4 déc. 2021

LA NEIGE VENUE DE L'ENFER (Les Contes Sanglants de Noël-Saison 2)

 


Depuis tout ce temps ou j’ai observé cette malédiction venue du ciel, j’en suis encore à me demander pourquoi j’ai accepté cette invitation pour participer à une séance de spiritisme, alors que je n’ai jamais cru une seule fois à ce tissu d’âneries. En tout cas, ça c’était mon sentiment d’avant. Aujourd’hui, quand je vois le nombre de victimes qui parsèment les paysages enneigés dehors, quand j’entends les informations relayant le phénomène partout dans le pays, où les cadavres se comptent par centaines, provoquant une vague de terreur comme j’en ai rarement vu, je ne suis plus si sûr que tout ce que je croyais être des inventions créées de toutes pièces par des bonimenteurs, n’aient pas un fond de vérité. J’en viens même à douter de l’existence avérée des créatures qu’on aime tant voir dans les films d’horreur, qui représente toute une partie de ma jeunesse… Est-ce qu’elles aussi existent ? Tapies dans l’ombre, prêtes à fondre sur leurs cibles choisies, pour assouvir leur faim, ou reprendre leur territoire, que nous, humains, dans notre stupidité, avons volés, en inconscients que nous sommes ?

 

Je crois qu’au vu du tapis sanglant qui se dresse devant mes yeux dehors, alors que je me cache dans cette maison pour ne pas subir le même sort, je n’ai plus vraiment de doute. Au début, quand cette neige, puis cette créature sont apparus dehors, suite à cette séance, j’ai vraiment cru à une blague stupide d’un des participants. Après tout, quand on était gosses, Carlita, Jean, Owen, Aïdan et moi, on n’était pas les derniers pour mettre de l’ambiance sur le campus de notre université. Je revois la tête de ce bon vieux recteur en découvrant les tables de la salle 101 fixées sur les murs, le bureau renversé cloué au sol, après que Mr. Ridgehall, le prof de maths, l’ait averti. Tout le monde était hilare, bien sûr, et nous les premiers.

 

A l’époque, on venait de voir « Matrix » au ciné, et l’effet « Bullet Time » nous avaient rendu admiratif. On s’était dit que ça serait fun de refaire la même chose dans « notre » réalité. Bon, au vu de nos antécédents, ce brave Mr. Townsell, le recteur, a eu vite fait de deviner qui était les auteurs de cette « matrixerie ». Lui aussi avait vu le film, en grand amateur de SF qu’il était, et il savait à quel point nos conneries étaient régulièrement liées aux films qu’on allait voir au ciné. Et on a passé tout un week-end à remettre les meubles en place, boucher les trous, refaire les peintures, les boiseries. On a galéré, mais au final, rien que de repenser au visage en fous rires des autres élèves que notre petite gaminerie avait causée, ça nous avait mis du cœur à l’ouvrage… Et le recteur avait été magnanime, en évitant de mettre au courant nos parents de nos talents de décorateurs SF… Il donnait un air dur de prime abord, mais Mr. Townsell était un cœur d’or, et qui savait pardonner. Et croyez-moi, pourtant, on lui donnait du fil à retordre. Faut dire que sur le coup, il n’était pas le dernier à rire à nos blagues « limites ».

 

Mais ll faisait bonne figure devant les mines abattues des professeurs qui avaient dû subir nos farces régulières, se donnant un air inflexible, nous inondant de remontrances. Mais quand on était seuls, notre petit groupe et lui, il nous demandait comment on avait fait pour mettre en place nos petits tours. Et ça engageait d’autres fous rires en le voyant rire avec nous. Quand on nous avait annoncé son décès, 6 mois plus tard, alors qu’on était à quelques jours de la remise des diplômes, ça nous avait fait un choc. Ne me demandez pas comment, mais malgré toutes nos blagues au ras du sol, on avait un niveau plus que bon en termes de notes. Et c’était dû en partie à ce brave Mr. Townsell, qui profitait de nos retenues pour nous faire réviser les matières où on était loin d’être des cracks. Et comme nos retenues dans l’année dépassait les doigts d’au moins une trentaine de mains, autant dire que des leçons particulières, on en avait un paquet avec lui. Il tenait à chaque fois à assurer notre « surveillance ».

 

Pour nous, c’était comme une sorte de second père. Je sais, dis comme ça, ça peut paraitre bizarre, d’autant qu’on lui en faisait voir, le pauvre. Mais je crois qu’au fond de lui, il était presque content qu’en on fasse aussi souvent, parce que ça lui permettait de passer du temps avec nous. Je crois que lui aussi il nous considérait un peu comme ses enfants. Je veux dire, en règle générale, un recteur considère plus ou moins tous ses élèves comme ses enfants, qu’il se devait d’éduquer dans le bon sens. Mais avec nous, on sentait bien que c’était différent. Il s’intéressait à nos goûts vestimentaires, notre passion pour les jeux vidéo, les réseaux sociaux où on était présent, nos films préférés… Il nous avait même transmis sa passion du théâtre, nous invitant à venir voir des pièces, avec l’accord de nos parents. Il adorait le répertoire de Shakespeare, et si au départ on était un peu réticent à s’adonner à sa passion, acceptant ses propositions de l’accompagner par reconnaissance, vis-à-vis de tous ces bons moments qu’on passait avec lui, on a vite changé d’avis sur nos à priori sur le théâtre…

 

On s’est vraiment pris de la même passion que lui. Je me souviens même des larmes versées par Jean à la fin de « Roméo et Juliette ». Beaucoup auraient rigolé en la voyant comme ça, mais comme on avait presque failli faire pareil, au contraire, on lui a tous tendu en même temps un mouchoir pour qu’elle sèche ses larmes. Une jolie scène. Jean qui se voyait proposer 5 mouchoirs quasiment au même moment. Ça l’avait même fait rire, et nous aussi par la suite. Vraiment, ce sont des moments inoubliables, et la mort de Mr. Townsell nous a foutu un coup de blues monumental. Plus encore en voyant qu’on était les seuls élèves de l’université à être venus à son enterrement. Sa sœur nous a d’ailleurs remerciée pour notre présence. Son frère lui avait beaucoup parlé de nous, de nos farces, de nos échanges, nos sorties au théâtre. Elle nous avait dit qu’il nous estimait énormément. Du coup, sa disparition était encore plus dure à supporter pour notre petit groupe…

 

Après la remise des diplômes, on s’est tous perdus de vue. Chacun a tracé son chemin de son côté. Jean est devenue avocate, Carlita spécialiste en nutrition, Owen réalisateur à la TV pour des épisodes de séries animées de SF et Aïdan a monté sa propre boite. Une société faisant des applis pour les mobiles. Quant à moi, je suis devenu dessinateur dans une petite société de comics. C’est Jean qui nous a retrouvé, je ne sais pas trop comment, et on n’a pas trop cherché à le savoir, tellement on était tous content à l’idée de se revoir, quand elle nous a donné une adresse où nous retrouver. Un petit bar gothique dont personne, à part Jean, soupçonnait l’existence. L’ambiance était trop parfaite. On se serait cru dans la maison de Beetlejuice, pour vous donner une idée. On se serait presque attendu à voir débarquer Tim Burton en personne pour prendre nos commandes. C’est là que Jean nous a parlé de cette séance de spiritisme. Une nouvelle passion qu’elle s’était découverte il y avait quelques mois, suite à une affaire qu’elle avait brillamment remportée, selon ses propres mots. Sa cliente était l’employée d’une maison dont le maitre de maison était un homme assez connu dans le monde de la finance. Connu aussi pour son excentricité, et n’acceptant que des gothiques comme domestiques. Marié et père de 3 enfants placés dans des institutions privées. Vous voyez le genre…

 

Seulement, quand sa femme n’était pas là, il avait tendance à avoir les mains baladeuses, et faisait des avances envers à peu près tout le monde. Car ce que sa femme ne savait pas, c’était que son mari était bisexuel, et qu’il aimait bien changer régulièrement de partenaires. A l’issue du procès, le grand public a ainsi appris que ce brave monsieur faisait partie de la clientèle de plusieurs établissements « chauds » de la ville, si vous voyez ce que je veux dire. Et s’il y a eu un procès, c’est parce que la nouvelle employée n’a pas accepté de se laisser faire, contrairement aux autres, qui avaient trop peur de perdre leur emploi s’ils parlaient des petits « bonus » exigés par leur patron. Bref, le procès a fait un gros scandale, et ça a permis à Jean de devenir amie avec sa cliente. Une bonne amie qui lui a fait découvrir le bar où elle nous avait donné rendez-vous, tout comme le spiritisme, sous forme d’utilisation de planche Ouija…

 

Bon, au début, personne n’était vraiment partant sur la proposition de Jean de faire une séance, mais le plaisir de se revoir après tant d’années, l’enthousiasme de Jean nous parlant de ses discussions avec des esprits… Tout ça a fini par emporter l’adhésion de tous, et on a tous accepté de se rencontrer dans la maison de Jean pour une séance, à la grande joie de cette dernière, qui était tout excitée à l’idée de faire ça avec ses amis d’antan. C’est donc comme ça qu’on s’est retrouvée dans un quartier chic de la ville, au sein de la maison de Jean, qui se révélait être pratiquement identique au manoir des Addams. Ce qui a entraînée une succession de blagues comparant Jean à Morticia, et lui demandant si elle cachait une « chose » dans une boite de la maison, ou si elle avait un serviteur ressemblant à la créature de Frankenstein… Une crise de fous rires s’ensuivit, mais on a été tous un peu déçu : pas de main se baladant toute seule, pas de Lurch pour nous accueillir à l’entrée, et même pas de Gomez. Jean était asexuée, elle n’éprouvait aucun désir sexuel. On le savait car moi et Aïdan, on avait tenté notre chance, avec le même résultat. Même Carlita, par jeu, avait essayé de savoir si Jean était peut-être plus intéressée par les femmes à l’époque. Mais le résultat avait été identique pour tous, et Jean nous avait avoué que le sexe ne l’intéressait pas, et que ça n’était pas un problème pour elle.

 

A dire la vérité, sachant ça, au lieu de nous rebuter, ça nous incitait encore plus à lui faire des numéros de charme. C’était devenu notre petit rituel habituel entre nous et elle, et ça l’amusait beaucoup à chaque fois d’inventer de nouvelles réparties pour nous rembarrer, chacun à notre tour. Comme vous voyez, on était un groupe vraiment à part. Jean était asexué, Carlita était lesbienne, Owen était non-binaire, bien que ce terme n’existait pas encore à l’époque, et Aïdan et moi on étaient les exceptions. Désespérément hétéros, bien qu’ayant tenté quelques expériences…. Différentes…. Non, non, vous n’en saurez pas plus sur ces dernières… Revenons à ce qui s’est passé ce soir-là. Une fois entré dans le manoir, Morticia, pardon, Jean, s’était empressée de nous faire visiter sa demeure dans les moindres détails… Y compris les toilettes sèches, ce qui fit faire de grands yeux à Aïdan, qui demanda à Jean s’il pouvait faire le N°2 dans la machine à laver à la place des toilettes officielles. Ce qui lui valu une baffe et un fou rire général. Bref, au bout d’une heure de visite guidée, Jean nous a emmené dans la pièce du rez-de-chaussée où allait se dérouler la séance.

 

Une grande pièce à l’image de la déco de l’ensemble du manoir. Sombre, éclairée uniquement de bougies, avec du mobilier également dans des teintes opaques et noires. Une vraie ambiance de film d’horreur. Aïdan, décidément en forme ce soir-là, demandant à Jean de venir chez lui refaire la même déco avec les bougies, pour qu’il puisse, lui aussi, faire les mêmes économies en électricité, déclenchant une grimace de Jean, et un nouveau rire général. Ce Aïdan, toujours le même clown. Là-dessus, il avait pas du tout changé depuis l’époque de l’université… Juste après, Jean nous fit nous installer à la grande table qui se situait au milieu de la pièce, juste en dessous d’un lustre antique, lui aussi éclairé aux bougies. Des bougies noires, contrairement aux autres pièces où elles étaient blanches. La table était en bois laqué, visiblement repeinte pour être dans l’ambiance de la pièce. Puis, Jean alla prendre une boite dans un des meubles avoisinants. Une boite qu’elle dépliait et qui révélait une planche ouija. Elle nous indiquait ensuite que c’était une planche particulière qu’elle venait juste d’acquérir. Auparavant, elle se servait d’une planche classique, comme celle qu’on trouvait dans n’importe quelle boutique ésotérique. Mais celle-ci venait d’un antiquaire spécialisé, qui lui avait été recommandé par son amie et précédemment cliente lors du procès que je vous ai évoqué auparavant…

 

Alors, on s’est installé tous autour de la table ronde, qui, selon Jean, facilitait le toucher. Je m’attendais presque à entendre une nouvelle vanne d’Aïdan, mais celui-ci, sans doute conscient que ce n’était peut-être pas le bon moment pour ça, préférait ne pas sortir de blagues à bases de chevalier du roi Arthur, dont l’idée m’était venu. Mais moi aussi, j’ai préféré m’abstenir…Elle nous demandait de mettre nos mains sur la goutte de la planche Ouija, et de libérer nos esprits. Je m’attendais au pire à cette remarque concernant Aïdan une fois encore, mais il joua le jeu, et se contenta de suivre les recommandations de Jean. Elle commençait à « vider » son esprit, telle qu’elle l’avait demandé à nous autres, mais on n’avait pas la même expérience qu’elle à ce niveau, et est-ce que c’est cette réticence qui a causé les problèmes après ? je serais incapable de le définir avec certitude, toujours est-il qu’à peine Jean avait lancé la première question qu’on sentit une force déplacer la goutte de la planche, nous surprenant tous, mis à part Jean. Aïdan, voulant vraisemblablement détendre l’atmosphère, sortit un timide « comment t’as fait ça ? t’es magicienne ? », mais Carlita lui fit son regard signifiant « la ferme, Aïdan », qui le dissuadait de continuer sur sa lancée, et attendait la suite des évènements.

 

Jean avait posé une question simple, à savoir si un esprit était présent. La planche nous fit former le mot « oui ». Un sourire aux lèvres, Jean s’empressait de demander s’il acceptait de nous donner son nom. Il y eut un léger moment de silence, puis la planche nous fit former le mot « non ». Un peu désorientée de cette réponse, Jean demandait alors pour quelle raison. Et là, déjà que pour les deux premiers mots, on se faisait plus trop fiers, pour cette nouvelle réponse, on a carrément flippé à mort. La goutte s’accélérait, alignant les lettres à une vitesse folle. Tellement qu’on avait du mal à suivre le mouvement. Et quand ça s’arrêta, et qu’on comprit la teneur du message, nos visages exprimaient clairement la terreur qui nous envahissait au même moment… On se regardait tous, l’un après l’autre, comme pour se demander si on avait bien compris le message. Jean rompit le silence, nous demandant si on avait bien tous vu la même chose. On hochait tous la tête. On avait bien tous vu le même message. Il n’y avait pas d’erreur possible… L’esprit, l’entité, quoi que ce soit qui était présent avec nous dans cette pièce, avait énoncé le message : « parce que vous allez tous mourir ce soir » …

 

Rassemblant son courage afin de faire face à cette situation inattendue, même pour elle qui était habituée à ces séances, Jean inspirait longuement, puis expirait un grand coup, avant de tenter de nous rassurer, nous disant que c’était sûrement une blague d’un esprit farceur, qu’il ne fallait pas s’inquiéter. Mais à ce moment, la goutte nous fit marquer un autre message, comme pour répondre à Jean. Et ce nouveau message nous fit devenir nos visages encore plus blêmes qu’ils l’étaient déjà… On se sentait vraiment mal, espérant qu’on était tous en train de vivre un rêve éveillé, ou quelque chose du même genre, mais pourtant le message était éloquent de par ce qu’il annonçait : « non, je ne plaisante pas »… Bien que, comme nous tous, elle sentait la peur l’envahir de plus en plus, Jean se risquait à demander une nouvelle question, mais on sentait bien qu’elle aurait préféré, exactement comme nous, ne pas avoir de réponse… Malheureusement, celle-ci arrivait très vite, nous faisant bouger la goutte à nouveau, pour former un message qui mit fin à la séance de manière brutale : « la neige de l’enfer va tous vous anéantir… ».

 

A cet instant, on sentit tous une brûlure envahir nos mains, remontant à la moitié du bras, nous faisant ressentir une douleur intense. C’était comme si on avait plongé nos mains dans le foyer d’une cheminée où un immense feu s’était formé. Owen fut le premier à parvenir à se libérer de cette emprise qu’exerçait cette force sur nos mains, puis juste après, ce fut notre tour l’un après l’autre, de faire de même, faisant tomber Carlita de sa chaise, et laissant Jean dans un état presque catatonique, tellement elle avait du mal à réaliser ce qui venait de se passer. Dans le même temps, un rire tonitruant et démoniaque se fit entendre dans toute la pièce, avant que l’intégralité des bougies soient éteintes par un vent glacial, qui nous fit trembler d’effroi. Aïdan se précipitait à l’extérieur de la pièce, après s’être affalé au sol, en bousculant un porte-fleurs, en proie à la panique comme rarement on ne l’avait vu en avoir. Carlita le suivait juste après, profitant de la clarté offerte par la porte ouverte, puis ce fut au tour d’Owen et de moi. Jean restait quelques minutes encore dans la pièce, visiblement abattue par tout ça. Quand on la vit enfin sortir, on eut l’impression de voir un cadavre, tellement son visage avait viré au blanc pâle. On sentait qu’elle résistait au fait de ne pas s’effondrer, et Carlita s’approchait d’elle, et la prit dans ses bras. Immédiatement, Jean se mit à sangloter, déversant ses larmes sur le chandail de Carlita, qui tentait de la rassurer comme elle pouvait…

 

Owen indiquait qu’il vaudrait mieux s’éloigner de la pièce et discuter de tout ça au calme, dès que Jean se sentirait capable de le faire, afin que chacun puisse évoquer de manière rationnelle ce qui s’était passé. Aïdan, qui avait perdu toute sa fougue comique habituelle, s’emportait, criant qu’il n’y avait rien à expliquer. Que Jean avait merdé, et qu’on avait été assez con pour la suivre. Une déclaration qui lui fit déclencher une multitude de regards désapprobateurs, pendant que Jean continuait à pleurer à chaudes larmes sur les épaules de Carlita. Je pris alors la parole, demandant à ce que tout le monde garde son calme, et faire comme Owen avait dit, et se rendre dans une autre pièce, où l’ambiance serait moins lugubre. Aïdan se confondait en excuse envers Jean, lui disant qu’il ne pensait pas ce qu’il venait de dire, que c’était la peur qui lui avait fait dire ces mots, et lui demandant de lui pardonner. Jean relevait la tête, rassurant Aïdan, lui disant qu’elle ne lui en voulait pas. Qu’elle aurait sans doute réagie de la même façon à sa place. Owen insistait sur le fait de se rendre plus loin, tout en s’avançant vers la porte de la pièce où tout s’était déroulé, et la refermant.

 

 Il ne disait rien, mais on vit à son visage que rien que le fait de toucher la poignée de la porte avait provoqué quelque chose. Mais on ne chercha pas à en savoir plus, et nous nous rendîmes tous dans le salon, située très loin de la pièce désormais maudite. Carlita fit s’asseoir Jean sur le sofa, alors qu’elle tentait de faire cesser avec difficulté les larmes coulant de ses yeux. Je m’asseyais sur un fauteuil, n’osant pas parler, réfléchissant encore à ce qui s’était passé. Aïdan, lui, si jovial habituellement, avait les mains coincées dans ses genoux, le regard vide vers elles, assis sur le bras du fauteuil où se trouvait Owen. On restait ainsi plusieurs minutes, sans oser dire un mot, avant qu’Owen, à nouveau, brise le silence. Il demanda à Jean si elle avait déjà eu, lors d’autres séances, des situations de ce type, où si c’était juste nous qui avions eu la chance d’en avoir la primeur. Un petit air sarcastique qui exprimait bien l’humeur de chacun. Même si on ne voulait pas faire de la peine à Jean, reste que ce qui aurait dû être une réunion sympa entre anciens camarades d’université, venait de se transformer en cauchemar complet. Parvenant à reprendre le dessus, Jean expliquait qu’elle avait déjà fait des dizaines de séances comme celle-ci, et que jamais il n’y avait eu le moindre problème. Tous les esprits avec qui elle avait été en contact étaient pacifiques….

 

Mais elle précisait que c’était la première fois qu’elle utilisait cette planche Ouija en particulier. Comme elle leur avait annoncé avant la séance, c’était une planche particulière, fabriquée par un nécromancien du moyen-âge, une antiquité qu’elle avait d’ailleurs payée très cher. Mais comme c’était son amie qui lui avait recommandé d’aller dans cette boutique, elle lui avait fait confiance. Et de plus, c’était la seule planche Ouija présente chez l’antiquaire. Celui-ci lui avait demandé si elle était habilitée à s’en servir, que c’était une planche qui ne pouvait pas être utilisée par des néophytes, sans expérience suffisante pour affronter les esprits invoqués par elle. Qu’il fallait avoir une aura très forte pour ne pas attirer les mauvais esprits, qui sauraient déceler un mental faible, et en profiter pour s’introduire dans notre monde grâce à elle. Bien sûr, elle lui avait menti, en lui disant qu’elle avait l’habitude de converser avec des esprits très puissants, et qu’elle n’avait pas peur d’en affronter d’autres. Un mensonge auquel a cru l’antiquaire, sachant que Jean venait de la part de leur amie commune. Jean s’excusait de sa bêtise. Elle n’aurait jamais dû mentir. Elle n’aurait jamais dû acheter cette planche trop puissante pour elle…

 

Mais elle l’avait trouvée tellement belle, la texture des signes, le fait qu’elle se range en forme de boite, en la pliant en deux, avec cette « poche » en dessous pour ranger la goutte. Ça lui donnait un aspect esthétique tellement unique, qu’elle en avait ressenti presque comme une obsession. Elle devait l’avoir. C’est la sensation qu’elle avait ressentie en la voyant. Mais c’était une erreur, et à cause de sa stupidité et de son orgueil, elle avait permis à une entité maléfique de pénétrer dans le monde humain. Carlita la rassurait, lui indiquant qu’elle ne pouvait pas savoir que cette planche avait une telle puissance, qu’elle n’avait fait qu’obéir à son instinct. Pendant qu’Aïdan restait toujours prostré sur le bras du fauteuil et qu’Owen et Carlita continuait de discuter avec Jean sur des détails peut être indiqués par l’antiquaire, pouvant leur permettre de faire repartir l’entité, mon regard fut attiré par l’extérieur. La neige… C’était difficile à définir, mais de là où j’étais, cette neige soudaine, alors qu’il ne neigeait pas quand tout le monde était arrivé à la maison de Jean, semblait avoir une texture bizarre. Il faisait sombre, il était déjà 20 heures passée, et l’expérience qu’on venait tous de vivre avait sans doute plus ou moins altérée ma vision… Cependant, j’avais la nette impression que la neige qui tombait au dehors n’était pas habituelle. Elle n’était pas blanche….

 

Je sais que ça peut paraitre idiot dit comme ça, mais plus je regardais en direction de la fenêtre donnant sur la rue, plus j’avais la nette impression que la neige était plus sombre, comme noire. Je me disais que j’étais encore sous le choc de la phrase indiquée par l’entité. « La neige de l’enfer va tous vous anéantir ». Une neige venant de l’enfer. Ça sonnait tellement ridicule… Encore plus pour moi qui avait bien du mal à croire à tout ça. Si j’avais accepté cette séance, c’était uniquement pour Jean. Si ça avait été Owen ou Aïdan qui l’avait proposé, j’aurais refusé net. Mais Jean… Comment lui refuser quoi que ce soit… Je me rendais compte tout à coup, que malgré les années, et malgré le fait qu’on prenait ça à la blague à l’époque, j’avais toujours ressenti quelque chose de particulier pour elle. Et la revoir aujourd’hui avait réactivé cette flamme. Je savais que celle-ci étant asexuée, je n’avais aucune chance de déclencher quoi que ce soit de sentimental chez elle me concernant, mais c’était plus fort que moi. Même à l’époque de l’université, ça faisait l’objet de vannes en pagaille de la part de Carlita, Owen et Aïdan, à chaque fois que Jean me demandait quelque chose, et que je m’empressais de lui apporter, afin d’être sûr de lui amener en premier. Le secret espoir sans doute de déclencher quelque chose chez elle à mon encontre, même sachant que c’était voué à l’échec…

 

Repenser à ces souvenirs lointains permit de me reprendre quelque peu, et je me levais, laissant les autres discutant entre eux, et je me rapprochais de la fenêtre, afin de dissiper mes doutes sur ce que je pensais avoir vu du fauteuil. Mais bientôt, je dus me rendre à l’évidence… Je ne m’étais pas trompé… J’avais bien vu que cette neige n’était pas comme d’habitude… Cette neige… Elle était… Elle était bien… noire… Opaque et noire… C’était aberrant… Comment une telle chose était possible ? Je refusais encore de croire que cette entité invoquée dans notre monde par le biais de la planche ouija de Jean et cette neige puissent avoir un rapport entre eux… Mais pourtant, je devais me rendre à l’évidence… Ce qu’il y avait devant moi, dans la rue, au-delà de cette fenêtre, c’était bel et bien de la neige noire… Aussi noire que les ténèbres d’où elle devait venir… Une neige qui envahissait les toits des maisons, les trottoirs, le bitume des routes, les jardins des maisons… Rendant le tout aussi sombre que la nuit elle-même. Peut-être même plus encore… Mais ce n’était que le début de l’horreur, tel que j’allais le découvrir bientôt…

 

Je voyais des passants se tenir la tête, le visage, comme tentant de calmer une douleur invisible à première vue. Des automobilistes, en voulant éviter des piétons s’affalant sur la route, se tordant et criant, se précipitant sur des murs. Le conducteur, en sortant, étant lui-même en proie à ces mêmes douleurs que je ne pouvais expliquer. Je m’approchais un peu plus de la fenêtre, pensant que je verrais plus en détail ce qui se passait à l’extérieur… Et là je pus mieux m’apercevoir de la terreur qui se déroulait devant mes yeux. Des hommes, des femmes, des enfants… tous tombaient au sol, criant, hurlant, appelant à l’aide… Leurs visages semblaient se déchirer sous l’effet de leurs ongles que chacun enfonçait, cherchant à apaiser leur mal, et ne faisant qu’accentuer encore plus le phénomène. La neige… c’était elle la cause de tout ceci… Cette neige noire qui se posait sur leur peau, causait ces douleurs atroces ressenties par ces pauvres gens qui en étaient les victimes. Elle devait se propager par les pores de leur peau, se faufilant dans les moindres parcelles de leurs corps, provoquant toujours plus de douleur, faisant agoniser chaque personne ayant le malheur de se trouver en contact avec elle…

 

« La neige de l’enfer va tous vous anéantir » … Je repensais à nouveau à cette phrase. D’aberrante à sa première énonciation, elle était devenue synonyme d’une terreur sans nom. Complètement paniqué, je m’adressais à mes amis, leur demandant de venir voir à la fenêtre. Que ça concernait ce que nous venions de vivre. Intrigués par mes propos, ils vinrent à leur tour voir ce que se passait au-dehors, et à leur tour, furent horrifiés de découvrir l’horreur déclenché par cette neige noire… Cette neige de l’enfer… Carlita fut la première à s’apercevoir d’autre chose. Près du portail de la maison de Jean, à la droite de celui-ci, près du petit arbre qui se trouvait planté à quelques mètres, on voyait une forme gigantesque, aux traits indéfinis. C’était comme une ombre, mais qui n’aurait pas été achevée. Imaginez de dessiner une forme d’un noir profond sur une feuille, et dont vous n’avez pas fait les contours, ne laissant qu’une masse noire, dont l’intérieur cherche à s’échapper de la feuille. C’est exactement ce qui se montrait à nos yeux. Mais il y avait autre chose… La neige… La neige semblait venir de cette forme… C’était comme si cette neige était la texture même de cette… chose… S’élevant vers le ciel, sous forme de ce qui s’apparentait à de petits pointillés noirâtres, et se dirigeant vers les nuages, dont elle devait changer la texture, jusqu’à devenir la neige telle qu’on la voyait tomber dehors, transformant le paysage en succursale de l’enfer….

 

Était-ce une forme de folie qui s’emparait alors de lui, ou bien un acte vain d’héroïsme ? On ne le saura sans doute jamais… toujours est-il que sans rien dire, Aïdan se précipitait vers la porte d’entrée, sortit au-dehors, et fonçait vers la forme noire d’où semblait venir cette neige noire. Nous aurions voulu lui crier de revenir, mais avant même d’avoir le temps d’ouvrir la fenêtre et de le faire, nous le vîmes s’effondrer au sol, sans qu’il ait pu rejoindre sa cible, en proie à une douleur indéfinissable, qui s’entendait à travers le verre fin de la fenêtre. Carlita, dans un geste désespéré, ouvrit la fenêtre, lui criant de revenir, alors même qu’il était évident qu’il n’y avait pas le moindre espoir qu’il puisse le faire. Au même moment, une rafale de vent s’engouffrait vers la fenêtre, déversant une pluie de cette neige noire sur le visage de Carlita, qui hurlait, perçant nos tympans, avant qu’elle s’effondre au sol. Owen, voyant cela, fermait la fenêtre presque immédiatement, afin d’éviter que nous soyons nous aussi touchés par la neige meurtrière.

 

Mais le mal était fait. Carlita agonisait, montrant une souffrance monstrueuse, et nous ne pouvions rien faire. En tout cas, nous n’osions pas le faire, de peur sans doute d’être atteint à notre tour par le mal. Owen, malgré la peur de la situation, arrachait les tentures de la fenêtre, couvrant le visage de Carlita, espérant abréger ses souffrances. Mais cela eut pour résultat, qu’en touchant la peau de Carlita, à travers le tissu, la neige de l’enfer traversant sans mal celui-ci, Owen fut touché à son tour. Le mal issu de cette neige démoniaque s’immisçant dans son corps, le parsemant lui aussi de douleurs insupportables à entendre. Jean criait à son tour, exprimant toute la terreur qui l’envahissait, se tenant la tête avec ses deux mains, comme pour se persuader que tout ceci n’était qu’un cauchemar qu’il fallait qu’elle arrive à enlever de sa tête. Mais ce cauchemar ne pouvait pas partir de cette manière. Il était… Bien réel… Je prenais Jean avec moi, l’entrainant vers le petit salon, un peu plus loin, afin de l’éloigner de la vision de Carlita et Owen mourants. Je l’installais sur un petit canapé en cuir, m’asseyait à côté d’elle, la prenant dans mes bras, pleurant en même temps qu’elle. J’étais au moins aussi terrorisé qu’elle, et j’ignorais comment sortir de ce cauchemar. Est-ce qu’il était seulement possible d’en sortir d’ailleurs ? J’ignorais la puissance de cette créature au-dehors, celle qui créait cette neige. Était-elle la même que celle invoquée ? ou n’était-ce qu’un de ses valets ?

 

Autant de questions qui grouillaient dans ma tête, et dont je n’avais pas de réponses sur l’instant. Sur le bras du canapé, figurait une télécommande. Voulant sans doute trouver une échappatoire à toute cette folie, je dirigeais celle-ci vers la télévision qui se trouvait en face. Peut-être y trouverions-nous, Jean et moi, le réconfort, un signe que toute cette horreur allait trouver une issue. Des scientifiques, en ce moment-même, étudiaient peut-être le moyen de remédier à cette neige diabolique ? Mais ce que la chaine d’infos, que j’avais sélectionnée, nous montrait, fut encore pire que ce que nous imaginions. Des images venant de tout le pays montraient les mêmes scènes d’apocalypse que celles que nous venions de voir. Des corps envahis par la douleur partout au sol, rougissant ce dernier par litres entier, des incendies provoqués par des accidents, d’autres cas où on voyait des hommes, en proie à la folie, tirant sur ceux réclamant asile à l’intérieur de leur maison, alors que leurs corps se désagrégeait. Certains en venait même à se couper les bras ou les jambes, espérant empêcher le mal de se propager. 

 

Et on apercevait à plusieurs endroits, le même type de créature difforme comme celle qui se trouvait dans le jardin, sources, elles aussi, de cette neige de l’enfer. Je changeais de chaine, espérant trouver un programme qui nous ferait oublier ces spectacles de morts, mais à chaque fois, quel que soit la chaine, un bulletin d’alerte s’incrustait dans les programmes, pour tenir la population de l’avancée de la situation. Je finis par lancer la télécommande sur la télévision, brisant l’écran, afin de retrouver un semblant de calme. Nous n’étions plus que tous les deux, Jean et moi. Il fut un temps où j’aurais apprécié plus que quiconque de me retrouver ainsi avec elle, seuls au monde. Mais au vu de ce que nous étions en train de vivre, après avoir vu mourir nos amis sous nos yeux, ainsi qu’un nombre incalculable de gens, que ce soit au-dehors, ou par le biais de la télévision, le bonheur de me retrouver à ses côtés n’avait plus la même saveur… Jean avait fini par s’endormir sur mes genoux, harassée par la fatigue engendrée par la terreur qu’elle avait vécue… Je la regardais, lui souriant, caressant ses cheveux, voulant profiter de ce moment le plus que je pouvais, car je ne savais pas combien cet instant durerait….

 

Il suffisait d’une simple bourrasque de vent suffisamment puissante pour briser une vitre, et permettant à cette neige sanguinaire de pénétrer dans la maison, pour que tout s’arrête. Quelque part, je l’enviais d’être parvenu à s’endormir. Au moins, elle ne pensait plus à l’horreur qui se déroulait au-delà de ces murs. Elle était plongée dans une sérénité qu’elle avait bien méritée, après tout ce que nous venions de vivre. Quand elle se réveillerait, je m’occuperais de barricader toutes les fenêtres, les portes, les conduits d’aérations… toutes les ouvertures par lesquels la neige pourrait s’engouffrer. Je sais bien qu’au bout d’un moment, sans air, sans possibilité de respirer, nous finirions par succomber aussi. Mais au moins, ce ne serait pas par cette neige. On périrait ensemble. En tout cas je m’assurerais de ne pas périr avant elle. Elle avait suffisamment souffert comme cela. Si elle mourrait avant moi, ce serait ce qui pourrait arriver de mieux. Je me donnerais la mort juste après. Afin de la rejoindre. En un endroit où nous serons à l’abri de la neige de l’enfer….

 

Publié par Fabs

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