pas arrivé quelque chose de grave aux propriétaires, vu que je ne voyais jamais la moindre activité, ni même des lumières s’allumer, émanant de cette demeure où se glissait chaque soir Shona. Cela m’intriguait tellement qu’un soir, je n’y tint plus. Je suivais Shona dans la pénombre du soir, faisant attention que personne ne regardait dans ma direction, et pénétrais dans la maison, en passant par la fenêtre qui servait d’entrée et de sortie à Shona. L’ambiance à l’intérieur était vraiment lugubre, froid. J’eus l’impression d’avoir été propulsé à l’intérieur d’un film d’horreur. Et dans les faits, j’allais vite m’apercevoir que je n’étais pas loin de la vérité.

 

Je continuais à suivre Shona, mais n’étant pas aussi agile et rapide qu’un chat, je la perdis vite de vue dans cette immense maison, qui devait bien faire le double de la mienne. Tout à coup, j’entendis des miaulements venant d’une pièce plongée dans l’obscurité, comme toutes les pièces de la maison. Je sortis mon téléphone portable, et activais la fonction « torche », pour pouvoir mieux me repérer, et ne pas me prendre un mur ou un coin de meuble, et suivis le son des miaulements. Au début, je pensais que c’était Shona, mais le son de ceux-ci étaient différents. Plus aigües, et surtout plus nombreux. Ça ressemblait plus à des cris de chatons. Je me dirigeais à l’oreille vers l’endroit d’où ils provenaient. Au bout de quelques instants, je trouvais un interrupteur, et pus avoir plus de clarté au sein de la demeure. Je voyais Shona à l’encadrure d’une porte, comme si elle m’attendait. Comme si elle voulait me montrer quelque chose. Je m’avançais donc, et à mon arrivée, Shona entra plus à l’intérieur de la pièce. A peine passé le seuil, une odeur âcre se fit sentir, nauséabonde, très forte. Ça ressemblait à une odeur de… viande pourrie, ou tout du moins un produit ayant dépassé la date de péremption depuis déjà un bon moment.

 

Mais ce n’était pas de la viande. En tout cas, pas au sens où on l’entend. Sur le sol, devant moi, je compris soudain pourquoi la maison semblait abandonnée. Un corps inerte gisait sur le sol, parsemé de mouches voletant tout autour. Des asticots grouillaient par endroits sur le corps manifestement en putréfaction. Je ne savais pas depuis combien de temps la personne était morte, mais au vu de l’odeur, cela devait remonter à plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Et personne ne s’était étonné de l’absence de cette personne ? A moins qu’elle ne fût, comme moi, habitué à la solitude. Et Shona devait être son seul réconfort. Mais il n’y avait pas que le cadavre qui était dans la pièce. En tout cas, ce n’était pas le seul. Tout près du corps se trouvait aussi le corps d’un chat, complètement envahi par des insectes de toutes sortes. Et Shona était à côté. J’entendais les miaulement toujours plus forts, mais je ne parvenais pas à savoir d’où ils venaient. Jusqu’à ce que je voie une petite tête poilue et noire sortir du cadavre ! Était-il possible que ces chatons étaient ceux de Shona ? Alors, le chat mort devait être son compagnon. Je commençais à comprendre, en continuant à ressentir le froid de la maison. Shona, de peur de perdre ses petits, les avaient placés dans le seul endroit pouvant dégager de la chaleur entre ces murs : le cadavre de son ancien maître !

 

Ça ne faisait aucun doute. Je m’approchais, tout en masquant mon nez d’un mouchoir pris dans ma poche, tellement l’odeur était à peine supportable. S’il y avait des chatons là-dedans, comment pouvaient-ils supporter cela ? Moi, j’étais à la limite de gerber mes derniers repas… Je me rapprochais un peu plus, malgré tout, et je ne pus que me rendre à l’évidence sur ma théorie. Le ventre de ce qui semblait être un homme assez âgé, montrait un trou prononcé, qui semblait avoir été creusé par les griffes d’un animal. Ce ne pouvait être que Shona. Elle avait pratiqué cette ouverture, et mis ses petits à l’intérieur pour qu’ils aient la chaleur qu’elle ne pouvait leur offrir en suffisance. Il y avait 5 chatons, maculés de sang tous autant les uns que les autres. Mais ce n’était pas la seule horreur. Je vis Shona plonger les dents dans un morceau du corps en décomposition, arrachant un morceau de chair, avant de le mâcher délicatement, puis le recracher à côté des chatons. Ceux-ci se précipitèrent dessus, dévorant la bouillie offerte par leur mère, déchirant chaque parcelle, avant de les engouffrer dans leur gueule. J’avais du mal à croire ce que je voyais. Je comprenais pourquoi elle venait chez moi pour chercher de la nourriture. Elle réservait la « viande » du cadavre pour ses petits, la malaxait pour atténuer sans doute le mauvais goût, ou pour la débarrasser du grouillement des asticots et autres bestioles, en les mélangeant avec le « repas ».

 

Elle-même ne devait pas en consommer, ou alors très peu, de façon à ce que ses petits ne manquent de rien. Ce corps, c’était à la fois leur foyer, leur source de chaleur et leur garde-manger. Le simple fait d’avoir compris cela, je ne pus m’empêcher de vomir dans un coin de la pièce, le plus éloigné possible du cadavre et des chatons. Je restais plusieurs minutes à genoux, tentant de me remettre de ce spectacle à la limite du supportable. Mais ce n’était pas le pire à venir. Alors que je tentais de me remettre sur mes deux jambes, je vis Shona se poster devant moi, me fixant comme jamais elle ne l’avait fait avant, grognant et crachant dans ma direction. Je ne comprenais pas. Avais-je fait une erreur en la suivant ? Si c’était le cas, elle ne m’aurait pas plus ou moins invité à la suivre dans cette pièce. Non, c’était autre chose qui la motivait. Et j’avais peur de comprendre ce que c’était. La viande du cadavre ne devait plus trop être du goût des chatons, et Shona avait besoin de viande fraîche pour ses petits.

 

Était-il possible qu’elle ait eu assez d’intelligence pour élaborer un tel stratagème ? M’amadouant petit à petit, faisant en sorte que je la voie aller vers cette maison, espérant que je la suive dans son piège ? Etait-ce la consommation de viande humaine qui avait développé son cerveau de cette manière ? J’avais déjà entendu parler de l’évolution horizontale génétique dans un magazine scientifique. Il était indiqué que dans certaines conditions extrêmes, et selon certains animaux dotés de gênes particuliers, ceux-ci étaient capables d’assimiler quelques-unes des aptitudes de ses proies en les ingérant. Cela formait une sorte de déstructuration de l’ADN propre à l’animal. En l’occurrence, aussi improbable que cela pouvait être, Shona, en mangeant de la viande humaine, avait vu son cerveau évoluer vers un stade supérieur à son espèce propre. Devenant une sorte de mutant. Et elle comptait bien que ses chatons fassent de même. Pour qu’ils survivent. Et surtout, maintenant que j’étais tombé dans son piège, c’était moi sa proie. Je la voyais grogner de plus en plus, sortant les griffes à toutes ses pattes, relevant son dos, en forme d’attaque. Je n’arrivais pas à croire qu’il s’agissait de la même Shona à qui je donnais des caresses il y avait encore quelques jours. Tant bien que mal, je tentais de me relever, mais Shona me sauta dessus au même instant, me griffant de partout, visant mon visage, mes mains, mes bras. Puis elle planta ses crocs dans ma gorge, ce qui me fit ressentir une douleur extrêmement forte. J’essayais de mettre Shona à terre, mais elle s’accrochait de plus belle, resserrant encore plus son emprise sur ma gorge, dont le sang coulait en abondance.

 

Si je ne me défaisais pas très vite de ses crocs sur ma gorge, je deviendrais comme le cadavre sur le sol. Peut-être même que lui aussi avait été sa victime ? Peut-être qu’il y avait un autre cadavre dans la maison, dans une autre pièce ? Je savais combien cette situation semblait tout droit sorti d’un scénario de Rod Sterling, mais là, je n’était pas dans la 4ème Dimension. Ce que je vivais était bien réel. Puis, j’eus un éclair de lucidité, bien que l’idée même me répugnait, car elle allait m’obliger à commettre un acte qu’un amoureux des animaux tel que moi ne pouvait pas concevoir. Mais si je ne voulais pas finir en casse-croûte pour chat et chatons anthropophage, je n’avais pas le choix. Même si ça signifiait également pour moi de me faire très mal dans le même temps. Je devais cependant m’y résoudre si je voulais survivre aux morsures de Shona, qui plongeait ses crocs dans ma gorge toujours plus profondément. 

 

Alors, je lançais mon corps vers le mur avoisinant, écrasant mon visage contre celui-ci, afin de faire lâcher prise à Shona. Encore…. Encore… Toujours plus fort, me brisant la mâchoire inférieure, voyant une partie de mes dents tomber au sol, une à une. Mes yeux se tuméfiait de plus en plus, virant au bleu, puis au noir. Je commençais à ne plus voir grand-chose, mais je devais continuer. Je sentais que Shona lâchait prise. Faiblement, mais elle donnait des signes de fatigue. Je ne pouvais pas voir dans quel état elle était, mais elle ne devait pas être très belle à voir elle non plus. Je continuais à frapper mon corps et mon visage encore plus fort, quitte à ressembler à un tableau de Picasso par la suite, et ne plus jamais ressembler à quelque chose d’humain. Au prix d’un énorme effort, je lançais une « attaque » plus violente que les autres. Ce fut payant : Shona lâcha finalement prise, et tomba au sol. Je ne sentais plus la pression de ses crocs sur mon cou, mais le sang continuait à couler. Je me laissais alors glisser le long du mur, le visage en lambeaux, pouvant à peine voir ce qui se passait autour de moi. C’était tout juste si je pouvais tourner le cou, tellement la douleur en émanant était insupportable. Je déplaçais mes jambes endolories, tremblantes à cause de la peur et du stress orchestrée par l’attaque de Shona. Et là je vis que Shona était affalé sur le sol. Elle ne bougeait plus. En tout cas, à première vue.

 

J’avançais à genoux vers elle, histoire de vérifier si elle était toujours en vie. Elle était totalement inerte, et je ne voyais aucun mouvement venant de son corps, que ce soit ses pattes, sa gueule ou ses oreilles. Je mettais ma main sur son cou, espérant trouver un pouls, m’indiquant que je n’étais pas responsable de la mort d’un animal. Mais je devais me rendre à l’évidence : Shona était bel et bien morte. J’étais sauf, mais à quel prix ! Et puis, mon regard se posa vers le cadavre plus loin. 2 chatons en étaient sortis, reniflant l’air, s’approchant du corps de leur mère peu à peu.

 

Moi qui pensais être sorti de l’enfer, celui-ci continuait de plus belle. Les 2 chatons mordait leur mère, croquant ses oreilles, son corps, arrachant de petits lambeaux de sa chair, avant de s’en délecter. Sans doute attiré par le bruit de mastication de leurs frères, les autres chatons sortirent à leur tour du cadavre qui leur servait de panier, se dirigeant eux aussi vers le corps de leur mère, où étaient déjà affairés les autres membres de la portée. J’étais horrifié par le spectacle qui s’offrait à mes yeux. Bientôt, les 5 chatons dévoraient, au sens véritable du terme, celle qui leur avait donné la vie, celle qui les nourrissait de leur régime particulier, cette mère que je venais de transformer involontairement en rien de plus qu’un morceau de viande pour ses petits.

 

Je crus que je vivais un cauchemar vivant dont je ne parvenais pas à me réveiller, et dont je ne connaissais pas l’issue. Je n’osais même pas les empêcher de continuer leur repas, de peur qu’ils me choisissent pour cible. Il valait mieux attendre qu’ils soient rassasiés. Cela prit bien 2 heures, avant que ceux-ci soient repus, et laissent ce qui restait de leur mère à la merci des mouches et autres insectes nécrophages. Je parvenais à me relever sur mes jambes péniblement, m’appuyant sur le mur, puis sur un meuble à chaussures, situé à proximité. Je commençais à me diriger vers la sortie de la pièce, quand je posais les yeux en arrière. Sans doute n’aurais-je pas dû, car derrière moi, je voyais les chatons, positionnés sur leurs pattes arrière, m’observant, comme pour me demander ce qu’ils allaient devenir maintenant que leur mère ne serait plus là pour les nourrir, une fois toute sa viande consommée. Ils avaient beau être « particuliers », ils n’en restaient pas moins des chatons, et je ne pouvaient pas les abandonner à leur sort. Ils étaient trop petits pour pouvoir atteindre une fenêtre et sortir, et si je les aidais à ça, ils seraient incapables de se débrouiller seul dehors. Incapables de chasser des proies à leur taille, et pouvant devenir les victimes de petits cons, aimant martyriser plus petits qu’eux, ou éventrés par un chien errant.

 

Je retirais alors mon tee-shirt, et, malgré la douleur, je m’accroupissais, étalait le vêtement au sol, avant d’y envelopper les chatons. Puis, je repartais, reprenant le chemin inverse, les chatons dans mes bras, dans le tee-shirt, afin de revenir dans ma maison. Le soir même, je donnais un coup de fil anonyme à la police, pour qu’ils puissent venir récupérer le cadavre du propriétaire du 52, Byam Street, avant de raccrocher, pour ne pas que mon appel soit repéré. Si la police m’avait vu dans mon état, elle aurait forcément eu des soupçons. Bien sûr l’heure de la mort du cadavre aurait joué en ma faveur, et j’aurais sûrement été innocenté, mais cela aurait pris un temps fou, et mes finances ne me permettaient pas de prendre un avocat. Quant à dire la vérité… Personne n’aurait cru mon histoire de chat mangeur de viande humaine, aussi intelligent qu’un homme, et capable de stratégie. Ni que j’avais dû me ravager le visage pour me défaire de son emprise. Franchement, qui croirait un truc pareil ? Sans compter que ça me ferait une « publicité » dont je n’avais vraiment pas besoin. Alors je n’ai rien dit de plus que les prévenir anonymement. Je me suis soigné, restant plusieurs jours sans sortir, pour éviter les questionnements que ne manqueraient pas de se faire les habitants du quartier s’ils m’avaient vu dans mon état.

 

Je mis une pancarte sur ma porte « Parti en voyage ». Comme mes voisins ne s’occupaient pas d’un petit écossais dont ils se foutaient royalement, j’étais tranquille. Et comme je n’avais pas de voiture, l’excuse du voyage, les volets baissés, les portes fermées, ça rajouterait au mensonge, et personne ne chercherait plus loin. Quant aux chatons me direz-vous ? Eh bien, ils ont finis par s’habituer à autre chose que de la viande humaine, à force d’efforts. Mais ils refusent catégoriquement croquettes et pâtée pour chats, exactement comme l’était leur mère. Ils ne veulent que des biftecks, des entrecôtes ou assimilés… Crus. Tant qu’ils ont à manger, je sais que je ne crains rien, et d’ici quelques semaines, mes blessures seraient guéries, et je pourrais reprendre une vie normale. Et leur acheter régulièrement de la viande rouge. Pas de poisson. Ils n’en veulent pas non plus. J’espère qu’à force de ce régime, ils perdront le goût de la viande humaine, mais comment en être sûr ? Seul un manque de viande pourrait me donner la réponse. Mais je ne prendrais pas ce risque de les mettre dans cette situation, pour les voir parvenir à s’échapper de la maison, et chasser par eux-mêmes.

 

Il y a autre chose qui m’inquiète : j’ignore si c’est le fait de l’évolution ou quoi que ce soit d’autre venant du fait d’avoir consommé leur mère, mais je trouve qu’ils ont une taille anormalement élevé pour des chatons. Ils n’ont que 4 mois, et ils sont déjà aussi gros qu’un caniche. Je n’ose imaginer quelle taille ils feront à l’âge adulte… Ni de quelle quantité de viande ils auront besoin à ce moment-là. Et surtout, si je pourrais les empêcher de choisir leur repas….

 

Publié par Fabs

26 avr. 2021

COMPLAINTE POUR UN JEUNE MONSTRE (Partie 3)


 


Au fur et à mesure qu’on apprenait à se connaître, Svetlana et moi, on s’est découvert des affinités bien plus importantes que je ne l’aurais cru de prime abord. Sa passion pour la nature était étonnamment élevée pour un être humain. Enfin, en tout cas, par rapport à ce que je savais, de par les livres lus, les émissions visionnées sur cette petite boîte, la TV, que j’avais découvert chez Irina et Nastya, ou tout simplement par ce que j’avais vu des différents types d’humains rencontrés lors de mon épopée. Que ce soit au tout début, alors que je me cachais encore d’eux, les observant en silence, caché en hauteur d’un arbre, ou bien après les évènements qui s’étaient déroulés à la ferme, rencontrant une multitude d’hommes et de femmes, dont le rapport avec la nature se constituait d’un mépris évident et prononcé. En tout cas, de mon point de vue. Mais chez Svetlana, c’était tout le contraire. Je me rendais compte chaque jour un peu plus cette facilité qu’elle avait, au contraire de tous ceux de son espèce rencontrés jusqu’à présent, de se fondre en elle, de se faire adopter par elle-même.

 

Je n’avais jamais vu une telle communion entre les 2. Il y a encore quelques mois de ça, j’aurais pensé qu’il était impossible qu’un être humain puisse avoir une telle magie dans ce domaine. Et le mot magie n’est pas peu dire. Même les animaux les plus sauvages n’avaient pas peur d’elle, se laissant approcher, là où ils me craignaient plus qu’autre chose. Certains se laissaient même caresser la tête, lui laissant plonger ses doigts dans leur pelage. Le vent utilisait sa faculté pour glisser sur ses cheveux à l’aide des branches des arbres. J’aimais beaucoup ces moments d’ailleurs : ces instants où sa chevelure flottait dans les airs à l’occasion d’une bourrasque, révélant sa nuque, irradiant son visage plein de joie de vivre. Elle était complètement différente de ce que j’avais connu jusque- là. Elle était tellement en phase avec ce qui l’entourait que plusieurs fois je me suis posé la question si elle n’était pas Wicca sans le savoir. Mon père m’avait parlé de ses propres parents, en particulier sa mère, qui était une pure Wicca. Il m’avait évoqué les pouvoirs qui l’habitait, sa facilité de comprendre le langage des arbres, le mouvement des insectes, le vol des oiseaux et leur signification, le bruissement des feuilles, comme si ceux-ci communiquaient avec elle. Je me souvenais de ce qu’il me disait souvent d’elle :

 

« Je voyais ma mère comme une magicienne plus qu’autre chose. Capable de créer les potions les plus incroyables, sans pour autant oublier de demander la permission d’utiliser les ingrédients dont elle avait besoin à cette nature qui l’appréciait. Son vrai pouvoir, c’était celui-là, bien plus que ses facultés magiques : une complicité unique et sans borne avec tous les éléments que l’on avait autour de nous. En la voyant, je comprenais tellement pourquoi mon père était tombé amoureux d’elle »

 

C’était exactement la sensation que je ressentais en la voyant virevolter au milieu des arbres, des champs de fleurs que nous traversions, des branches auxquelles nous nous accrochions pour rejoindre la cabane située en hauteur d’un arbre, créée par mes racines. Ou bien lors de nos jeux où je découvrais un autre aspect de moi que je ne connaissais pas avant ma rencontre avec elle :

 

« Alors, tu viens l’escargot ? Regardez-moi ce balourd qui veut jouer les protecteurs, mais qui n’est même pas capable de faire plus de 3 pas à la minute »

 

« Ce… Ce n’est pas vrai…. Je…. Je ne suis pas si lent que ça… »

 

Après quoi, elle éclatait de rire, avant de venir vers moi, un grand sourire enveloppant son visage :

 

« Je le sais bien, grand dadais. Je disais ça pour te taquiner. Il va falloir que je t’apprenne l’humour… C’est quelque chose que tu as encore du mal à assimiler »

 

Et là, je ne pouvais pas m’empêcher de baisser les yeux. Pas parce que j’étais vexé de ses propos. Mais parce que je ressentais des choses curieuses quand elle s’approchait de moi de cette manière. Des choses que je ne comprenais pas toujours très bien. Mes racines ses serraient en moi, je sentais mon corps ne plus m’obéir, comme s’il se figeait sur place, me donnant l’impression d’imiter les arbres de la forêt, me faisant même oublier la meilleure manière de parler, bafouillant comme un nouveau-né :

 

« Je… Je suis désolé…. Mon père ne m’a appris ça, c’est vrai…. Ça ne faisait pas partie des priorités… »

 

« Des priorités ? » me disait-elle en s’esclaffant davantage. « J’ai l’impression que la notion de vie de ton père étaient assez vieux-jeu. Sans vouloir salir sa mémoire. Jamais je ne me permettrais ça. Tu le sais »

 

Je la regardais, toujours peiné, toujours en ayant du mal à la regarder dans les yeux, car je savais ce que cela déclenchait en moi à chaque fois que je le faisais.

 

« Non… Ne t’inquiète pas… Je… Je sais bien que tu n’es pas comme ça… »

 

Elle s’approchait alors de moi, me fixant des yeux, posant ses mains sur mes joues, comme pour être sûr que je la regarde :

 

« Merci, Viktor. Tu sais, plus j’apprends à vivre avec toi, plus je me rends compte que tu plus humain que les humains. Tu es unique… Et c’est ça que j’aime chez toi… »

 

Et comme à chaque fois dans ces moments-là, la couleur de mes racines passait de l’ocre au vert pâle, et des fleurs éclosaient un peu partout sur mon corps, ce qui la faisait sourire à nouveau :

 

« Il faut absolument que tu me dises comment tu fais ça. Est-ce que ce serait moi qui te fais cet effet ? »

 

Je tentais de détourner le regard, ne sachant pas quoi répondre.

 

« Non… Enfin… Oui… Je… Je ne sais pas… »

 

« Ne t’excuse pas. Tu es encore plus beau comme ça. Je ne sais toujours pas ce que tu es exactement, mais pour moi, tu es la plus belle des créatures de ce monde »

 

Voyant ma gêne, elle ne pouvait se retenir de sourire à nouveau, avant de s’éloigner, non sans avoir déposé un baiser sur mes semblant de joues, faites de racines, d’humus et de feuilles. Mon père m’avait expliqué qu’un jour, je ressentirais quelque chose de différent envers une certaine catégorie d’humain : les femmes. Que cela s’appelait l’amour. Et quand je lui demandais comment je saurais que c’est ça, il me répondait :

 

« Il m’est impossible de te dire comment. Tu le sauras, c’est tout. Tu sentiras un changement en toi, à mi-chemin entre l’excitation et la gêne. Un moment où tu sentiras tout ton corps te dire, à sa manière, que tu as trouvé ce qui te manquais : une âme sœur. J’ignore si tu la trouveras un jour, mais tu le sauras quand tu ressentiras ces émotions en toi. Tu peux en être certain »

 

Et à bien y réfléchir, je pense que c’est exactement ce dont voulait me parler mon père. Ce moment particulier où je sentais mon corps refusant de fonctionner normalement, à cause de ce que je ressentais. Etait-ce à cause de sa relation avec la nature, pareille à la mienne, malgré son humanité ? Ou bien tout simplement parce qu’elle était elle, avec toute sa fougue, sa gentillesse, son espièglerie unique. Elle était la réponse aux questions que je me posais à cette époque où mon père était encore de ce monde. Il me manquait tellement. Nastya aussi me manquait terriblement. Pourquoi fallait-il que ce soit toujours les personnes les plus chères qui partent en premier ? Mais maintenant, il y avait Svetlana. Je sentais qu’elle seule était capable d’assécher les larmes en moi. Mais en même temps, c’est ce même sentiment qui allait la transformer. Je ne le découvrirais que plus tard, grâce au livre qu’elle m’avait offert. Celui donné par sa mère. A l’intérieur, il était évoqué les particularités d’une fleur bien précise. Une fleur aux vertus qui pouvait être dangereuse pour un être humain, à forte doses, ou tout du moins, en quantité régulière. Une fleur que j’avais sur moi. Elle faisait partie de celles qui éclosaient à chaque fois que Svetlana me souriait, s’approchait de moi si près que tous mes sens ne m’obéissaient plus. Sans le savoir, cette réaction de mon corps allait une nouvelle fois détruire ce que j’aimais. A cause de cette partie de moi, capable d’agir sur le cerveau humain, modifiant son fonctionnement, accentuant les parties sombres qui le composait, Svetlana allait devenir une autre personne que celle que j’appréciais tant. La faisant évoluer vers quelque chose de terrifiant.

 

Je ne m’aperçus pas immédiatement des effets de cette fleur sur Svetlana. Mais je vis peu à peu son comportement changer, sans que je puisse me l’expliquer. D’un point de vue général, elle était toujours elle, toujours prête à m’aider à punir les humains coupables des pires agissements envers cette nature dont nous étions devenus, en quelque sorte, les gardiens, les protecteurs. Mais elle devenait plus violente à chaque fois. En la laissant participer aux expéditions punitives, annihilant les pollueurs, les destructeurs de vie qui croisaient notre chemin, j’ai sans doute fait la plus grosse des erreurs. Mais comment aurais-je pu savoir à ce moment que j’en étais la cause ? Je voyais ses yeux à chaque fois qu’elle achevait un homme ou une femme. Elle prenait de plus en plus de plaisir à le faire. J’étais même parfois obligé de l’arrêter quand elle ne parvenait plus à maitriser ses pulsions meurtrières. Je ne comprenais pas ce qui lui arrivait. Autant elle pouvait être l’image même de la douceur en ma présence, autant en voyant des humains, elle n’était plus que l’incarnation de la vengeance pure. Pour ma part, j’étais parvenu à maîtriser cette colère en moi, afin de ne pas me perdre, sans pour autant faire preuve de pitié envers mes victimes. Mais Svetlana, c’était autre chose. Elle parvenait de moins en moins à réfréner son goût du sang dans ces moments, tuant, le sourire aux lèvres, léchant les blessures des corps qu’elle venait de mutiler. On aurait dit une créature d’un autre monde, plus que la Svetlana que j’avais appris à apprécier… et à aimer. Même si je savais que je serais incapable de lui dire ce que je ressentais pour elle. Sans doute par peur de briser cette relation entre nous. Cette même peur qui me faisait parfois hésiter à stopper sa violence exacerbée.

 

« Svetlana ! Tu n’as pas besoin de t’acharner sur cet homme… Il est déjà mort… Il a été puni pour ses actes… Pas la peine d’en rajouter… »

 

Les yeux injectés de sang, Svetlana semblait ne pas comprendre mes paroles :

 

« Je ne suis pas d’accord ! Cette ordure a mis le feu dans le terrier de cette adorable famille de renard. Tout ça pour les faire sortir et les tuer. Pourquoi je devrais avoir de la compassion pour lui ? Pourquoi je ne devrais pas le réduire en bouillie ? C’est ce qu’il aurait fait s’il avait réussi sa chasse ! »

 

« Svetlana… Je… Je ne te reconnais plus… Pourquoi est-tu devenue si violente ? Tu n’étais pas comme ça… Qu’est-ce qui a changé en toi ? »

 

Elle me regardait, remplie d’incompréhension :

 

« Moi ? Mais je n’ai pas changé ! Je suis toujours la même ! Je suis même mieux qu’avant ! Je ne saurais l’expliquer, mais je me sens plus forte qu’avant… Toute cette haine que je cachais… Je peux maintenant l’exprimer ouvertement… Et c’est grâce à toi, Viktor ! »

 

A ces mots, je ressentis comme une impression de déjà-vu. La sensation d’avoir changé un être doux et adorable en une machine à tuer implacable. Bien pire que je ne l’avais jamais été. Toutes les fois où j’ai dû tuer, je ne ressentais aucun plaisir, aucune euphorie après coup. Si ce n’était la satisfaction d’avoir rayé de la surface de la terre un être méprisable. Mais Svetlana, elle, ressentait du plaisir en tuant, en mutilant, en éviscérant à l’excès. Arrachant parfois le moindre boyau, écorchant toute la peau d’un visage, découpant avec minutie des doigts, des bras, des jambes… Enucléant les femmes, offrant les parties génitales des hommes aux carnivores de la forêt. Elle n’était plus Svetlana. Elle était… un monstre. Je sais ce que vous vous dites. Utiliser ce terme, moi, Viktor, ça peut paraître assez ironique. Mais c’est vraiment pour que vous compreniez à quel point Svetlana avait changée. De la pire des façons. Mais ce n’était pas le seul souci auquel j’allais être bientôt confronté. Un problème qui allait rappeler à mon souvenir certains de mes actes passés. Me rappeler le jour où j’ai tué la première fois, quand ces voleurs sont venus dans notre maison, à mon père et moi. Me rappeler le jour où Nastya m’a demandé d’arrêter Irina par tous les moyens. Me rappeler enfin ce moment où ma fureur destructrice à éradiqué, non seulement Irina, mais aussi les hommes qui ne faisaient qu’obéir à ses ordres.

 

J’ai tenté quelque fois de me demander pourquoi le destin mettait sans cesse sur ma route des éléments propres à me faire souvenir ce dont je ne voulais pas qu’ils reviennent en surface. Eliminer des pollueurs, des humains n’ayant aucune empathie pour la nature qu’ils ravageait ne m’a jamais posé de problème de conscience. Car je savais qu’ils le méritaient. Ceux qui avaient tiré sur mon père, eux aussi, ils le méritaient. Irina également. Surtout Irina. Mais ces hommes qu’elle avait manipulés, c’était différent. Eux n’avaient rien fait. Et je les avaient massacré aussi. Et c’est cela qui allait se rappeler à moi, et m’entraîner vers une boucle sans fin, où mes actes passés seraient l’origine des conséquences à venir. Sous la forme d’un policier, Sergueï, chargé d’enquêter sur le massacre perpétré à la ferme. En tout cas, je pensais qu’il ne s’agissait que d’une simple enquête. Mais c’était bien plus complexe que cela. C’était les prémices d’une tragédie. Mais avant cela, j’ai cherché à comprendre le mal évident dont souffrait Svetlana

 

« Svetlana, dis-moi… Pourquoi tu es dans cet état… A chaque fois que tu tues quelqu’un ? »

 

Elle me regardait d’un air peiné, comme une enfant qui vient de se faire réprimander pour une bêtise :

 

« Pour dire la vérité, je ne sais pas… En temps normal, je suis toujours la Svetlana que tu as connue, Viktor. Mais dans ces moments-là…. Je perds le contrôle… C’est comme si une voix en moi me disait de ne pas m’arrêter à simplement tuer… Comme le tueur qui m’a privé de mes parents… »

 

Elle parlait rarement de ce moment, car je savais que cela la faisait beaucoup souffrir. Cela ravivait la perte de ses parents.

 

« Tu veux parler de cette fusillade ?... Celle qui t’as décidé à t’enfermer en toi ? »

 

Elle releva la tête, les yeux emplis de larme à cette évocation

 

« Oh… Je… Je suis désolé… Je ne voulais pas te rappeler ça… »

 

« Non… Ne t’en veux pas… C’est moi qui en ai parlé la première… Tu n’as pas à t’en vouloir pour ça, Viktor… »

 

« Tu sais, Viktor… Je me suis souvent demandé qu’est-ce qui avait bien pu pousser cet homme à tuer… Aujourd’hui, je pense avoir une partie de la réponse, parce que c’est ce que je vis actuellement…. Et je ne peux pas l’empêcher. Je ne sais pas pourquoi je fais ça… »

 

Je vis Svetlana tomber en larmes, et je ne savais pas quoi faire pour la consoler. J’ignorais les gestes qu’il fallait effectuer… Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que je l’avais vu en images, ou dans des livres, mais je me suis rapproché d’elle. Je lui ai relevé la tête, essuyant ses larmes, puis je l’ai pris dans mes bras, la serrant fort. Sur l’instant, il me semblait que c’était ce qu’il y avait de mieux à faire. Elle a continué à pleurer, la tête sur mes épaules, pendant que j’essayais de trouver des paroles rassurantes :

 

« Ne t’inquiète pas…Svetlana…On trouvera pourquoi tu es devenue ainsi…Je trouverai le moyen de te guérir… »

 

« Et s’il n’y a pas de moyen ? Si j’étais comme lui ? Comme celui qui a tué mes parents ? Être une meurtrière au nom d’une justice me convient tout à fait. Sinon, je ne t’aurais jamais demandé de t’accompagner. Mais de cette manière-là… Ce n’est pas moi… Ce n’est plus moi… »

 

Je continuais à la serrer fort, espérant trouver une solution, espérant tenir ma promesse de l’instant. Un peu plus tard, Svetlana s’endormit. Les émotions de ce jour l’avaient épuisée, et elle est tombée dans le sommeil très rapidement. C’est à ce moment, en mettant une couverture sur elle, que je découvris qu’une des fleurs me parsemant lançait une sorte de gaz en direction de Svetlana. Je ne m’étais jamais rendu compte de ce fait avant. Sans doute parce que les autres fois, cela se faisait quand j’étais en position debout, et cette action devait être plus ou moins invisible de cette manière. Un doute me vint alors. Si c’était ce gaz qui était à l’origine du mal de Svetlana ? Je me souvenais, en feuilletant le livre offert par elle, que j’avais eu la surprise de voir cette fleur qui éclosait parfois sur mon corps, évoqué dans le livre. Voulant en avoir le cœur net, je vérifiais. Et mes doutes se sont alors transformés en certitude. Le pollen de cette fleur était un puissant stupéfiant naturel. Une sorte de drogue qui s’immisce à travers les pores de la peau, se faufilant jusqu’au sang, le contaminant, et une fois parvenu au cerveau, était capable de faire se réveiller des zones mortes de ce dernier. Là où était enfermé parfois des pulsions déjà présentes à la naissance, des dégénérescences incontrôlables. Svetlana avait raison finalement. En tout cas en partie. Elle devait avoir ces pulsions en elle dès le départ. Mais c’est le pollen de cette fleur qui les avaient réveillées. Mais ce qui m’horrifiait, c’était que j’en étais la cause. C’est moi, par les sentiments que j’éprouvais pour elle, qui avait fait éclore ces fleurs l’ayant contaminée. C’est moi qui l’avait fait devenir cette criminelle horrible. Moi qui l’avait transformée…

 

Après un moment d’absence en découvrant cela, j’arrachais toutes les fleurs, les bourgeons qui parsemait mon corps. Celles qui m’étaient inaccessibles, placées dans le dos ou la nuque, je demandais aux insectes présents de les détruire en les dévorant. Cela ne prit que quelques minutes pour débarrasser mon corps de ce mal. Mais quelque chose en moi me disait qu’il était trop tard. Depuis le temps que Svetlana avait subi cette contamination, les effets devaient être devenus proches d’un état irréversible. La seule solution serait de l’empêcher de tuer dans nos actions, mais même ça semblait inconcevable. Le simple fait de l’excitation de tuer suffisait à déclencher le phénomène. Je ne savais pas quoi faire. Est-ce que je devais lui dire ? Devais-je lui avouer qu’elle ne reviendrait jamais telle qu’elle était ? Impossible. Cela la ravagerait encore plus de savoir qu’il n’y avait pas d’échappatoire. Je me torturais l’esprit une partie de la nuit. Puis, rongé par la fatigue, je m’endormis aussi, me promettant intérieurement de réfléchir ultérieurement à la meilleure attitude à adopter envers Svetlana, et surtout savoir si je devais la tenir au courant, ou lui cacher ce que j’avais découvert…

 

Quelques jours plus tard, un tournant inattendu de ma vie avec Svetlana allait arriver. Je vous ai parlé de ce policier, Sergueï. Il avait été chargé de trouver le ou les auteurs du massacre de la ferme. Et plusieurs indices l’avaient amené à penser que les « disparitions » nombreuses dans la région avaient un lien avec celui-ci. D’abord parce qu’elles avaient toutes eu lieu près d’une forêt. Pas toujours la même, car Svetlana et moi nous déplacions souvent. Et surtout, nous ne pouvions pas effacer toutes les traces de nos victimes. En grande partie dû à la frénésie meurtrière de Svetlana. Certains « morceaux » ou taches de sang nous ayant échappés, malgré notre propension à nous débarrasser des corps, pour ne pas attirer l’attention. Mais nous n’étions pas des professionnels de ce genre de chose, et forcément, un œil aguerri comme Sergueï ne pouvait manquer de les trouver. C’est ainsi qu’un matin, nous nous sommes trouvés nez à nez avec le fameux Sergueï. Nous étions à  peine endormis au pied d’un arbre quand ses cris nous sont parvenus :

 

« Levez-vous tous les deux ! Les mains en évidence ! Et pas de gestes brusques ! »

 

Surpris de ce réveil inhabituel, d’autant plus que la discrétion de Sergueï pour avancer dans la forêt, trahissant sans doute un passé militaire ou quelque chose d’assimilé, ne nous avait pas permis d’anticiper sa venue, et bien que je ne craignais pas les armes humaines, je m’exécutais. Plus par désir de protéger Svetlana, qui, elle, n’avait pas mes facultés qu’autre chose. Et surtout, je voulais savoir si quelqu’un d’autre risquait de venir en plus de lui. En nous mettant debout, après que j’ai réveillé Svetlana, Sergueï ne put étouffer son étonnement :

 

« Putain de merde ! T’es quoi toi ? Jamais vu un monstre pareil ! »

 

Je tentais de discuter :

 

« Ecoutez… Nous ne vous ferons pas de mal… Mais baissez cette arme…Dans votre propre intérêt… »

 

Svetlana renchérit :

 

« Ouais, ça vaut vraiment mieux pour vous ! Vous ignorez de quoi on est capable… »

 

« Non, mais je rêve ! Vous me menacez ? Vous tenez vraiment à ce que je vous flingue ? »

 

« Je vous en prie… Je ne veux pas vous faire de mal… Sauf si vous ne me laissez pas le choix… »

 

« La ferme, la plante sur pattes ! Et dis à ton esclave de ne pas tenter une connerie »

 

Svetlana s’offusqua :

 

« Attends un peu… C’est moi que tu traites d’esclave ? T’as vu ça où ? Viktor et moi on est partenaires… Et il vaut mieux pas nous énerver, le flic… »

 

Sergueï sembla s’amuser de cette dernière réplique :

 

« Partenaires ? J’aurais tout entendu… Rien à foutre de ta vie ! J’ai jamais cru au surnaturel, je pensais que tout ça c’était des conneries… Mais là, je dois avouer que j’ai jamais vu un truc comme toi, la plante ! Mais qu’importe ! La ferme de Vrobnik, ça vous dit rien peut-être ? »

 

Svetlana et moi, on se regarda. Je lui avais parlé de ce qui s’était passé là-bas, comme de tout ce qui me concernait d’ailleurs. Tout comme je n’ignorais rien de son passé. Alors, voilà quelle était la raison de la présence de ce policier ici.

 

« Attendez… Je vais vous expliquer… Vous ne savez pas ce qui s’est passé… »

 

« Rien à foutre je te dis ! Vladimir m’a dit de te chercher, et avec ce qu’il me paie, hors de question que je vous laisse partir. Alors, tes excuses, tu peux te le mettre où tu veux. Par contre, il m’avait pas dit qu’il y avait une fille avec toi ! »

 

Je voulus intervenir à nouveau, mais je ne pus pas empêcher le mal en Svetlana de se réveiller à nouveau, à cause de la colère ressentie. Elle fonça vers le policier, telle une furie. Sergueï tira plusieurs fois, mais Svetlana avait appris à éviter ce genre d’attaques aisément. D’autant plus qu’il devenait évident que Sergueï était plus paniqué qu’il voulait le montrer, et incapable d’ajuster ses tirs. Cependant, je craignais qu’une des balles finisse par atteindre Svetlana, et je déployais mes racines vers Sergueï, tout en demandant aux arbres avoisinants d’enserrer le policier, afin de le désarmer.

 

« Et merde ! C’est quoi ça encore ? Les arbres sont vivants ? Vladimir m’a pas parlé de ça non plus ! Putain ! Lâchez-moi, enfoirés ! »

 

« Svetlana ! Il est immobilisé ! Laisse-le tranquille ! »

 

Mais Svetlana ne m’écoutait pas, et elle arriva à la hauteur du policier, arrachant les branches et racines qui l’enserrait, ce qui me provoqua une énorme douleur. Elle commençait à  lui serrer la gorge, mais celui-ci parvint à se libérer de son emprise, et après une empoignade entre les deux, il réussit à récupérer son arme tombée au sol.

 

« Bon, ça suffit maintenant ! La plante là-bas ! Je tiens ta copine ! Alors, rends-toi sans discuter ! Sinon, j’hésiterais pas à la buter ! Vladimir ne m’a demandé que de te ramener toi ! Elle, elle est pas indispensable ! »

 

Et alors que je m’apprêtais à lancer une nouvelle attaque végétale, je vis soudain Svetlana se tordre au sol, en proie à une douleur envahissant sa tête. A tel point que Sergueï, paniqué, la lâcha. Svetlana criait, sans que je sache pourquoi :

 

« Ma tête ! Je sens qu’elle va exploser ! J’ai mal ! J’ai trop mal ! Viktor ! Aide-moi ! »

 

Je ne savais pas quoi faire. Svetlana était recroquevillée sur elle-même, la couleur de son visage parsemé de froncements, passant au rouge presque vif, pendant que Sergueï ne semblait pas comprendre :

 

« Qu’est-ce qu’elle a ta copine ? C’est une technique à vous, ou elle déconne pas ? »

 

« Ce… Ce n’est pas une simulation… Mais ce serait trop long à vous expliquer… Aidez-la… S’il vous plait… Je ne supporte pas de la voir ainsi… »

 

« Je suis flic moi, pas médecin… »

 

Il s’interrompit un instant…

 

« Par contre, Vladimir, lui, pourrait sûrement faire quelque chose… Fais ce que je te dis de faire, et je te promets que je l’emmène aussi pour qu’il essaie de la soigner… Le deal te convient ? »

 

J’étais désemparé… Je ne pouvais pas aider Svetlana. Alors, si ce Vladimir le pouvait, je n’avais d’autre choix que d’accéder à la demande de Sergueï

 

« Très bien… Je… J’accepte le « deal »… Que voulez-vous exactement ? »

 

Sergueï sourit, apparemment trop heureux que la situation ait tourné à son avantage.

 

« Ok, la plante. Je vais te dire ce que Vladimir m’a dit de faire… Mais au vu de la situation, tu vas le faire toi-même… ça sera encore plus simple pour moi »

 

Je hochais la tête, pour dire que j’acceptais ses conditions, du moment que Svetlana ne puisse plus souffrir, l’entendant encore crier de douleur :

 

« D’accord… Que dois-je faire ? »

 

Sergueï sourit à nouveau :

 

« Arrache le cristal de ta tête ! »

 

Je ne pouvais pas cacher ma surprise. Comment lui et Vladimir pouvaient-ils être au courant  de la présence de mon cristal ?

 

« Tu as bien entendu ! Enlève ton cristal, et j’emmènerai ton corps et ta copine auprès de Vladimir ! Je n’ai qu’une parole ! »

 

Dépité, et regardant à nouveau Svetlana, refusant de la voir souffrir plus encore, ou pire, la voir mourir sous mes yeux, je rapprochais ma main droite de ma tête, creusant petit à petit sa surface de racines et autres éléments végétaux qui la constituait, afin d’agripper le cristal qui était en son centre. Je savais qu’en faisant ça, je mourrais fatalement. Sans possibilité de retour en arrière. Mais avais-je le choix ? Si je ne le faisais pas, Svetlana mourrait à coup sûr. Alors, je fermais les yeux, et arrachais ma source de vie de ma tête. Un voile de ténèbres obscurcit soudain mes yeux, et il me sembla revoir en accéléré les grandes étapes de ce qui avait constitué ma vie : mon père, mon voyage, Irina, Nastya… et Svetlana. Puis, tout devint noir, et je m’éteignis, laissant mon corps tomber au sol.

 

Je ne me souviens pas de ce qui s’est passé ensuite, mais à mon réveil, j’étais installé sur une sorte de table d’opération, tel qu’on en voit dans les hôpitaux humains, tel que je l’avais vu dans mes livres. Je ne comprenais pas vraiment ce qu’était cet endroit. Ce n’était pas un hôpital en tout cas. Partout autour, il y avait des dizaines de livres, des instruments scientifiques, des documents, des affiches au mur sur l’anatomie du corps. Mon corps. Et un autre sur le cristal qui composait l’intérieur de ma tête. Si je pouvais voir tout ça, c’est parce que quelqu’un me l’avait remis, et avait été capable de refaire les connections mises au point par mon père. Comment cette personne avait-elle pu faire ça ? Ce cristal, c’était la création de mon père. Son chef d’œuvre. Personne d’autre au monde ne connaissait sa constitution et encore moins la technique pour l’associer aux membranes d’un cerveau. Alors qui ?

 

« Tu te demandes sans doute comment j’ai pu remettre ton cristal de vie en toi ? Et comment j’ai su comment refaire les connections avec les tissus humains et animaux pas vrai ? »

 

Je dirigeais mon regard vers la personne qui venait de parler. C’était un homme dans la moyenne d’âge, assez grand, et doté d’une blouse blanche. Il y avait un nom marqué sur une étiquette, placé sur la blouse : Vladimir Illioutchine. Vladimir ? Ce prénom me disait quelque chose. Mais je ne parvenais pas à me rappeler…

 

« ça va prendre un peu de temps avant que la mémoire incrustée à l’intérieur du cristal retrouve toutes les données. C’est un peu comme un trou de mémoire pour un humain si tu préfères. Il faudra compter quelques jours, voire quelques semaines avant que tu te rappelles de tout »

 

« Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que je fais ici ? Et comment savez-vous pour le cristal ? »

 

Vladimir se mit à sourire :

 

« Tu as plein de questions à me poser, c’est normal. Et je répondrais à toutes celles que tu veux. Mais avant, il faut que je te parle de Svetlana. Tu te souviens d’elle ? Ou bien ce souvenir ne t’es pas encore revenu ? »

 

Svetlana ? oui, je revoyais son visage. Je me rappelais notre vie ensemble. Je revoyais tout ce que nous avions fait. Je me souvenais des sentiments que j’avais pour elle, sans jamais avoir pu lui dire.

 

« Bon, je pense qu’il n’y a pas de méthode douce pour te le dire. Svetlana n’est plus de ce monde. J’ai essayé tout ce que j’ai pu pour la sauver. Mais je n’ai rien pu faire »

 

Il s’interrompit, alors que je sentais la tristesse monter en moi. Svetlana était morte ? Ce n’était pas possible. Comment ? Je pensais que ce Vladimir pouvait la sauver. Je me souvenais de ça. Et de Sergueï aussi.

 

« Je te vois un peu abattu, et je le comprends. Mais en fait, elle est en toi à présent. Ou pour faire plus simple : elle est toi et tu es elle. »

 

Elle était moi ? J’étais elle ? Je ne comprenais rien à ce qu’il me disait. On ne pouvait pas être dans un même corps. Même un corps comme le mien.

 

« Je voudrais aussi préciser que c’est elle qui l’a demandé. Elle voulait faire ce sacrifice pour toi. Elle voulait que tu revives. Et que vous soyez lié à jamais. Je m’explique : j’ai obtenu, par le biais de Sergueï, si tu te souviens de lui, toutes les notes, les travaux de ton père. C’était un génie. Meilleur que moi, je dois le reconnaitre. Enfin, bref, grâce à ce que Sergueï m’a ramené, j’ai compris le fonctionnement de ton cristal, comment le raccorder à des membranes cervicales, et tout le reste pour te réveiller. Pour faire simple, les membranes cervicales qui permettent à ton cristal de fonctionner dorénavant, ce sont celles du cerveau de Svetlana. »

 

Je le regardais encore, ne comprenant toujours pas.

 

« Comme je te l’ai dit, Le mal dont souffrait Svetlana était irréversible. La toxine qui envahissait son cerveau allait la tuer petit à petit, dans d’atroces souffrances. Quand je lui en ai fait part, et que je lui ai dit que je pouvais te ramener à la vie, si on peut parler de vie pour toi, elle m’a demandé si je pouvais te parler d’elle à ton réveil. Je lui ai dit que je pouvais faire mieux que ça. Que je pouvais te ramener grâce à elle. Grâce à son cerveau. Rassure-toi : elle n’a pas souffert. Le produit que je lui ai injecté l’a endormie tranquillement. Je n’ai plus eu qu’à suivre les notes de ton père, récupérer le cerveau de Svetlana, couper les membranes dont j’avais besoin pour les raccorder au cristal, et ré-insérer le tout dans ta tête, avec les autres connections nécessaires pour que tu puisses renaître »

 

« Svetlana a fait ça pour… Pour moi ? Je comprends… Je comprends ce que vous vouliez dire par… Elle est moi… Et je suis elle… »

 

« Tu devrais te reposer maintenant. Ça fait beaucoup d’infos à accumuler en peu de temps. Nous aurons tout notre temps pour que je t’explique plus en détail tout ça. Autre chose : Sergueï est à mon service depuis des années. Disons qu’on… s’arrange entre nous. Je le paie, et il fait quelques petits trucs pour moi. Du coup, il a enterré les corps des voleurs chez ton père, et il a brûlé la maison, après avoir pris tout ce dont j’avais besoin. Même chose pour la ferme d’Irina. Il n’y a aucune trace des corps et de ton passage dans ces endroits. C’est comme si tu n’avais jamais existé. Quant à la police locale vis-à-vis de vos petites « missions », Svetlana et toi, je m’en suis occupé aussi »

 

« Comment… Comment vous avez pu cacher tout ça ? »

 

Vladimir sourit à nouveau :

 

« Tu serais surpris de tout ce qu’on peut faire quand on a de l’argent. Beaucoup d’argent. Et je peux t’assurer que je n’en manque pas. Mes commanditaires sont très intéressés par mes recherches concernant le cristal… et toi. Cela fait 3 ans que je bosse dessus. Oui, tu as bien entendu : ça fait 3 ans que je travaille sur les travaux de ton père pour te ramener à la vie… Et que Svetlana a donné sa vie pour ça. Et aujourd’hui, tout ça a payé… Puisque tu es là, à parler avec moi. Mais on parlera de ça une autre fois. Je te laisse. On aura tout le temps possible pour revoir tout ça. A plus tard…Viktor »

 

Vladimir partit alors, me laissant seul dans la pièce, avec mes interrogations, mes doutes, ma tristesse. Je devais être maudit. Toutes les personnes que j’aimais mourraient quand elle s’attachaient trop à moi. Certes, une partie de Svetlana était en moi, mais je ne verrais plus jamais son visage, ses yeux. On ne pourra plus rire ensemble, s’émerveiller de tout ce qui nous entoure. Pourquoi était-je destiné à vivre ainsi ? Il aurait mieux valu que je ne revienne pas. Je ne souffrirais sans doute pas comme maintenant.

 

Je tentais de me lever malgré ma relative faiblesse sur mes jambes. Je sortais de la pièce, désirant marcher pour réfléchir à tout cette montagne d’informations, arpentant les couloirs de la bâtisse où je me trouvais. Je voyais un bureau entrouvert sur ma droite. Pensant que Vladimir y était, je pris l’initiative d’y entrer. Mais il était vide. Un document attira cependant mon attention sur son bureau. Je m’assurais de refermer la porte derrière moi, et m’approchais. Il y avait d’autres documents les uns à côté des  autres. Sur l’un, je voyais une image de moi ; sur un autre le cristal de vie créé par mon père. D’autres dossiers représentait des créatures inconnues de moi, avec des noms, des lieux et des pays indiqués : le dévoreur de cœur sur la route du pêché et des sirènes tueuses aux USA ; une autre nommée Bête du Gévaudan en France ; un autre parlait d’une Jorogumo au Japon.  Et sur un autre dossier était apposé à nouveau mon image, et un nom écrit en gros : « Projet Crystal Soldier ». Plus loin, une photo dans un cadre attira mon regard à son tour : j’avais du mal à y croire.  C’était une photo de Vladimir, et à ses côtés, il y avait…Irina.

 

Alors, Vladimir serait ce fameux scientifique dont Irina avait parlé. Celui à qui elle devait me vendre… Je ne savais pas trop quoi penser de tout ça. J’étais vraiment perdu. Vladimir était-il mon sauveur ? Ou bien mon ennemi ? Avait-il dit la vérité sur Svetlana ? Avait-il vraiment essayé de la sauver ? Ou l’avait-il sciemment sacrifié pour mener son projet à bien ? Si je voulais savoir le fin mot de tout ça, il valait mieux faire comme si je n’étais au courant de rien de ce que j’avais découvert. Je retournais donc discrètement vers la pièce où j’étais précédemment. Les prochains jours, voire les prochaines semaines seraient sûrement déterminantes pour connaitre les vrais intentions de Vladimir à mon encontre. Pour l’instant, j’avais besoin de reprendre des forces, alors je me recouchais sur la table, tout en repensant à ce que j’avais vu sur le bureau de Vladimir, sur mon rapport avec toutes ces créatures, et cet autre nom aperçu dans le dossier « Projet Crystal Soldier ». Celui d’une île près des Philippines : Monster Island. De ce que j’avais lu, un terrain d’expérimentation. Je ressassais encore quelques minutes tout ceci, et finis par m’endormir. Mais il devenait clair que Vladimir avait beaucoup de secrets, et que le seul moyen de connaitre ceux-ci, c’était d’obtenir sa confiance. Afin de définir ce que ma résurrection, et surtout mon existence avait de si primordial à ses yeux…

 

Publié par Fabs