22 janv. 2022

L'ESTAMPE MAUDITE

 


 

Une malédiction peut-elle se répercuter à travers les siècles ? Et surtout est-elle capable de le faire à partir d’un simple dessin, en l’occurrence une estampe japonaise, datant de l’ère Edo, et considérée comme une œuvre de grande valeur ? N’importe quel spécialiste de l’art vous répondra que ce ne sont que des fables colportées par les propriétaires, dans le seul but d’attirer l’attention, et d’augmenter sa valeur, dans un but purement publicitaire. Pourtant, parfois ces fables sont connues pour avoir un fond de vérité, et même plus que ça. Et quand on s’en rend compte, il est souvent trop tard… C’est la mésaventure qui est arrivée à Heiji Hoguchi, un expert en estampes japonaises, embauché par un riche collectionneur, afin de vérifier l’authenticité de sa dernière acquisition, découverte par hasard par un de ses dénicheurs au sein du 5ème arrondissement de Beika, à Tokyo, chez un petit antiquaire. Pour être plus précis, la boutique avait vu son propriétaire mourir quelques jours auparavant d’une crise cardiaque. Son petit-fils, désireux de revendre le magasin de son grand-père, dont il ne pouvait pas s’occuper, avait mis quelques photos d’objets du magasin sur le site Beams Japan.

 

 L’employé du collectionneur, ayant vu l’estampe parmi celles-ci, en avait parlé à son patron. Très intéressé, ce dernier avait demandé à ce qu’on lui ramène l’estampe, quel que soit le prix.  La photo mise sur Beams Japan montrait clairement qu’il s’agissait d’une estampe rare de l’artiste Kitagawa Utamaro, représentant l’Oiran Hanaogi, la courtisane la plus célèbre de l’ère Edo, à qui on prêtait une relation plus qu’intime avec Utamaro. Une rumeur courait à propos de cette estampe, qu’on disait disparue depuis plusieurs siècles. C’était la dernière d’une longue série qu’avait peint l’artiste d’Hanaogi, quelque mois avant la mort de celle-ci. On raconte qu’elle serait morte de désespoir par la faute d’Utamaro. Celui-ci lui ayant promis, depuis de longs mois, de quitter son épouse pour faire d’elle sa nouvelle femme. Une promesse que l’artiste n’a jamais tenue, et certains membres de la famille de ce dernier étaient au courant, non seulement de cette relation extra-conjugale, mais aussi de cette fameuse promesse non-respectée, ayant entraînée la mort d’Hanaogi. 

 

Toujours selon cette rumeur, l’Oiran aurait maudit Utamaro, alors qu’elle rendait son dernier souffle, indiquant que son esprit n’aurait pas de repos tant que ce menteur et sa famille, présente et à venir, n’auraient pas rejoints la tombe, eux aussi. Aux funérailles d’Hanaogi, célébrées avec faste, beaucoup ont regardé Utamaro avec mépris, et celui-ci en a été très affecté. Sans doute par remords, il installa le dernier portrait qu’il avait fait d’elle, cette fameuse estampe, dans sa chambre. Quelques jours plus tard, il mourrait de crise cardiaque, et il ne fut pas le dernier… Tous les membres de la famille, ayant hérités de la fameuse estampe, périrent de la même manière, une expression de terreur s’affichant sur le visage des victimes… Au cours des siècles, plus de 17 morts mystérieuses, tous descendants de Kitagawa Utamaro, trouvèrent la mort dans des conditions similaires. Y compris des personnes jeunes. Toutes celles ayant eu en leur possession l’estampe maudite d’Hanaogi…

 

Au cours du milieu du XIXème siècle, l’estampe disparut de la circulation, et personne ne se déclara en tant que propriétaire. Parmi les derniers possesseurs, figuraient de nombreux passionnés d’art, mais curieusement, rares sont ceux parmi eux qui connurent une mort propre à la malédiction entourant l’œuvre. Seuls ceux étant des descendants de l’artiste, auteur du portrait, furent touchés. Les autres, ne possédant pas de liens familiaux avec ce dernier, survécurent. Néanmoins, parmi eux, nombreux furent ceux qui, terrifiés par la réputation de mort de l’œuvre, la revendirent peu de temps après son acquisition. Parlant d’une aura étrange émanant de l’estampe, et d’un froid glacial dans la pièce où elle avait été disposée… Malgré toute sa réputation sulfureuse, l’actuel propriétaire se moquait bien de toutes ces superstitions qu’il jugeait ridicules. Seul comptait pour lui de savoir s’il s’agissait de l’œuvre originale, et pas d’une vulgaire copie, faite par un faussaire ou un fan de la carrière de Kitagawa Utamaro, voire de l’Oiran la plus connue de l’histoire.

 

C’est là qu’intervenait Heiji Hoguchi. Son statut d’expert reconnu dans l’art de la période Edo en faisait une personnalité très prisée dans les milieux artistiques, et rares étaient ceux pouvant se permettre d’embaucher un tel spécialiste, dont les honoraires étaient prohibitifs. Celui-ci, sa réputation grandissant au fur et à mesure des années, ayant appris à monnayer son œil, n’ayant jamais failli, à reconnaitre des contrefaçons grossières, ou au contraire très bien exécutées… 

 

Mais l’argent n’était pas un problème pour Hattori Konematsu, le nouveau propriétaire de l’estampe maudite. Si celle-ci s’avérait véritable, elle deviendrait un centre d’attention énorme, et lui faisant une publicité énorme pour les expositions où elle serait présente. Une source de revenus monumentale qui comblerait largement l’investissement pour son expertise, son achat, du fait du manque de connaissance de la valeur du vendeur, néophyte en matière d’art, ayant été une poussière dans la fortune de Konematsu… Heiji, à la demande de son commanditaire, s’était donc rendu au domicile de ce dernier, afin de venir chercher la fameuse estampe, et l’étudier chez lui, avec sa méthode. Ce qui ne posait pas de soucis à Konematsu, assuré du professionnalisme d’Heiji. Sur place, il eut la surprise, malgré ses dires, de constater une certaine prudence vis-à-vis de la réputation de l’estampe, de la part du collectionneur. L’œuvre avait été placée sous un cadre en verre, fermée par une serrure, dont la clé était détenue par Konematsu. Une précaution assez surprenante pour un simple portrait…

 

Konematsu se défendit en indiquant que dans son métier, on n’était jamais assez prudent, au vu des morts ayant parsemé l’historique de l’estampe. Mais il y avait une autre raison… Konematsu avoua faire partie des descendants de l’auteur de l’œuvre. Et à ce titre, était donc potentiellement une proie à la malédiction d’Hanaogi. Il avait menti en indiquant avoir voulu acquérir l’estampe pour en faire une attraction commerciale. Son but était tout autre… S’amusant de cette peur affichée, alors qu’en public le collectionneur avait déclaré à maintes reprises trouver cette superstition n’ayant pas sa place à une époque telle que la nôtre, Heiji préféra ne pas indiquer ce qu’il pensait de cette attitude indigne d’un nom illustre de l’art tel que lui. Il demanda à ce que l’estampe soit retirée de son « coffre » de verre, afin qu’elle lui soit remise, placée dans un rouleau spécialement conçu à cet effet, afin de la transporter de manière plus aisée. Konematsu s’exécuta, et Heiji put remarquer la main tremblante de son client en ouvrant la serrure de la prison de l’estampe maudite, et lui laissant le soin de mettre cette dernière dans le rouleau qu’il avait emmené avec lui.

 

« Cela vous prendra combien de temps pour l’expertise ? »

 

Fermant le couvercle du récipient où se trouvait l’estampe, Heiji répondit sur un ton ironique à la question de son client :

 

« Je dirais environ 48 heures au maximum… Je vous téléphonerais pour vous indiquer quand j’aurais terminé… Afin que puissiez préparer le coffre-fort à son retour »

 

« Ne plaisantez pas avec ça… Je sais que lors des mondanités j’ai indiqué le contraire, mais cette estampe me terrifie… Le jour où je l’ai eu en main la première fois, j’ai senti comme une force démoniaque qui émanait d’elle… »

 

Heiji, cette fois, ne put retenir un rire discret, afin de ne pas faire preuve d’un manque de respect trop éloquent

 

« Mr. Kotematsu, c’est une estampe…Un dessin… Fait avec du papier, de l’encre et une plume… Il n’y a rien de plus que ça… Aucun démon, ni malédiction… Vous me surprenez… Je vous pensais plus rationnel que ça… »

 

« Vous pouvez vous moquer, Mr. Hoguchi, je sais ce que j’ai senti… Sans parler de son regard… Vous allez sans doute me dire encore que je suis fou, mais je vous assure que j’ai eu l’impression qu’Hanaogi me regardait fixement dans les yeux… Comme pour observer sa future proie… »

 

« Mmm… C’est vrai que vous m’avez dit que vous faites partie, vous aussi, des descendants d’Utamaro… Vous croyez vraiment à ses sornettes ? Soyons sérieux…Une malédiction ? Au XXème siècle ? »

 

Konematsu affichait un air contrarié à ces paroles blessantes, fidèle à la réputation d’Heiji, connu pour être condescendant envers nombre de ses clients, ce qui expliquait aussi pourquoi beaucoup préférait faire appel à d’autres experts moins doués que lui…

 

« Riez…Riez… Mais il me tarde que vous finissiez d’expertiser l’estampe, et qu’elle revienne ici, sous ce « coffre-fort » comme vous dites… Le simple fait de savoir qu’elle est à nouveau en liberté, et qu’elle sait que j’existe, ça provoque en moi un sentiment d’angoisse… Mais j’imagine que vous ignorez ce que signifie ce mot ? »

 

Heiji, voulant couper court à cette conversation, qu’il commençait à sentir pesante, commença à se diriger vers la sortie de la pièce, se murant dans un silence de dédain. Avant de repartir vers la porte d’entrée de la demeure, il se retourna un bref instant :

 

« Mr. Konematsu, j’ai connu moi aussi la peur et l’anxiété… Mais j’ai appris à les combattre… Tout comme vous devriez le faire… Quant à l’estampe, ne vous en faites pas… Dès ce soir, je vais invoquer Bouddha pour qu’il dise à Haonagi de ne pas vous tirer du lit dans la nuit, pendant que j’expertiserais son portrait… »

 

L’instant d’après, Heiji partit en riant de bon cœur cette fois, laissant son client dans l’incertitude quant à l’issue des prochaines heures… Heiji avait l’impression que Konematsu espérait presque que l’estampe soit une copie sans la moindre valeur…Et donc sans malédiction aucune… Et ça l’amusait encore plus… Il riait encore quand il démarrait sa voiture, après avoir posé le rouleau sur le siège passager.

 

Une heure plus tard, il était arrivé devant chez lui. Il se gara sur l’espace dédié à son véhicule, à droite de l’entrée de la somptueuse demeure qui était la sienne. Lui aussi aimait vivre dans le faste et le luxe, et il ne se gênait pas pour montrer son appartenance à ce monde dont il avait rêvé toute son enfance de faire partie… Un rêve devenu réalité…Une revanche sur son enfance pauvre, où il se demandait chaque jour s’il aurait de quoi manger… Volant pour survivre, sans cesse poursuivi par les forces de l’ordre, se cachant, mentant, pour éviter de se retrouver dans une cellule… Oui, il avait connu la peur… Et il s’était juré de ne plus jamais connaitre cette sensation de sa vie… Ce changement de cap, il le devait à sa seule volonté, son désir de se battre, son envie d’atteindre son but, son rêve… 

 

Enfant, il avait connu des hommes comme Konematsu, qui voyait des enfants de la rue comme lui comme des déchets, qui ne valaient même pas la peine d’être regardés… Il avait toujours détesté les hommes comme lui… Et aujourd’hui, alors qu’il était arrivé à entrer dans leur monde, il adorait leur montrer qu’il pouvait avoir le même sentiment de dédain envers eux… C’était comme une sorte de petite revanche personnelle… Un seul d’entre eux avait eu un autre regard envers sa condition… Celui qui lui avait donné une éducation digne de ce nom, qui l’avait fait entrer dans les meilleures écoles, cachant ses origines aux directeurs des instituts où il l’avait fait admettre… Un homme qui lui avait donné un nom plus prestigieux que celui qu’il portait à sa naissance, et fait de lui l’homme qu’il était… Même si cet homme n’était pas son vrai père, il le considérait comme tel… Et il savait que là où il était aujourd’hui, dans cet hôpital où il combattait chaque jour la maladie qui l’avait assailli, il était fier de ce qu’il était devenu… La preuve qu’un moins que rien pouvait devenir un roi lui aussi, dans ce monde de requins et d’apparences…

 

Eloignant de sa tête ces souvenirs appartenant à une époque qu’il préférait oublier, Heiji entra dans sa maison somptueuse, où chaque morceau de sol et de mur montrait la puissance de son nom qui était le sien aujourd’hui. Des lustres en cristal du plafond, aux chandeliers en argent trônant sur la cheminée… Juste à côté de la ligne de diplômes qu’il avait obtenu pour en arriver à ce niveau de pouvoir dont il avait la fierté d’appartenir. Lui, l’ancien miséreux devenu roi. Le roi des experts de l’art pictural… C’était le titre qui s’affichait régulièrement à côté de son visage sur les couvertures des magazines…

 

Il arrivait maintenant à son bureau. Se débarrassant de sa veste sur le porte-manteau situé dans la pièce, il posa le rouleau contenant l’estampe sur son lieu de travail… A vrai dire, cette pièce, c’était à la fois son bureau et sa chambre secondaire. Sa grande chambre était deux fois plus spacieuse, mais il y dormait très rarement… Comme il travaillait parfois jusque tard dans la nuit, il avait fait installer ce deuxième lit, et quelques meubles supplémentaires, pour les nuits où il serait trop fatigué pour aller à son véritable espace de sommeil, lui permettant de passer, en un éclair, de la table où il pratiquait ses expertises, à son futon. Il sortit l’estampe de son rouleau de transport, puis la plaça sur sa table d’analyses, et commença à l’étudier… 

 

L’encre utilisée, le papier, la texture de celui-ci, la calligraphie en dessous du portrait d’Hanaogi, tout semblait conforme à ceux propres à l’époque Edo… Les traits du dessin ressemblaient bien à celui de Kitagawa Utamaro également… A première vue, l’estampe avait l’air authentique… Mais il avait déjà vu des copies d’une telle qualité, capable de reproduire des effets de vieillissement saisissants, qu’il savait qu’il ne fallait pas se fier à une première analyse… Il lui fallait encore vérifier le grain du papier par réaction chimique, faire une spectrographie, histoire de vérifier s’il n’y avait pas un autre dessin dessous, révélant une supercherie savamment mise en place… Mais ces premiers tests avaient été longs, et il commençait à se faire tard. Les yeux d’Heiji accusaient la fatigue accumulée de ces derniers jours, la faute à un nombre de commandes de clients en quantité importante. Plus que d’habitude… La rançon du succès… Il reprendrait la suite des tests demain matin, quand il aurait les idées plus claires, et le cerveau reposé…

 

Il installa l’estampe sur une plaque en feutre, sur laquelle il rajouta une autre vitrifiée, avant de la placer en hauteur, sur un des nombreux crochets sur le mur, destinés à ses diverses expertises… Puis, luttant contre la fatigue envahissante, se déshabilla, et s’engouffra dans les draps qui semblaient l’appeler d’une voix que lui seul pouvait entendre… Pour ce soir, il se passerait de repas… Sa fatigue était telle que de toute façon, il n’aurait pas la force d’avaler quoi que ce soit… Il ne lui fallut que quelques secondes pour tomber dans les bras de Morphée, et s’endormir du sommeil du juste…

 

Cependant, quelques minutes plus tard, une impression étrange s’empara de son corps… Une sensation de frisson…Curieux… Il était pourtant certain de ne pas avoir touché le thermostat de la pièce…Et pourtant… Pourtant, la pièce était comme envahie d’une atmosphère froide, presque glaciale… Peut-être une panne d’électricité survenue soudainement… Non, ce n’était pas ça… Son portable qu’il avait branché au moment de se coucher affichait encore cette luminosité propre à son rechargement en cours… Alors qu’est-ce qui pouvait bien provoquer ce froid intense autour de lui ?

 

Instinctivement, il regarda en face de lui, là où se trouvait toujours suspendue l’estampe de l’Oiran, observant un mouvement quelconque du dessin, une bizarrerie… Puis, il se mit à se moquer de lui-même pour avoir pensé à l’éventualité que ce simple dessin puisse être à l’origine de la température descendante de la pièce… A croire que les superstitions véhiculées par Mr. Konematsu avaient déteint sur lui…

 

« N’importe quoi, vraiment… ça ne va plus mon bon Heiji… Voilà que tu vas te mettre à croire aux malédictions maintenant… Tu es vraiment fatigué… »

 

Riant aussi au fait de se parler à lui-même, comme s’il s’attendait presque à se répondre, Heiji se mit à rire de plus belle… Mais bientôt, il ne riait plus… Car une voix émanant de l’estampe se fit entendre, le faisant se dresser sur son futon, se demandant s’il rêvait ou s’il était éveillé, tellement ça semblait impossible…

 

« Ainsi, vous ne croyez pas aux malédictions… Peut-être que cette nuit sera l’occasion de vous faire changer d’avis… »

 

« Que… Qui a parlé ? Montrez-vous ! Konematsu ! C’est vous qui êtes à l’origine de ça ? Vous vous croyez drôle sans doute ? Et puis d’abord, comment êtes-vous entré chez moi ? »

 

Un rire féminin se propagea alors dans toute la pièce, se diffusant tout autour du pauvre Heiji, qui commençait à ressentir une certaine angoisse qu’il n’avait plus connue depuis des années…

 

« Konematsu… Ce sera bientôt son tour… Mais pour l’heure, c’est vous qui êtes ma proie… Heiji… Utamaro ! »

 

A l’énoncé de ce nom, appartenant à un passé qu’il avait tenté de renier, y compris devant son client, Heiji affichait désormais une peur montante, faisant apparaitre des gouttes de sueur sur toute la surface de son visage, jusque dans son cou, alors qu’il voyait l’impossible se dérouler devant lui… Hanaogi… Elle… Elle sortait du papier où se trouvait l’estampe…Allongeant sa jambe… La posant sur le dessus du bureau qui lui servait de lieu de travail… Ses yeux s’écarquillaient au fur et à mesure que le dessin continuait de sortir de la feuille de papier où il se trouvait auparavant…

 

Mais ce n’était plus un dessin… C’était un corps translucide, mais c’était un corps humain… Un corps de femme, portant un kimono cérémonial, comme les courtisanes de l’ère Edo, dont elle semblait provenir directement, sans aucune explication rationnelle…L’apparition posa le genou de l’autre jambe sur le bureau, pendant que la première jambe tâtait l’espace vide entre le bureau et le sol, afin de trouver un appui pour s’y poser… Une fois fait, un premier bras sortit de la feuille… Puis un deuxième, et enfin la tête, grandissant en même temps qu’elle sortait de son carcan de papier, comme l’avait fait les jambes et les bras auparavant… Et là, Heiji crut qu’il devenait fou… Devant lui se tenait bel et bien Hanaogi… l’Oiran Hanaogi… Elle se mit à rire, s’approchant du futon du pauvre Heiji, complètement tétanisé, pendant que l’apparition reprenait :

 

« Eh bien Heiji, tu ne crois toujours pas aux malédictions ? »

 

Hanaogi continuait à s’avancer, le sourire aux lèvres… Des lèvres d’un rouge qui faisait ressortir son visage blanc… Aussi blanc que l’étaient ses mains, qui sortaient de son kimono fleuri… Elle parlait à nouveau :

 

« Et est-ce que tu crois aux fantômes, aux apparitions, aux spectres…Quel que soit le nom que tu veux leur donner… »

 

Hanaogi semblait réfléchir un instant, puis continuait :

 

« En fait, me concernant, le terme exact serait plutôt Yurei… Car si je suis ici, devant toi, c’est pour accomplir une vengeance…Celle que j’ai promise d’accomplir pour laver l’affront que m’a fait subir ton aïeul, Kitagawa Utamaro…Heiji… »

 

Heiji était désormais en larmes, son cœur battait la chamade de plus en plus, au point qu’il lui semblait suffoquer, ayant du mal à respirer, en proie à une panique qu’il ne pouvait contenir. Il parvint malgré tout à émettre quelques mots :

 

« Comment ? Comment savez-vous mon nom de naissance ? Personne ne le connait… A part mon père d’adoption… »

 

Hanaogi se mit à rire. Un rire discret, mais terrifiant, glaçant…

 

« Je sens ton odeur… L’odeur des Utamaro… L’odeur du mensonge… L’odeur de la peur…TA peur, Heiji… »

 

« Ecoutez, Hanaogi…C’est bien votre nom, n’est-ce-pas ? Je… Je n’ai rien à voir avec Kitagawa… C’était il y a plusieurs siècles… Pourquoi serais-je responsable du mensonge de mon aieul ? »

 

Le visage amusé qu’elle portait jusqu’à présent s’estompa complètement, pour afficher un rictus de colère :

 

« TU ES UN UTAMARO ! Comme tous ceux de ton clan, tu respires le mensonge… Regardes ce que tu es aujourd’hui ! Tu mens aux autres sur ton vrai nom ! N’est-ce pas une preuve suffisante ? Tu mérites le sort que je te réserve… Au même titre que ceux qui t’ont précédé… Après toi, il ne me restera plus que Konematsu, qui lui aussi a caché son vrai nom, et toute la descendance de Kitagawa sera éteinte… Je pourrais alors reposer enfin en paix… »

 

Hanaogi parvint alors au niveau d’Heiji dont le visage était devenu presque aussi blême que celui du Yurei… Elle dirigea sa main en direction du jeune homme terrorisé, et celui-ci sembla suffoquer encore plus qu’avant, toussant, crachant du sang, se tenant la poitrine… Puis, il s’immobilisa… Son cœur venait de lâcher… Et il s’écroula sur le lit, sa vie ayant disparu de son corps inerte…

 

Satisfaite de ce fait, Hanaogi sourit, avant d’éclater de rire… Un rire qui résonna dans toute la pièce…Un rire sorti tout droit des ténèbres… Elle se dirigea alors vers la porte de la pièce, continuant à rire, alors qu’elle traversait celle-ci, son rire se faisant entendre dans toute la maison… Avec pour objectif sa dernière victime, pour goûter au repos qui lui était destinée… Elle se rendait vers la maison de Konematsu…

 

Ou plutôt Hattori Utamaro… Il avait fait changer son nom de famille par celui de son épouse, pensant conjurer le sort, après avoir appris l’histoire de la malédiction… Un effort inutile… S’il avait acquis l’estampe et demandé une expertise, c’était pour être sûr qu’il s’agissait de l’authentique… Son objectif ensuite était de la détruire… Mais il avait omis de penser qu’il n’était pas le seul Utamaro visé par la malédiction… Il ignorait qu’il existait un autre membre de cette famille, dont il pensait être l’ultime représentant… Un détail… Mais un détail qui lui vaudrait de rejoindre Heiji dans la tombe, comme avant eux leurs ancêtres qui avaient subi la colère d’Hanaogi …

 

Note :

🔺Hanaogi et Kitegawa Utamaro ont vraiment existé, tout comme leur relation très intime, alors que Kitegawa était encore marié à son épouse… Il a dessiné 4 portraits de l’Oiran, la courtisane la plus connue de l’ère Edo, véritable figure emblématique de cette période.

🔺Quant au reste de l’histoire, à vous de deviner ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas… Comme toute Creepypasta qui se respecte…^^

Publié par Fabs

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