10 avr. 2022

DANS MON PANIER DE PÂQUES

 


 

Je ne suis pas comme les autres jeunes filles de mon âge. Je suis… différente. Alors que les autres aiment se maquiller le visage de crème, de fond de teint, de mascara et autres, avant de poster le résultat sur leur compte instagram, moi je préfère rester naturelle, sans artifice. Car rien ne vaut le naturel, n’est-ce pas ? C’est ce que me dit toujours ma grand-mère. Enfin, ce n’est pas vraiment ma grand-mère en fait, mais je la considère exactement comme telle. Je l’adore. Elle m’a toujours encouragée à suivre mon instinct, à faire ce que mon cerveau me disait de faire, sans se préoccuper de ce qui est bien ou mal. Alors, j’ai bien fait comme elle m’a dit. J’ai suivi ses conseils. Et c’est comme ça que j’ai commencé à écouter les voix dans ma tête. Celles qui me disaient d’ajouter à ma collection déjà très importante celles qui se pâmaient devant leurs téléphones, pensant qu’elles étaient belles, accumulant les likes et les commentaires de faux amoureux et de prédateurs en pagaille, n’hésitant pas à montrer des parties de leur corps, à s’exhiber juste pour avoir plus de notoriété.

 

Je suis triste pour ce type de filles. Elles me font de la peine. C’est pour ça que je les ai choisies pour mon activité favorite. Je devais leur montrer que tous leurs artifices extérieurs ne pouvaient pas changer ce qu’il y avait à l’intérieur de leur corps. Comme moi, elles avaient des organes, du sang, des artères, des os. Tous ces morceaux du corps qu’il est si facile de trancher et de découper dans tous les sens, avant de les tremper dans un de mes bocaux qui font ma fierté. Vous devriez voir ma collection. Sans me vanter, c’est la plus belle du monde. Je suis sûre que personne n’en a d’autre comme celle-là. Voir ces petits yeux flotter dans du liquide, me regardant parfois d’un air accusateur, comme pour me dire : « Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter d’être dans ce bocal » ? Pourquoi ?  Parce que t’es dégoûtante avec tous tes produits pour cacher ta peau imparfaite. On est comme on est, ça sert à rien de vouloir tout changer…

 

C’est comme celles qui se font refaire les seins, les fesses ou d’autres parties de leur corps, dans le seul but de ressembler à une star, ou juste pour attirer les garçons. C’est d’un navrant. Les garçons, ça sert à rien en plus. Ils ne pensent qu’à nous voir toutes nues pour prendre des photos qu’ils gardent sur leur portable. Pour les regarder plus tard en se touchant leur machin entre les jambes. Pour avoir du plaisir qu’ils disent. Pfff… N’importe quoi. Pas besoin de ça pour avoir du plaisir. J’en sais quelque chose. Pour avoir cette sensation, il suffit juste de trouver une occupation saine et pleine de joie, avec un but à accomplir, comme celle que je fais. En particulier à Pâques. C’est la période que je préfère. Ça me permet de mettre mes beaux habits en dentelles et déambuler dans les rues à la recherche de corps pour se rajouter à ma collection. Les gens se moquent de moi quand ils me voient me balader à cette période. Ils disent que j’ai un « grain ». Que les jeunes filles normales de 22 ans se baladent pas en déguisement de poupée grandeur nature, avec une queue de cheval rattachée par une épingle à cheveux en forme de licorne.

 

Mais je m’en moque de ce que les gens disent de moi. Ils sont jaloux c’est tout. Ils peuvent pas comprendre. Ils ne savent pas que moi, au contraire d’eux, je sais ce que c’est que de profiter de la vie. Quand je vois les airs tristes de filles « adultes » pleurer comme une petite fille, parce que leur amoureux les a trompés, ou encore d’autres faire des crises, crier après leurs copines parce qu’elles ont salies leur robe, je vois pas vraiment de différence entre les adultes et les enfants. Ils sont exactement pareils. Donc, en fait, quand je prends des morceaux d’eux, et que je les mets dans mon panier pour les emmener chez moi, afin de rejoindre les autres filles avant elles, je leur rends service. Grâce à moi, elles ne sont plus tristes, elles ne pleurent plus, elles ne sont plus fâchées pour tout et n’importe quoi. Je suis en quelque sorte leur petite fée de délivrance, celle qui leur offre une vie meilleure, oubliant tout leurs malheurs. Oui, c’est ça : je suis une sorte de super-héroïne. En les découpant, en perforant leur ventre pour récupérer leurs organes, en arrachant leurs yeux ou leurs oreilles, en écorchant leur visages, je leur permets d’accéder à un stade de sérénité.

 

Quand je me mets en quête de celles que j’ai choisies, j’aime bien chanter. J’ai créé une petite chanson pour me donner du courage à sauver ces filles malheureuses de leurs vies pleines d’apparence et de strass inutiles. Vous voulez entendre ma chanson ? Oui ? ça me fait plaisir. Vous, au moins, vous me comprenez, j’en suis sûre. J’ai bien fait de faire cette vidéo sur ce site. Tenez, je vous chante le premier couplet :

 

🎼 Moi, j’aime le jour de Pâques

Car on peut s’régaler

Dans mon panier de Pâques

Qu’est-ce qu’on peut bien trouver ?

Tout plein de petits sacs

Et un couteau aiguisé

Une bouteille d’ammoniac

Pour plus les voir bouger 🎼

 

Elle est belle hein ? Elle vous plait tant que ça ? Je suis contente… Vous me comprenez tellement bien. C’est pas comme ces policiers qui sont venus une fois chez ma grand-mère où j’habite. Eux, ils avaient pas l’air d’aimer ma façon d’aider ces filles. Ils ont dit à ma grand-mère qu’ils m’avaient vue près des lieux où des meurtres avaient été commis. Pourquoi ils appelaient ça des meurtres ? Je les tuent pas. Ça c’est les serial killers comme on voit à la télévision qui font ça. Eux, ils font du mal sans raison, sans savoir pourquoi ils le font. Ou alors, ils comprennent pas aussi bien que moi les voix qu’ils ont dans leur têtes, et ils font n’importe quoi. Moi, je suis pas comme ça. Moi je suis un ange de délivrance. Je sauve des filles qui ont oubliées ce que c’était de vivre dans la joie. Finalement, les policiers sont partis, après m’avoir posé plein de questions. Bien sûr, je leur ai pas parlé de ma collection. Ils auraient pas compris. Comme tous les adultes.

 

Il y a que ma grand-mère qui me comprend. C’est elle qui m’a appris comment conserver les morceaux que je découpais dans des bocaux. Elle qui m’a appris aussi comment extraire les meilleurs morceaux, suivant le mal dont souffrait les filles que je choisissais de sauver. Celles qui souffraient à cause de l’amour, je prenais leur cœur ; celles qui pleuraient parce qu’elles comprenaient pas comment réparer des choses, je prenais leur cerveau ; celles qui faisaient tout tomber, je prenais leur doigts ; celles qui avaient du mal à respirer, je prenais leurs poumons. Vous voyez : moi, je ne fais pas n’importe quoi. Je sais comment libérer de la meilleure façon celles qui méritent d’être sauvées.

 

Certaines fois, je sais qu’elles font semblant d’être heureuses. Elles font semblant de sourire en cherchant des lapins en chocolat avec leur petite sœur, leur petit frère. Elles font semblant d’aimer peindre des œufs de différentes couleurs, avant de les mettre dans le jardin. Elles font semblant de montrer du bonheur devant leurs parents, devant un film spécial Pâques, comme il y en a tant durant cette période. Mais moi, je sais qu’elles se mentent à elles-mêmes. Au fond d’elles, elles sont malheureuses. C’est juste qu’elles n’osent pas le dire. Je sens leur tristesse, leur envie que leur peine s’arrête, leur désir de ne plus rien subir de mauvais. Alors, quand je vois ces filles avec leur mal-être caché, je les note sur ma liste secrète. Celle que je cache dans mon petit panier, avec mes outils spéciaux pour les libérer de leur souffrance. Ils sont sous un grand morceau de tissu, sur lequel j’ai mis des œufs, des poissons, des cloches en chocolat. Pour pas qu’on les voie, et qu’on devine que c’est moi l’ange de la délivrance qui agit dans la ville. Ma grand-mère m’a dit que ça devait rester secret, personne devait savoir que c’était moi qui aidait ces jeunes filles à se libérer de tous leurs maux qui les rongeaient de l’intérieur.

 

Comme je n’avais pas de costume de super-héroïne, ma grand-mère m’a dit que personne comprendrait que je fais ça pour leur bien. Alors, j’ai bien suivi les recommandations de ma grand-mère. C’est pour ça que j’agis que la nuit. Après avoir analysé les déplacements de celles que j’ai choisies le reste de l’année, leurs habitudes, les lieux où elles allaient et où elles seraient seules. Des endroits où je pourrais les libérer en enlevant la partie de leur corps qui les faisaient souffrir. Elle se méfient pas de moi quand je m’approche d’elles. Qui se méfierait d’une enfant ? Une enfant dans un corps d’adulte comme elle disent, même si je suis pas d’accord avec ça. Moi, je ne suis pas une adulte.

 

 A part ma grand-mère, aucun adulte peut comprendre la détresse endurée par les filles. Et quand elles se retournent, incapables de deviner que je m’apprête à les sauver, je les endors avec mon petit flacon rempli de liquide pour qu’elles fassent de beaux rêves. Comme ça, elle se rendent compte de rien quand je leur enlève ce qui leur fait du mal. Le produit agit longtemps, ce qui me permet de procéder avec méthode, sans précipitation. Ma grand-mère m’a dit que c’était la clé pour une délivrance parfaite : prendre son temps, découper délicatement les parties responsables du malheur de ces jeunes filles. Pour pas mettre de sang sur ma belle robe, je mets un tablier qui recouvre presque tout mon corps. Jusqu’aux pieds. Comme ça, mes souliers ne sont pas salis non plus.

 

Suivant les cas, une délivrance dure d’un quart d’heure à une heure. Tout dépend du mal. Certaines, je dois parfois leur enlever plusieurs morceaux, car elles ont pleins de souffrances en elles. C’est celles-là qui prennent le plus de temps. Mais elles sont tellement plus belles qu’avant une fois fait ça. Je ressens leur plénitude à travers mon corps en observant leur enveloppe charnelle au sol. Parfois, je caresse leurs visages ou leurs cheveux, comme pour leur dire que désormais, grâce à moi, elles ne souffriront plus. Et c’est comme si je sentais qu’elles me remerciaient à ce moment-là. C’est comme si un souffle venant de leur bouche venait sur mon visage. Je suis tellement contente à cet instant. Car je sais que j’ai sauvé une nouvelle jeune fille. Après ça, je quitte l’endroit du sauvetage, et je reviens vers ma maison, où m’attends ma grand-mère, pour m’aider à rajouter les morceaux dans les bocaux prévus à cet effet.

 

 Ces bocaux, ce sont les preuves de toutes les vies que j’ai sauvées. Toutes ces jeunes filles qui ne souffriront plus jamais grâce à mes mains et mes petits doigts de fée salvatrice. Pour l’instant, je ne peux pas dévoiler mon identité pour faire savoir au monde que je suis l’ange de la délivrance, mais un jour, je sais que les adultes seront capables de comprendre. Ils mériteront de connaitre le visage de celle qui a délivrée leurs filles, leurs amies, leurs mères du mal qui les habitaient. C’est pour ça que j’arbore ce masque de lapin à vous qui regardez cette vidéo en ce moment. J’espère que ma grand-mère ne m’en voudra pas de cette petite entorse aux règles.

 

Mais comme on voit pas mon visage, et que j’ai utilisé un VPN pour masquer la provenance de la vidéo, ça me permet de continuer à cacher mon identité secrète. En attendant que mon rôle soit reconnu, je me contente de poursuivre ma mission, en fredonnant ma chanson dans les rues sombres, la nuit, après avoir libéré une nouvelle fille, moi qui suis le petit ange de Pâques que beaucoup espère rencontrer dans sa vie, j’en suis sûre… :

 

 🎼Moi, j’aime le jour de Pâques

Car on peut s’régaler

Dans mon panier de Pâques

Qu’est-ce qu’on peut bien trouver ?

Il y a des doigts en vrac

Et des langues arrachées

Des yeux un peu opaques

Et un beau cœur broyé 🎼

 

Publié par Fabs

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