14 déc. 2021

DU SANG SUR LES SAPINS (Spécial Noël)

 


Changer les habitudes d’une petite communauté, vivant quasiment en autarcie, n’est jamais une bonne idée… Et encore moins refuser d’écouter les mises en garde de la population concernant leurs coutumes… Notamment celle de ne pas vouloir s’adonner au rituel du sapin de Noël pour les fêtes. Tout simplement parce que cela impliquerait de toucher aux arbres d’une forêt considérée comme taboue par tous les habitants. Une forêt immense, remplie de sapins à la beauté incomparable, qui pourrait faire briller les yeux de n’importe quel fervent partisan de la magie de Noël. Mais pourtant, personne n’est autorisé à ne serait-ce que mettre les pieds dans cette forêt, sous peine de subir les foudres des autres habitants. Beaucoup ignorent la raison exacte de ce statut interdit des lieux, car ils se perdent dans le temps, et remontent aux origines de la construction de la petite ville. Ou plutôt, refusent d’en parler, sans montrer une peur flagrante. Cela remonte à une époque lointaine, où vivait une tribu indienne, étant en harmonie parfaite avec la nature, et liée aux esprits protégeant la forêt proche…

 

Les premiers cas de morts mystérieuses ont commencé dès l’arrivée des colons sur le territoire. Chassant la tribu, ignorant leurs recommandations de ne pas pénétrer dans la forêt, car elle était taboue pour leur peuple. Elle était le territoire des esprits de la nature. Quiconque faisait l’erreur de se rendre dans la forêt, et pire encore, d’attenter à la vie de son contenu, serait maudit, et périrait de la main des esprits gardiens. Bien entendu, vous connaissez la stupidité des conquérants ? Celle de ne jamais prêter attention aux dires du peuple conquis… Et donc, une fois la tribu chassée, les premières maisons ont vu le jour près de la forêt. Des maisons fabriquées à partir de bois…. Au début, les nouveaux arrivants, en tout cas leurs dirigeants, quelque peu superstitieux, et se méfiant des légendes indiennes, et de leurs capacités à communiquer avec des forces inconnues par « l’homme blanc », ont respectés les croyances de la tribu indienne chassée. Et se sont approvisionnés en matières premières pour leurs maisons dans une autre forêt, située des kilomètres plus loin de la ville, afin de ne pas s’introduire dans celle toute proche…

 

Mais au fur et à mesure que la ville et le nombre de bâtiments croissaient, il devenait de plus en plus difficile de s’approvisionner dans cette forêt très éloignée de la ville, à la place de celle toute proche, bien plus grande. C’est l’arrivée du pasteur de la communauté qui fut à l’origine du mépris de respect des croyances indiennes. Indiquant que des chrétiens n’avaient pas à se préoccuper de celles-ci, qui n’étaient que des blasphèmes envers l’église. Et dès lors, finit par obtenir l’accord du dirigeant de la ville, qui en était aussi le shérif, afin de ne pas tenir compte de ces histoires, et de se fournir en bois dans la fameuse forêt. Des centaines d’arbres furent abattus, pour permettre d’ériger les maisons de la ville. Et c’est là que des premières rumeurs se firent entendre de la part des bûcherons, chargés de couper les sapins composant l’immense forêt. Des rumeurs parlant d’ombres furtives, semblant sortir des arbres l’espace d’un instant. De pleurs se faisant entendre à chaque arbre tombé au sol, alors qu’il n’y avait personne autour. En tout cas, en apparence…

 

Certains bûcherons parlaient aussi de substances étranges à la place de la sève des arbres, ressemblant à la texture du sang. Mais du sang vert. Fluide. Et presque phosphorescent, dès que les premières lueurs du soir s’annonçaient… Pendant que le pasteur souriait en voyant son église se monter, on commençait à parler de faits encore plus étranges, qui firent un effet boule de neige au sein de la communauté. Des enfants relatèrent avoir entendu des mots venir des arbres, les traitant d’assassins, quand ils cueillaient des champignons, des fruits ou des fleurs… D’autres mots furent rapportés par des couples d’amoureux en balade, alors qu’ils s’amusaient à graver leurs prénoms sur l’écorce d’un arbre… Des noms tels que « Meurtriers… » « Vengeance… » ou encore « Génocide… ». Ce qui faisaient fuir lesdits couples, en proie à la terreur… Parfois, c’étaient même des phrases complètes qui étaient perçues par d’autres personnes traversant les bois, chassant du petit gibier, tels que des lapins ou des jeunes caribous : « le sang coulera… » « Nous vengerons nos sœurs… »

 

Mais l’évènement le plus notable se déroula une semaine plus tard : Gerta, la tenancière du saloon de la ville, s’était rendue dans la forêt, afin de chercher des plantes médicinales, pour soigner sa fille, qui s’était blessée dans la même forêt, en jouant avec ses amis. Celle-ci avait dit à sa mère qu’elle ne s’était pas fait ça toute seule, et que ses amis pouvaient en témoigner. C’étaient les racines d’un arbre qui s’étaient enroulés autour de sa cheville, la serrant tellement fort, que cela avait fait couler son sang en grande quantité, faisant fuir en criant ses camarades… Ce sont les mêmes cris qui avaient fait relâcher la pression des racines sur sa jambe, et la fillette en avait profité pour s’enfuir vers la sortie de la forêt. Elle avait demandé à sa mère de la croire, et de ne surtout pas se rendre dans la forêt, car celle-ci était possédée par des forces du diable… Evidemment, sa mère ne la crut pas, et se rendit donc dans la forêt… Mais 3 heures plus tard, celle-ci n’était toujours pas revenue…

 

Une battue fut organisée par les habitants, après que sa fille, bravant l’interdiction de sa mère de se lever de son lit, à cause de sa blessure, signala son inquiétude de ne pas voir rentrer sa mère, auprès du shérif. Elle expliqua aussi ce qui lui était arrivé auparavant, montrant sa plaie, demandant de lui ramener sa maman… Parce qu’elle craignait que les arbres lui aient fait du mal. Le shérif emmena la fillette se faire soigner par le pasteur, qui faisait office également de médecin dans la petite ville, puis demandait à ce que des volontaires l’accompagne dans la forêt pour retrouver Gerta… Ils trouvèrent bien cette dernière… Mais dans un état presque indescriptible… Elle était pendue par les pieds, ses habits déchirés de toute parts, des fleurs avaient poussées sur ses bras et son visage, sa bouche était remplie de champignons… Ses jambes étaient transpercées de branches… Et ses yeux… Ses yeux pendaient, sortis de leur orbite… Une vision d’horreur effroyable pour les membres de la petite troupe…

 

Pendant que le shérif et les autres s’affairèrent à couper les branches sortant des jambes de la malheureuse Gerta, arrachant les plantes parsemant son corps, des rires glaçants se firent entendre, semblant venir de tout autour d’eux… Semblant venir des arbres eux-mêmes… Et des phrases furent déclamés, parfaitement distinctes cette fois, terrorisant le groupe : « Vous paierez pour vos crimes… » « Le premier sang a été versé… », ainsi que de simples mots, mais dont le sens était plus qu’éloquent envers la menace qui se trouvait autour d’eux… : « Vengeance ! » « Meurtriers ! » « Assassins ! » … Complètement apeuré, le shérif ordonna d’emmener le corps de Gerta, et de sortir le plus vite possible de cette forêt maudite… Le groupe fuyait à toute vitesse, alors que des rires de plus en plus forts semblaient sortir de la forêt toute entière, jusqu’à ce qu’ils finissent par revenir à la ville, expliquant ce qu’ils avaient vu et entendus…

 

Le pasteur se moqua d’eux, leur disant qu’ils avaient sans doute trop bus, ou avaient été victimes des vapeurs hallucinogènes du pollen de fleurs ou des spores de champignons… Mais le shérif lui précisa qu’il était botaniste, avant d’être devenu shérif, et qu’il savait reconnaitre les fleurs et les champignons qu’il venait d’évoquer. Et il n’avait vu nulle trace d’eux au sein de la forêt. Et surtout qu’il avait de très bonnes oreilles, comme tous les membres du groupe. Quant à la boisson, cela faisait des années qu’il était sobre, et ne buvait plus une goutte d’alcool. Le pasteur, toujours pas convaincu, se moqua d’eux, disant que si ce n’était pas les fleurs ou les champignons, c’était autre chose. Ou que c’était simplement un phénomène d’hystérie collective, dû à la découverte du corps de Gerta. Précisant que c’était certainement quelqu’un de bien humain qui l’avait tuée… Et pas des esprits issus de légendes indiennes. Rajoutant à ses paroles, il se dirigea vers la forêt, afin de prouver que tous leurs dires n’étaient que des inepties indignes de chrétiens…

 

Des heures plus tard, le pasteur n’était toujours pas revenu, lui non plus… Mais personne n’était assez fou pour se rendre à nouveau dans la forêt pour aller récupérer son corps. Car il était évident qu’il avait lui aussi subi le même sort que Gerta. Cette forêt, ces arbres, ou plus précisément ces sapins, aussi dingue que ça paraissait pour le shérif… étaient vivants… Ou du moins, il y avait quelque chose à l’intérieur de tous ces sapins. Quelque chose d’assez puissant pour pouvoir commander aux éléments de la nature. Et qui était maintenant plein de haine pour leur communauté… Le shérif recommanda que pour la nuit, personne ne sorte de chez lui jusqu’au petit jour, et dans les jours qui venaient, absolument aucun homme, femme ou enfant ne serait autorisé à sortir de la ville… Et surtout pas aux abords de la forêt… Désormais, cette forêt était taboue. Il indiqua qu’ils auraient dû écouter les recommandations des Indiens. Ceux-ci les avaient prévenus, et l’arrogance de leur communauté, doublé de sa stupidité de ne pas porter d’attention aux croyances locales, avait apporté le malheur sur eux. A cause du pasteur…

 

Contre toute attente, la nuit sembla s’être passé calmement… Mais là encore, ce n’était que des apparences… Le corps du pasteur fut retrouvé, fixé par des racines, semblant sortir des murs même de l’église encore en construction. Lui aussi avait les yeux exorbités… Du lichen emplissait son visage, ses oreilles, son nez… Les os de ses jambes avaient été expulsés de son corps, par des racines et des branches. Comme si ces dernières avaient poussé à l’intérieur de son corps… Mais bientôt, d’autres cris se rajoutèrent à ceux qui avaient été lancés à la découverte du corps du pasteur… Des pleurs par dizaines venaient des maisons, où on trouvait d’autres corps dans le même état que Gerta et le pasteur. Parfois même pire… Des enfants gisaient dans le sang, entourés de branches, les ayant emprisonnés dans leurs lits, leur corps complètement écrasés… D’autres étaient fixés sur les murs, les sols, les armoires… C’était comme s’ils avaient fusionné avec les parties de la maison où ils habitaient…

 

Dans d’autres maison, on trouvait d’autres corps, dans des états tout aussi horrible… Jeunes, vieillards, bébés, … et même les animaux domestiques… Tous avaient été massacrés de manière épouvantable… Les seules personnes ayant échappées au carnage étaient celles qui s’étaient enfermés dans des endroits n’ayant pas été construits avec le bois de la forêt… Les maisons dont le bois venait de l’autre forêt située à des kilomètres plus loin, avaient toutes été épargnées… Mais cela ne voulait pas pour autant dire que les survivants étaient sortis d’affaire… Ceux qui étaient les auteurs de toutes ces morts, ces créatures, ces forces du mal, finiraient sans doute par achever le travail commencé… Le shérif prit alors la décision de tenter de parlementer directement avec les forces responsables. Après tout, au départ, c’était lui et sa communauté qui avait commis l’erreur de pénétrer dans leur territoire, et de saccager ce qu’elle contenait. Malgré les réticences de certains à ce qu’il se rende dans la forêt, la décision du shérif fut prise. Il indiqua que s’il ne revenait pas, il leur faudrait abandonner la ville de toute urgence, pour ne pas périr eux aussi…

 

Tout le monde ignore ce qui s’est passé avec exactitude dans la forêt, entre le shérif et les créatures y habitant… Toujours est-il que celui-ci revint vivant, souriant. Il donnait l’impression de quelqu’un ayant remporté une victoire dont même lui avait des doutes… Il expliqua qu’il avait fait preuve d’humilité en parlementant avec les esprits de la forêt, que ceux-ci l’avaient écouté avec attention. Qu’ils n’étaient, après tout, que des habitants d’une communauté voulant être chez eux, sans envahisseurs. Qu’ils regrettaient d’avoir du recourir à ce massacre, mais que c’était la seule solution pour se faire comprendre. Et que c’était bien peu en comparaison des centaines de leurs sœurs que la communauté du shérif avait tué. Le shérif avait cru comprendre que les sapins composant la forêt n’étaient pas vraiment des arbres au sens où on l’entend. Les créatures, qu’il nommait des dryades, faisait partie intégrante de la constitution même des sapins. Elles partageaient leurs cellules, leurs souffrances, leurs joies, …

 

Le shérif rajouta qu’il avait promis que plus personne n’entrerait dans la forêt, qu’il s’en assurerait, et que la consigne serait donnée aux générations suivantes qui habiteraient la ville, de faire de même. Et depuis ce jour, la ville resta telle qu’elle est, afin de s’assurer que personne d’autre ne commettrait la même erreur qu’eux-mêmes avaient commis. Certains n’acceptèrent pas que les meurtres perpétrés par les dryades restent impunis, mais se soumirent à la décision du shérif… Afin d’éviter un autre bain de sang… La ville vécut donc en autarcie toutes les années, les siècles suivants. Des règles strictes furent établies, qui firent office de commandements au sein de la communauté, qui devaient être respectées à la lettre. Tous les habitants de la ville sont les descendants de ces premiers colons. Rares sont ceux étant partis vivre de façon définitive dans d’autres villes, d’autres régions. Bien sûr, il y eut malgré tout quelques personnes extérieures au départ à la ville qui vinrent s’installer. Mais c’étaient des personnes en lien avec des habitants. Des jeunes étant revenus de voyages d’études avec leurs fiancées, des anciens habitants de retour pour vivre leur derniers jours, accompagnés d’amis connaissant l’existence des dryades, et acceptant les lois particulières de la ville…

 

Jusqu’à aujourd’hui, la petite ville et les dryades de la forêt avoisinante vécurent en paix… Mais la terreur allait bientôt revenir au sein du territoire, à cause du désir de profit d’une fête, qui, bien que fêtée elle aussi dans la ville, possédait un élément nuisible au bien-être des dryades. Noël et ses sapins décorés de mille couleurs : guirlandes, boules et autres décorations… Dans la ville, par respect pour les dryades, personne n’utilise de sapin pour fêter Noël. Cela fait partie de règles qui se sont rajoutées au fil des siècles dans la communauté. Une règle respectée par tous, sans exception, y compris les plus jeunes… Car tous ici connaissent l’existence de leurs voisines un peu à part, mais les évoquer auprès d’étrangers est également interdit. Cela fait partie de leur mode de vie, et contribue à la paix entre les deux peuples…

 

Une paix qui allait être bafoué par le biais d’un promoteur désireux de faire fructifier son entreprise de vente de sapins de Noël, et qui voyait dans la forêt jouxtant cette petite ville, une aubaine qu’il ne pouvait manquer. Par le biais de techniques frauduleuses, il acheta les terrains où figurait la forêt, et fit installer une scierie, spécialisée dans la découpe des sapins, à quelques centaines de mètres du lieu de vie des dryades. Tout aussi illégalement, il acheta une maison au sein de la ville. Une maison abandonnée depuis longtemps, la famille y vivant autrefois ayant perdu son dernier occupant il y avait près d’une dizaine d’années de cela, et n’ayant jamais été reprise par d’autres habitants de la ville. Plus par respect pour les anciens propriétaires qu’une quelconque peur de déplaire. Une forme de mémoire. Une mémoire dont le nouvel arrivant n’avait que faire, et il s’y installa donc avec sa petite famille. Sa femme et ses deux enfants, âgés de 5 et 8 ans. Quand il se fit connaitre auprès de la municipalité, annonçant que cet endroit allait devenir une succursale importante du commerce de sapins de Noël, les habitants eurent tous leur sang qui se glaça, car ils connaissaient les conséquences que la présence de cet homme avide risquait de provoquer…

 

Plusieurs personnes de la ville, importantes ou non, tentèrent de le faire renoncer à son projet, et de ne surtout pas s’introduire dans la forêt. Parce qu’il en allait de la vie de tous. Mais quand le promoteur, du nom d’Alex, demanda la raison de cet engouement à protéger une simple forêt, il ne trouva que le silence en réponse. Personne ne pouvait enfreindre les commandements de la ville, dont le premier était de ne jamais parler de l’existence des dryades… Devant ce mutisme, Alex continua donc sur sa lancée, et la scierie entra en fonction 3 semaines plus tard, provoquant une angoisse et une peur immense au sein de la ville. Très vite, les bruits caractéristiques des tronçonneuses se firent entendre, venant de la forêt… Le signe d’une trahison pour les dryades de la part des humains et la communauté avoisinante. Ne s’intéressant pas aux méandres de la vie et des conflits internes des humains, pour elles, tout le monde était coupable et devrait en payer le prix… Et cette fois, le sang versé par leurs sœurs verrait venir en conséquence un cataclysme de pertes humaines…

 

L’action des dryades commença dès le lendemain, quand Alex reçut un appel paniqué d’un de ses employés, le contremaitre de la scierie, indiquant que plusieurs corps des équipes de bûcherons avaient été retrouvés morts à la lisière de la forêt. Alex crut à des accidents banals du métier, venant de novices. Mais son interlocuteur lui décrivit la manière dont ils avaient retrouvé les corps… Remplis de branches, de racines, et d’autres plantes, leur traversant les bras et les jambes… Et leurs yeux avaient été exorbités, sans compter plusieurs os ressortis. Et ce n’était pas tout. Les corps avaient été déposés sur les murs de la scierie, placardés, comme on pose une affiche… Des employés, à la suite de cela, refusaient de retourner dans la forêt… Certains avaient parlés de voix étranges, d’arbres vivants, de rires, pendant leurs travail… Et maintenant ça… Il y avait déjà 3 employés qui s’étaient enfuis, sans même demander une indemnité, et 4 autres menaçaient de faire de même… Le contremaitre demandait qu’il serait peut-être sage dans ces conditions, de faire une pause dans l’abattage et la découpe d’arbres… Le temps d’y voir plus clair et de calmer les autres employés…

 

Cependant, Alex ne voulait rien entendre. Qu’il avait autre chose à faire que d’écouter les jérémiades d’alcooliques ou de fumeurs d’herbe voyant des petits hommes verts partout. Ce soir, c’était le réveillon de Noël, et il tenait à en profiter avec sa famille. Le sapin était déjà décoré, et en place. Dès la fin du repas, quand ses enfants seraient couchés, il placerait les cadeaux de ses deux filles. D’ailleurs, il était très content de ce sapin. Il était vraiment magnifique. Il avait dû le nettoyer un peu, car, comme tous les sapins de cette forêt, il y avait cette sève bizarre qui suintait du tronc. Mais que ce n’était pas grand-chose par rapport à la joie de voir ses filles ouvrir leurs cadeaux dès le lendemain matin. Qu’il ne devait le rappeler qu’en cas d’extrême nécessité. Le contremaitre donna son accord, et Alex raccrocha. Il apercevait par la fenêtre plusieurs habitants qui s’affairaient à remplir leurs véhicules. Alex trouvait ça étrange de partir à quelques heures du réveillon, que les coutumes de cette ville étaientt vraiment bizarre. Mais il n’y fit pas plus attention, et rejoignit son épouse, afin de l’aider à préparer la table, en vue du réveillon…

 

Seulement, deux heures plus tard, alors que la petite famille était en train de manger, un nouvel appel du contremaitre obligea Alex à décrocher. Un peu énervé, il demanda ce qui se passait pour être dérangé en plein repas. A l’autre bout du fil, c’est un contremaitre terrorisé qui parlait… Parlant de créatures qui étaient sorties de la forêt… sorties des arbres…Elles étaient dans la scierie, et… Avaient provoqué un véritable massacre… Plusieurs hommes étaient morts sous ses yeux… Eventrés par des racines sortant des corps, plaqués contre leur volonté contre les murs, où ils se fondaient dans ceux-ci. Il avait encore en tête leurs cris horribles. D’ailleurs, Alex entendait certains qui criaient encore. Croyant à une beuverie, il dit au contremaitre qu’il ne trouvait pas la blague drôle du tout. Puis, il entendit ce dernier crier à son tour, et entendit des bruits de craquement d’os et du sang semblant être extirpé du corps… Puis, plus rien… La communication fut coupée… Désireux de savoir ce qui se passait, il s’excusa auprès de son épouse et de ses deux filles, mais qu’une urgence à la scierie l’obligeait à aller voir, mais qu’il ferait vite… Dehors, c’était une véritable ruée : tous les habitants semblaient quitter la ville à toute vitesse. Seuls semblaient rester quelques vieillards, n’ayant vraisemblablement plus de famille pour les emmener, et résignés à leur sort, attendant sur le pas de leur porte…

 

Ne voulant pas s’attarder, Alex prit sa voiture et fonça vers la scierie. Au fur et à mesure qu’il se rapprochait de celle-ci, il lui semblait apercevoir des sortes d’ombres fugaces passer sur le côté de sa voiture, certaines la frôlant de très près. Il n’arrivait pas à définir ce que c’était… C’était trop rapide… Mais ça semblait se diriger vers la ville. Pris d’un doute, il accéléra la cadence, et arriva à la scierie. Entrant à l’intérieur, il ne put que constater toute l’horreur qui s’offrait à ses yeux. Des corps par dizaines, démembrés, les têtes semblant avoir explosé, du fait de plantes sortant de l’intérieur… D’autres plaqués au plafond par un enchevêtrement de racines, le faisant penser au conte de Jack et le Haricot Magique… Sauf qu’au bout, il n’y avait ni palais, ni géant, ni harpe… Seulement un corps en charpie, dont le sang dégoulinait sur le bitume, quelques mètres plus bas… A chaque pièce qu’il parcourait, en quête d’un survivant, il ne découvrait que des cadavres… Quand soudain, il entendit un râle, dans un bureau. S’y dirigeant, il découvrit Hans, le contremaitre, agonisant, n’ayant plus de jambes… Celles-ci ayant visiblement été sectionnées de l’intérieur par ce qui s’apparentait à des ronces…

 

Hans vit son patron, et eut tout juste le temps de dire quelques mots : « …Dryades… », « …Ville… », « …Sapins… ». Puis, celui-ci s’étouffa dans un dernier souffle. A la lueur des derniers mots, Alex eut un mouvement de panique. Des Dryades… Il connaissait ce mythe… Il l’avait étudié quand il était enfant… Des créatures capables de fusionner avec des arbres… Pour ne faire qu’un avec eux… Des gardiens protecteurs très agressifs si on s’en prenait à leur lieu de vie… Il avait du mal à croire que de telles créatures mythologiques puissent exister… Pourtant, il devait bien se rendre à l’évidence… Au vu de tous ces corps qu’il venait de voir… La manière dont ils étaient morts… C’était aussi une particularité des dryades… Elles pouvaient commander aux plantes, modifier les cellules des êtres vivants, certaines parties de leur ADN, pour les faire se reformer à l’état de plantes… ça expliquait l’état des corps, qui semblaient avoir subi des attaques de l’intérieur même de leur corps… La forêt… Les sapins… Il repensait à ce que lui avaient dit les habitants… De ne pas s’attaquer à la forêt… Sous peine d’en payer le prix…

 

Ils savaient… Les habitants étaient au courant de l’existence des dryades… Leur mode de vie bizarre, leur règlement… C’était donc ça… Maintenant, il comprenait leur réticence à faire des sapins de Noël… C’était pour ne pas offusquer les dryades… Soudain, il eut un éclair de terreur… Son épouse… Ses filles… Le sapin… Si… si le sapin qui était chez eux était une dryade à l’origine… Tuée par un bûcheron… La sève… Cette substance étrange et verte qui suintait sur le tronc… Si les autres dryades étaient capables de sentir la présence de leurs sœurs tuées, rien qu’en sentant leur odeur… Sa famille… Sa famille était en danger… Pris de panique, Alex repartit en trombe vers sa voiture, et se dirigea vers la ville, vers sa maison…

 

Arrivé sur place, après avoir stoppé sa voiture devant sa demeure, il ne perçut aucun bruit en entrant chez lui…Pas même un rire de ses filles… Elles qui riaient quasiment pour tout et rien, ça n’était pas normal… Il régnait un silence de mort… Il se précipita dans le salon… Et là, il tomba à genoux… Les larmes coulaient toutes seules de ses yeux…Son épouse… Elle était transpercée des branches du sapin de Noël… Les guirlandes illuminaient l’intérieur de son corps, montrant ses organes ensanglantés… Des boules avaient été mises à la place de ses yeux… et les décorations du sapin remplissaient son corps entier… Envahi par la douleur, il regarda sur le côté, et son visage atteint un nouveau sommet de souffrance en voyant l’état de ses filles… Ses petits bonheurs, comme il aimait les appeler… Elles… Elles étaient en morceaux… Des bras, des mains, étaient disposées dans leurs assiettes… Leurs têtes placées en équilibre sur leurs verres…Il y avait un paquet cadeau, posé sur le flanc, placé en plein milieu de la table… Où se trouvait les troncs de ses deux filles… Où s’entremêlaient racines, plantes et aiguilles de sapin…

 

Alex criait avec une telle intensité qu’il aurait pu percer n’importe quel tympan, pleurant comme jamais… Puis, il vit deux formes émerger du sapin, comme faisant partie de lui… Des dryades… Elles venaient sans doute de livrer une sorte d’hommage à leur sœur décédée, à l’intérieur d’elle… Elles se rapprochaient d’Alex, lentement, montrant leur silhouette, semblable à des sortes d’elfes. Un corps longiligne, des oreilles pointues, des yeux en amandes, la peau alternant entre le rose et le vert, propres à leur côté hybride tenant à la fois de l’humanoïde et du végétal… Quand elles furent juste devant lui, Alex les entendit proférer ces derniers mots, avant de subir le même sort que sa famille : « … Le sang de la famille du meurtrier a été versé… » « …Maintenant, c’est son tour… ». Alex se sentit traversé par ce qui lui semblait être des milliers d’aiguilles tout autour de sa tête, perçant sa peau, sortant par son visage, ses yeux… Il vit ses os sortir de son corps, lui procurant une douleur inimaginable, avant de se faire envahir par des racines, se dirigeant vers son cou… L’enserrant avec une telle force, que sa tête sauta comme un bouchon de champagne… Son corps s’affala sur le corps, continuant sa déflagration, jusqu’à ce que les deux dryades décident qu’elles en avaient fini avec lui…

 

Les deux se regardèrent, souriant de leur acte de vengeance… Puis, elles adressèrent un dernier regard vers le sapin de Noël, hochant la tête, comme pour dire adieu à leur sœur… Par la suite, elles sortirent de la maison, se rendant dans la rue, où gisaient les corps de ceux qui n’avaient pu s’enfuir, ne faisant qu’un avec les murs de leur maison, ou contre le sol… Peu à peu, les autres dryades sortirent des maisons, où elles avaient effectué d’autres « punitions » aux rares habitants restants…Elles se regroupèrent, suivant leurs deux sœurs, qui semblaient être les deux dirigeantes de leur communauté. Celles-ci se retournèrent vers leurs sœurs, adressant un message : « …Aujourd’hui, cette ville… Demain, le reste des hommes… Avec l’aide de nos autres sœurs, de par ce vaste monde… » Toutes les dryades sourirent, ravies de pouvoir enfin se venger efficacement de l’être humain, et bénéficier d’une Terre en étant dépourvu. Ce n’était que le début d’une lutte totale qui n’aurait de fin qu’à la mort du dernier humain sur la planète, et dont les prémices, paradoxalement, auront donc connu leurs racines le soir du jour que l’homme aime célébrer le plus. Le jour de Noël. Ce jour qui est normalement signe de joie et de bonheur familial était devenu le point de départ d’une éradication complète de l’homme…

 

Publié par Fabs

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