16 déc. 2020

TOUTES LES SIRENES NE SONT PAS GENTILLES (Partie 2)



Pendant tout le long du chemin du retour, je n’ai pas pu m’enlever de la tête les images de Billy et ses amis, baignant dans leur sang, les membres arrachés à leur corps par Krysta comme s’il n’avait été que de simples brindilles. Je revoyais sans cesse le visage de Billy, fracassé sauvagement par la sirène que j’aimais tant. Je ne parvenais pas à croire que c’était la même personne aimante, douce, et passionnée par la culture humaine qui soit également l’auteure de ce massacre horrible dont j’avais été le témoin forcé. Et je ne parvenais pas non plus à effacer cette image monstrueuse du véritable corps de Krysta, sa vraie forme « humaine ». J’avais l’impression d’être plongé dans un cauchemar dont je ne pouvais trouver l’issue. Un abysse perpétuel où je tombe sans pouvoir m’arrêter. Est-ce que ça allait être ça ma vie avec Krysta ? Est-ce que toutes les personnes qui auraient le malheur de la contrarier, ou bien de s’attaquer à moi, à notre couple, finiraient dans le même état de charpie que ces petits loubards imbéciles. D’accord, ils étaient de vrais cons, comme rarement il en existe dans la région, peut-être même dans tout le pays, mais de là à mériter un sort aussi affreux… 

 

Mais le pire, c’est le détachement total de Krysta à leur encontre : aucun remords, aucune sensation d’avoir mal agi, pas une larme de pitié à leur sort, rien. Je crois que c’était ce qui m’effrayait le plus en fait. Je me disais en mon for intérieur, qu’il pouvait très bien m’arriver la même chose. Si, pour une raison ou une autre, je la blessais moralement, comment réagirait-elle à mon encontre ? Elle avait beau me dire que jamais elle ne me ferait de mal, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à ce qu’il adviendrait de moi dans un tel cas. Il y a autre chose que je craignais. Quand les corps allaient être découverts, et il était évident qu’ils le seraient, vu le nombre d’habitants qui passaient dans la forêt, quelles allaient être leur réaction en voyant ces corps déchiquetés de toute parts, démembrés comme on découpe un cochon dans une boucherie, étalés dans la nature, comme de vulgaires détritus ? Et Michael, le chef de la police, mon ami d’enfance ? Quelle allait être sa réaction à lui ? 

 

Lui qui se plaignait régulièrement qu’il ne se passait rien d’intéressant dans ce patelin, il allait être servi. En plus de ça, vu sa sensibilité, j’étais persuadé qu’il allait gerber dans un coin en voyant le spectacle. Je n’ai jamais compris d’ailleurs ce qu’il foutait dans la police. A l’université, il suffisait qu’il se coupais un doigt avec juste une feuille de papier, et c’était le drame. Ça faisait beaucoup rire tout le monde d’ailleurs. Moi, je le défendais, bien sûr. Je disais que ça n’était pas drôle de se moquer de sa peur du sang. Mais ça ne changeait pas le problème. Le pauvre s’était taillé une réputation pas très glorieuse. Et autant dire que niveau filles, c’était le désert total pour lui. Déjà qu’il n’était pas dragueur pour un sou, mais avec un tel « handicap », c’était vraiment mort. Il m’avait dit un jour que c’était héréditaire cette maladie, cette phobie. Que plusieurs membres de sa famille en était atteint. Pour lui, c’est son père qui lui avait « transmis ». Mais curieusement, il le prenait bien. Et il se foutait qu’on se moque de ça et de lui. L’air de rien, il avait quand même une force intérieure qui allait à l’encontre de son allure et de sa carrure. C’est peut-être ça au final qui le prédestinait à se lancer dans la carrière de policier. C’est curieux parfois le destin. C’était comme moi. Comment j’aurais pu imaginer me retrouver dans une telle situation. Comment imaginer que je rencontrerais un être aussi fabuleux qu’une sirène ? Que celle-ci tomberait amoureuse de moi ? Et qu’elle se révèlerait être une meurtrière en puissance. Un monstre. Dans tout les sens du terme. Après le meurtre de Billy, n’importe qui aurait pris ses jambes à son cou, et l’aurait dénoncée. Mais moi, j’en étais incapable. Je ne pouvais pas l’expliquer. J’avais beau la regarder, je ne parvenais pas à voir le monstre en elle. Je ne voyais que Krysta, la belle sirène qui avait changé ma vie.

 

Ça, pour changer ma vie, je n’étais pas au bout de mes surprises. Elle allait radicalement être bouleversé à un point que je ne m’imaginais même pas. Et bien plus rapidement encore que je ne l’aurais cru. Billy et ses potes, ce n’était qu’un début. Et ce que je prenais pour une réaction de défense allait vite s’avérer être une erreur de ma part. Quelque chose en moi me disait que ce qui était arrivé se serait déroulé tôt ou tard, à un autre endroit, dans d’autres circonstances sans doute, mais il y aurait eu un point de départ de toute façon. Mais le pire allait arriver, et là ce n’étaient pas des petits emmerdeurs qui allaient en faire les frais. C’étaient des gens que je connaissais. Des gens bien. Des personnes sans histoire à qui on aurait donné son âme si on l’avait pu, tellement elles étaient attentionnées, le cœur sur la main. Leur seul tort a été de croiser le chemin de Krysta au mauvais moment. 

 

Et qu’elles étaient une étape pour elle et sa fringale démesurée. Je vous ai déjà dit la quantité impressionnante de viande qu’elle avalait chaque jour ? Lors de notre sortie, j’avais déjà acheté de quoi faire tenir une armée pendant 2 mois. Ça avait même été un sujet de blagues de la part de Mr. Spenger, le boucher de la ville. Il pensait que j’organisais un banquet avec toute la viande que je lui avais acheté. S’il avait su, il aurait moins rigolé. Surtout en voyant le temps que ça avait pris à Krysta pour tout engloutir. Au bout d’une semaine, elle avait tout englouti. J’étais prêt à retourner en ville pour en racheter. Seul. Ce qui l’a un peu vexée, d’ailleurs. Bon, j’ai bien essayé d’arrondir les angles, comme on dit, prétextant que j’aimais bien me balader seul de temps en temps. Que ce n’était pas dû à notre dernière sortie. Je sentais bien qu’elle ne me croyait pas. Mais, malgré mon mensonge, elle m’a souri, en me disant qu’elle comprenait. Qu’elle ne voulait surtout pas me faire du tort. Ah, Krysta ! Du tort, tu en avais déjà fait ! Ensuite, elle m’a dit que je n’étais pas obligé de prendre autant de viande cette fois. Qu’elle se rendait compte qu’elle avait été impolie de manger autant. Qu’elle trouverait une autre solution pour se nourrir, de ne pas m’en faire. Je lui souriais à mon tour, persuadé de sa compréhension et de son innocence toute relative. Mais j’aurais dû être plus attentif quand elle disait qu’elle se nourrirait autrement.

 

Sur le coup, je dois dire que je n’ai pas réagi. Je me disais : après tout, quand elle vivait dans l’océan, elle devait bien se nourrir d’autre chose que des steaks ou des entrecôtes déjà découpées. Du poisson, des requins peut-être, vu sa voracité. Je me rendais compte que personne ne connaissait vraiment ces créatures. De quoi elles étaient capables. On ne connaissait d’elle que ce qu’en disaient les contes comme celui d’Andersen. Une belle connerie en y repensant que ce conte-là. A l’en croire, les sirènes vivaient de poisson, d’amour et d’eau fraiche. S’il vivait aujourd’hui, et s’il avait vu de quoi était capable Krysta, il aurait certainement modifié son histoire. Le seul truc vrai dans son conte, c’était la faculté d’aimer. Du moins, je le croyais. Mais même ça, je me rendrais compte par la suite, que ce n’était qu’une fausse illusion. Si elle était venue à moi, c’était dans un but bien précis. Sa fameuse mission. Dire que je l’avais cru quand elle m’avait dit qu’elle m’aimait. Que sa mission n’avait plus d’importance depuis qu’elle m’avait rencontré. Une autre faculté des sirènes : la manipulation. Et autant vous dire que dans le domaine Krysta était très douée. 

 

Mais pour l’heure, je devais retourner en ville pour refaire le stock de viande. J’imaginais déjà la réaction de Mr. Spenger. Il allait sûrement me dire un truc du genre « Vous avez un requin chez vous pour avoir mangé tout ça en si peu de temps ? ». Quelque part, il n’aurait pas vraiment tort. Connaissant le vrai aspect de Krysta, je me posais plusieurs questions à son sujet. Que j’oubliais instantanément. Seul comptait mon amour pour elle. A ce moment, pour moi, il était évident que, malgré ses actes barbares dont elle avait fait preuve, cet amour était réciproque. Le simple fait qu’elle accepte mon mensonge sans rien dire de plus, était plus qu’éloquent à mes yeux. Alors, je décidais de fermer les yeux à mon tour sur ses actes. Que ce soit Billy ou les autres qui allaient venir. Tous les autres. Une hécatombe au sens propre du terme. Et qui allait mettre mes relations avec Michael dans une situation compliquée. Obligé de lui mentir en permanence pour protéger Krysta. Pour protéger une meurtrière. Une monstruosité qui n’avait pas d’égal sur la terre ferme. Juste par amour.

 

Au moment où j’allais partir pour la ville, on cognait à la porte. Au fond de moi, je savais déjà qui était derrière. Et surtout pourquoi il était là. Je posais les sacs que j’avais pris en main pour ramener la viande, et je me rendais à la porte. C’était Humphrey. Le jeune assistant de Michael. Un bon gars. Gentil et tout. Qui acceptait a peu près tout et n’importe quoi de son « boss ». Même les tâches les plus ingrates. Il me dit que Michael serait bien venu lui-même, mais qu’il avait dû rentre en urgence chez lui. Qu’il ne se sentait pas bien, suite à ce qu’ils avaient découverts à l’entrée de la forêt. Tu m’étonnes qu’il n’avait pas dû se sentir bien. Déjà rien qu’une coupure, il menace de tourner de l’œil. Alors, en voyant les corps de Billy et ses potes, il a dû gerber ses déjeuners des 6 derniers jours. Comme je pouvais m’y attendre, Humphrey me demanda si j’avais vu quelque chose d’anormal ces derniers jours près de la forêt. Un animal par exemple. Un animal qui ne devrait pas être dans la région. Peut-être échappé d’un cirque itinérant. Il y en avait un qui était passé en ville il y avait à peu près 2 semaines. Après ça, il m’a expliqué, sans rentrer dans les détails, qu’il avait trouvé les corps de Billy et ses amis. Et que ce n’était pas beau à voir. Que vu la férocité avec laquelle ils avaient été tués, seul un animal avait pu faire ça. Ce qui n’était pas totalement faux là encore. Vous n’imaginez pas à quel point j’ai eu envie de tout lui dire, mais en regardant Krysta, assise sur le canapé, à lire tranquillement, ça n’était vraiment pas possible. Alors, bien sûr, j’ai menti. Je lui ai dit que je ne savais pas. Il m’a cru. 

 

Pourquoi il ne l’aurait pas fait. Il savait que j’étais intègre. En tout cas, je l’étais avant de rencontrer Krysta. Et puis, il savait que j’étais l’ami d’enfance de son boss. On a encore un peu discuté pendant quelques minutes, et puis il est reparti. Avant de m’en aller moi aussi, j’ai demandé à Krysta de ne pas quitter la maison avant mon retour. Ce n’est pas que je n’avais pas confiance en elle. Mais avec l’enquête en cours, je préférais prendre mes précautions, Krysta ne connaissant pas les coutumes policières. Bien que parfois je me demandais comment elle avait appris à lire aussi bien. En plus de ça, il y avait certaines « habitudes » humaines qu’elle semblait déjà connaître, alors qu’elle m’avait certifié que j’étais le premier humain avec qui elle ait eu une telle relation. Sans m’en dire plus. Mais peu m’importait. Je la laissais donc seule et partais vers la ville. A la sortie du bois, il y avait toute l’équipe de Michael qui était en place. Sauf lui, bien sûr, qui devait encore gerber ses boyaux chez lui. Humphrey non plus n’était pas là. Ça aurait dû me sembler curieux, vu qu’il venait de partir de la maison, et que forcément il aurait dû être là. Mais bon, ça ne me concernait pas ce qu’il faisait. J’aurais dû m’alarmer plus de son absence. J’aurais pu éviter une nouvelle incartade de Krysta.

 

Je suis bien parti 2 heures, le temps d’aller en ville, discuter avec Mr. Spenger au sujet de la viande engloutie pour laquelle je lui ai raconté une histoire de convention de plongeurs, et qu’ils étaient tous de sacrés mangeurs. Il m’a cyru. Puis je suis revenu à la maison. Pour découvrir un nouveau massacre. Humphrez visiblement ne m’avait pas totalement cru. Il avait attendu que je parte pour revenir pour discuter avec Krysta. Il pensait qu’elle avait quelque chose à voir avec les meurtres. A cause de son sweat maculé de sang qu’elle avait laissé traîner au sol, près du canapé où elle se trouvait lors de la première visite d’Humphrey. Comme il n’était pas sûr que je fusse au courant moi aussi, il avait préféré interroger Krysta seul à seul. Krysta m’avait dit qu’il avait été brutal avec elle. Qu’il l’avait secoué en lui demandant pourquoi il y avait du sang sur le sweat. Ça l’avait énervé. Elle m’a dit que je savais ce que ça faisait quand elle était énervée. Elle s’est transformée. Et elle écrabouillé la gorge de ce pauvre Humphrey. Il a essayé de se débattre. Mais elle a serré encore plus fort. Et avec son autre main, elle a plongé dans le corps du policier, et a arraché son cœur. Elle savait que j’allais être fâché. Alors, elle a tenté de cacher le corps. Elle pensait nettoyer les traces de sang au sol après.

 

Mais l’odeur du sang, de la viande, ça l’avait mis en appétit. Alors, elle a dévoré Humphrey, croquant sa gorge, dépeçant son ventre à partir du trou laissé par l’extraction du cœur. Arrachant ses bras, avant de les manger à leur tour. Elle s’était vraiment régalée. Et du coup, elle avait oublié de nettoyer. Mais il était tellement bon. Encore meilleur que Billy et ses amis. Elle en avait gardé un peu pour plus tard. Quand elle aurait encore faim. J’étais sous le choc. Je pouvais encore comprendre pour Billy et les autres. Il nous avait attaqués. Et surtout c’étaient des connards. Mais Humphrey ! C’était un gosse ! 20 ans, mais une attitude de gosse. Adorant les Comics, les dessins animés, fan de Marvel. Et aussi des flingues. C’était pour ça qu’il avait voulu entre dans la police. Et l’air de rien, malgré les apparences, il était vachement intelligent. Trop sans doute. C’est ce qui l’avait conduit à servir de 4 heures à Krysta. Comment j’allais cacher son meurtre ? C’était impossible sans révéler la nature de Krysta. Je n’avais pas le choix. Je devais faire comme Billy, et faire comme si je ne savais pas qu’il était revenu après mon départ. On a caché le reste du corps mis de côté par Krysta à la cave, enterré. Krysta n’était pas contente qu’on gâche ainsi de la si bonne viande. Elle m’a dit qu’on aurait pu le mettre dans le congélateur. Pour plus tard. Que ça m’éviterait d’en racheter encore.

 

De la viande ! C’était tout ce qu’était Humphrey à ses yeux ! Un simple morceau de viande ! J’étais atterré. Mais de quel monstre j’étais tombé amoureux ? Je lui ai demandé de m’aider à nettoyer les traces de son passage. On a dû jeter le tapis. Il y avait trop de sang dessus. C’était impossible de tout enlever sans laisser de taches. Heureusement, c’est ce dernier qui comportait le plus de sang. Il n’y avait que des traces infimes, des gouttelettes ici et là, autour. Un peu sur le canapé et la table, facilement enlevées. Un peu sur le sol, là aussi, nettoyé sans laisser de traces. Son sweat a été enterré avec Humphrey. Je fis la leçon à Krysta : elle ne devait surtout pas dire à qui que ce soit qu’il était revenu la voir seule. Sinon, on aurait des problèmes, et elle serait séparée de moi. Elle comprit très bien, en s’excusant de ça. Je la crus encore. Même si aujourd’hui, je sais très bien que là encore, elle jouait la comédie. Juste pour me calmer et me faire plaisir, et surtout pour que la suite de sa mission s’accomplisse correctement. Il ne fallait pas que j’ai le moindre doute sur elle et ses objectifs véritables.

 

Deux jours de plus se sont passés. Michael est venu me voir. Ça faisait longtemps qu’on ne s’était pas vu. Alors, on a pas mal discuté. De tout et de rien. Puis, il m’a demandé si j’avais vu Humphrey, qu’il avait disparu depuis qu’il était venu m’interroger sur les meurtres. Je lui dis que oui, il était bien venu, puis il était reparti. Que j’avais été étonné de ne pas le voir sur le lieu des meurtres d’ailleurs, alors qu’il était parti avant moi. Michael me crut. Pourquoi ne l’aurait-il pas fait ? Quel intérêt son ami d’enfance lui aurait-il menti ? On a encore un peu discuté. Il m’a demandé où j’avais bien pu trouver une beauté comme Krysta. Je lui ai raconté un bobard bien sûr. Je lui ai dit qu’on s’était rencontré lors d’une convention. Il savait que je participais régulièrement à ce type d’évènements, et puis ça permettait de concorder avec l’histoire de la viande racontée à Mr. Spenger. Il est reparti en me disant qu’il faudrait bien qu’on se réunisse un jour avec Samantha, sa sœur pour se remémorer nos petites histoires. J’acquiesçais, puis il partit. Je n’avais jamais été aussi mal de ma vie. Mentir à Michael. Jamais je ne lui avais menti. Je n’arrivais pas à croire ce que j’étais obligé de faire pour protéger Krysta. Et ce n’était pas fini.

 

Quelques jours plus tard, alors qu’il faisait nuit noire, j’entendis Krysta sortir de notre lit, et se rendre en bas, au rez-de-chaussée. Sur le coup, je crus qu’elle allait prendre un bain de mer, vu qu’il nétait pas loin de Minuit, et que ça correspondait aux heures qu’on avait établies ensemble. Mais au vu des évènements qui s’était déroulé dernièrement, et vu qu’à nouveau, les stocks de viande était presque vide, j’ai eu comme une intuition. Je me suis habillé discrètement, j’ai attendu d’entendre la porte de la maison se fermer, et je suis descendu à mon tour, et je l’ai suivi, en faisant attention de ne pas me faire repérer. Elle n’allait pas vers la plage. Elle se dirigeait vers la forêt. Je continuais de la suivre. Soudain, je la vis s’arrêter. Comme si elle sentait quelque chose. Au début, je crus que c’était moi qu’elle avait repéré. Mais ce n’était pas moi. Un peu plus loin, je vis un cerf majestueux, avec sa biche et leurs deux petits. C’était eux qu’elle visait. Je la vis se transformer comme avec Billy, sa peau devint à nouveau écailleuse avec des teintes marrons, ses pieds devinrent palmés, tout comme ses mains, munies de griffes tranchantes comme des rasoirs géants. On aurait presque dit la main de Freddy Krueger. Des branchies apparurent à la place de ses oreilles, et toujours cette bouche béante en lieu et place de son visage auparavant digne de celui d’une déesse. 

 

Soudain, elle se précipita vers le cerf et sa famille. Ceux-ci tentèrent de s’enfuir, mais elle fut plus rapide, tranchant d’un coup la tête de la biche, elle se rua ensuite sur la gorge du cerf pris au dépourvu, arrachant celle-ci dans une sauvagerie identique à celle aperçue contre Billy et ses potes. Les petits virevoltaient autour de leur mère, couchée au sol. Les pauvres ne semblaient pas comprendre ce qu’avait leur mère. Elle se jeta sur eux, attrapant chacun d’entre eux avec ses mains monstrueuses, les pressant comme on le fait avec une orange, écrasant leur corps dans un bruit d’os brisés épouvantable. Après ça, elle plongea ses dents dans leur chair, les dévorant goulûment, patiemment. Il ne resta bientôt presque rien d’eux, mis à part des morceaux de pattes. Elle revint alors vers la biche, déchiquetant son corps à son tour, mettant sa tête tranchée au-dessus de la sienne pour boire le sang qui en tombait. Elle se rendit ensuite vers le cerf, et ce dernier subit le même sort, son corps disparaissant peu à peu sous les dents tranchantes et acérées de sa gueule, mastiquant et croquant, semblant se délecter de chaque morceau qu’elle ingurgitait. Au bout de près d’une heure de « repas », il ne resta que quelques morceaux de chair disséminés sur le sol de la forêt comme seuls vestiges de la présence de la famille du cerf. Le spectacle était horrible. J’avais l’impression d’avoir assisté à une relecture de la scène de la tortue du film « Cannibal Holocaust ». Mais d’un autre côté, j’étais rassuré. Au moins, si elle mange des animaux, elle ne s’attaquera pas à des humains. Mais là encore, je me trompais sur l’étendue inimaginable de sa faim.

 

Elle était maculée de sang sur tout son corps, nue intégralement, mais alors que je pensais qu’elle allait rentrer à la maison, après ce repas gargantuesque, elle prit le chemin de la ville. Mon sang ne fit qu’un tour. Elle n’allait quand même pas… Je n’osais pas imaginer qu’elle puisse s’attaquer à une personne innocente à nouveau. Mais je n’osais pas intervenir. Comment pourrais-je prévoir sa réaction à ma vue ? Comment réagirait-elle en sachant que je l’ai suivie et que j’ai assisté à la scène d’horreur de tout à l’heure ? J’avais beau être courageux, je ne pouvais pas me résoudre à prendre ce risque, connaissant sa dangerosité quand elle est sous cette forme. Je continuais donc de la suivre discrètement. Au bout de quelque temps, je la vis s’arrêter devant la boutique de Mr. Spenger, le boucher. En quelques secondes, elle ouvrit la porte, éclatant le verrou rien qu’en poussant. Elle se rendit à l’intérieur, cherchant sans doute la viande du commerçant. Mais celle-ci, à cette heure-ci, était placée ailleurs. Mr. Spenger avait déjà subi des vols, et désormais, la nuit, il plaçait la viande dans une arrière-salle, dans des frigos. Du moins, celle qu’il savait qu’elle était encore suffisamment fraîche pour être remise en vente le lendemain. 


Le reste était jeté, pour des raisons sanitaires évidentes, ou conservée dans le freezer pour d’autres utilisations. Mais évidemment, Krysta ne pouvait pas savoir cela. Elle chercha un peu partout, et elle était loin d’être discrète. A tel point que Mr. Spenger, réveillé par le bruit, descendit de l’étage où se situait ses appartements, au-dessus de la boutique, et se trouva nez à nez avec Krysta. Celle-ci lui réclama la viande. Mais Mr. Spenger refusa net, et lui demanda de sortir de chez lui. Elle n’était pas du tout impressionnée, au contraire de Mr. Spenger qui était terrifié par l’aspect de Krysta, tremblant de tout son corps, et peinant à tenir le couteau de boucher qu’il portait à la main. Krysta lui dit alors que s’il ne voulait pas lui donner la viande, ce serait lui son repas, en s’approchant lentement vers lui. Mr. Spenger tremblait tellement qu’il en fit tomber son couteau, la suppliant de partir, qu’il lui donnerait toute la viande qu’elle voulait. Mais Krysta avait changée d’avis, et semblait bien plus interessée par le corps de Mr. Spenger. Je ne pouvais pas plus rester de marbre, et forçant mon courage, je fis irruption dans la boutique, sommant Krysta d’arrêter ça tout de suite. Elle me regarda quelques secondes, interrogative de ma présence, puis elle sourit, en me disant qu’il était trop tard et qu’elle avait bien trop faim.

 

Au même moment, elle se jeta sur le pauvre Mr. Spenger, arrachant son visage d’un coup. Celui-ci se mit à hurler de douleur, mais pas longtemps. De sa main gauche, si on peut vraiment appeler « ça » une main, elle trancha la gorge de Mr. Spenger, faisant déferler un flot de sang à travers toute la boutique, et faisant taire à jamais le malheureux boucher. Et moi, je n’avais rien pu faire. J’étais paralysé à la fois par la terreur et le choc ressenti par le meurtre de Mr. Spenger. J’en pleurais de honte et de désespoir, pendant que Krysta s’affairait déjà à dévorer la tête et le corps de sa nouvelle victime. Je tombais à genoux, suppliant à nouveau Krysta d’arrêter, lui demandant pourquoi elle faisait ça. Mais Krysta était bien trop occupée pour prêter attention à mes suppliques. Cependant, les cris de Mr. Spenger avaient été entendus, et déjà des lumières des maisons voisines s’étaient déjà allumées. Sans doute dans un geste dérisoire de protection je criais à Krysta de fuir, qu’elle ne pourrait pas affronter tous les gens qui allaient venir. Elle s’arrêta, comme donnant l’impression de réfléchir, et laissa tomber le reste de ce qui restait de sa proie. Elle me regarda un instant, et avant de s’enfuir, me prit par le bras, et m’entraîna avec elle dans une course folle à travers la rue principale. 

 

En quelques minutes qui me parurent des heures, nous étions déjà à l’orée du bois. Krysta m’avait prise sur son dos, courant à une vitesse dingue. Je découvrais une autre de ses capacités, impressionnante et terrifiante. Au loin, je voyais que pratiquement toutes les lumières de la ville s’étaient allumées, avec des cris de terreur sortant de toute part. Je ne pouvais pas comprendre, avec la distance, ce qu’ils disaient mais je l’imaginais aisément. Moi qui pensais que l’affaire Billy n’était qu’un geste de défense, j’étais loin, très loin de la vérité. Ce qui était vrai, c’était que j’étais devenu le complice d’une créature monstrueuse avide de chair humaine, dont l’appétit insatiable me terrorisait de plus en plus. A ce rythme-là, toute la ville allait devenir son garde-manger personnel, et c’était à cause de moi. C’est moi qui lui avais fait découvrir la ville, ses commerçants, ses rues, ses habitants. C’était à cause de moi si cette horreur se mettait en place. Toujours à cause de moi si cette monstruosité qu’était Krysta avait mise en place un règne de terreur qui n’en était qu’à ses balbutiements, transformant notre petite cité calme en succursale de l’enfer, et j’ignorais comment trouver le moyen de l’arrêter.

 ... à suivre

Publié par Fabs

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