11 juil. 2021

L'OURS EN PELUCHE

 


Vous êtes-vous déjà demandé ce qui pouvait vous pousser à faire plaisir ? A rendre heureux un enfant par simple impulsion au hasard d’un magasin, d’un marché, d’une brocante, en apercevant un objet dont votre regard semble attiré comme par magie ? Sans raison apparente. Simplement parce que quelque chose en vous vous indique que vous devez le faire. Alors que votre situation économique, familiale ou autre n’est pas des plus propice à effectuer un tel achat. Mais c’est comme une force qui vous pousse, sans trop savoir pourquoi, à acquérir cet objet, à priori enfantin, et vous sentez que tant que vous ne l’avez pas fait, votre esprit ne vous laissera pas en paix.

 

Certains psychologues ou analystes économique disent que c’est notre société qui a créé ces impulsions, ou que c’est dû à des liens très fort avec la personne à qui l’objet est destiné. Ce n’est pas forcément un objet très complexe ou du moins très élaboré. La plupart du temps, c’est même carrément le contraire. Et les petites mains qui reçoivent ce présent de votre part ont les yeux qui brillent dès l’instant qu’elles ont le fameux objet en face d’eux. Auquel se rajoute une reconnaissance qui vous emplit de joie. Dès cet instant, vous vous sentez libéré d’un poids qui vous assaillait tant que vous n’aviez pas obtenu l’objet de cette convoitise un peu particulière. Ce n’est pas un mal en soi, bien au contraire. Cela signifie juste que vous avez bon cœur. Dans la plupart des cas. Mais il peut parfois arriver que ces objets offerts deviennent le point de départ d’une situation qui vont dépasser pas mal de monde…

 

Voici l’histoire d’un de ces objets offerts par un homme tout à fait banal au premier abord. Si ce n’est qu’il est un passionné d’une occupation qui fait fureur dans quelques pays, à savoir l’acquisition de garage mis aux enchères, avec tout ce qui le compose. Sans savoir ce qu’il y a à l’intérieur. Parfois, les plus chanceux ont la surprise de trouver des monnaies précieuses, une œuvre d’art oubliée, un dessin signé par un grand artiste, ou simplement une petite enveloppe contenant quelques liasses de dollars, cachée au fond d’un vase, ou dans la poche intérieure d’une veste. Pour d’autres, moins chanceux, ils vont écoper d’un tas de vieilleries inutiles, dont la vente ne permettra même pas de récupérer la somme mise au départ pour obtenir le garage et ce qu’il contient.

 

Karel fait partie de ces malchanceux, ayant eu la mauvaise idée d’écouter les propos d’un charlatan se disant voyant, et qui, au final, n’était qu’un beau parleur, se servant de son don à manipuler les gens pour s’enrichir, et lancer ses clients dans des achats infructueux, ou les faisant miroiter un avenir radieux qui n’arrivera jamais. Il a cru aux paroles de ce bonimenteur lui ayant assuré que l’achat aux enchères de ce garage allait lui changer sa vie de manière radicale. Quelque part, comme vous le verrez à la fin de ce récit, il n’avait pas complètement menti. La vie de Karel, et surtout celle de sa famille, allait changer du tout au tout. Car en fouillant ce garage acquis en vidant ses dernières économies, persuadé qu’il trouverait de quoi rehausser sa situation précaire, il a trouvé quelque chose qui allait effectivement transformer sa joie de l’avoir offert en une culpabilité qui ne le quitterait plus jamais.

 

Un objet tout simple, caché dans une étrange petite boite en plomb, elle-même entourée d’une sorte de sceau semblable à ceux qu’on voit parfois dans les livres traitant du moyen-âge, et plus particulièrement ceux parlant de sorcellerie. Un sceau forgé de caractères ressemblant à des runes. Mais le plus curieux était que la fameuse boite portait dessus une enveloppe jaunie par le temps. La curiosité de Karel l’emportant, il ouvrit l’enveloppe, et dedans il découvrit une lettre très curieuse, vraisemblablement écrite par l’ancienne propriétaire. Une certaine Lydia. En tout cas, c’est ce prénom qui finissait la lettre. Voici ce que disait cette lettre :

 

« Vous qui venez d’entrer en possession de ce coffret, je vous en conjure : sous aucun prétexte, vous ne devez l’ouvrir. Jamais vous ne devez faire sortir ce qu’il contient. Je sais que mes mots peuvent donner l’impression de quelqu’un atteint d’une forme de folie ou d’une paranoïa exacerbée. Mais même si l’objet que contient ce coffret a l’air le plus innocent du monde, il n’en est rien. Il a détruit ma vie, celle de mon fiancé, de ma mère et de la plupart de mes proches. Y compris ma fille, mon adorable Emily à qui j’ai fait l’erreur d’offrir ce jouet démoniaque. J’écris cette lettre aujourd’hui pour prévenir les futurs propriétaires afin qu’ils ne fassent pas la même bêtise en sortant  cette abomination de son écrin d’où je n’aurais jamais dû la sortir. Juste une chose : vous aurez beau tenter de le détruire, vous n’y parviendrez pas. La seule manière d’enrayer le mal, c’est de le laisser dans ce coffret que j’ai fait sceller. Je sais que la folie me guette, et que bientôt le mal que j’ai provoqué aura raison de mon esprit. Mais ne prenez pas mes mots à la légère, et mettez ce coffret et son contenu dans un endroit où plus jamais personne ne le trouvera. Moi, je n’ai pas réussi. J’ai tentée plusieurs fois, mais il parvenait toujours à ressortir, malgré le fait qu’il était enfermé. Il s’arrangeait toujours à faire ressurgir de sa cachette le coffret où il se trouvait, afin de l’offrir aux yeux de tous. C’est pourquoi, en dernier recours, j’ai écrit cette lettre. En espérant que celui qui la lira ne prendra pas mes mots pour ceux d’une démente. Car si vous laissez sortir cette horreur, vous deviendrez comme moi : une criminelle involontaire, pour avoir réagi trop tard à ce mal millénaire.

 

Lydia. »

 

En lisant cette lettre, Karel ne savait que penser. Elle avait beau dire dans ses mots qu’elle n’était pas folle, tout dans le contenu de cette lettre le laissait penser. Il se demandait bien ce que ce coffret pouvait avoir de si particulier pour avoir fait sombrer cette fameuse Lydia. Mais sur le coup, il se désintéressa momentanément du coffret, pour pouvoir inspecter l’intégralité de son acquisition. A savoir le reste du contenu de ce garage. Le priseur qui s’était chargé de la vente aux enchères publiques avait indiqué que la précédente propriétaire avait disparue du jour au lendemain, laissant des dettes en pagaille, et que c’est pour cette raison que ce garage était en vente. Il y avait peu de personnes présentes pour la vente, ce qui avait plutôt arrangé Karel. 

 

En dehors de lui, seules 2 personnes étaient là pour tenter de s’approprier l’objet de la vente, ce garage. Karel avait mis ce peu d’engouement sur le compte des prédictions du faux voyant qui l’avait incité à faire cet achat. La vérité, c’était que les autres éventuels acquéreurs avaient fait des recherches sur l’ancienne propriétaire, qui avait été l’épicentre d’un drame familial de grande ampleur. Ces fameuses morts évoquées dans la lettre qui figurait sur le coffret. Et du coup, sans doute que cela avait pas mal refroidi nombre de potentiels acheteurs d’acquérir des biens ayant appartenus à une personne que la  justice avait soupçonnée, sans trouver de preuves tangibles, d’être à l’origine des morts de ses proches.

 

Mais pour l’heure, Karel continuait de farfouiller l’intérieur du garage. Mais plus il cherchait dans les moindres recoins, meubles ou divers objets, plus il était persuadé de s’être fait berner par le charlatan et prétendu voyant. Rien à l’intérieur ne présentait le quelconque intérêt, la moindre valeur marchande. Tout était d’une banalité affligeante. A part le fameux coffret, qui semblait assez ancien. Karel se disait qu’un antiquaire pourrait peut-être lui en proposer un bon prix. Alors, il prit finalement le coffret avec lui, ferma le garage, et repartit chez lui. Son esprit cartésien l’avait empêché d’interpréter les signes qui s’étaient manifestés à partir du moment où il avait pris le coffret avec lui. Il avait placé ce dernier sur la banquette arrière de sa voiture, mais pendant tout le voyage le ramenant chez lui, il avait eu une impression bizarre. Une sorte de mal-être qu’il aurait été incapable de définir. Comme une forme de maux de tête, ou cette oppression que l’on ressent quand on parcourt des endroits particuliers, prompts à faire ressurgir des angoisses liées à l’enfance.

 

Tel que certaines personnes le ressentent quand elle font un tour dans le manège du train fantôme d’une fête foraine par exemple. Karel s’était vraiment senti mal pendant tout le trajet. Il avait bien repensé à la lettre et à sa mise en garde concernant le coffret et surtout ce qu’il contenait, mais il se refusait à croire à ce qu’il considérait comme des idioties. Même s’il était né dans une famille où les croyances dans le Paranormal étaient très fortes, lui avait toujours eu des doutes sur ça. D’ailleurs, quand il avait été voir ce soi-disant voyant, c’était sur le conseil de sa vieille mère qui partageait sa maison. Il était le seul à supporter ses divagations, contrairement aux autres membres de sa famille. Mais il se refusait à la placer dans une maison de retraite ou la faire suivre par un psychiatre, tel que lui recommandait sa sœur. Sa mère n’avait peut-être plus toute sa raison, mais c’était sa mère. C’était elle qui lui avait donné la vie.  Il refusait de l’abandonner aux mains de médecins qui ne feraient que la gaver de médicaments toute la journée pour qu’elle se tienne tranquille.

 

Malgré cette sensation bizarre qui l’avait envahi tout du long de son parcours en voiture, Karel était finalement parvenu chez lui. Sa vieille mère l’attendait, comme à son habitude, sur son fauteuil attitré, plongée dans ses romans à l’eau de rose. Une de ses rares distractions. A peine était-il entré qu’il vit celle-ci diriger son regard vers lui, lui demandant s’il avait été voir l’homme qu’elle lui avait recommandé. Karel lui répondit que oui, et que tout ce dont il avait été capable, c’était de lui avoir fait dépenser son argent pour rien. A part un coffret ancien, qu’il lui montra dans la foulée. En voyant le coffret, sa mère eut comme un léger mouvement de recul, demandant à son fils de se débarrasser de cet objet et de ce qu’il contenait. Qu’il y avait le mal à l’intérieur. Karel avait l’habitude des paroles parfois survoltées de sa chère maman. Alors, il ne tint pas compte de ses avertissements, lui disant qu’il avait bien l’intention d’en tirer un peu d’argent. Sa mère lui demanda alors qu’au moins de ne surtout pas ouvrir le coffret. En voyant l’air inquiet de cette dernière, Karel préféra ne pas lui parler de la lettre. Cela n’aurait fait qu’augmenter les angoisses de sa mère vis-à-vis de l’objet. Il plaça ce dernier sur la table de nuit de sa chambre, prépara le dîner, et, après que sa mère se soit un peu calmée et couchée, s’apprêtait à faire de même.

 

Mais son regard se tournait à l’endroit où il avait placé le coffret. Il se demandait ce qu’il pouvait bien avoir à l’intérieur. Il avait promis à sa mère de ne pas le faire, mais la curiosité fut plus grande. Il s’assit sur le rebord du lit, et commença à inspecter le sceau en cire noire parsemé de runes qui fermait l’ouverture du coffret. Il tenta de l’enlever avec les mains, mais sans succès. Il ouvrit alors le tiroir de la table de nuit, prit son couteau suisse, et brisa le sceau. Il s'attendait à trouver une sorte de parchemin, une dague ou tout autre objet appartenant à l’ésotérisme, au vu de la réaction de sa mère, et surtout de la lettre de Lydia. Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant que le fameux objet maudit était… un ours en peluche. Un peu abîmé par le temps, mais ça restait une simple peluche tout ce qu’il y avait de plus banal. Il se mit à ricaner nerveusement. Il avait dépensé tout cet argent pour un garage n’ayant rien de valeur, à part ce coffret, où il s’attendait à trouver quelque chose de grande valeur mystique, et il se retrouvait avec un ours en peluche, arborant un sourire, et doté de grands yeux noirs. Un peu particuliers ces yeux, il devait bien l’avouer. Puisqu’il y avait une sorte de rune aussi, gravés en rouge sur chacun de ceux-ci.

 

Une rune dont il ignorait ce que cela représentait, tout autant que les autres qui ornaient le sceau, qui fermait le coffret auparavant. Mais bon, ça restait un ours en peluche. Rien de bien démoniaque là-dedans. Toute cette peur dans cette lettre de Lydia juste pour ça. Sans compter la réaction de sa mère. Bon, il pourrait malgré tout tenter de revendre le coffret quand même. Quant à l’ours, il l’offrirait à son neveu. Il adorait les peluches, qu’importe ce qu’elle représentait. Pris par la fatigue, il referma le coffret, laissant la peluche à l’intérieur, et se coucha dans la foulée. Dans quelques jours, c’était l’anniversaire de son neveu. Ce serait le moment idéal pour lui offrir ce jouet.

 

Le lendemain, il fut réveillé en sursaut par sa mère, hystérique, lui criant dessus qu’il ne l’avait pas écouté, qu’il avait ouvert le coffret. Karel se frottait les yeux, criant lui aussi envers sa mère, lui demandant de se calmer. Qu’elle n’avait pas à s’en faire. Qu’il n’y avait qu’un simple jouet à l’intérieur. Elle redoubla de colère, le traitant de fils stupide, lui disant qu’il allait apporter le malheur à leur famille. C’était la première fois que Karel voyait sa mère ainsi. La première fois aussi qu’elle l’insultait, lui qui avait toujours été son « préféré » comme elle disait, car il était le seul à la comprendre. La vérité était qu’il parvenait à avoir le calme et la sérénité nécessaire pour supporter ses extravagances. Malgré tout, cette préférence avait fini par provoquer une certaine jalousie, pour ne pas dire une animosité chez les autres membres de sa famille. A part sa sœur. Cela prit un bon moment avant de parvenir à calmer sa mère. A ce moment, il se dit qu’il vaudrait mieux enlever le coffret et son contenu le plus vite possible du regard de sa mère, pour éviter une autre crise de ce type.

 

Ainsi, plus tard, sa mère s’étant finalement assoupie, sans doute à cause de son énervement violent d’auparavant, Karel en profita pour sortir l’ours en peluche du coffret, et confectionna un paquet cadeau, afin de l’offrir à son neveu. Il passerait cet après-midi chez sa sœur pour le donner à celle-ci, afin qu’elle le cache en attendant le jour de l’anniversaire pour l’offrir à son fils. Une fois le paquet confectionné, il se rendit donc chez sa sœur, en lui montrant discrètement le paquet cadeau. Lui expliquant que c’était pour l’anniversaire de son neveu adoré. Sa sœur riait de bon cœur à ses mots, lui disant qu’elle lui rappelait que c’était son seul neveu. Elle prit le paquet, et le cacha dans une armoire. Comme cela faisait un moment qu’il  ne l’avait pas vue, ils en profitèrent pour discuter un peu. De tout et de rien. Il lui semblait plus judicieux de ne pas lui parler de la provenance de l’ours, ni de la scène que leur mère lui avait faite ce matin.

 

Plus tard, il se rendit chez un antiquaire bien connu de la famille, dans l’espoir de pouvoir lui revendre le coffret.  Il entra, et s’approcha du comptoir. Le vieil antiquaire sortit de l’arrière-boutique, et reconnaissant Karel, lui offrit son plus beau sourire, lui demandant ce qui l’amenait. Karel lui montra donc le coffret. Et d’un coup, le sourire du vieil homme disparut complètement. Il observa quelques secondes le coffret, et vit que le sceau qui l’ornait avait été brisé en deux. L’antiquaire lui demanda alors ce qu’il avait fait de son contenu. Que c’était très important. Que ce coffret et ce qu’il y avait dedans était extrêmement dangereux. Il supplia à Karel de lui ramener l’objet qui était dedans. Qu’il se chargerait de sceller le coffret à  nouveau. Karel lui rétorqua qu’il faisait bien des histoires pour un simple ours en peluche. Le vieil homme lui expliqua qu’il savait ce qui était arrivé à la famille de sa précédente propriétaire. Que c’était lui qui avait fait l’erreur de lui vendre.

 

A ce moment-là, il ignorait ce qu’était ce coffret et son contenu. C’est après l’avoir vendu à cette femme, en consultant un de ses livres qu’il avait su qu’il avait fait une grave erreur. Il avait entendu parler de la mort de son fiancé dans des circonstances étranges, puis de sa mère. Il avait alors tenté de persuader la jeune femme de lui ramener le coffret et surtout ce qu’il contenait. Mais elle ne l’avait pas cru, et les morts s’accumulèrent. Peu de temps après, la femme le rappela, lui disant qu’elle regrettait de ne pas l’avoir écouté. Que si elle l’avait fait, sa famille serait en vie, et qu’elle  n’aurait pas été pratiquement obligée de tuer sa fille. Que celle-ci, à qui elle avait offert l’ours en peluche du coffret, avait changée à son contact. Elle était devenue méchante, la défiant sans cesse du regard, n’obéissant plus. Son mari n’avait jamais voulu d’enfant, et sa mère lui reprochait de trop gâter sa fille. Que c’était sans doute pour ça qu’ils avaient été tués. Ainsi que d’autres. Tués pour des raisons futiles. Des camarades de classes disparus mystérieusement. Le voisin et son chien aboyant constamment. Et un jour, elle avait surpris sa fille éventrant leur chat.

 

Sa fille, qui ne se séparait jamais de l’ours, avait alors tentée de la poignarder, et elle n’avait eu d’autre choix que de se défendre. C’est dans ce contexte, en tentant d’échapper à la folie meurtrière de sa propre fille de 7 ans, que cette dernière, lors d’un nouvel assaut vers sa mère, avait basculée par la fenêtre, tombant dans le vide. Du 12ème étage. Sous le choc, après avoir été longuement interrogée par la police, qui la suspectait d’être à l’origine de l’accident ayant coûtée la vie de sa fille, et peut-être aussi des autres morts ayant affectées sa famille, elle fut finalement remise en liberté surveillée. Le vieil antiquaire lui avait alors conseillée de lui ramener l’ours et le coffret. Qu’il avait trouvé un livre ancien donnant les indications pour sceller les deux à nouveau. Ce qu’elle fit. Il lui indiqua ensuite de cacher ce coffret dans un endroit où on ne pourrait pas le trouver. Par la suite, il ne l’a plus jamais revue.

 

Alors, revoir ce coffret à nouveau, entre les mains de Karel, le fit frissonner de terreur, il savait que les morts allaient recommencer. Il demanda à Karel s’il avait offert l’ours à quelqu’un. Karel, bien que sceptique, mais faisant confiance au vieil  homme, sachant qu’il n’était pas quelqu’un pouvant raconter des inepties sans fondement, lui dit qu’il l’avait donné à sa sœur, pour qu’elle le cache, afin de l’offrir dans quelques jours pour l’anniversaire de son neveu. Le vieil homme lui demanda de récupérer l’ours en peluche avant qu’il soit trop tard. Karel demanda alors ce que cet ours avait de si particulier. L’antiquaire lui apprit ainsi qu’il possédait en son sein  un esprit malfaisant, vaincu autrefois par un chevalier et scellé par une femme spécialiste des sceaux mystiques, une sorcière bannie de son ordre pour avoir aidé un humain contre leur avis. Par la suite, elle a juré d’opter pour le bien. Cet esprit avait été libéré par une de ses consœurs, lors d’une invocation qui avait mal tournée.

 

Cette sorcière, aidé par le chevalier, parvint à enfermer l’esprit dans une pierre, puis plaça cette dernière dans le coffret, qu’elle scella. Le coffret fut caché pendant des siècles. Mais il réapparut au milieu du XIXème siècle. Le sceau du coffret brisé, et malgré le fait qu’il était enfermé dans la pierre, il pouvait prendre possession d’un esprit prenant la pierre dans ses mains, causant d’autres morts. La personne possédée fut tuée, et, sans en connaitre la raison, la pierre fut dissimulée à l’intérieur d’un ours en peluche, sur lequel fut apposé deux sceaux au niveau des yeux, et un autre sceau sur le coffret, avant d’être à nouveau caché. Il a disparu de la circulation par la suite. C’est un ami de l’antiquaire qui trouva le coffret dans les fondations d’un vieux château, qui lui vendit.  

 

Karel, entendant l’histoire, parla alors de la lettre, qu’il pensait que ce n’était que des affabulations d’une femme en proie à des hallucinations. Mais que maintenant, il savait que sa sœur et son neveu était en danger. Il laissa le coffret au vieil homme, et fonça vers la maison de sa sœur, espérant arriver à temps. Le vieil homme lui avait également dit que l’esprit se focalisait sur des esprits faibles pour s’emparer d’eux, et que les enfants étaient ses proies favorites. Quel que soit l’endroit où le paquet avait été caché, l’esprit serait capable d’appeler son neveu par la pensée, lui demandant de le sortir de sa cachette, et lui demandant de le prendre avec lui. Il lui fallait un contact pour prendre possession de son esprit. Karel conduisit aussi vite qu’il put, multipliant les infractions routières, afin d’arriver avant que son neveu ne ressente l’appel de l’esprit et le possède. Il s’en voulait tellement de ne pas avoir cru à ce qui était inscrit sur cette lettre. Maintenant, à cause de lui, son neveu risquait de se trouver possédé par cette entité démoniaque.

 

Karel arriva finalement à la maison de sa sœur. Il n’entendit aucun bruit émanant d’elle, ce qui n’était pas pour le rassurer. Habituellement, son neveu étant assez dissipé, limite hyperactif, il entendait régulièrement sa sœur ou son mari crier régulièrement à cause de ses bêtises perpétuelles. Mais là, rien. Aucun cri, aucun pleur venant de son neveu venant d’être grondé. En entrant dans la maison, il avait l’impression d’être dans un caveau. De plus, la maison était plongée dans le noir. Il appuya sur l’interrupteur le plus proche. Et ce qu’il vit lui fit échapper un cri de terreur. Sur le sol gisait le mari de sa sœur, étendu de tout son long, se noyant dans son sang. Un couteau planté dans le dos. Ce dernier semblait avoir été lardé de plusieurs coups de lames. Son visage était tourné sur le côté, laissant voir une expression de terreur. Mais ce n’était pas la seule  horreur qu’il découvrit. Plus loin, dans la cuisine, il trouva le corps de sa mère. Qu’est-ce que cette vieille peau faisait là ? se demandait-il. Au vu de la crise qu’elle lui avait faite ce matin, il supposait, vu qu’elle aussi semblait connaitre l’histoire du coffret et de son contenu, qu’elle s’était doutée qu’il allait offrir l’ours à son neveu, et était venu pour les prévenir. Elle qui ne voulait jamais sortir seule dans la rue, elle avait voulu protéger sa famille….

 

Elle était affalée contre le placard de l’évier, la gorge tranchée, d’où continuait de s’écouler du sang en abondance. Soudain, Karel entendit une sorte de râle à moitié étouffé qui semblait venir du petit salon. Il s’y précipita. Il vit son neveu, l’ours plaqué contre sa poitrine d’une main, de l’autre tenant le couteau de cuisine qui avait vraisemblablement servi à tuer son père et sa grand-mère. A ses pieds se trouvait sa mère, la sœur de Karel, agonisant, un œil pendant sur son visage, les joues lacérées, disant sans cesse les mêmes paroles, à peine audibles : « Pourquoi, mon fils ? Pourquoi ? », avant que sa tête tombe vers l’avant. Karel n’en croyait pas ses yeux. Et son neveu, les yeux rouge sang le regardait fixement, comme pour lui dire : « Maintenant, c’est ton tour ». Mais Karel se souvenait des paroles du vieil antiquaire. L’esprit avait besoin d’un contact pour exercer son emprise. Il lui fallait alors séparer son neveu de l’ours en peluche servant de réceptacle à l’esprit de mort. Il s’approcha prudemment de son neveu, lui demandant de lui donner l’ours. Que celui-ci n’était pas très beau, qu’il lui en achèterait un bien plus joli. Mais son neveu, le fixait toujours, comme pour se préparer à attaquer, semblant jauger le meilleur moment pour le faire.

 

Puis, ce dernier fonça vers Karel, le prenant quelque peu au dépourvu, le couteau qu’il tenait en main en avant. Karel parvint à l’éviter la première fois, mais, comme mû par une force et une endurance sans commune mesure, revint à la charge, cette fois visant ses jambes et ses pieds, comme pour l’empêcher de se déplacer. Karel reçut plusieurs coups, faisant couler du sang en abondance. Il se demandait si une artère n’avait pas été touchée, tellement la douleur était intense. Et ce sang qui n’arrêtait pas de couler. Son visage devenait blanc, ses forces s’amenuisaient à force de perdre autant de sang. Il pourrait se défendre, mais c’était son neveu en face de lui ! Jamais il ne pourrait lui faire de mal ! Ce dernier continua de l’asséner de coups, le démon, l’entité, l’esprit, quel que soit le nom qu’on pouvait lui donner, se servant de ce fait pour attaquer toujours plus. C’était sûrement la raison pour laquelle il aimait posséder de jeunes enfants. Qui se méfierait d’un enfant ? Qui plus est quand celui-ci est un proche ? Puis, Karel, sentant que s’il voulait rester en vie, n’aurait sans doute pas d’autre choix, aussi douloureux que cela pouvait être pour  lui moralement que de frapper son neveu adoré, comme il aimait le rappeler, aperçut une petite statuette en bronze, posée sur un petit guéridon.

 

Malgré tout le mal que cette décision pouvait lui faire, il s’empara de la statuette, et frappa son neveu à la tête, espérant lui faire lâcher l’ours responsable de toute cette folie. Mais cela ne lui fit pas grand-chose, en dehors d’une énorme ecchymose au front. Il vit son neveu se relever, prêt à l’attaquer à nouveau. Alors, Karel, frappa à nouveau son neveu. Plusieurs fois, visant les bras, cherchant toujours à lui faire lâcher l’ours. Il ne parvenait même plus à compter le nombre de fois où il dût le frapper, ajoutant toujours plus de contusions à ce dernier, qui semblait impassible à ses coups, totalement dominé par le démon en lui. Puis, Karel, dans un dernier sursaut d’espoir pour sauver son neveu, fonça sur ce dernier, lui faisant frapper son dos sur le rebord de la grande table du salon derrière lui. Le choc lui fit enfin lâcher l’ours. Voyant son neveu, visiblement toujours sous l’emprise de l’entité, tentant de reprendre avec lui l’ours en peluche, Karel repoussa du pied le jouet plus loin, afin de libérer son neveu de son emprise.

 

Karel se rapprocha de son neveu, qui semblait ne plus réagir. Il le secoua, espérant faire revenir en lui une lumière de vie, lui montrant qu’il était redevenu lui-même. Mais celui-ci laissa échapper un filet de sang, sortant de sa bouche, semblant ne pas s’arrêter, pendant que ses yeux donnaient l’impression de se retourner sur eux-mêmes. Puis, sa tête bascula sur le côté, ses bras tombèrent au sol. Karel hurlait, demandant à son neveu de revenir, qu’il s’excusait de l’avoir frappé, mais que c’était le seul moyen de le faire revenir. Mais rien n’y fit. Le corps de son neveu ne bougeait plus. Les pleurs de Karel redoublèrent, avant de se ressaisir, et il posa délicatement le corps de son neveu sur le sol, dont la vie s’était éteinte par sa faute. Non. Ce n’était pas sa faute. Pas entièrement. C’était cet ours. Ses yeux s’emplirent d’un océan de colère au même instant en regardant le jouet couché plus loin. Non. Ce n’était pas de la colère. C’était de la haine. De la haine envers cette monstruosité qui avait fait de son neveu une marionnette de mort. De la haine envers cette entité qui l’avait obligé à tuer son propre neveu.

 

Mais alors qu’il tentait de ramper vers le jouet sans trop savoir quoi faire par la suite, n’ayant pas le coffret avec lui pour mettre fin à ses agissements, il entendit des sirènes de police semblant cerner la maison. Les voisins, sans doute alertés par les cris et les bruits, avaient dû alerter cette dernière. Deux agents entrèrent avec force, découvrant le carnage. Karel était à bout de force. Il continua de ramper vers le jouet de mort. Un policier arriva au même moment, voyant Karel maculé de sang, et un enfant parsemé de contusions sur le visage, semblant ne plus bouger, il ordonna à Karel de ne plus bouger. Ce dernier tenta de lui dire qu’il fallait ramener l’ours au vieil antiquaire. Il parvint même à  lui donner l’adresse, et continua toujours de ramper vers le sol. Le policier renouvela son ordre de ne plus bouger. Karel répéta que c’était l’ours le responsable, qu’il devait le laisser le prendre. Lui était fort. L’entité à l’intérieur ne pourrait pas le manipuler, et il rampa encore. Devant son refus de lui obéir, Le policier tira alors. Plusieurs fois. La dernière balle se ficha en plein milieu du front, faisant tomber la tête de Karel au sol, sans vie.

 

Le soir-même, les journaux, les médias parlèrent de l’affaire. Aux yeux de tous, Karel était le coupable. Ça ne faisait aucun doute. Le lendemain, un vieil homme vint au poste de police du quartier. Se présentant comme un antiquaire, il dit qu’il était un ami de la famille qui avait été massacrée. Il demanda si un ours en peluche avec des yeux parés de runes avait été emmené. Le policier lui répondit que l’enquête étant toujours en cours, il ne pouvait pas lui donner ce genre de renseignements, officiellement. Mais voyant la détresse du vieil homme, il lui avoua à demi-mots, qu’en en effet, un ours en peluche, faisait partie des pièces à conviction. Le vieil homme demanda alors s’il était possible de le récupérer par la suite. Que c’était un souvenir de famille qui était très précieux. Le policier lui répondit qu’il lui promettait que s’il apprenait qu’il était possible de lui permettre d’accéder à sa demande, il le rappellerait, et il pourrait venir récupérer l’objet. Le vieil  homme le remercia poliment et s’en alla.

 

Au même moment, le capitaine du poste de police fit son entrée, accompagné d’une petite fille. Il la présenta comme sa filleule qu’il avait en garde pour quelques jours. Il lui avait promis de lui faire visiter le poste dans ses moindres détails. Un peu plus tard, ils arrivèrent tous les deux à l’endroit où les preuves des affaires en cours étaient stockées. La petite fille, remarquant un ours en peluche, demanda si elle pouvait le voir de plus près. Le capitaine lui dit que normalement, c’était interdit aux civils, mais que comme elle l’avait demandé si gentiment, et qu’elle était une adorable petite fille, il ferait une exception pour cette fois. Il pénétra alors dans la pièce pour que cette dernière puisse voir l’ours en peluche de plus près, en lui précisant qu’elle ne devait pas le toucher, car c’était un objet qui devait être étudié pour une affaire. La petite fille hocha la tête, comme pour indiquer qu’elle comprenait. Mais elle semblait subjuguée par le jouet en peluche, comme hypnotisée. C’était comme si elle était en lien avec ce dernier. L’espace d’un instant, le capitaine fut appelé par la personne chargée de surveiller l’accès à la pièce, car on l’appelait au téléphone.

 

Délaissant la surveillance de sa filleule, le capitaine se dirigea vers le téléphone, afin de répondre. Pendant ce temps, la petite fille, laissée seule près de l’ours, malgré les recommandations qu’elle venait d’avoir,se rapprocha de ce dernier. De plus en plus. Et ne put s’empêcher de le prendre dans ses bras. Ayant fini l’appel, le capitaine vit sa filleule avec l’ours, et lui dit qu’il lui avait bien dit qu’elle ne devait pas y toucher. Mais qu’il ne se fâcherait pas contre elle si elle le remettait en place tout de suite. Là-dessus, la petite fille répondit qu’elle aurait bien voulue, mais que lui n’était pas d’accord, pendant que ses yeux virèrent au rouge….

 

Publié par Fabs

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