21 avr. 2022

SACRIFICES

 


 

J’ai déjà vu nombre de crimes sur le sol écossais, et je pensais être préparé à la plupart d’entre eux, mais rien de comparable à celui qui m’avait fait venir ici, sur le Site IV de Callanish, à l’ouest de l’île de Lewis, au cœur des Hébrides extérieures. Autant voir un corps dépecé d’un adulte, que ce soit un homme ou une femme, ne me surprenais plus, tellement j’avais vu de preuves de la sauvagerie dont était capable l’être humain, du cannibalisme au rituel satanique, quand ce n’était pas un émule de Jack L’Eventreur, mais tout ce qui touchait aux enfants avait tendance à me révulser et me retourner le cœur de manière significative. 

 

Et là, ce corps de gosse, nu, les mains et les pieds creusés par des sortes de piquets de métal, le fixant sur la pierre, c’était plus que je ne pouvais le supporter. Pour compléter le tableau, le corps avait été placé sur la pierre maculée de sang la tête en bas, les bras et les jambes écartelés, faisant penser à un de ces rites barbares comme il s’en pratiquait au moyen-âge. Des pratiques faisant partie du processus de la « Question », ordonné par des prêtres sans scrupule, dans le seul but était de faire avouer à des malheureux des actes qu’ils n’avaient même pas commis. Juste pour permettre de donner un coupable à des instances monarchiques se moquant bien des conventions et de ce que pensait le peuple de telles méthodes.

 

Mais on n’était plus au moyen-âge, et ces pratiques, aussi monstrueuses soient-elles ne s’appliquaient qu’aux adultes, en tout cas dans la majorité des cas. Et on ne vidait pas les entrailles comme ce que je voyais devant moi. Comment on pouvait faire un truc pareil à un gosse d’à peine un peu plus d’une dizaine d’années ? Déjà, le placarder comme ça sur un menhir, à l’envers, comme s’il était offert à une divinité diabolique, en parfait opposé de la position du Christ sur sa croix, à savoir les pieds croisés, et les paumes des mains ouvertes, c’était déjà monstrueux en soi… Mais en plus lui avoir ouvert le ventre, pour faire verser au sol ses entrailles… Je ne comprenais pas comment un être humain pouvait en arriver à un tel niveau de barbarie envers un enfant. Et ce n’était pas tout. Le gosse avait subi une énucléation. Deux orbites vides remplaçaient l’emplacement des yeux.

 

Et une inscription avait été apposée sur son front. Une inscription marquée au fer rouge. Une rune. Celle de Bernaka. De ce que je connaissais, à force d’avoir vu d’autres runes sur les corps des victimes de satanistes, la rune Bernaka, de l’alphabet Futhark, avait pour signification la naissance ou la métamorphose dans sa forme classique. Mais ici, on avait inversé le corps, en opposition au christ, donc la signification était la forme inversée de la rune. Et dans ce cas, sa signification était « chose sur le point de s’éteindre », selon la norme habituelle d’interprétation. Ça ressemblait à un message destiné à ceux qui découvriraient le corps, c’était une évidence. Et à côté de la rune, cette fois gravé sur la peau, avec vraisemblablement une lame de couteau, laissant couler du sang sur le visage de la victime, un chiffre écrit en gaélique ancien. Aon. Autrement dit, Un. Là aussi, ça ne pouvait être qu’une indication du meurtrier. Précisant qu’il ne s’agissait ici que de la première victime d’une série macabre, comme allait le confirmer par la suite les prochaines semaines, sur d’autre sites des pierres de Callanish.

 

Je me demandais encore comment je n’avais pas tourné de l’œil devant ce spectacle horrible. Qu’est-ce que ce gosse avait bien pu faire pour mériter une mort aussi monstrueuse ? Quel esprit tordu était capable de faire ça à un enfant, et prendre le temps de le marquer au fer rouge et graver sur son front un chiffre. Et pourquoi en gaëlique ancien ? J’avais l’impression d’être remonté dans le temps, à une époque où de tels actes étaient monnaie courante, sans que ça fasse sourciller qui que ce soit, y compris les proches des victimes, trop anxieuses que parler trop de leur ressentiment et de leur haine autour d’eux fasse d’eux les prochaines victimes. D’ailleurs, un sale boulot m’attendait. Celui de prévenir les parents du gamin de la mort de leur enfant. Et dans quelles circonstances… Mais avant, pour me donner du courage, je décidais de me rendre au village proche. Celui qui avait donné son nom aux 21 sites composant le Callanish. L’assistant du coroner, qui avait de la famille au village, un oncle je crois, m’avait signalé la présence d’une petite auberge à l’ancienne. Du style qu’on trouvait encore au siècle dernier.

 

Une curiosité cette auberge. Un court instant, en voyant l’extérieur, et plus encore en y pénétrant, j’eus l’impression de m’être rendu dans une faille temporelle, m’ayant fait revenir au siècle dernier, tellement tout à l’intérieur donnait l’impression d’être à l’identique d’une époque révolue. Des tables au reste du mobilier, des lustres aux boiseries, tout me donnait l’impression de me trouver sur le lieu de tournage d’un film historique. Il y avait même des décorations d’époque un peu partout sur les murs, et le fameux jeu de fléchettes auquel s’adonnait des clients. Des habitués sans doute, ou tout simplement des habitants du village pour qui cette auberge permettait d’oublier quelque peu leur quotidien de fermier des alentours. Mais l’ambiance était sympa, je devais bien le reconnaitre. Curieux, mais sympa. Je m’approchais du bar, et commandais une Guiness. Rien de tel pour désaltérer ma gorge asséchée, après avoir vu le spectacle de ce gosse torturé, étalé sur ce menhir… Une femme, qui devait avoir passé la quarantaine, vraisemblablement la patronne de l’établissement, vint vers moi…

 

« Je vous sers quoi, inspecteur ? » me dit-elle, le sourire aux lèvres

 

La voyant de plus près, je m’apercevais alors de son visage presque angélique, me laissant quasiment bouche bée. Jamais vu une peau aussi lisse pour une femme de son âge. Même pas une ride. Et ces yeux… On aurait dit qu’ils brillaient. Si elle m’avait dit à cet instant que ses yeux avaient été remplacés par des saphirs, je l’aurais crue sans difficulté. Voyant que je l’observais avec insistance, sans pour autant paraître offusquée, elle renouvelait sa demande, avec un petit message ironique en prime :

 

« Inspecteur, je tiens à vous prévenir qu’il y a ici une bonne dizaine de protecteurs qui seraient prêt à tuer en voyant un homme me faire les yeux doux comme vous le faites en ce moment … »

 

« Oh… Je… Je suis désolé… Je ne voulais pas vous offenser… »

 

« Ne vous excusez pas inspecteur… Au contraire, je me sens flattée d’attirer l’œil d’un homme aussi charmant… Mais à part ça, vous comptez me reluquer toute la journée, ou vous allez boire quelque chose ? »

 

M’amusant du ton ironique de la patronne, et rougissant de plus belle, ce qui ne m’était pas arrivé devant une femme depuis des années, je répondais :

 

« Ha, ha, ha…. Je crois que je vais prendre une Guiness… Et arrêter de me comporter comme l’idiot du village… Mais pas de celui-ci, bien sûr… »

 

Elle souriait, se déplaçait aux tireuses, et faisait couler ma commande dans une grande choppe, avant de revenir vers moi et me servir. Je m’apprêtais à payer la consommation à l’avance, quand elle repoussa le portefeuille que je venais de sortir de mon manteau…

 

« Laissez inspecteur, c’est la maison qui offre. En remerciement de votre beau sourire envers moi… »

 

Un peu gêné, je la remerciais, pendant qu’elle repartait s’occuper d’autres clients qui venaient d’arriver. Je ne parvenais pas à détourner mon regard d’elle. C’était comme si elle m’avait jeté un sort ou quelque chose du même style. Il se dégageait d’elle une aura que je ne parvenais pas à expliquer, et que j’avais bien du mal à cacher. J’en venais à me moquer de moi-même pour ça. On aurait dit un jeune étudiant en quête de la femme de sa vie. J’étais ridicule, vraiment. J’essayais de penser à autre chose, en observant la galerie de photos et aquarelles qui se trouvaient derrière le bar, et quelques objets aussi. L’un d’eux attira particulièrement mon attention. Une sorte de serpe comme en avaient les druides à une époque lointaine, mais d’une forme particulière, et dotée de couleurs sombres sur la lame qui me firent me demander la fonction exacte de cette serpe. Comme si elle avait deviné mon intérêt pour cette dernière, la patronne revint vers moi. J’étais tellement obsédé par cet objet que je n’avais pas fait attention à sa présence.

 

« Elle est belle n’est-ce pas ? C’est une serpe sacrificielle celtique. On raconte que mes ancêtres, ceux qui ont érigés cette auberge, étaient des adeptes d’un culte ancien. Ils procédaient à des sacrifices d’animaux pour obtenir les faveurs des dieux… En tout cas, c’est ce que m’ont dit mes parents, qui l’ont su de leurs propres parents, en me léguant cet établissement…»

 

Sortant de ma transe, et confus de mon intérêt pour cet objet d’un autre siècle, je me risquais à demander :

 

« Et il y a d’autres personnes dans le coin qui auraient pu avoir le même type « d’héritage » ?

 

Elle marquait un temps d’arrêt, comme interrogative, mais gardant toujours son sourire…

 

« Vous vous demandez si quelqu’un du village pourrait être à l’origine du meurtre sur le site 4 pas vrai inspecteur ? Alors, désolé, mais cet objet est unique, et cela fait des années qu’il est sous ce cadre en verre. Et si ce sont bien des traces de sang sur sa lame, elles sont vieilles de plusieurs centaines d’années. Et surtout, ce n’est pas du sang humain. Mais si vous insistez, je peux vous la prêter pour que vous la fassiez analyser. Histoire de vous assurer de ma sincérité… »

 

A nouveau confus, et conscient de l’avoir quelque peu vexée, je lui répondais :

 

« Non… Non, ce n’est pas la peine… Je m’en voudrais de faire une telle chose. Ce serait indigne de ma position de policier… et de client… »

 

Semblant satisfaite de ma réponse, elle m’adressait un petit air ironique, et je perçus presque comme une brillance dans ses yeux d’un bleu azur, où n’importe quel homme aurait pu se noyer…

 

« Dommage. Ça vous aurait donné une excuse pour revenir me voir. Sachez que vous serez toujours le bienvenu dans mon auberge inspecteur. Mais les prochaines consommations seront payantes par contre. Sinon, on pourrait jaser sur notre relation… »

 

« D’accord, je retiens l’invitation. Et je promets de me comporter comme un client classique quand je reviendrais. Pas comme aujourd’hui… D’autant que l’affaire sur laquelle je suis risque de m’obliger à rester longtemps dans les parages… Revenir ici me fera oublier quelque peu le côté morbide et dérangeant de mon enquête… Surtout avec une présence aussi charmante… »

 

Me rendant compte de mes propos, je me confondais à nouveau en excuses :

 

« Désolé… Décidément, je suis incorrigible… Oubliez ma dernière phrase… »

 

« Il n’y a pas de mal, vraiment inspecteur : ne vous affolez pour ça. Et puis… Je n’ai jamais dit que je n’étais pas intéressée… »

 

Elle m’adressait à nouveau ce regard enjôleur. D’un coup, j’eus l’impression d’avoir perdu au moins 20 ans d’âge, oubliant les évènements dramatiques qui m’avaient poussé à demander ma mutation dans cette région. Loin de mon Édimbourg natal. Loin du souvenir douloureux de mon ancienne vie. Je pensais retrouver une certaine sérénité dans un secteur différent, là où je ne vivrais pas les meurtres sanglants me rappelant trop ce que j’avais vécu au sein de mon propre foyer, ce fameux soir du 13 Mars, il y avait déjà un an de ça… Jusqu’à ce que je découvre ce gosse planté sur cette surface de pierre, comme on accrochait un tableau, faisant revenir à ma mémoire des flashs que j’aurais préféré laisser enfouis à jamais dans ma tête. D’un autre côté, la gentillesse de cette tenancière de bar, sa faculté à me faire sentir un homme, plus qu’un policier, sensation que je ne pensais plus jamais ressentir, m’aidait à faire face à cette partie de mon passé que ce meurtre horrible avait fait ressurgir.

 

Après ce petit échange chaleureux, nous nous mîmes à discuter d’un peu tout et rien, de ses ancêtres, de l’histoire de l’auberge, du village, de ses habitants, de ce qu’elle aimait. Puis ce fut mon tour de m’étaler sur ce qui m’avait poussé à devenir inspecteur, et surtout mon affectation dans la région, suite à mon drame personnel que je préférais garder pour moi, ne voulant pas donner un aspect sombre à la relation qui semblait s’installer entre Lydia et moi. Oui, Lydia, c’était le prénom de cette femme qui montrait un visage sincère et triste en apprenant que j’avais subi un malheur dans ma vie. Elle me promit qu’elle ne chercherait pas à en savoir plus sur mon passé, s’excusant à son tour de son indiscrétion. Elle était tellement… différente des gérantes d’auberges que j’avais eu l’habitude de côtoyer dans le cadre de mes enquêtes. Je ne saurais dire quoi, mais quelque chose m’attirait chez elle. Sa douceur, sa façon de parler… Et surtout son regard. Discuter avec elle sonnait tellement naturel, frais, comme deux amis se connaissant de longue date.


C’était ça en fait. Sans que j’en sache la raison, je me sentais bien avec elle. Je ne savais pas encore si c’était de la simple camaraderie, ou une attirance plus profonde, mais un lien s’était établi entre nous, de manière indéniable. Et ce n’était pas pour me déplaire, bien au contraire… Malheureusement, je dus mettre court à notre conversation, suite à un appel de la morgue, le légiste m’indiquant qu’il avait trouvé un petit détail qui pourrait m’intéresser sur le corps de la victime. Je finis donc ma bière, disant au revoir à Lydia, celle-ci renouvelant sa demande de repasser quand je voulais, ce à quoi je répondais par l’affirmative, puis je sortis de l’auberge, avant de prendre la route en direction de la morgue, curieux de savoir ce que le légiste avait bien pu trouver. A ce moment-là, j’ignorais que ma rencontre avec Lydia, et ce premier meurtre sur le site de Callanish était le point de départ d’une histoire morbide et sanglante, dont les fondements et le caractère surréaliste allaient me faire entrer dans un monde peuplé de magie, de démons, de sorcellerie, et me donner une vision complètement différente de notre monde et sa réalité que je pensais immuable… 

 

Après un trajet rempli d’interrogation, sur le but des meurtres, sur Lydia, sur mon propre passé et ce qui m’avait conduit à me rendre dans cette région, ce secteur dont faisait partie l’ile Lewis, j’arrivais finalement à la morgue de Stornaway, la seule grande ville de l’ile, où m’attendais le légiste. A peine arrivé, ce dernier s’adressait à moi :

 

« Inspecteur ! Ravi que vous ayez pu venir si vite. J’espère ne pas vous avoir empêché d’évacuer quelque peu la vision de mort trouvée à Callanish ? »

 

« Venez-en aux faits, et épargnez-moi vos ressentiments envers moi. Je suis inspecteur, pas enfant de chœur. Je sais m’accommoder des atrocités, quelles qu’elle soient… »

 

Hochant la tête, comme pour s’excuser, le légiste, sortit le corps du jeune garçon que j’avais vu peu de temps avant, placardé sur un menhir…

 

« Tout d’abord, savez-vous ce qu’est la légende d’Odran ? »

 

« Odran ? Le disciple de St Patrick ? Quel rapport avec notre affaire ? »

 

Le légiste, qui répondait au prénom d’Ewen, montrait un petit rictus, comme s’attendant à cette réponse de ma part..

 

« On les confond souvent, mais non il ne s’agit pas de cet Odran-là. Je veux parler de celui de l’ile d’Iona, dans les Hébrides intérieures. Celui qui s’est sacrifié en se faisant enterrer vivant pour que puisse être érigée au-dessus de lui la chapelle par Saint Colomba. Celui-là même dont Neil Gaiman a fait l’éloge dans son poème « In Relig Odhrain »… »

 

«Mmmh, oui je vois qui c’est… Je me rappelle avoir lu cette histoire plus jeune. Mais je ne vois toujours pas le rapport avec ce meurtre… »

 

« J’y viens. Il y a une autre légende concernant Odran. On dit que 3 jours après s’être sacrifié, suivant en cela les voix dans sa tête de le faire, Odran aurait été déterré par Columba, et à sa stupéfaction, Columba aurait constaté que Odran était toujours en vie… De peur de la réaction du peuple face à ce miracle, il a caché ce fait, et permis à Odran de créer une sorte de culte secret, à la demande de celui-ci. Un culte incluant des sacrifices humains de jeunes enfants, sans qu’on en sache plus sur le pourquoi de ceux-ci… »

 

Je regardais Ewen, quelque peu dubitatif de ces propos…

 

« Vous êtes en train de me faire comprendre que le gosse aurait été sacrifié au nom de descendants de ce culte, c’est bien ça ? »

 

Hochant la tête par l’affirmative, Ewen continua :

 

« Exactement. Et la preuve, elle est là : juste à côté du chiffre en gaélique, un petit signe en partie caché par le sang ayant coulé du haut du crâne. Le signe distinctif des adeptes du culte créé par Columba et Odran… »

 

Je regardais le fameux signe indiqué par Ewe, et je m’en voulais de ne pas avoir remarqué ça. Mais la vue du corps de ce gosse mutilé avait sans doute eu raison de mon esprit consciencieux… Je tentais de comprendre la raison de tout ça. Alors, ça voulait dire que ce gamin avait été sacrifié au nom d’un culte datant du 6ème siècle. Cherchant ce qui pouvait pousser des humains à de telles atrocités pour cette raison, je fus enlevé à mes pensées par Ewen, qui continuait à m’exposer sa théorie :

 

« Je précise que je me passionne depuis de nombreuses années pour la légende arthurienne, et devinez quoi ? Le sacrifice d’Odran rappelle furieusement l’épisode de la construction de Dinas Emris, où Vortigern a reçu comme instruction, pour apaiser les dieux et permettre l’assurance de solidité des murs, de sacrifier un « enfant sans père ». Et il se trouve que le jeune garçon dont le corps est devant vous a été identifié. Il s’agit d’Alister O’Grady, le fils de Lorna O’Grady, une jeune femme vivant seule au sud de Carloway, sans père connu de son fils… Vous comprenez le rapport ? »

 

« Je comprends surtout que je dois interroger Lorna O’Grady, histoire de savoir ce qu’elle sait de tout ce bordel… »

 

« Malheureusement, Lorna est introuvable. Personne ne sait où elle est, de ce que m’a dit votre supérieur… »

 

« Putain de bordel de merde ! Cette histoire va me rendre dingue ! Des sacrifices, un culte antique, une disparition, des gosses pour cibles… Je suis venu sur cette île pour retrouver un semblant de tranquillité, et je tombe sur des émules des aztèques ou des mayas, je sais plus… Fait chier ! On est au 21ème siècle, plus au temps des druides. En plus de ça, comment une légende des Hébrides intérieures se retrouve impliquée dans les extérieures ? ça n’a pas de sens ! Si on se met à délocaliser les mythes, ça va être quoi la prochaine fois ? Un clone de Nessie dans le Loch Bi ? »

 

Tout à ma colère, je m’aperçus tardivement qu’Ewen voulait rajouter quelque chose. Je m’excusais de mon énervement :

 

« Désolé pour ça. Vous vouliez rajouter un truc à ce foutoir ? »

 

« En effet. J’ai retrouvé des traces de particules de Gneiss sur le corps du gamin. Ce même Gneiss faisant partie des ingrédients qui servaient à fabriquer les serpes pour les sacrifices humains des druides celtes, que ce soit ici en écosse, mais aussi dans l’ancienne Gaule… Comme la serpe qui figure dans l’auberge du village de Callonish… »

 

A ces mots, ma colère laissait la place à la surprise quand Ewen évoquait la serpe et l’auberge de Callonish… Je restais interdit, ne sachant plus quoi penser, n’ayant même plus la force de demander à Ewen comment il savait pour la serpe, et l’auberge. Mais, bon, en même temps, je supposais que ce n’était pas non plus un secret. Beaucoup de gens sur l’île devaient être au courant de la présence de cette serpe. Harassé par tout ça, je remerciais Ewen, lui demandant de me recontacter au cas où il découvrirait autre chose, et prenais congé. Les questions fusaient comme un ouragan dans ma tête. Je pensais encore à cette serpe, ce culte, le fait que Lydia m’avait dit que ses ancêtres pratiquaient des sacrifices. 

 

Elle m’avait indiqué qu’il s’agissait d’animaux, mais pouvait-elle en être sûre et certaine ? Et s’il s’agissait bel et bien d’êtres humains, et que ses parents ont préférés lui cacher cette information ? Et dans ce cas, y avait-il un lien entre ces meurtres, le culte auquel se vouaient ses ancêtres et celui relatif à la légende d’Odran ? Je devais mettre de l’ordre dans ma tête, et je rentrais chez moi, où je m’affalais sur mon lit, une fois dans ma maison. Et presque s’en m’en rendre compte, je m’endormais sur le canapé, n’ayant même pas décapsulé la canette de Guiness que je m’étais sorti, espérant qu’elle parviendrait à « nettoyer » le capharnaüm qui composait mon cerveau à ce moment-là…

 

Quelques jours plus tard, j’en étais toujours au même point. Incapable de voir la raison de tout ça. Se rajoutant à ça, j’avais appris qu’on avait retrouvé le corps de Lorna, la mère du gosse massacré, dans une crique. Noyée. Vraisemblablement un suicide, après avoir appris la mort de son fils. En dehors de ça, j’avais potassé à fond l’histoire d’Odran, de ce fameux culte, celui des ancêtres de Lydia, les celtes, les druides, les historiques de morts liées à des sectes ou autres dans toute l’écosse. Je cherchais à parvenir à faire correspondre les maigres indices dont je disposais, mais rien ne collait, si ce n’était qu’un grand nombre d’entre eux me ramenait toujours au même endroit : l’auberge de Callanish. L’auberge de Lydia. Je lui avais promis de revenir la voir, et cette enquête m’avait fait quelque peu oublier cette promesse.

 

 Et puis, appelez-ça le destin ou je ne sais quoi, un autre meurtre, cette fois sur le site 3 de Callanish, près de l’A858 fut signalé. Une fillette cette fois. Mais avec la même barbarie que le précédent meurtre… Sur place, je ne pouvais que constater la sauvagerie identique au précédent carnage : la gamine était nue, crucifiée à l’envers sur une des pierres du site, avec la Bernaka inversée, marquée au fer rouge sur son front. Et à côté, le chiffre 2, en gaélique, gravé avec une lame. Et toujours le signe du culte d’Odran, lui aussi gravé, au bas du chiffre… C’était un touriste qui avait trouvé le corps, et qui l’avait signalé par téléphone. Curieusement, contrairement au premier, je n’eus pas de nausée en voyant le corps. Appelez-ça l’habitude, ou le fait que je m’étais préparé à revivre ce type de découverte, j’en savais rien. En même temps, c’était ce qui me faisait le plus peur dans ce métier. L’habitude. A force de côtoyer la mort de manière régulière, on en venait à ne plus s’étonner de rien, même dans les cas les plus horribles. C’était effrayant. L’impression de perdre une part d’humanité à chaque nouveau meurtre. Perdre ce qui faisait de nous des êtres avec un cœur, une sensibilité. Perdre tout sens de la compassion pour les corps froids qui s’offraient à nous…

 

Après le premier meurtre, moi et mes collègues on savait comment orienter les recherches pour connaitre l’identité de la gamine. Les enfants sans père. Les gosses vivant avec leurs mères, leurs grands-parents, leurs oncles ou leurs tantes. Autant de pistes possibles, en se focalisant sur les alertes d’enlèvement, les disparitions… Même les fugues n’étaient pas à exclure. Tout ce qui pouvait permettre de savoir où s’était rendu le meurtrier pour faire son marché, au nom de ce culte, tel qu’il apparaissait de plus en plus évident. Il ne fallut pas longtemps pour le savoir. Isla Danvish. Signalé disparue depuis 2 jours par sa grand-mère, après que la gosse ne soit pas rentrée de sa séance à son club de sport. Du badminton pour être précis. Je suis resté un moment sur place, au cas où un indice, même infime se dévoilerait à mes yeux, quelque part sur le site. Et puis, mon instinct me guida presque automatiquement vers l’auberge de Lydia, à Callanish. J’avais besoin d’un peu de rêve. Besoin de me perdre dans ses yeux, l’écouter me bercer de ses paroles. Histoire de mettre toute cette folie ambiante de côté, et goûter à un moment de calme avant la tempête qui s’annonçait, comme allait me le montrer les semaines suivantes… 

 

J’arrivais donc à l’auberge, et immédiatement lydia et son sourire ravageur m’accueillirent comme un héros revenant d’une victoire à un concours local. Chère Lydia. Un ange dans un monde de mort et de sang. En tout cas, c’est comme ça que je la percevais. A peine installé au comptoir, elle vint vers moi

 

« Bonjour, cher inspecteur. Ou dois-je dire Colin, maintenant que nous nous connaissons un peu mieux ? »

 

Je souriais à ça. Décidément, c’était vraiment un ange. Capable de me redonner le sourire dans de telles circonstances…

 

« On va rester sur « Inspecteur ». Il ne faudrait pas que les autres prétendants me prennent en grippe »

 

Elle laissait échapper un petit rire, rajoutant au rayonnement que son visage m’inspirait.

 

« Très bien inspecteur. Mais pour les prétendants, je n’en ai qu’un officiel… »

 

« Ah oui ? Et qui est cet heureux élu ? Je suis curieux… »

 

Elle s’accoudait au comptoir, de l’autre côté du bar, juste après avoir posé une choppe de Guiness devant moi…

 

« Voyons, inspecteur, vous le connaissez déjà. Il est charmant, malgré son âge, porte un uniforme des forces de l’ordre, adore la Guiness, et est un des rares à avoir réussi à m’intéresser. Ah, j’oubliais : il est assis juste en face de moi en ce moment… »

 

« Il a bien de la chance, cet homme. J’aimerais beaucoup être à sa place… »

 

Lydia riait sans retenue à ma petite pointe d’ironie, et ce fut le début d’une nouvelle longue discussion qui durait dans le temps, me faisant oublier mes tracas. Un échange tendre, tel deux amoureux sur un campus, piégé dans une bulle, sans s’occuper de ce qui se passe autour. Tout juste perturbé par le flot de clients à qui Lydia devait assurer leurs demandes de boissons. Je me sentais tellement bien avec elle. Mes visites à l’auberge devinrent presque une étape obligée à chacun de mes déplacements. A chaque nouveau meurtre déclaré sur l’un des sites de Callonish. Greta Tanner, Ian Crows, Darren Pulls, Margaret Illis, Enéa Barfour… autant de vies brisées, volées par un tueur ou des tueurs invisibles, au nom d’un Dieu de pacotille, un Saint servant de prétexte à s’adonner à des actes de barbarie que je ne parvenais pas à oublier, s’inscrivant dans ma mémoire, presque sans m’en apercevoir, comme des timbres d’une collection macabre, s’ajoutant peu à peu. Et malgré ça, je parvenais à faire dissiper ces visages remplis d’une peur intense, comme le montrait leurs dépouilles, après chaque découverte. Grâce à Lydia.

 

Notre relation s’intensifiait au fil des visites, devenant plus intime. Au point de me transformer. Me faisant passer d’homme aigri par la perte de son épouse, de manière violente, il y avait plusieurs mois de ça, et m’ayant conduit à fuir ma région natale pour venir ici, sur cette île, à celui d’homme épanoui, s’étonnant d’avoir su trouver le chemin du cœur d’une tenancière de bar aux allures angéliques. Au point de m’inviter à partager sa chambre et son lit, me faisant redécouvrir des émotions que je ne pensais jamais retrouver, me faisant redevenir un être humain. Des moments où j’avais l’impression de visiter le Paradis, moi le misérable petit être humain, devenu le partenaire sexuel d’un ange descendu sur Terre. Une relation qui m’aveuglait aussi. J’ignorais à ce moment-là si ses sentiments envers moi étaient sincères, ou si ça faisait partie d’une tactique de diversion pour mieux m’écarter de l’évidence qui me brûlait les yeux. La partie manquante qui allait briser la fascination que Lydia me procurait à chacune de mes visites…

 

Le premier tic vint une nuit, alors que Lydia dormait dans la chambre. Pour ma part, je ne parvenais pas à dormir, et je me levais, me dirigeant vers le côté bar de l’auberge, afin de me verser une petite Guiness bienvenue. Certaines personnes s'intoxiquaient avec des médicaments détruisant le cerveau pour retrouver le sommeil ; moi, le seul remède valable pour résoudre ça, c’était une bonne bière. Tout en buvant mon « antidote », mon regard se posait instinctivement vers la serpe de sacrifice des ancêtres de Lydia, au-dessus du bar. Un détail me chiffonnait. Les taches de sang séchée semblaient plus nombreuses, moins sombres. Sur le coup, je me disais que c’était peut-être la fatigue, ou la bière qui me donnait cette impression. Je luttais pour voir de plus près ce qui semblait m’attirer de plus en plus. Finalement, je montais sur un tabouret et décrochais le cadre épais dans lequel était situé la serpe.

 

Je redescendais, posais le cadre sur le bar, et pris sur moi de l’ouvrir, afin de la voir de plus près. Le sang avait bien l’air d’avoir plusieurs années d’existence, mais je restais persuadé qu’il y avait plus de taches que la première fois où je l’avais vue. Je tentais de gratter un bout de la surface avec mon canif. Et je découvris le subterfuge. Une sorte de peinture, ou un truc du genre recouvrait une autre substance sur la lame de la serpe. Et la couleur vive de cette dernière ne faisait aucun doute. C’était bien du sang, et celui-ci était bien plus récent. 

 

A ce moment, mon instinct de policier aurait dû me dire de faire analyser en profondeur la serpe, et faire établir une enquête sur Lydia. Mais une partie de moi se refusait à l’éventualité que Lydia puisse être à l’origine de tous ces meurtres monstrueux… C’était impossible… Comment un tel ange de douceur, un tel sourire pourrait massacrer des enfants innocents au nom d’un culte dont elle n’avait de lien que par le biais de ses parents. Apparemment, ils ne lui avaient pas légué uniquement l’auberge. Leur folie également. Mais il me fallait bien plus qu’une vieille serpe pour avoir la preuve de la culpabilité de Lydia. Heureusement, la petite couche de cette peinture bizarre recouvrant le sang que j’avais enlevé était infime, et il y avait peu de chances qu’on le remarque. En tout cas, je l’espérais. Je remettais le cadre à sa place, et retournais me coucher, afin de ne pas éveiller de soupçons de la part de Lydia, toujours endormie. Une chose que m’avait indiqué un de mes collègues me revint en tête. Les meurtres avaient été perpétrées la nuit du Sabbat Chrétien hebdomadaire. Ces 24 heures, du vendredi soir jusqu’au samedi soir, durant lesquels l’auberge était fermée, afin de respecter les croyances chrétiennes de Lydia. Du moins, je le croyais. Mais il devenait clair que Lydia adorait d’autres divinités que celles de l’église classique.

 

Par la suite, je ne montrais pas de différence à notre relation, me rendant régulièrement auprès d’elle quand mon emploi du temps me le permettait. Je fis l’expérience malgré tout de lui demander de venir un soir de Sabbat chrétien, et sa réponse fut éloquente. Ces 24 heures là, elle se reposait de tout. Même des hommes, aussi charmant soient-ils, selon ses propres mots. Ce qui se rajoutait à mes soupçons. J’avais aussi remarqué que les meurtres s’espaçaient de deux à trois semaines entre eux. Le dernier meurtre ayant eu lieu il y avait déjà 12 jours, et le jour du Sabbat intervenant dans 3 jours, il y avait de grandes chances que le prochain sacrifice aurait lieu à ce moment. 

 

Ainsi, le soir dit, je me mettais à proximité de l’auberge, sans me faire voir des villageois, car soupçonnant leur complicité. De quelques-uns d’entre eux en tout cas. Et j’observais. Guettant une éventuelle sortie de Lydia… Il était déjà 3 heures du matin passée, et rien ne bougeait. Le légiste avait déterminé que l’heure approximative des sacrifices avaient eu lieu entre 3 et 5 heures du matin, donc si Lydia devait sortir, elle ne devrait plus tarder. Et c’est ce qui arrivait, bien que j’espérais le contraire. J’espérais vraiment m’être trompé, et que mes doutes étaient infondés. Je la vis, vêtue d’une sorte de long manteau, surmonté d’une cape noire, se déplaçant jusqu’à l’entrée du village. Là, je vis une camionnette qui semblait l’attendre, avec deux hommes, eux aussi portant la même tenue. Je parvins à me poster suffisamment près pour entendre les recommandations qu’elles donnaient aux deux hommes.

 

« Nous pouvons partir. Harry et les autres sont déjà sur place avec le 8ème sur le Site 6. Ils attendent avec impatience que je procède au Tarrthala. Partons ! »

 

Juste après, la camionnette partit. M’assurant que personne d’autre n’était à proximité, je me dirigeais vers mon véhicule, et partais à mon tour vers le site 6, là où devais se pratiquer le Tarrthala évoqué par Lydia. Le mot gaëlique désignant un sauvetage… Un sauvetage de quoi ? Il s’agissait de meurtres. Pourquoi employer un tel mot ? Je tombais des nues en découvrant que ma douce Lydia était bel et bien le monstre responsable de ces meurtres monstrueux.

 

Arrivé tout près du Site 6, j’éteignais mes phares, et me garais à environ 2 km des lieux où le sacrifice allait avoir lieu, histoire de ne pas me faire remarquer, et en attendant les renforts que j’avais demandé par téléphone, juste avant de partir sur le site 6. J’étais à moitié frigorifié par l’air ambiant, mais je me devais de garder ma position, ayant trouvé un endroit où je pouvais voir sans être vu, afin de trouver une explication à toute cette histoire. Bientôt, je pus voir un gamin, un garçon, emmené à l’une des pierres, pleurant, et montrant des signes évidents de terreur. Lydia, sur un ton que je ne lui connaissais pas, totalement à l’opposé de la gentillesse que je pensais qu’elle incarnait, s’adressait alors à d’autres encapuchonnés. Je comptais 7 hommes au total. Deux d’entre eux déshabillèrent entièrement le gamin, avant de le positionner comme les autres, la tête en bas. Et je ne pouvais rien faire. Pas tant que les renforts attendus n’arrivent. Seul face à 7 hommes, je n’aurais aucune chance. Je me ferais tuer. Et n’ayant donné aucune autre indication à mes collègues sur l’identité de la commanditaire, à savoir Lydia, une intervention de ma part, ferait fuir les membres du culte, et tout serait foutu. Ils continueraient leurs atrocités sur des gamins innocents…

 

Retenant ma colère, je ne pus que voir les cris déchirants du gosse, pendant qu’on lui fixait les pieds et les mains sur la pierre, laissant couler du sang en flots incessants sur le sol. Puis, Lydia s’approchait, la serpe de l’auberge à la main. Un autre homme lui apportait un fer tout juste sorti d’un feu, qui brûlait à côté de la pierre. Lydia s’en emparait, et marquait le front du gamin, en récitant des phrases dont je ne saisissais pas la teneur. Des incantations ou quelque chose comme ça. Tout ce que je retenais, c’était que ça ressemblait à une forme très ancienne de gaélique. Puis, elle gravait une marque à côté de la Bernaka faite au fer rouge, avec la pointe de la serpe. En psalmodiant toujours ses paroles incompréhensibles pour moi. 

 

Et l’horreur atteint son comble à ce moment, quand Lydia plongeait la serpe dans le corps du garçon, qui criait de plus belle, le lacérant, ouvrant son ventre d’une main, et plongeant son autre à l’intérieur du corps, faisant ressortir une partie des entrailles, et les jetant au sol avec dédain. Le gamin ne résistait pas longtemps à ce traitement. Et là, je ne sais pas ce qui m’a pris… Mon humanité n’arrivait plus à supporter davantage ce spectacle. Et je me ruais vers le lieu du sacrifice, oubliant toute prudence… Deux hommes vinrent immédiatement vers moi en m’apercevant, mais la rage, la colère de ce que je venais de voir, décuplait mes forces, et je me débarrassais très vite d’eux. Malheureusement, ma course tournait court, freiné par les autres hommes du groupe qui m’aplatirent au sol, pendant que Lydia, m’ayant reconnu, s’approchait de moi.

 

« Colin… Pourquoi t’être mêlé de ça ? Je pensais avoir réussi à éloigner ta méfiance. Je pensais que tu m’aimais suffisamment pour ne pas chercher à savoir les zones d’ombre me concernant… »

 

Pendant que mes bras étaient immobilisés, je ne pus m’empêcher de lui dire ce que je pensais, de sa tromperie à mon égard, de sa monstruosité, et aussi questionner sur ses actes :

 

« Des zones d’ombre ? Une galaxie de mensonge oui ! Tu es un monstre ! Ces pauvres gosses… »

 

Lydia me regardait, l’air peinée. Puis, elle reprit :

 

« Même si je te le disais, tu ne comprendrais pas mon rôle primordial. Ne crois pas que cela me plait d’agir ainsi. Mais ces sacrifices sont nécessaires. Contrairement à ce que tu crois, je ne fais que sauver les âmes perdues de ces enfants impurs… »

 

« Impurs ? Ce sont des gosses, bordel ! Des enfants innocents ! Comment tu peux leur faire ça ? Regarde-toi ! Tu n’as pas la moindre émotion à leur calvaire ! »

 

Soupirant, Lydia répondait :

 

« Des innocents, dis-tu ? Ces enfants sont bien loin d’être ce que tu dis… J’aurais aimé te dire toute la vérité, une fois notre relation installée sur des bases solides, un jour… Mais ce jour n’arrivera jamais… Tu viens de tout gâcher, imbécile ! Je t’aimais. Tu peux penser ce que tu veux de moi, mais je t’aimais vraiment… »

 

« M’aimer ? Tu m’as utilisé oui ! Pour me cacher les yeux de tes actes monstrueux ! »

 

Lydia s’apprêtait à dire autre chose, quand soudain des sirènes hurlantes se firent entendre, se rapprochant à toute allure du site. Elle s’adressait alors à ses hommes :

 

« Vite ! Rassemblez les affaires, et partons. Je m’occupe de finir le Tarrthala interrompu par cet idiot d’inspecteur ! Je dois absolument terminer la cérémonie avant que le Deomhan reprenne ses esprits, et sorte du corps ! »

 

A peine dit ces mots, Lydia se précipitait vers le corps crucifié du gamin, se préparant à planter à nouveau sa serpe de sacrifice, et enlever le reste des organes et autres entrailles. Sans doute affairés à observer le geste de leur prêtresse, les deux hommes qui me tenaient relâchèrent leur emprise sur moi, et je parvins à me soustraire à eux, leur décochant pieds et poings, tout à leur surprise, et les laissant au sol. L’instant d’après, je courais vers Lydia, et sans même réfléchir, sortais mon pistolet de service, et je tirais dans sa direction, mon instinct de policier ayant enfin repris le dessus… Je la vis s’écrouler au sol, ayant été atteinte par 3 de mes balles, avant qu’elle s’écrie, en direction de sa victime :

 

« Non ! Non ! Le Deomhan ! Le Deomhan sort ! C’est trop tard ! Je n’ai pas pu sauver à temps cet enfant ! »

 

Ce qui suivit me donnait l’impression de m’être retrouvé en plein dans un film fantastique. J’avais du mal à croire ce que je voyais. Une sorte d’ombre gigantesque sortant du corps du gosse à moitié massacré s’élevait dans les airs. Une ombre qui commençait à montrer les signes caractéristiques de la représentation chrétienne d’un diable, un démon, enfin ce genre de truc. Avec des cornes sur la tête, des yeux en amande, d’un rouge vif, ses mains étaient dotées de très longs ongles, ou des griffes. Son rire sardonique emplit tout l’espace autour. D’un coup, il dirigeait ses mains vers les disciples de Lydia, et des sortes d’éclair noirs les foudroyèrent sur place, les uns après les autres. Les 7 hommes y eurent droit. Je voyais Lydia arborer une sorte de bijou au-dessus d’elle, le montrant à l’entité. Celle-ci, complètement sortie du corps du gosse, semblait hésiter un moment, regardant en direction de Lydia, et du bijou qu’elle montrait. Puis, je vis ce… démon… Cette chose… se propulser plus avant dans l’air, prendre la forme d’un nuage, un nuage noir, avant de disparaitre peu à peu dans le ciel.

 

Je ne comprenais rien à ce qui s’était passé. J’avais l’impression d’avoir eu les effets d’une drogue hallucinogène, ou quelque chose comme ça. C’est à ce moment que les renforts arrivèrent sur le site, se déployant, et se dirigeant vers les hommes au sol. Mais aucun d’entre eux n’avaient survécu aux éclairs de l’entité. Je ne pouvais même pas parler de ça sans être pris pour un dingue. Tout au plus, en discutant avec certains d’entre eux plus tard, quelques-uns évoquèrent avoir aperçu un nuage bizarre au-dessus du site qui s’était déplacé dans le ciel avant qu’ils arrivent. Lydia était au sol, les mains sur les blessures infligées par mes balles. Elle était mourante. L’une des balles avait atteinte un poumon. Je demandais à un des hommes d’appeler une ambulance de toute urgence. Entendant cela, elle s’adressait à moi :

 

« C’est inutile, inspecteur. Enfin, je veux dire Colin. Si tu acceptes encore de moi que je t’appelle par ton prénom… »

 

Je m’agenouillais, la regardant. Voyant la vie s’enfuir de ses yeux. Ses si magnifiques yeux où j’aimais tant me perdre auparavant. Je pleurais en la voyant ainsi. Même sachant ce qu’elle avait fait, je ne pouvais pas m’empêcher de voir mes larmes couler sur mon visage… Je lui répondais :

 

« Bien sûr que tu peux m’appeler Colin… Je…Je peux te demander une dernière chose ? »

 

« Tout ce que tu veux. Je vais mourir maintenant. Alors, je n’ai plus à avoir de secrets pour toi… »

 

Prenant une grande inspiration, malgré mes larmes, je lui demandais la question qui envahissait mon esprit :

 

« Pourquoi ? Pourquoi tout ça ? Et c’était quoi ce…truc qui est sorti du corps du gamin ? Est-ce que c’était ce que je pense, ou c’est moi qui suis devenu aussi fou que toi ? »

 

« Je ne suis pas folle, Colin. Même si les apparences sont contre moi, je le reconnais. Ce que tu as vu est un Deomhan. Un démon issu des traditions gaéliques. Ils s’insinuent dans les corps d’enfants sans père avant de naître, profitant de la grossesse pour s’emparer de l’âme naissante et la remplacer. Je ne sais pas si tu es au courant, mais plusieurs actes de malveillances ont été faits par les enfants que nous avons « libérés ». Ils n’étaient plus des enfants au sens propre du terme. Juste des coquilles vides où se nichait un Deomhan. »

 

« C’était bien un démon alors. Mais et ces numéros ? Combien de ces enfants existent-ils ? »

 

« 12. Le même nombre que les apôtres. Celui-ci était le 8ème. Chaque année, un enfant sans père se fait « remplacer » par un Deomhan. Pendant un cycle de 12 ans. Quand ces enfants ont atteint l’âge de 13 ans, ils se regroupent, fusionnent en un seul corps, afin de former un être qui déclenchera le Taisbeanadh, l’apocalypse en langue gaélique. La mission du culte d’Odran, celui qui a vu les desseins de l’enfer après son sacrifice, et qui est revenu à la vie pour le combattre, est d’empêcher cela. En sacrifiant les enfants ayant un Deomhan en eux. Ce rite que tu qualifies de monstrueux est nécessaire pour éliminer toute trace démoniaque en eux… »

 

A la lumière de ces révélations, je comprenais mieux le but de Lydia. Elle m’expliquais aussi que ses parents et la totalité de ses ancêtres ont toujours fait partie du culte, et se sont chargés de cette mission au cours des siècles. Plusieurs disciples étant chargé d’enquêter sur les actes contre nature d’enfants sans père, et donc susceptibles d’abriter un Deomhan. L’un des 12 nécessaires au Taisbeanadh. Le bijou qu’elle arborait était un talisman forgé par un artisan, suivant les instructions d’Odran, et permettant de se protéger des entités démoniaques. Avant qu’elle rende son dernier souffle, elle m’a demandé de le porter. En souvenir d’elle. Ce que je n’ai pas pu refuser. Elle m’a aussi indiqué l’endroit où se trouvait toute la documentation nécessaire pour mieux comprendre les détails de la mission du culte. Ainsi que le moyen de joindre les Grands Prêtres de ce dernier. Je lui avais demandé si elle ne craignait pas que je fasse enfermer tout le monde en me divulguant ces informations, mais elle m’avait répondu tendrement qu’elle avait confiance en moi, parce que j’avais vu un Deomhan, et que je saurais prendre la bonne décision pour éviter le Taisbeanadh.

 

J’ai dû batailler ferme, mais j’ai réussi à obtenir que Lydia puisse avoir un enterrement décent, sur un sol sacré, auprès de ses ancêtres. J’ai démissionné de la police écossaise, et ai repris la direction de l’auberge. Non, je vous vois venir, mais je n’ai pas succédé à Lydia pour procéder aux sacrifices. J’en aurais été incapable. Et surtout, ce rôle est réservé aux femmes, des prêtresses formées et reconnues par les grandes instances du culte d’Odran. Lydia l’a été par sa mère. Moi, je suis chargé de veiller à ce que l’histoire du culte, dans les murs de l’auberge, ne tombe pas dans les mauvaises mains. J’ai gardé des contacts dans la police, ce qui me permet de participer à la détection des hôtes de Deomhan. Une manière pour moi de me faire pardonner envers le culte et surtout de Lydia. Parce que je n’ai pas compris son rôle, et qu’à cause de ça, je me retrouvais à nouveau seul avec d’autres douloureux souvenirs, se rajoutant aux autres déjà dans ma mémoire. 

 

Je suis devenu ce qu’on appelle un Caomnhoir, un gardien. Celui qui veille à la préservation du savoir, et aide les futures prêtresses. J’ai suivi un programme pour former les nouvelles recrues, et la première de mes élèves doit arriver bientôt à Callanish… J’ai appris dans le même temps que cette future prêtresse n’était pas n’importe qui. C’est la sœur de Lydia, Ayla. Sa sœur jumelle. Ce qui m’a fortement troublé en recevant sa photo, envoyé par les Grands Prêtres du Culte. On dit que les erreurs bénéficient parfois d’une seconde chance. Peut-être est-ce la mienne, qui sait ?

 

Publié par Fabs

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