23 déc. 2020

TOUTES LES SIRENES NE SONT PAS GENTILLES (Partie 3)

 


Après cette nuit, je ne savais plus quoi penser de Krysta. Quelque chose en moi me disait qu’il fallait que j’arrête les actes de ce monstre sanguinaire, pendant que l’autre tentait de me persuader que ce n’était pas sa faute, qu’elle ne faisait qu’obéir à sa nature, son instinct qui lui intimait l’ordre de se nourrir. J’avais l’impression d’avoir le cœur coupé en deux, et je me demandais laquelle des deux parties finirait par prendre le dessus. Après être partie prendre un bain de mer, me laissant me morfondre seul, car encore sous le choc de la mort de Mr. Spenger, Krysta est venue me rejoindre près de la cheminée où je m’étais installé, regardant les flammes danser, perdu dans mes pensées noires. Elle est venue s’asseoir à côté de moi, me regardant comme une enfant consciente d’avoir fait une bêtise, mais ne sachant pas comment se faire pardonner. En tout cas, c’est ce que je croyais fermement. C’était l’idée que je me faisais de sa personnalité. Toujours ma foutue naïveté. Mais comment penser autrement en voyant son regard presque larmoyant et interrogatif. Pouvais-je imaginer un seul instant que ces yeux dépourvus de larmes nétaient que le reflet de la véritable Krysta, et que j’étais bien trop aveuglé par ma passion pour elle pour l’entrevoir, ne serait-ce qu’un instant.

 

« Je t’ai fait de la peine. Je le sais. Mais je n’y peux rien. Je suis comme ça. Je ne peux pas aller contre ma nature. Je sais que tu ne me pardonneras pas d’avoir mangé ton ami. »

 

Je la regardais fixement. Je crois que c’était la première fois qu’elle semblait éprouver des regrets à propos de ses actions. Mais était-elle sincère ? Aujourd’hui, je sais que non, alors même que mon sang se déverse sur le sol de ma maison, et qu’une véritable apocalypse d’une ampleur inimaginable se dirige vers notre petite ville si paisible autrefois. Avant la venue de Krysta. Mais pas seulement elle. Elle n’était au fond qu’un émissaire de quelque chose de bien plus terrible. Une armée. Une armée des abysses. 

 

Et ce n’était que la face visible de l’iceberg. Le secret et les objectifs du clan de Krysta allait bien plus loin encore dans l’horreur. Je n’oublierais jamais le regard de Krysta quand son père m’a blessé à mort, me laissant là, agonisant, pendant que celle que j’aimais par-dessus tout n’avait même pas posé un regard sur moi après ça, rejoignant son clan au dehors, comme si je n’étais qu’un déchet sans importance, maintenant que je lui avais donné ce qu’elle cherchait depuis le début. Le véritable sens de sa mission. Son point de départ en fait. La partie douce. La partie dure, je ne la verrais pas, car je serais sans doute mort entretemps. Mais pour l’heure, j’ignorais tout ça, et tout ce que je voyais devant moi, c’était la belle sirène dont j’était follement dingue. Dingue au point de tout lui pardonner, même les meurtres les plus affreux qu’elle allait commettre par la suite. Tous plus horribles les uns que les autres. Alors, je fermais les yeux, sans rien dire, et la laissais m’embrasser. Sa manière à elle de se faire pardonner pensais-je à cet instant. Et je me laissais embarquer dans une nuit intense de fusion de nos deux corps sur le sol du salon, et j’oubliais mes appréhensions envers elle.

 

Le lendemain, je demandais à Krysta de ne surtout pas sortir de la maison. Je devais me rendre en ville, histoire de faire bonne figure, en feignant l’ignorance quand au meurtre de Mr. Spenger.  Et aussi essayer de savoir, le plus discrètement possible, si quelqu’un avait eu le temps de voir quelque chose concernant Krysta… ou moi. Krysta me souriait, tout en s’approchant de moi. Le genre de sourire qui vous paralyse et vous fait régresser à l’état de cerveau d’adolescent, pour qui les filles sont la seule chose qui le fasse fonctionner. Elle posa ses bras autour de mon cou, plongeant son regard d’un bleu intense dans mes yeux.

 

« Tu peux partir tranquille. Je te promets que je ne tuerais personne aujourd’hui. »

 

Elle interrompit sa phrase, comme si elle réfléchissait à ce qu’elle allait me dire ensuite

 

« Mais il faudra quand même qu’on voie ensemble comment me nourrir, maintenant qu’il n’y a plus de boucher en ville. Tu sais combien j’ai besoin de viande. Je suis sûr qu’il y a plein de personnes que tu aimerais voir mourir sans oser le dire. Je pourrais être la solution à ça. »

 

Je n’en revenais pas du calme avec lequel elle m’avait dit ça. Pour elle, tuer des humains, c’était comme aller au marché. Nous n’étions à ses yeux que des barquettes de viande à engloutir, pour calmer son estomac, véritable gouffre sans fin. En comparaison, la fringale de Luffy, le héros du manga « One Piece », c’était un amateur. Ne sachant quoi répondre, je lui disais qu’on en discuterait plus tard. 

 

« Très bien. Alors bonne route. Et mes amitiés à Michael. »

 

J’étais vraiment sidéré de la façon dont elle avait sorti cette phrase. C’était vraiment comme s’il ne s’était rien passé de plus qu’une simple escapade nocturne sans la moindre conséquence. J’acquiesçais de la tête pour toute réponse, et sortit de la maison, non sans poser un dernier regard derrière moi, me posant la question si Krysta allait respecter sa promesse de ne pas faire de nouveau carnage en mon absence. Que ce soit ici, dans la maison, ou ailleurs. Mais je cessais de me torturer et prenais le chemin de la ville.

 

Une fois là-bas, je voyais que le meurtre de Mr. Spenger était sur toutes les lèvres, au centre de toutes les conversations. Il n’y avait pas une personne en ville qui n’en parlait pas. J’entendais les mots « monstre », « démon », « boucherie », « inhumain » à travers chaque coin de rue que je parcourais. Cela me faisait de la peine d’entendre ces mots qui désignait Krysta, sans qu’une seule fois j’entende une description, aussi petite soit-elle, de l’agresseur de ce brave Mr. Spenger. Et puis, je croisais Michael, qui recueillait encore des témoignages. Se gardant bien de ne pas rentrer dans la boutique, histoire de ne pas aller dégobiller son petit déjeuner dans une des poubelles de la ville. Il m’aperçut, et immédiatement il vint vers moi, pour me donner la « nouvelle ».

 

« Ah mon pote, tu n’imagines même pas la nuit que j’ai passé. Une horreur ! Je te passe les détails, mais on a retrouvé Mr. Spenger mort dans sa boutique. Tué d’une façon horrible. Enfin, le terme exact, ça serait plutôt « massacré ». J’ai failli vomir sur le corps tellement c’était horrible »

 

Bien entendu, je m’étais préparé à ce qu’il m’annonce ça, et je faisais semblant de rien, tout en affichant ma surprise, sans en faire trop. Michael me prit à part, pour ne pas trop faire de vagues. Il m’invita à venir à la maison boire un verre, pour qu’on puisse discuter de tout ça plus calmement. Il me dit que Samantha serait là. Ça lui ferait plaisir de me revoir. Je voulus lui dire qu’on n’était plus au lycée, que sa sœur et moi, c’était de l’histoire ancienne, mais Michael était déjà reparti prendre des dépositions. Au moins, j’étais rassuré sur une chose : à priori, personne n’avait vu quoi que ce soit sortir de la boutique. Ni Krysta, ni moi, ni même une silhouette. C’était déjà ça. Je fis donc le tour des boutiques, histoire de trouver des substituts de viande pour Krysta. Près d’une heure plus tard, je me rendais au domicile de Michael, comme promis. Samantha m’ouvrit la porte. Ça faisait bien 3 ans que je ne l’avais pas vu. Elle était revenue en ville depuis une ou deux semaines environ, d’après ce que Michael me dit. Elle venait de finir son master en psychologie, où elle avait fini dans le trio de tête. Ça ne m’étonnait pas vraiment. Rarement vu une fille aussi intelligente qu’elle. En plus d’être une vraie beauté. J’avais parfois du mal à croire que Michael était son frère. C’était vraiment les deux extrêmes. Pas que Michael n’était pas intelligent, bien au contraire, mais Samantha, à ce niveau-là, c’était au moins 6 crans au-dessus.

 

« Content que tu sois venu. Par contre, je te parlerais de l’histoire Spender plus tard. Je ne voudrais pas que Sam entende des détails un peu trop « croustillants », si tu vois ce que je veux dire. Je suppose qu’on a déjà dû te dire pas mal de trucs en ville, de toute façon. »

 

Je lui répondis que oui, en effet, je connaissais presque toute l’histoire. Comme si j’y étais. Quelle ironie dans cette phrase. J’en avais presque honte. J’acceptais le « deal », et on discuta. De tout et de rien. De Sam bien sûr, de la disparition d’Humphrey, de la foule de papiers qu’il devait faire suite à « l’évènement en ville »… et de Krysta. Quand Michael l’évoqua, je sentis que ça faisait quelque chose à Sam. Pour que vous compreniez mieux, Sam et moi, on est sorti ensemble quelque temps, lorsqu’on était à l’université. Le couple parfait. Les deux têtes du campus. Et ça faisait la fierté de Michael de savoir sa petite sœur chérie avec moi. On s’aimait beaucoup elle et moi. Enormément. On avait même projeté de se marier. Et puis, on a été séparé par la vie, comme on dit. Sam avait la possibilité de faire des études de droit, mais pour ça, elle devait aller loin, très loin de l’université. Et moi, je ne voulais pas faire le voyage avec elle. Je ne me voyais pas faire tout ce trajet dans un endroit où je n’aurais pas ma place. Je sais, c’était égoïste de ma part. Mais pour ma défense, j’étais jeune et con. Et puis, maintenant, il y avait Krysta. 

 

Mes sentiments pour Sam étaient disparus depuis longtemps, et plus encore depuis la rencontre avec ma sirène. Pour Sam, vu les yeux qu’elle me fit tout le temps où j’étais chez Michael, c’était différent. Il était évident qu’elle avait toujours de l’amour pour moi. Je dois avouer que c’était un peu gênant. Le temps passa, et je devais retourner à la maison, alors j’indiquais à Michael que je partais. Pendant que celui-ci rangeait les cadavres de bières sur la table, Sam me raccompagna à la porte. Je voulus dire quelque chose, comme pour m’excuser de la façon dont on s’était quitté, mais elle mit un doigt sur mes lèvres, histoire de me faire comprendre de me taire. Et au moment où je tournais la poignée de la porte, elle me prit le poignet, me demandant de me retourner, et voulant savoir si j’étais heureux avec Krysta. Vous vous doutez bien que je ne pouvais pas tout dire, alors je me contentais de dire oui, ne sachant pas quoi dire d’autre. Sam semblait satisfaite. Elle me demanda alors de fermer les yeux. Qu’elle voulait juste me faire un petit présent en souvenir de notre ancienne relation. Elle me disait que c’était une façon pour elle de mettre un terme à notre histoire. Que c’était important pour elle.

 

Que vouliez-vous que je fasse ? Vu la façon dont je l’avais larguée, je ne pouvais pas faire autrement que d’accepter. Alors, je fermais les yeux. Et Sam m’embrassa. Un baiser fougueux et passionné qui me fit revenir mes années lycée en tête en quelques secondes. Je voulus dire quelque chose, mais Sam me fit comprendre de me taire à nouveau, et elle m’ouvrit la porte, en me souhaitant tout le bonheur possible avec Krysta, et qu’elle espérait qu’elle, je ne lui ferais pas la même chose qu’avec elle. Comme je ne savais pas quoi dire, je me contentais d’hocher la tête, et je repartis vers la maison, pendant que Sam refermait la porte. C’était bizarre comme sensation. L’impression de trahir deux personnes en même temps. Moi et Krysta. Sauf que moi, je restais posé. Mais Krysta… Ce qui allait ensuite arriver, juste pour un simple baiser d’adieu, en souvenir de nos années tendresse, Sam et moi, j’étais loin de m’imaginer ce que ça allait déclencher. Vous avez déjà vu des films d’horreur ? Genre « Freddy », « Vendredi 13 » et les autres ? Eh ben, en comparaison de ce qui allait arriver, je peux vous dire que ces films, c’était des documentaires. Mais je brûle les étapes. Et j’allais découvrir qu’il ne faut pas croire aux promesses faites par une sirène. En tout cas, pas cette sirène-là.

 

A peine revenu à la maison, je retrouvais Krysta, assise sur une chaise, apparemment occupée à manger un truc sur la table. Sur le coup, je me disais qu’elle avait dû se prendre un des derniers steaks du frigo. C’était pas vraiment un steak. Enfin, pas au sens où on l’entend d’un point de vue humain. Je m’approchais d’elle. Elle semblait surprise, cherchant à cacher ce qu’il y avait sur la table. Elle avait la bouche pleine de sang. Son tee-shirt aussi. J’avais peur de comprendre. Je me dirigeais vers la table, écartant Krysta, un peu brusquement, et là je vis une nouvelle horreur. Sur la table étaient disséminés une tête à moitié dévorée, des trous à la place des yeux, du sang en pagaille dégoulinant de partout. A côté, un bras, ou du moins ce qu’il en restait, avec des morceaux de doigts éparpillés un peu partout. C’était pas possible. Elle m’avait promis. Qui c’était ce corps ? Un homme apparemment. Mais où elle avait été le chercher ?

 

« Je suis désolée. J’avais vraiment trop faim. Alors, je suis allée sur la plage. Il y avait un homme avec une drôle de planche. Il était torse nu. Et son corps était tellement appétissant. J’ai fait semblant que j’avais envie de lui, et je l’ai attiré vers les rochers… Et je l’ai dévoré. Enfin, en partie. J’avais peur qu’on me voie manger. Alors, j’ai ramené le corps ici, pour pouvoir manger tranquillement. »

 

J’avais plus de mots. Qu’est-ce que Krysta comprenait pas dans la phrase « on ne mange pas des humains » ? C’était comme quand je lui ai appris les rudiments de notre langue. Elle tiquait toujours entre la lettre « C » et la « K ». Pour elle, c’était idiot d’avoir 2 lettres pour le même son. J’avais beau lui dire que le son n’était pas le même suivant le mot employé ou le type de phrase, elle ne comprenait pas. Du coup, quand je lui ai appris à écrire son nom, « Crysta » avec un « C » est devenu « Krysta ». Avec un « K ». Je n’ai pas osé lui dire que c’était pas comme ça que le prénom s’écrivait. Elle avait l’air tellement contente d’avoir appris à écrire son prénom humain. C’est comme ça qu’elle est devenue Krysta avec un K. Là, c’était pareil. Elle comprenait ce qu’elle avait envie de comprendre. Et quand une sirène a faim, tu peux lui dire ce que tu veux, tu ne peux rien faire contre son estomac. Je lui demandais si tous les « morceaux » du corps était là.

 

« Non. Il en reste près des rochers. Je ne pouvais pas tout ramener en une seule fois. Alors je les ai cachés. Je comptais récupérer le reste cette nuit, quand tu dormirais. »

 

Au même moment, Michael me téléphonait. Il voulait savoir s’il pouvait passer boire une petite bière. Non, mais c’était vraiment la journée ! On venait d’en boire au moins une dizaine. Je lui répondais qu’on ferait ça une autre fois. Que j’étais crevé… et Krysta aussi. S’il voyait ce que je voulais dire.

 

« Mais bien sûr. Excuse-moi. Je ne voudrais surtout pas freiner tes ardeurs… Sacré Don Juan ! On se fera ça un autre jour de la semaine. J’aimerais en savoir plus sur la manière dont tu a rencontré ta déesse. Je suis jaloux tu sais. Allez, je te rappelle, et on se trouve un jour. »

 

Je raccrochais, et immédiatement, je demandais à Krysta de m’aider à prendre des draps pour ramener le reste du corps ici, avant que quelqu’un le trouve. Krysta accepta. Et puis, elle fit un geste qu’au début je croyais anodin, mais qui allait avoir de graves conséquences. En passant près de moi, elle me sentit le visage, le cou, en me regardant avec des yeux pas comme d’habitude. Elle semblait en colère. Elle toucha mes lèvres avec un de ses doigts, et le porta à sa bouche. A ce moment, son expression changea. Pendant un instant, je crus même qu’elle allait se transformer, car ses yeux étaient devenus rouges. Comme quand elle avait tué Billy et ses amis. Comme face à Mr. Spender. Je ne comprenais pas la raison sur le coup. J’aurais du plus y prêter attention. Mais à cet instant, j’étais plus préoccupé par le fait de cacher le cadavre du surfeur resté sur la plage que par l’attitude de Krysta. Et puis, elle m’a posé une question :

 

« Elle s’appelle comment ? »

 

Je lui disais que je ne comprenais pas sa question, et surtout je comprenais pas pourquoi elle avait l’air en colère. Elle reprit :

 

 « Qui est la femme qui t’a embrassée ? J’ai senti son odeur sur toi, et sur tes lèvres, j’ai goûté l’humidité des siennes. Alors, je répète ma question :  qui est la femme qui t’aime ? »

 

Là, d’un coup, je comprenais mieux. Sam. Son baiser. Je venais juste de me souvenir que je voulais effacer ce dernier en me nettoyant le visage, justement pour éviter ce genre de quiproquo, connaissant les facultés de Krysta. Je lui expliquais alors brièvement mon aventure avec Sam à l’université, notre séparation, et le fait que je venais de la revoir tout à l’heure. Qu’elle m’avait embrassé, mais que c’était juste un geste d’amitié. Que c’était courant chez les  humains ce genre de pratiques. Elle continua à me regarder avec son regard rouge pendant quelques secondes, puis sembla redevenir normale, même si ce terme n’est pas vraiment approprié pour elle. Au final, je préférais plus sage d’aller seul à la plage pour récupérer le reste du corps, pendant qu’elle nettoierait la table et cacherais les morceaux de cadavres à la cave, avec Humphrey. Comme elle semblait être redevenu la Krysta que je connaissais, je luis fis confiance à nouveau, et de son côté, elle accepta de nettoyer. J’allais vite regretter mon choix.

 

Je fus parti un peu plus de deux heures. Le corps était dans un état presque indescriptible. Le corps était éventré de tout son long, laissant pendre une partie de ses entrailles. Une partie seulement. Le reste devait être dans l’estomac de Krysta. Les deux jambes étaient grignotées à plusieurs endroits. On aurait dit qu’un énorme rat les avaient rongées. Le sable autour était d’un rouge vif, tellement il y avait de sang qui avait coulé. On aurait dit un tableau de Giger redessiné par le peintre du film « L’Au-Delà » de Fulci. Un carnage. Néanmoins, malgré mon dégoût, je mettais chaque morceau dans les draps, nouant ceux-ci pour faciliter le transport, et mis le tout sur mon épaule, tout en balayant le sable, pour cacher la partie tachée par le sang, en espérant que la pluie et le vent se chargeraient de faire disparaitre le reste. Je remontais à la maison. La table avait bien été nettoyé. Je descendis à la cave. Un autre trou avait été creusé à côté de celui d’Humphrey. Les morceaux non finis par Krysta y figuraient. Au moins, pour une fois, elle avait fait ce qu’il fallait. Je mettais ma « partie » dans le trou et rebouchais le tout. Pour parfaire l’illusion, je mettais par-dessus du bric à brac, afin de cacher les traces. Je remontais à l’étage, et là je m’étonnais de ne pas voir Krysta. Elle ne prenait pas de douche, car elle trouvait que l’eau n’était pas adaptée à sa peau. Elle préférait l’eau de mer. Et je ne l’avais pas croisée. Alors où était-elle encore passée ? Et puis, d’un coup, je me rappelais notre petite querelle concernant Sam. Et je fus soudain envahi par la peur. Elle connaissait son odeur. Il ne serait pas difficile à Krysta de remonter sa piste comme elle l’avait fait pour moi. 

 

Je sortais en trombe de la maison, ne prenant même pas la peine de fermer la porte, tellement je craignais que Krysta fasse la plus grosse des conneries. Michael n’était peut-être pas le flic le plus intelligent de la planète, mais si on touchait à sa sœur, je ne saurais pas expliquer pourquoi, mais il changeait complètement d’attitude. Il n’y avait qu’avec moi qu’il n’avait rien dit, parce qu’il avait compris ma décision de ne pas suivre Sam pour ses études de droits. Et puis Sam aussi avait comprise. Du moins elle avait montré un masque le faisant croire. Alors, Michael ne m’en avait jamais voulu. Mais là, si Sam mourait et que Michael découvrait que c’était Krysta, et surtout que j’étais complice de son meurtre, il ne me ferait aucun cadeau. Je devais absolument empêcher Krysta de commettre l’irréparable. Une demi-heure plus tard, j’arrivais à la maison de Michael. La porte était grande ouverte. Je m’attendais au pire.

 

J’entendais des cris venant de l’intérieur. Trop tard ! Krysta était déjà en pleine action. Je me précipitais malgré tout, espérant sauver Sam à temps. Dans le salon, il y avait un policier étendu sur le sol, la gorge tranchée, l’une des jambe arrachée qui avait été jetée sur le canapé. Le flic vivait encore. Il m’indiqua que Michael avait dû se rendre en urgence à la maison des Powell. Les Powell. Un couple de retraité adorable, situé à l’autre bout de la ville. Harvey, le policier agonisant, m’expliqua que le couple avait été sauvagement attaqué par un animal sauvage. On les a retrouvés tous les deux partiellement dévoré. Les cris du couple ont été entendus par plusieurs voisins qui ont appelé Michael. Comme il avait peur pour sa sœur, il avait demandé à Harvey de veiller sur elle. Et, il y avait à peine quelques minutes, un monstre avec des griffes et une gueule énorme pleine de dents avait fait irruption dans la maison, défonçant la serrure de la porte. Il avait essayé de l’arrêter, mais la créature avait été trop rapide. Elle lui avait arraché la jambe comme si c’était un bout de bois. Juste avant de lui trancher la gorge. Il ne savait même pas comment il était encore en vie. Mais au moment de dire ça, le pauvre Harvey a fait une hémorragie, crachant du sang en pagaille. Quelques secondes plus tard, il n’était plus. J’avais perdu trop de temps. Il était évident que les Powell, c’était l’œuvre de Krysta. Pour éloigner Michael. Avec sa rapidité, elle n’avait eu aucun mal à venir ici en quelques minutes.

 

J’entendais Sam crier. Elle était encore en vie. Je me ruais vers sa chambre d’où semblaient venir les cris. J’entrais en trombe. Mais c’était trop tard. Sam ne criait plus. Sa tête gisait au sol, complètement défigurée. Son corps avait été lacéré de toute part. Ses lèvres avaient été également arrachées, et disposées sur la table de nuit, comme un message. Ses mains avaient été littéralement écrabouillées, formant un amas de chair difforme, et étalées sur la couette du lit. Et debout, juste à côté, il y avait Krysta, dans toute sa splendeur de monstre sans pitié.

 

« Maintenant, elle ne pourra plus jamais t’embrasser. Je ne laisserais aucune femme t’approcher. Tu m’appartiens. A moi, et à personne d’autre. J’ai besoin de toi. Tu fais partie de ma mission. Je l’ai promis à mon père. Je lui ai promis que grâce à toi, notre clan allait renaître. »

 

Je ne pouvais même plus bouger, tellement j’étais sous le choc. Sam ! Elle avait massacré Sam pour un simple baiser. Je voulais empêcher Krysta de partir, mais j’en étais incapable. Elle passa à côté de moi, pendant que j’étais en larmes en regardant le corps anéanti de Sam, sans même me dire où elle se rendait. Je l’apprendrais par la suite. Mais je savais déjà une partie de la vérité en cet instant. Je n’avais toujours été qu’un pion. Un pauvre pion naïf et amoureux. Je faisais partie de son plan qu’elle avait dit. De sa mission. La fameuse mission qu’elle prétendait avoir laissée au second plan parce qu’elle m’aimait. Comment avais-je pu être aussi stupide ? Et je n’étais pas au bout de mes surprises. Plus tard, Krysta me dirait où elle avait été cette nuit-là. Sur la plage. Pour rejoindre son père. Pour lui faire son rapport. Ce sont les termes qu’elle emploierait. Elle me raconterait même ce qu’ils s’étaient dit ce soir-là. 

 

« Ma mission est presque terminée, père. J’ai juste dû faire face à un petit imprévu. Rien de bien grave. Mais tout est réglé. »

 

« Bien. C’est parfait ma fille. Tu sais que notre survie dépend du succès de ta mission. C’est primordial. Nous comptons tous sur toi. »

 

« Je sais, Père. Regardez : l’humain a mis la vie en moi. Dans quelques mois, le premier être de notre futur va naître. Il ne reste plus que votre intervention. Le reste de la ville sera le point de départ de notre renouveau. Les uns serviront de reproducteurs, les autres de repas »

 

« Je suis si fier de toi. Tu as parfaitement réussi ta part de la mission. De notre côté, nous devons encore réunir quelques menus détails, et nous pourrons venir te rejoindre. Il ne te reste qu’une petite semaine à attendre »

 

Là-dessus Krysta était revenu à la maison pour se coucher, comme si rien ne s’était passé auparavant. Moi, j’étais toujours en état de transe quand Michael est arrivé, criant comme un fou dans la maison, après avoir vu le corps d’Harvey

 

« Sam ! Sam ! Saaaam ! »

 

Michael était dans un état indescriptible. Il pleurait toutes les larmes de son corps. Ça a duré un temps interminable. Et moi, je restais là, incapable de dire quoi que ce soit. Même quand Michael m’a demandé :

 

« Qui a fait ça ? Dis-le moi ! Je veux savoir qui a massacré ma sœur ! »

 

Je hochais la tête, comme pour lui dire que je ne savais pas. Et puis, il a vu le message posthume de Sam. Sur le lit. Elle avait tracé les 3 premières lettres de son assassin : « KRY »

 

« KRY ? Krysta ! C’est elle qui a fait ça ? Je savais qu’il y avait quelque chose qui clochait chez elle. Humphrey avait la manie de noter ses impressions lors de ses enquêtes sur son blog privé. Il les notait à partir de son portable. J’ai vu ces notes en allant sur son blog à partir de son ordinateur. Il indiquait qu’il soupçonnait Krysta d’être à l’origine des meurtres de Billy et ses potes. »

 

Je ne parvenais toujours pas à dire le moindre mot. 

 

« Tu ne dis rien ? Qui ne dit mot consent. C’est la bonne formule, n’est-ce pas ? On discutera plus tard toi et moi. Pour l’instant j’ai une traque à lancer »

 

Et il me laissa là, à mon désespoir, toujours incapable de dire quoi que ce soit, attendant ma sentence. Mais le cauchemar était loin d’être fini. Il restait encore à venir l’apothéose de Krysta, son père et leur clan. Et ça allait se conclure dans un bain de sang comme jamais le pays n’en avait vu.

 

… à suivre

 

Publié par Fabs

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