21 juil. 2021

PUMPKIN STORIES I - Fondantes Friandises

 


Qu’est-ce qui peut provoquer de la rancœur chez un vieil homme ? Un amour perdu ? Un voisin indélicat ? L’impression d’être passé à côté de quelque chose toute sa vie, et qu’il saura qu’il n’aura plus jamais l’occasion d’obtenir, au vu de son âge ? Difficile de le savoir. Encore pour cela faudrait-il être dans la tête de la personne… Pour Thaddeus Conway, la rancœur est un élément qui fait partie de sa vie depuis longtemps. Disons qu’elle est presque née avec lui. Il en veut à tout et tout le monde en fait. Avec une particularité pour les enfants. Pour faire simple, il les détestent purement et simplement. La simple vue d’un charmant bambin arborant un sourire reconnaissant à sa maman qui vient de lui offrir une sucrerie à la confiserie du quartier, parce qu’il a été sage ne lui apporte que du dégoût. Il ne comprend même pas quel plaisir peuvent avoir les gens à avoir des enfants. Et il le fait bien comprendre à longueur de journée. Insultant les mômes ayant l’audace de faire du vélo devant chez lui, alors qu’il arrose ses fleurs. Et si ça ne suffit pas à les faire partir, il dirige le jet de son tuyau d’arrosage vers eux, un sourire méchant aux lèvres, montrant sa réjouissance de cet instant.

 

D’autres fois, en allant faire ses courses, si un enfant le frôle trop près, il utilise le bout de sa canne, l’enfonçant sur le pied de la chaussure du malheureux, lui faisant déverser des larmes à n’en plus finir, sous les yeux horrifiées de son père, n’écoutant même pas les noms désagréables que ce dernier lui adresse. Aussi horribles soient-ils, ces moments sont des moments de pure jouissance pour Thaddeus. Il n’éprouve rien de plus plaisant que de torturer l’esprit d’un enfant, faire déclencher la tristesse sur son visage le remplit de joie, ou bien faire semblant d’être maladroit dans un parc, dans le seul but de faire échapper le ballon d’une petite fille. Celle-ci, désespérée de voir s’envoler son bien offert par son grand frère, retenant ses larmes en entendant le rire du vieil homme acariâtre qui observe la pauvrette regardant le ciel où son ballon a disparu.

 

Tel est Thaddeus Conway. Tout le monde dans le quartier le déteste, mais il s’en fiche royalement. Car il n’a que mépris pour tous. Chaque jour est l’occasion pour lui de chercher un moyen de tourmenter ses cibles favorites que sont les enfants. Il lui est bien arrivé de jouer des tours pendables à des adultes, profitant de son âge pour échapper à tout acte violent de la part de ses victimes, mais ça ne lui procure pas autant de joie. Mais il y a certains jours qu’il déteste tout autant que les enfants. Halloween fait partie de ceux-là. Il n’a jamais compris le plaisir que ceux de son âge pouvait avoir à offrir des friandises à ces petites choses en culottes courtes qu’il exècre tant, habillés de costumes tous aussi ridicules les uns que les autres à ses yeux. Voir cette joie sur leurs visages une fois leur butin obtenu augment encore plus sa rancœur à leur égard. Au moins a-t-il l’avantage qu’aucun enfant ne vient sonner à sa porte pour lui lancer le fameux « trick’N’Treat » qui l’énerve au plus haut point.

 

Mais voir le manège incessant de mères, de pères, de grands frères ou de grandes sœurs accompagner ces enfants pour faire leur tournée, déguisés eux aussi de ces frasques pour fêter Halloween, être obligé de supporter ces cris insupportables à ses oreilles de petits garçons jouant au vampire, au loup-garou ou autre monstre du folklore fantastique classique, sont des choses qui le rendent malade. Sans oublier les musiques de films d’horreur sortant des maisons, décorées pour l’occasion de citrouilles, de squelettes en papier, et autres stupidités à ses yeux. S’il pouvait, il aimerait tant faire disparaitre ces sourires que montrent ces enfants en ce jour. Entendre pleurs et désespoir serait pour lui une musique bien plus attrayante pour ses oreilles abîmées par le temps. Mais cette année pourrait bien être celle qui le verrait se réjouir de ce spectacle, car il a eu une idée… machiavélique pour transformer ce jour de réjouissances en tornade de larmes et de souffrances dans les rues du quartier. Une idée faisant appel à ses compétences en chimie. Car Thaddeus a été à une époque le pharmacien où chacun se rendait pour essayer d’obtenir quelque chose pouvant apaiser leur douleurs dentaires, ou bien des maux d’estomac douloureux.

 

Est-ce vraiment une surprise si je vous dis qu’il s’arrangeait toujours pour leur donner le traitement le moins efficace, voyant en pensée leur douleur grandissante à cause de médicaments fournis inadaptés, quand ils n’augmentait pas plus leur mal ? Certains s’en étaient rendus compte, en demandant conseil à d’autres pharmaciens ou des médecins, qui s’étonnaient de ces traitements donnés par un membre de l’ordre médical, censé apaiser la souffrance de ses clients. Au fur et à mesure, de moins en moins de gens venaient dans sa pharmacie, jusqu’à ce qu’il fût finalement renvoyé par le gérant de ladite pharmacie, ulcéré des plaintes à répétition concernant son employé, ce qui avait encore plus rajouté à la rancœur de Thaddeus envers les gens habitant dans son quartier. Mais cette année, il allait leur faire payer à tous, en s’en prenant à ce qu’ils avaient de plus cher : leurs enfants. Et pour mettre au point son plan démoniaque, il savait déjà comment il allait s’y prendre. Les friandises tant aimées par ces petites têtes blondes, brunes ou rousses parsemant sa rue allaient devenir leur pire cauchemar. Grâce à un produit de sa composition qu’il avait mis plusieurs années à mettre au point. Quelque chose qui serait indétectable et provoquerait des douleurs énormes à qui le consommerait.

 

Et quoi de mieux que ces fameuses friandises d’Halloween pour y déverser son fameux produit de vengeance ? Mais pour cela, il lui fallait pénétrer dans l’échoppe de la confiserie du quartier où tout les gens de sa rue s’approvisionnait en vue de ce jour de faste et de joie. Mais pour ça aussi, il avait déjà tout organisé dans sa tête pour s’y introduire, et insérer dans chaque friandise son produit de souffrance. Ce qui aurait pour effet de transformer la fête d’Halloween de son quartier en jour de malheur qui lui donnerait satisfaction en voyant ces familles désespérées en voyant leurs enfants à terre, se plaignant de douleurs plus que conséquentes, et ne sachant que faire pour y mettre fin. Ainsi, connaissant les habitudes du gérant du magasin, ce dernier ayant l’habitude d’avoir trop confiance envers les gens du quartier, en ne fermant jamais à clé la porte de service attenante à son commerce qui donnait dans une petite rue, Thaddeus entreprit d’attendre une nuit quelques jours avant ladite fête, au moment où le plus grand nombre de gens allaient vouloir acheter de quoi remplir leurs paniers remplis de bonbons, chocolats et autres butins pour les petits diables courant dans les rues le fameux soir, et s’introduisit sans peine dans l’échoppe du confiseur.

 

Bien entendu, il ne pouvait pas injecter son produit de vengeance dans toutes les friandises, mais malgré tout, une grande quantité de celles-ci en seraient farcies. Thaddeus se disait que ce serait bien le diable si le plus grand nombre de ces friandises ne finissaient pas dans les bols à offrandes des acheteurs. Sa besogne faite, il sortit aussi discrètement qu’il était entré, profitant d’une nuit sans lune, et rentra chez lui, ricanant de sa forfaiture une fois à l’intérieur de sa demeure, se délectant à l’avance de ce que son épopée allait provoquer. Le sourire aux lèvres, il se coucha donc, et, à partir du jour suivant, se mit à compter, presque inconsciemment, les heures le séparant du spectacle qu’allaient lui offrir malgré eux toutes ces petites jambes qu’ils détestaient tant. Les jours défilèrent donc, Thaddeus surveillant le calendrier, impatient, comme un de ces enfants qu’ils ne pouvaient voir, même en peinture, attendant le jour où il recevrait enfin son cadeau.

 

Et enfin, le jour J arriva. Thaddeus, comme s’il allait assister aux festivités du 4 Juillet, s’installa sur le perron de sa maison, tranquillement installé sur une chaise à bascule, une petite table basse à ses côtés, comportant sur sa surface une ou deux canettes de sa bière favorite, et attendant de voir et entendre les premières plaintes. Ce qui ne tarda pas à arriver, la voracité de certains enfants ne pouvant pas attendre d’être rentré chez eux pour se gaver de leurs sucreries fétiches n’ayant pas d’égal. Et ce qu’attendait Thaddeus arriva. Partout dans le quartier, des enfants se trouvaient à terre, se plaignant de douleurs atroces, causant inquiétude sur le visage de leurs familles dépitées, provoquant rires et satisfaction non dissimulée sur le visage du vieil homme. Cependant, au bout de quelques minutes, il se rendit compte de quelque chose de curieux. Les cris des enfants s’estompaient, et ceux des parents s’amplifiaient, parsemés de pleurs bien trop aigües pour expliquer de voir de simples douleurs. Curieux, il descendit de son perron, essayant de comprendre la chose. Et ce qu’il vit failli bloquer son cœur. Partout dans la rue, gisaient des petits corps, fondant à vue d’œil, comme s’ils avaient absorbés un acide destructeur, transformant leurs jambes en une sorte de mélasse difforme, leurs bras devenant aussi mous que des guimauves mises au feu, leurs visages étant flasques, ayant perdu tout signe de nez, bouche, yeux, et se noyant dans un magma de sang, libérant leurs entrailles fumantes aux yeux de leurs parents effondrés de terreur.

 

La peur commençait à s’installer dans le cœur de Thaddeus. Certes, il n’aimait pas les enfants, ils les exécraient, mais ils n’avait jamais voulu qu’ils meurent de façon aussi abominable. Le produit qu’il avait injecté n’aurait dû que leur infliger des douleurs abdominales, des maux de cœur, et rien de plus. Comment se pouvait-il que les corps fondent sur l’asphalte du quartier de cette manière, transformant la rue en hécatombe monstrueuse ? Il entendit des ambulances venir de plusieurs côtés, alertés par les familles, les amis en proie au désespoir le plus total, pendant que le sol continuait de se parer de bouillies humaines, qui avaient été autrefois des enfants rieurs et plein de vie. Pris de panique, Thaddeus se précipita vers sa maison, afin d’aller vérifier la composition de son produit, qu’il avait entreposé dans sa cave, à l’abri des regards indiscrets. Et là, il découvrit son erreur, dû à sa vue baissante. Il avait confondu le flacon contenant la base de sa mixture qui n’était censé que produire des maux mineurs, avec celui d’acide chlorhydrique. Faisant de sa composition non pas un mélange anodin, mais un véritable engin de mort.

 

Thaddeus était abattu. Jamais il ne pourrait se pardonner une telle erreur. Une erreur qui le poursuivrait le reste de sa vie. A ce jour, il continue de rester enfermé dans la chambre de la pension où il a choisi de finir ses vieux jours, refusant toute visite quelle qu’elle soit, les yeux fixant la fenêtre, comme s’il voyait toujours le massacre dont il avait été la cause, et qui avait fait la une des journaux. Il n’a jamais pu dire qu’il était responsable. Une fois découvert sa faute, sa voix a disparu, comme pour expier. Enfermé dans une prison qu’il s’est lui-même construit à l’intérieur de sa tête, il attend patiemment sa mort, sachant que c’est tout ce qu’il mérite, et semblant entendre des ricanements incessant envahir la pièce, comme pour lui rappeler sa damnation éternelle par l’esprit d’Halloween, cet esprit qu’il avait souillé par son acte irréfléchi. S’il avait pris le temps d’observer plus avant sur l’un des murs de sa chambre, il aurait pu apercevoir un sourire moqueur au milieu d’une tête de citrouille, portant un haut de forme, prenant plaisir à son calvaire. Celui justement de l’Esprit d’Halloween qui le hanterait à jamais jusqu’à sa mort….

 

FIN 

 

Publié par Fabs

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