10 mai 2022

LA QUÊTE DES 2000 FRAGMENTS

 


 

Je me nomme Isaiah Barrell, et ceci est le témoignage de ce dont je suis responsable à tous les niveaux, à cause de ma soif de savoir et de pouvoir, à vous qui trouverez ce journal, et faites donc partie des survivants de l’holocauste mondial que j’ai provoqué. Ce monde fait de cendres, de villes réduites à l’état de gravats, de lacs asséchés, de montagnes s’étant affaissées dans le sol, et ayant provoqués tremblements de terre, éruptions volcaniques et tsunamis de grande ampleur, accentués par la fonte totale des pôles. Cette Terre ravagée qui autrefois était une planète luxuriante, où la vie foisonnait sur toute sa surface, n’est plus aujourd’hui qu’un spectacle désolant à perte de vue, en dessous d’un mur de nuages oscillant entre le gris et le noir… oui, ce monde de désolation, ces terres désertiques causées par le réveil de créatures antiques que j’ai tiré de leur sommeil à cause de ma stupidité et mon manque de connaissance concernant leurs desseins et leur rôle véritable, c’est à moi que vous le devez. Et croyez bien que si j’avais pu avoir accès à une vision de ce que j’allais causer, jamais je n’aurais réuni les différents morceaux de la tablette qui est la cause de tout. Cette tablette de pierre composée de 2000 morceaux éparpillés à travers les continents que j’ai rassemblés, année après année, afin de la remettre sur pied, inconscient, sans chercher à savoir pour quelle raison exacte elle avait été détruite et séparée, afin d’éviter justement qu’un fou tel que moi ait l’idée de lui redonner sa forme originelle.

 

Je n’ai pas réussi à trouver à quelle époque exacte elle a été conçue, sans doute aux fondements même de la première civilisation qui s’est érigée sur Terre. Il y a eu pourtant plusieurs avertissements, par le biais de catastrophes naturelles de grande ampleur, leur seule alternative à ce moment, car étant dans un état de semi-conscience, leur empêchant de déclencher leur fureur à notre encontre de manière totale. C’est vraisemblablement dans ce sens que cette tablette de pierre a été taillée et gravée de ces signes d’un autre âge, peut-être même d’un autre univers, une autre galaxie, inconnue de l’homme, et qu’il ne connaitra sans doute jamais, tellement la race humaine a peu de chance de se remettre d’un tel cataclysme.

 

Après leur geste ayant ravagé l’intégralité de la Terre, cette onde de choc dont je suis jusqu’à présent le seul survivant, je ne les ai plus revus. Sans doute satisfaits de leur « nettoyage » intégral, ils sont sans doute repartis vers le lieu dans l’espace d’où ils étaient venus, vers leur monde d’origine, leur dimension peut-être, comment savoir ? Je reste le témoin, le gardien d’un monde de poussière où toute trace de vie semble avoir été anéanti en une fraction de quelques secondes, le temps qu’il a fallu pour que l’onde provoquée par ces créatures gigantesques enveloppe l’écorce terrestre tout entière. Elles qui étaient enfermées dans les tréfonds de la Terre, endormies, jusqu’à ce que je les réveille en récitant l’incantation inscrite sur la tablette, ont sans doute fait acte de clémence envers moi, car j’avais été celui qui avais permis qu’elles retrouvent la liberté, et mettre en place leur « punition ». Des créatures qui ont fait l’erreur d’accepter leur invitation sur Terre par des inconscients, avant d’être trahies.

 

Trahies parce qu’elles faisaient peur, par leur pouvoir, leur force, et le danger potentiel qu’elles semblaient représenter. La tablette ayant été découverte par la suite par ceux-là même qui avait enfermés les créatures, elle fut détruite, et éparpillée en morceaux partout sur Terre, dans le but d’éviter le retour et la colère de ces êtres d’un autre monde. Sans doute aurait-il été plus sage encore de ne pas évoquer son existence dans des récits, afin d’éviter que quelqu’un ignorant son usage véritable, loin d’être anodin, n’ai la folie de la rassembler, comme je l’ai fait, et tellement coupable aujourd’hui de m’être livré à cet acte que je regretterais toute ma vie restante. Malgré tout, j’ai espoir que d’autres que moi aient survécus à ce cataclysme mondial, et c’est pourquoi je parcours la Terre, à la recherche d’éventuels rescapés, en nombre suffisant pour reconstruire ce qu’était l’humanité avant ma faute. J’ai fait plusieurs copies de ce texte que vous êtes en train de lire, que je dispose en plusieurs endroits, suffisamment mis en évidence afin que leur découverte soit aisée, dans le but que les survivants puissent le lire, prendre connaissance de ce que j’ai provoqué, et savoir ainsi l’origine et le pourquoi de ce monde en ruines.

 

Sachant cela, et informés que les créatures ayant provoqués ce désastre sont reparties, peut-être cela leur redonnera l’envie de tout rebâtir, en ayant comme objectifs de ne pas refaire les mêmes erreurs, et construire un monde différent. En tout cas, je l’espère. Mais je pense qu’il m’est nécessaire de vous expliquer plus en détail dans quelles circonstances exactes j’ai été l’étincelle de tout ça. Je vous ai déjà donné mon nom au début de ce récit, mais je ne vous ai pas indiqué ce que j’étais. Ma profession, enfin, si on peut appeler ça de cette manière. D’autres diront que c’est un hobby, une passion, une occupation singulière. Quoiqu’il en soit, je suis ce que l’on appelle familièrement un sorcier. En fait, je suis un peu plus que ce simple terme. J’ai acquis au terme de nombreuses années de recherche à travers les grandes bibliothèques de notre monde, la connaissance nécessaire pour dominer les sciences de l’occulte : ésotérisme, magie noire et blanche, démonologie, astrologie, incantation, invocation diverses, maitre dans l’ouverture de portails dimensionnels, m’ayant fait découvrir des mondes incroyables, parallèles à la Terre, et des créatures toutes aussi fascinantes. Une connaissance que je dois à mon grand-père, qui était chaman au sein de notre tribu, et qui m’a appris les rudiments du savoir des autres mondes, de la maitrise des arts occultes, de la lecture des langues les plus anciennes…

 

J’ignore comment mon grand-père a lui-même obtenu ce savoir, il a toujours été très secret sur ça. Mais ce qui est important, c’est que tout ce que je sais à la base, c’est à lui que je le dois. C’est lui qui m’a incité à quitter notre tribu, et rejoindre le monde des « visages pâles », afin de perfectionner mes connaissances, et le surpasser. J’ai étudié dans les plus grandes universités, lu des manuscrits uniques, parfois découverts certains inconnus ou en tout cas supposés disparus, dont certains ayant échappés à l’incendie de la Grande Bibliothèque d’Alexandrie. Mais je pense qu’il s’agissait de copies faites à l’époque par des personnes qui avaient pressentis la catastrophe, et tenais à ce que certains écrits ne disparaissent pas dans les flammes. Pourquoi ces mêmes personnes n’ont-elles pas tout simplement fait en sorte d’éviter que la catastrophe ait lieu ? Nul ne pourrait le dire, à part les intéressés eux-mêmes. Encore faudrait-il parvenir à remonter le temps pour leur demander. Mais si je disposais d’un tel pouvoir, je serais déjà revenu au moment où j’ai lu ce simple passage, cette simple évocation de l’existence de la tablette, et j’aurais laissé ce livre à sa place, voire même dédaigné l’invitation de celui qui le possédait de me proposer de le consulter, et ainsi éviter de me mettre à rechercher les différents morceaux et les rassembler… Seulement, je n’ai pas ce pouvoir. Le temps est la seule propriété que ni la magie, ni la sorcellerie, et, quoiqu’on en dise, ni la science ne sont capables de dominer. Et c’est mieux ainsi. D’expérience, je peux dire qu’avoir accès à certains mondes, certaines dimensions où je me suis rendu, est déjà dangereux en soi. Il y a toujours le risque qu’une créature franchisse le portail ouvert, et se rende dans notre monde, causant ravage et morts par dizaines, centaines, voire par milliers…

 

Alors, modifier le temps, au risque de provoquer des paradoxes temporels irrémédiables, et causer des dégâts irréversibles, c’est quelque chose que même moi je n’étais pas prêt à procéder. J’ai beau être assoiffé de connaissances mystiques, il y a certaines choses qu’il vaut mieux ne pas toucher. C’est pour la même raison que je n’adhérais pas à certains de mes « collègues » adeptes de la Nécromancie, le réveil des morts. C’est une pratique contre nature bien trop dangereuse, sans parler du côté éthique… Pour autant, je ne les empêchais pas non plus d’exercer ces sorts, car cela aurait été la porte ouverte à des guerres. Et les conflits entre sorciers ne donnent jamais quelque chose de bon, provoquant inévitablement des dommages collatéraux. Pour en revenir à ce qui m’a guidé vers la recherche de la tablette à l’origine de tout, c’est au cœur d’une bibliothèque que j’ai fait la connaissance d’un homme, lui aussi passionné des arts occultes, sans pour autant les pratiquer, qui m’a précisé être en possession de documents qui ne pouvaient se trouver dans aucun lieu littéraire, aucune université existante. Intrigué, et demandant plus de détail, celui-ci m’a invité à venir chez lui quelques jours plus tard. Ce que j’ai bien sûr accepté, trop heureux d’avoir accès à des écrits, des parchemins, tel qu’il me l’avait décrit, que de rares chanceux pouvaient consulter. Et je vous laisse imaginer le bonheur s’étant insinué en moi en faisant partie de ces personnes triées sur le volet par cet homme, aussi énigmatique soit-il…

 

3 jours plus tard, je me suis donc rendu à l’adresse qu’il m’avait fourni, et je suis arrivé à sa demeure. Une vraie maison de film d’épouvante, tout droit sortie d’un film de monstres de Universal. J’ai été accueilli à l’entrée par un clone de Lurch. Je m’attendais presque à voir la chose se balader à l’intérieur, et voir débouler le reste de la Famille Addams. Sur le coup, cela m’a fait sourire, interrogeant le domestique ne comprenant pas l’origine de celui-ci. Je me suis excusé, indiquant que je venais juste de penser à quelque chose sans rapport, ne voulant pas le vexer en lui précisant que c’était lui qui était à l’origine de mon hilarité, que je tentais de dissimuler le plus possible. Il me fit entrer à l’intérieur, avant de fermer la porte, et me demanda de le suivre vers le bureau de son maitre, l’homme qui m’avait invité à découvrir ces écrits inconnus. Et je dois dire que mon impression concernant le serviteur de mon hôte ne s’est pas arrêtée à ce dernier. Tout l’intérieur me faisait encore plus penser aux personnages de Charles Addams, par les tapis en peaux de bêtes, que je m’imaginais rugir l’espace d’un instant, aux décorations murales, les tapisseries, les trophées de chasse, la cheminée. On se serait cru sur le lieu de tournage d’un reboot de la série. Mais finalement, je n’ai vu ni Morticia, ni Gomez, ou les enfants Mercredi et Pugsley. Quoique, en y repensant, en revoyant l’homme, après que Lurch, pardon le domestique, m’ait conduit à son bureau, je n’ai pu m’empêcher de faire le parallèle avec l’oncle Fétide…

 

Une fois seul avec l’homme, qui répondait au nom d’Elijah, ce qui me troublait légèrement, ayant apparemment les mêmes origines hébraïques que moi, celui-ci, tout sourire, me demandait de m’asseoir, et s’ensuivit une longue discussion sur les arts occultes, la manière dont je m’y étais intéressé, et tout le reste. Je voyais qu’Elijah buvait mes paroles, passionné par mon histoire, et à la fin, arborait un immense sourire, comme satisfait d’avoir fait le bon choix en m’invitant chez lui à découvrir ses « trésors ». Par la suite, il me demandait de le suivre vers une pièce adjacente, fermée par une porte métallique, doté d’une combinaison. Elijah m’expliquait qu’il avait dû recourir à cette protection, car les documents qu’étaient entreposés derrière étaient inestimables, et pourrait rendre millionnaire n’importe qui en sa possession. Mais ce que lui désirait, ce n’était pas la gloire que représentait ces écrits s’il en informait le grand public, mais qu’il préférait en offrir la primeur à des personnes comme moi, ayant une vraie passion pour les informations qui y étaient contenues. J’étais donc un vrai privilégié à ses yeux, et je dois avouer que j’en ai tiré une certaine fierté sur le moment.

 

Une fois dans cet antre du savoir que représentait cette pièce sécurisée, et après qu’Elijah ait refermé la porte derrière nous, et composé le code de fermeture, il me menait à ce qu’il désirait me faire montrer. En fait, il n’y avait pas que des traités ou des manuscrits des sciences occultes dans la pièce, mais aussi d’autres œuvres uniques de poètes, tel Rimbaud, John Keats, Emily Dickinson, Antonio Machado… des décrets originaux datant de la Révolution Industrielle britannique, des papyrus égyptiens que je supposais authentique, et même une calligraphie de Wang Xizhi qui m’était totalement inconnue. Cette pièce, c’était une vraie caverne d’Ali-Baba à elle toute seule, un trésor incroyable, et je comprenais mieux en voyant tout ça, pourquoi Elijah prenait autant de précautions à protéger ces œuvres uniques au monde. Mon hôte me mena à une grande table, où se trouvait des chandeliers comme seule lumière. D’ailleurs il en était de même pour la lumière du plafond, qui était un lustre composé lui aussi de chandelles. Elijah m’expliquait que cette lumière particulière était pour préserver les trésors de cette pièce de toute lumière néfaste, qui pourrait détériorer la texture et le papier des œuvres, ce que je comprenais aisément. Il y avait bien une fenêtre, mais elle était cloisonnée par un volet ne laissant filtrer aucune source de lumière de l’extérieur.

 

Je m’approchais malgré tout du bureau où s’était déjà installé Elijah, et où celui-ci avait étalé sur sa surface un livre ancien, qu’il avait ouvert à une page bien précise. Les pages étaient écrites en signes sumérien. Je connaissais bien cette langue, pour l’avoir apprise lors de mon passage à l’université de Stanford, dans le cadre de mes études, lorsque j’étais plus jeune. Elijah me montra du doigt un passage où je lus la première fois l’évocation de la tablette, désignée sous le nom de « Pierre du Grand Réveil ». C’était fascinant, et je m’imaginais ce qu’aurait pensé quelqu’un comme Edward Hincks ou Carl Bezold d’une telle découverte. Bien que le livre ait été écrit des siècles plus tard, à en juger la date d’édition datant du 8ème siècle, certaines pages étant rédigées en anglais, les pages en cunéiformes sumériens semblaient avoir été « collées » sur des pages vierges, faisant de ce livre un héritage inestimable, car les textes étaient indubitablement des manuscrits authentiques, qui avaient dû être disposés dans ce livre de cette manière, sans doute pour les cacher. Elijah me montrait qu’à l’origine, quand il a acquis ce livre, lesdites pages étaient fermées, scellées, et il avait dû recourir, de la manière la plus délicate qui soit, à « l’ouverture » de celles-ci, en tranchant les bords avec un ouvre-lettres suffisamment aiguisé pour ne pas abîmer le papier et le texte qui s’y trouvait caché. Une précaution qui montrait bien que son contenu avait une importance capitale, et qu’il ne devait pas tomber entre de mauvaises mains. Un secret qui remontait donc aux bases de l’écriture, le sumérien étant considéré à juste titre, comme le premier langage de l’histoire. Ce livre, ce texte était un joyau d’une ampleur comme je n’en avais jamais connu.

 

C’est là que j’appris que la tablette avait été divisée en 2000 morceaux disséminés à travers le monde, dans des endroits spécifiques au fil des siècles, tous liés à des lieux de cultes anciens, comme des temples. Le texte précisait également l’emplacement du premier d’entre eux, et que ce morceau comportait sur sa surface une indication pour trouver le morceau suivant. Une sorte de jeu de piste antique que Robert Langdon, le personnage phare des romans de Dan Brown, aurait apprécié. Elijah et moi avons discuté longtemps encore sur la perspective de cette information et sur les autres éléments précisés par le texte, sans toutefois indiquer pour quelle raison la pierre avait été divisée ainsi, et son rôle exact, bien que les allusions mystiques étaient évidentes à travers les propos tenus dans le même texte. Le sourire que j’affichais à ce moment enthousiasma fortement Elijah, et il me précisa aussi qu’il était prêt à financer mes recherches et mes expéditions pour retrouver tous les morceaux de la tablette, afin de la reconstituer, ici, dans cette pièce, à l’abri des regards. Ce que bien sûr j’acceptais sans chercher à discuter. 

 

Nous conclûmes donc un accord signé, dans lequel je m’engageais à ne jamais révéler la nature de mes recherches à quiconque en dehors d’Elijah, et de ne jamais énoncer son nom en tant que commanditaire de ces mêmes recherches, quelle que soit la situation. Certaines pierres seraient sans doute difficiles à obtenir, car il semblait évident que des morceaux appartenaient à des communautés religieuses qui devaient les garder jalousement, même si elles ignoraient la teneur des inscriptions et ce qu’était le morceau en leur possession. D’autres pierres pouvaient très bien être la possession de musée ou de collectionneurs privés. Et si l’argent n’était pas suffisant pour obtenir ces morceaux, Elijah me précisait que je serais sans doute amené à utiliser mes compétences de magie noire et autres arts occultes pour les obtenir par la force, ce qui ne me dérangeait pas outre mesure, conscient de l’importance de cette découverte qu’il fallait reconstituer. L’ignorance et l’entêtement de ceux qui refuseraient de céder leur morceau ne devaient pas être un frein à ma quête, et c’est ainsi que ma collaboration avec Elijah pour réunir la tablette et ses 2000 morceaux commençait.

 

Une quête qui se ponctuait donc de l’utilisation fréquente de mes pouvoirs mystiques, de mes capacités à invoquer des démons mineurs pour obtenir les fragments de pierre, à lancer des sorts à distance, ou me déplaçant moi-même, n’hésitant pas parfois à recourir au meurtre si nécessaire. J’étais tellement obsédé par le fait de récupérer tous les morceaux que je ne n’acceptais aucun obstacle, et ne parvenais plus à faire la différence entre bien et mal. Si mon grand-père m’avait enseigné que la fonction de sorcier n’était pas pour faire le mal, contrairement aux idées colportées par le cinéma des « visages pâles », mon obsession me fit perdre ces principes et ma promesse faite à mon grand-père de toujours œuvrer pour le bien de mon entourage et des hommes, quelque soit leurs actions envers moi, bonnes comme mauvaises. La folie s’était emparée de moi à cause de la perspective de découvrir un secret remontant peut-être aux fondements mêmes des premières civilisations. Il n’était pas impossible que ce qui était inscrit sur la pierre était une retranscription de textes oraux, transmis de génération en génération, venant peut-être de civilisations encore plus anciennes, et inconnues de l’être humain. La découverte de cette pierre, et sa traduction était devenu ma raison de vivre, et rien ne pouvait arrêter cette envie de connaitre l’un des secrets les plus enfouis de l’humanité.

 

J’ai passé des années à recueillir les pierres, les achetant à des collectionneurs ignorants, parfois même des particuliers l’ayant reçu en héritage de leur parents, leurs grands-parents, sans savoir ce que c’était. Pour ceux-là, l’acquisition était facile, le pouvoir de l’argent ayant vite fait de les convaincre de me céder leur fragment. Ceux étants présents dans les temples étaient plus complexes à obtenir, et c’est pour ceux-là que l’utilisation de mes compétences de sorcier furent nécessaire, forgeant ma nature bénéfique en quasi-apôtre du mal, alignant les meurtres derrière moi de manière invisible, m’arrangeant malgré tout à faire passer les morts pour des accidents tout à fait plausibles, afin d’éviter qu’on fasse le rapprochement à mes visites où mon insistance pour acquérir les morceaux, précédant les morts et la disparition desdits fragments pourrait sembler suspecte aux yeux des enquêteurs chargés d’élucider les différentes affaires.

 

Il y eut bien quelques journalistes indépendants, des blogueurs, des théoriciens du complot, des anonymes, qui parvinrent, malgré toutes mes précautions, à tisser un lien entre les pierres et moi, mais dans leur cas, je ne les tuais pas, ni ne procédais à des accidents, mais à des « disparitions », les envoyant passer des vacances privilégiées dans d’autres dimensions, où je savais que leur mort serait rapide, au vu des créatures y vivant, toutes belliqueuses et sans pitié. Et surtout ces disparitions inexpliquées freinaient d’autres de chercher à trop fouiller dans mes activités. Une aura de mystère s’installait autour de moi, mais comme personne ne pouvait rattacher les disparitions et les morts, au même titre que les pierres introuvables sur les lieux où elles se trouvaient avant mes visites, je ne craignais rien de la part de la justice. J’ai eu droit à quelques interrogatoires, mais qui ont tournés court, n’ayant pas la moindre trace de preuve de ma culpabilité supposée de leur part. Au bout de quelque temps, ces « attaques » à mon encontre cessèrent même d’un coup, les différents protagonistes ayant finis par comprendre qu’il était inutile de chercher à me discréditer. D’autant que je pouvais compter, d’un point de vue financier, sur les avocats fournis généreusement par mon protecteur, Elijah.

 

Cela m’a pris 20 ans…. 20 ans pour réunir l’intégralité des morceaux de la tablette, et le jour de l’assemblage du dernier morceau fut un grand moment de joie, aussi bien pour moi que pour Elijah. Son vieil âge cependant ne lui fit pas profiter du secret résidant dans la traduction du texte. Je lui avais bien traduit quelques parties, de ce que je connaissais. Mais certaines autres utilisaient un autre langage que le sumérien. Un langage que je n’avais jamais vu. Je suis parvenu à les traduire grâce au lien entre les parties sumériennes et des lettres appartenant à l’akkadien, situées sous certaines lettes de cet étrange langage. C’était comme une sorte d’aide au décodage. C’était un travail double et harassant, et Elijah n’en vit pas le bout, partant de sa belle mort, à l’âge de 95 ans. Entre temps, il avait fait de moi son légataire universel. J’héritais de tout ce qui lui appartenait : ses possessions immobilières, sa demeure, ses richesses, ses titres… Ce qui causa quelques brouilles avec les autres membres de sa famille, s’étant miraculeusement souvenu de l’existence de leur parent, dès lors que l’héritage entra dans leur ligne de compte. Ils furent vite écartés par les avocats que je payais grâce à ma nouvelle richesse.

 

3 ans plus tard, je parvenais enfin à déchiffrer l’intégralité de la tablette. Elle parlait de créatures antiques, expliquant qu’elles avaient été enfermées, après avoir été invitées dans notre monde par le biais d’un portail. Elles étaient désignées sous le nom de Calamités, et que la lecture de l’invocation du Sommeil devait servir à les réveiller, afin qu’elles assoient leur domination sur les hommes et sur leurs actes envers elles, et décident s’ils avaient le droit de continuer à vivre ou disparaitre dans le néant pour leur faute. Je compris également que l’invocation avait été dictée par télépathie, malgré leur enfermement d’origine magique, à des hommes au cerveau malléable, afin de briser la barrière magique les empêchant de sortir par eux-mêmes de l’intérieur. L’invocation servant à la détruire de l’extérieur. Ce sont ces disciples qui ont dû ériger cette tablette à l’époque. Le reste inscrit sur la pierre comportait l’invocation en elle-même. Je dois préciser que si j’ai bien réussi à traduire le texte, certains passages de l’invocation restait obscure sur sa compréhension, et plusieurs fois je me suis demandé s’il je l’avais bien traduite, tellement ce langage était incompréhensible en l’état.

 

Je supposais que la façon de parler de ces créatures, qui devaient avoir dicté cette invocation, était très différente de notre propre langage, et utilisaient des syntaxes, une grammaire qui demeurait floue et difficile encore à définir dans des termes adaptés à notre compréhension. Même si le terme de « jugement », et la menace que cette décision pouvait entraîner aurait pu faire reculer n’importe qui de procéder à la lecture à voix haute de l’invocation, j’étais tellement excité par la perspective de découvrir le visage de ces créatures qui étaient sur Terre par le fait de l’homme, d’une dimension que je n’avais pas explorée, peut-être d’un autre univers que le nôtre, que toute prudence s’envolait de moi. Je retranscris sur papier le texte de l’invocation, donnait congé au personnel de la maison, et une fois assuré de leur départ, montait sur le toit, une partie du texte indiquant qu’il fallait la réciter en « grande hauteur », afin de se trouver au niveau des créatures invoquées, et qu’elles puissent reconnaitre leur invocateur. Après coup, je pense que c’est à ça que je dois d’être toujours en vie aujourd’hui. En tant que libérateur, j’ai eu droit à un traitement spécial. Mais rien ne m’assure qu’un jour elles ne reviendront pas. Elles ou d’autres enfouies également dans d’autres profondeurs, à cause d’inconscients, ayant joués eux aussi avec les dimensions.

 

Quoi qu’il en soit, je me trouvais donc installé sur le toit, et je commençais à réciter le texte de l’invocation. Dès les premiers mots, le ciel se chargea de nuages noirs, parsemés de quelques éclairs, des rafales de vent emplissait les contours de la maison, tellement violent qu’il balayait des arbres, et fit envoler la remise au fond du jardin. Malgré ça, je continuais à réciter, pendant que la nature continuait à se déchainer autour de moi. D’un coup, je perçus comme un immense tremblement secouant toute la maison, brisant les vitres une à une, fissurant les murs, et bientôt une immense faille s’ouvrit derrière la demeure, s’écartant de plus en plus, d’où s’échappait des vapeurs. Vapeurs qui, une fois respirées par les animaux alentours, les faisaient tomber inertes au sol, comme privés de vie. Il en était de même de la végétation qui passait du vert éclatant à l’état de cendres chaudes et fumantes.

 

 J’étais terrorisé, mais j’étais allé bien trop avant pour cesser la lecture. En fait, je craignais que si je cessais celle-ci, le sort se retourne contre moi et me fasse subir le sort des animaux au sol que je voyais tout autour. Alors je terminais de lire l’invocation. Et là, je vis des tornades par dizaines se former au loin faisant s’élever des maisons, des immeubles même, les faisant tournoyer comme des fétus de paille, en même temps que je percevais des centaines de cris de femmes, d’hommes et d’enfants. La faille cessait de s’agrandir, formant un immense canyon qui séparait la maison où je me trouvais en deux parties distinctes. Je vis l’autre partie s’effondrer dans la faille, et je percevais à peine la chance que j’avais de ne pas avoir été sur cette partie, plutôt que sur celle où je me trouvais actuellement, et qui, elle, était restée debout…

 

Au même instant, j’aperçus d’immenses griffes, s’allongeant, sortir du gouffre, semblant se diriger dans plusieurs directions différentes, comme si elles « auscultaient » le terrain autour, mais ce ne fut que les prémices de l’horreur. Des masses gigantesques apparurent derrière les griffes auxquelles elles semblaient rattachées, formant une sorte de main, puis le reste du corps suivit, ainsi que des visages. Il n’y avait ni bouche, ni yeux, ni oreilles. Un visage vide. Les créatures sortirent à peu près dans le même temps, au nombre de 6, s’élevant à une hauteur de plusieurs centaines de mètres, arborant des faciès exprimant à la fois la suspicion à mon égard et le dédain. Comme si je n’étais rien d’autre qu’un brin d’herbe à leurs yeux. Elles se désintéressèrent rapidement de moi, semblant chacune se diriger dans une direction différente, avant de mettre leurs bras en avant, chacune de leur côté, et là l’horreur atteignit son paroxysme. Une sorte d’immense onde, comme une rafale de vent d’une puissance inimaginable parsemait toutes les directions. Une onde qui épargnait, aussi inconcevable soit-il, la partie de la maison où je me trouvais encore à cet instant. Une onde destructrice à un niveau incommensurable, ravageant tout sur son passage, réduisant les arbres, les habitations, les collines et les gens à l’état de poussière et de cendres, et ce en l’espace de quelques secondes…

 

Après ça, je regardais le spectacle de désolation autour de moi, et j’avais du mal à concevoir ce que je voyais. Il n’y avait plus rien de vivant, plus rien qui pointait vers le ciel, la ville avait été rayée de la carte. Il ne restait plus que l’équivalent d’un immense désert à perte de vue, d’où émergeait parfois quelques gravats, en guise de paysage. Les créatures se tournèrent alors toutes vers moi, me fixant. A ce moment, je perçus dans ma tête des voix incompréhensibles de prime abord. Pourtant, sans que j’en comprenne la raison, mon cerveau semblait traduire presque instantanément ce langage que je supposais être celui sur la tablette. Celui dont je ne parvenais pas à comprendre le sens. Un message court et lourd de sens qui disait :

 

« Le jugement a été rendu. Ce monde a été épuré, afin de répondre à notre enfermement, il y a des siècles de cela par vos ancêtres. Nous t’épargnons aujourd’hui. Tu restes maitre de ton destin sur cet astre. Profite en pour réfléchir aux actes de ceux qui étaient tes compagnons. A force de jouer avec les dimensions, ils ont payé le prix de leur imprudence. Ne fais pas comme eux, car nous connaissons d’autres êtres moins tolérants que nous ne l’avons été, et qui n’hésiteraient pas à détruire purement et simplement votre monde dans sa totalité. Nous vous laissons une chance de vous reconstruire. Profitez bien de cette opportunité… »

 

Là-dessus, les créatures déployèrent des sortes d’ailes monumentales, et s’envolèrent dans le ciel, non sans déclencher une nouvelle onde, moins puissante, à leur départ. Très vite, elles disparurent de ma vue dans le ciel. Je suppose qu’elles sont allées au-delà des étoiles surplombant la Terre, me laissant seul sur ce monde dévasté. Une épuration. C’est le mot que ces créatures avaient énoncé. Et au vu de leur message, il semblait que toute la planète avait subi cette onde meurtrière, ravageant tout ou presque. Je n'avais pas de moyen immédiat de le définir avec certitude. Plus rien ne marchait : électricité, radio, télévision, tout était mort. La végétation se limitait à quelques feuilles ayant échappé à l’onde. Et j’apercevais une rivière où des poissons étaient encore en nombre.

 

Au cours de mes voyages par la suite pour évaluer l’étendue du désastre, je pus découvrir que les animaux souterrains, tel que vers de terre, taupes et des insectes avaient survécus. Dans le même ordre d’idée, je supposais qu’il devait donc subsister des ressources naturelles, comme des baies, de la mousse, des champignons. Tout ce qui vivait en dessous. Et peut-être que des humains se trouvant sous la terre au moment de l’onde, avaient réussis à survivre. En tout cas, je m’accroche à cet espoir, même s’il est faible et dérisoire. C’est pour cette raison que j’ai pris le temps de rédiger plusieurs exemplaires de ce journal, afin de le placer à ceux qui sont encore là, malgré le « jugement », tel que je vous l’ai indiqué au début de ce récit. Au bas de ce journal, j’ai placé des coordonnées, et une date. Ceux qui trouveront ce récit, quels qu’ils soient, rejoignez ce lieu à la date donnée. Ce sera la preuve pour moi que je peux réparer ma faute, et reconstruire notre civilisation, peu à peu, suivant le nombre de personnes qui ont survécu.

 

Cela prendra du temps, plusieurs siècles peut-être, mais la Terre peut revivre si l’on se rassemble et qu’on se serre les coudes pour lui redonner son éclat d’avant. Peut-être n’est-ce qu’une utopie de ma part, et que je suis bien le seul être vivant restant, le seul humain, vestige d’une race qui à force de se prendre pour des dieux, a construit son propre cimetière en devenir. Je ne parviendrais jamais à oublier que si je n’avais pas opéré à cette quête, si je n’avais pas recherché ces 2000 morceaux, si je n’avais pas traduit et lu ce texte, rien de tout ça ne serait arrivé…  Mais on ne vit pas avec des regrets, cela ne fait qu’accentuer le mal. Alors, j’ai décidé de partir de l’avant, et j’espère qu’à la date fournie sur les différents journaux placés sur cette terre, je verrais des hommes, des femmes, des enfants se réunir où je suis. Afin de reconstruire ce monde qui est le nôtre…

 

Publié par Fabs

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