29 août 2022

LES SOEURS DEMONIAQUES : CETTE SOEUR QUI ME FAIT PEUR (Point de vue de Liv)

 


 

 

3 - CETTE SOEUR QUI ME FAIT PEUR (Liv)

 

Cette histoire fait partie d'une série de 4, et constitue le premier projet du collectif "Les Colporteurs de l'Horreur", adoptant 4 points de vue différents des personnages de l'histoire. 4 visions se complétant l'une et l'autre, afin de mieux discerner la subtilité des psychologies des protagonistes principaux : Magnus (le Père), Yrsa (La Mère), Liv et Helga (Les Filles).

 

J’ai parfois du mal à me dire qu’Helga est bien ma sœur, tellement nous sommes différentes, elle et moi. Elle me fait peur. Sa manière de regarder les autres, comme si tout ce qui était autour d’elle était une cible potentielle pour assouvir ses pulsions meurtrières. Son regard qui s’illumine quand elle tranche les gorges de tous ces garçons, se servant de moi pour les attirer. J’en viens à me demander si elle ne m’accepte pas comme sœur uniquement pour ça, pour jouer les appâts et s’amuser de me voir pleurer en même temps qu’elle m’oblige à finir le « travail », pendant que notre victime du jour agonise, nous observant, Helga et moi, semblant appeler à l’aide, avec ces yeux remplis d’incompréhension dirigés vers nous. Mais je n’ai pas le choix. Je ne veux pas prendre le risque de la contrarier, de lui donner l’excuse de se débarrasser de moi aussi, comme elle l’a fait avec maman…

 

Tout n’a pas toujours été comme ça. Je ne me souviens pas très bien de notre enfance, de ces moments de bonheur apparents avec maman quand nous n’avions que quelques années. Je ne comprenais pas bien qui était cet homme qui n’avait pas le droit de nous approcher. Au début, je pensais que c’était un serviteur, chargé de nous amener nourriture, jouets et robes, qu’il n’avait que ce seul lien avec notre famille. Je voyais son air triste parfois dans l’encadrure de la porte, après qu’il ait cogné à cette dernière pour nous amener nos repas, maman refusant que l’on sorte de la chambre où l’on se trouvait tous les trois. Dans ces moments-là, j’avais envie de lui dire qu’il pouvait entrer, qu’il pouvait jouer avec Helga et moi, comme tout bon serviteur qui se respecte. Au vu de ce qui nous entourait, j’ai longtemps cru être comme ces princesses des contes que maman nous lisait le soir avant de nous coucher. Helga disait que c’était juste des histoires, mais moi je rêvais de vivre les mêmes aventures, de rencontrer un joli prince qui m’emmènerait dans son royaume. Et toutes ces tentures autour des fenêtres, ces draps bordés de soie, ces meubles, et tout le reste, pour moi, c’était déjà un signe d’une certaine aisance digne d’une famille royale.

 

Mais j’ai très vite déchantée en apprenant la vérité, une fois que j’étais en âge de comprendre ce qu’était cette réalité qui nous entourait. Celui que je pensais n’être qu’un serviteur était en fait notre père. C’est à lui que nous devions d’être venues au monde, Helga et moi. Maman n’aimait pas en parler, mais j’ai appris que c’est papa qui avait sauvé maman d’un endroit sombre, froid et plein de gens qui lui voulaient du mal. Un endroit très différent de celui où nous nous trouvions à ce moment. Alors pourquoi maman était si méchante avec lui ? Pourquoi il ne pouvait pas nous voir, nous toucher ? Je comprenais mieux sa tristesse à chaque fois qu’il tentait de nous apercevoir, et que maman l’en empêchait. C’est là que je m’apercevais de cette différence entre Helga et moi. Elle ne prêtait pas vraiment attention à ce que moi je voyais, que son insouciance lui dictait de ne pas s’attacher, obéissant de manière stricte aux directives de maman de ne pas le regarder non plus, qu’il n’était pas digne de nous observer. Helga était très attachée à maman, encore plus que moi. Je pense que c’est à cause de cet attachement qu’elle a mal supportée que maman nous laisse seul avec cet inconnu qu’était notre père. Nous avions beau grandir, nous ne le connaissions pas, il n’était qu’un étranger qui avait à peine le droit de vivre sous le même toit que nous.

 

Par la suite, nous avons pu sortir, ma sœur et moi de cet espace qu’était la chambre où nous avions grandi une grande partie de notre enfance. Nous avons découvertes d’autres pièces, comme la cuisine, le salon, et nous avions accès à de vrais toilettes, et non plus un simple pot de chambre dans un coin de la pièce, dont le contenu était jeté par la fenêtre par maman ou posé devant la porte, laissant l’homme nous servant de père le vider et le nettoyer, comme un domestique d’une grande maison. De cette époque, je me souviens de cet air triste, mélangé à de la joie de ce père si proche, mais si éloigné de nous. Il me faisait de la peine. Mais à chaque fois que je tentais de lui adresser un sourire, Helga me rappelait à l’ordre :

 

« Ne fais pas ça… »

 

Je demandais pourquoi, indiquant que l’homme avait l’air si triste là-bas, et que j’aimerais bien apprendre à mieux le connaitre. Après tout, c’était notre père. Helga me prenait par les épaules dans ces moments, se mettant de dos pour ne pas que l’homme voie ses yeux rougis par la colère, pendant que maman, ignorant ce qui se passait, était affairé à cuisiner les aliments apportés par notre père.

 

« C’est peut-être celui qui nous a donné la vie, mais maman ne veut pas qu’on s’approche de lui. Moi aussi, j’aimerais bien le connaitre un peu mieux, mais si maman ne veut pas, c’est qu’il doit y avoir une raison. Et tu ne voudrais pas désobéir à maman, pas vrai ? »

 

Je lui répondais par la négative, m’excusant avec insistance auprès d’Helga sur mes propos. Quand Helga me montrait ses yeux rouges, je savais que je ne devais pas avoir une opinion différente d’elle. Alors, je baissais les yeux, ne voulant pas qu’elle se mette en colère contre moi. Je ne connaissais pas encore ce dont elle était capable à cette époque, mais il y avait comme une sorte d’instinct qui me disait de ne pas la défier, sous peine de le regretter. Je pense que c’est là que j’ai compris que ma sœur me faisait peur, qu’elle était plus forte que moi. Elle avait une fureur en elle que je ne comprenais pas. Exactement comme maman quand notre père s’approchait d’un peu trop près. En ce sens Helga ressemblait beaucoup plus à notre mère que moi, d’un point de vue caractère, violence verbale et agressivité. A cause de ça, j’évitais le plus possible de la contrarier. Maman aussi pouvait être méchante parfois envers moi si je ne faisais pas ce qu’elle disait, mais ce n’était rien en comparaison d’Helga. Plusieurs fois, elle m’a enfoncée ses ongles dans la chair de mes épaules, pour bien me faire comprendre d’obéir à maman. Elle ne supportait pas que j’interroge maman sur beaucoup de choses concernant papa. Après les remontrances somme toute supportables de maman, Helga me prenait toujours à part, et elle me faisait mal. C’est comme ça qu’on a compris, elle et moi, que nous pouvions guérir facilement, quelle que soit la blessure reçue.

 

A chaque fois qu’elle plantait ses ongles dans ma chair, au niveau du cou, des bras ou des jambes, peu de temps après, la blessure cicatrisait, se refermait, ne laissant plus aucune trace. Et Helga profitait de ça pour me forcer encore plus à faire ce qu’elle me disait. Elle savait que j’étais plus sensible qu’elle aux blessures, même sachant qu’elles guérissaient ensuite. Il y avait un certain sadisme dans ses actes envers moi. Elle y prenait un grand plaisir, c’était une évidence, et plus encore parce qu’elle savait que jamais je n’oserais lui faire la même chose, même pour me défendre. Malgré tout, je finissais par m’habituer à cette vie familiale un peu spéciale, très différente de ce que j’avais lu dans les livres. J’aimais beaucoup lire, contrairement à Helga qui passait une grande partie de ses journées auprès de maman, me narguant, comme pour me dire « maman est à moi, pas à toi ». Ce qui fait que j’avais rarement l’occasion de faire des activités avec elle. Alors la lecture me permettait de pallier ce manque affectif qu’Helga m’empêchait d’avoir avec maman, de manière rapprochée. J’aimais beaucoup les histoires romantiques, ça me passionnait. J’apprenais de cette manière nombre de techniques d’approche envers les jeunes garçons, ce qu’Helga saurait utiliser à profit à son avantage par la suite, une fois que maman nous laissa aux griffes de papa, et que je découvrais que la frustration de ne pas s’approcher de nous pendant des années, avait transformé notre père en un être froid, mauvais, et nous vouant une haine qu’il est difficile de décrire avec des mots.

 

Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé ce jour-là dans les détails. Tout ce dont je me rappelle, c’était que je m’étais endormie dans les bras de maman, qui, pour une fois, n’était pas monopolisée par Helga, celle-ci étant occupée à démembrer ses poupées, s’amusant à lacérer leurs habits et la texture de leur visage de chiffon. Ces moments étant rares, je profitais de ces instants de bonheur que j’avais à être auprès de maman, comme si Helga m’autorisait à agir de la sorte. Et puis, j’ai été réveillé par les cris d’Helga, suivis de bruits de chute. Maman m’a posée au sol, avant de crier en se dirigeant dans la direction d’où venaient les pleurs :

 

« Tu as osé porter la main sur Helga ? Misérable cloporte ! Pour qui te prends-tu ? »

 

Je me frottais les yeux pour mieux comprendre ce qui se passait, et je voyais alors maman s’en prendre violemment à notre père, pendant qu’Helga observait la scène d’où elle était, allongée sur le sol, souriant de ce qu’elle voyait. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais en voyant maman aux prises avec papa, j’ai eu un réflexe de défense, et je me suis approchée de maman, me blottissant contre elle, comme pour la protéger. Un geste stupide. Comment aurais-je pu la défendre au vu de ma petite taille ? D’autant que Maman n’avait clairement pas besoin de mon aide. Ce qui suivit découlait de ma stupidité, maman détournant son attention de papa, celui-ci en profitait pour s’enfuir, et sortir de la maison. Nous entendions ses cris au-dehors, et peu de temps après, des hommes s’introduisirent dans la maison, s’emparant de maman, me séparant d’elle. Je fus projetée au sol pendant que maman était attachée, sans qu’Helga et moi puissions faire ou dire quelque chose, tétanisées par ce qui se passait devant nos yeux, auquel se rajoutait les cris de maman :

 

« Misérables vermisseaux ! Vous paierez pour ça ! Je vous maudis ! Vous entendez : je vous maudis tous ! »

 

Ensuite, maman fut emmenée au dehors, et on ne l’a plus revue pendant des années, restant seules avec cet étranger qu’était notre père, ce qu’Helga n’a jamais pu pardonner à maman, persuadée qu’elle nous avait abandonnées. Un sentiment qui la rongeait chaque jour un peu plus, développant sa fureur envers les habitants du village en son for intérieur, les rendant responsable de la fuite de notre mère, sans qu’elle ai pu expliquer la raison de son absence. Nous avons donc vécues plusieurs années ainsi, dans le doute. Si au départ, Helga tenta de croire en mes paroles sur le fait que maman reviendrait bientôt, plus les années passaient, plus elle ne croyait plus en ce que je disais, en cet espoir de son retour, et se confortant dans le fait qu’elle nous avait lâchement laissées entre les mains de notre bourreau de père. Je dis bien bourreau, car nous devenions ses souffre-douleur, se défoulant sur nous pour des raisons futiles, nous utilisant comme des domestiques pour diverses tâches. J’ai tentée plusieurs fois de le raisonner, de demander pourquoi il nous faisait subir tout ça, mais à chaque fois, la réponse était la même :

 

« Pourquoi je fais ça ? Parce que je ne peux pas le faire sur votre mère, tout simplement. Parce que vous êtes des monstres, fabriquées par elle. En tout cas, Helga en est un… »

 

Puis observant avec insistance mes yeux :

 

« Pour toi, je ne suis pas encore sûr… Mais tu portes forcément les mêmes germes de mal que ta mère et ta sœur »

 

Des paroles qui servirent de prétexte à Helga pour tester sa résistance aux coups, pour voir à quel point notre faculté de guérison de régénération pouvait aller. Elle narguait sans cesse notre père, cherchant à ce qu’il la frappe le plus fort possible, allant toujours plus loin dans la recherche de la souffrance :

 

« Eh bien vas-y… Qu’est-ce que tu attends ? Frappe-moi encore… Je sais que tu en meure d’envie… Frappe-moi pendant que tu le peux encore »

 

Dans ces moments-là, je ne faisais que pleurnicher, demandant à Helga pourquoi elle disait ça. Répétant en boucle que je voulais que maman revienne, que papa était trop méchant avec nous. Ce à quoi Helga rétorquait :

 

« Tais-toi Idiote ! Tu pense vraiment que j’ai mal ? Ce sont des caresses pour moi. Et arrêtes de l’appeler Père ! Il ne le mérite pas ! Et ce n’est qu’un humain de toute façon… Et maman nous a abandonnées ! Je la déteste elle aussi pour nous avoir laissées ici…»

 

Je lui criais qu’elle n’avait pas le droit de dire ça ! Que maman reviendrait un jour, j’en étais sûre… Elle reviendrait pour nous libérer. L’évocation de notre mère faisait redoubler la colère de notre père sur nous, s’acharnant sur moi à m’en faire pleurer sans discontinuer, pendant qu’Helga riait à chaque coup de poing qu’elle recevait, chaque coup de pied porté sur son corps, chaque blessure se formant sur ses bras ou ses jambes. Fixant notre père de yeux toujours plus vifs. Ce dont j’étais encore incapable. Au bout d’un moment, voyant que ses coups ne causaient aucune lésion durable, celles-ci guérissant aussi soudainement qu’ils leur donnaient naissance, papa s’arrêtait, exténué des efforts fournis à se déchainer sur nous, et lassé des rires d’Helga.

 

« Encore ! Encore ! Pourquoi tu t’arrêtes ? J’en veux plus ! Encore plus ! »

 

Mais ça, ce n’était rien en comparaison de ce qu’Helga m’obligeait à faire en l’absence de notre père, bûcheron de son état. Dès que celui-ci partait de la maison, elle m’entrainait avec elle, afin de l’aider à assouvir sa soif de sang et de violence comme elle disait. Prétextant que les caresses de notre père ne permettaient pas de lui donner ce qu’elle voulait. Elle savait que j’attirais les regards des garçons du village, bien plus qu’elle dont les attitudes de garçon manqué faisaient fuir le moindre prétendant. Alors elle profitait de cette propension involontaire de ma part d’aimant à garçons, telle qu’Helga me désignait. Me faisant poster sur un coin de rue, comme attendant quelque chose.

 

Le stratagème était rôdé, et il ne fallait pas longtemps avant que je sois abordée, et que je parvienne à le convaincre de me suivre près du petit bois, à l’abri des regards indiscrets, suivant en cela les recommandations d’Helga, qui suivait toutes les étapes de séduction. Une fois aux abords de la forêt, je montrais un arbre bien défini à la future proie, qui me suivais bien docilement, comme un petit chien à qui on promettait le plus beau des os. A peine arrivée, et profitant que le prétendant plonge son regard dans le mien, Helga se montrait, sortant de derrière l’arbre servant de lieu de sacrifice, ne laissant pas le temps au pauvre garçon de réagir. D’un coup, elle lui tranchait la gorge à l’aide d’un bout de verre enrobé d’un tissu. Une arme de fortune, simple mais efficace, et surtout qui pouvait facilement se renouveler et se jeter sans que ça se remarque. Au contraire d’un couteau dont l’absence aurait forcément attiré l’attention de notre père. C’est là que le sadisme d’Helga entrait en jeu, alors qu’elle me tendait un autre verre, comme celui ensanglanté qu’elle tenait :

 

« Vas-y Liv ! à ton tour ! Regarde : tu as juste à planter le verre ici, trancher la chair de ses bras. Fais-le doucement : il ne faudrait pas qu’il meure trop vite. Je tiens à voir la vie s’enfuir de lui petit à petit. Pendant ce temps, je m’occupe de ses jambes. Et après ça, on passera au final »

 

Elle me montrait alors ses ongles qui s’allongeait, ses dents qui passaient de leur forme rectangulaire à celle de triangles aiguisés, prêts à se planter dans le corps et à déchiqueter le pauvre garçon servant de défouloir à Helga. Elle savait que je détestais quand elle m’obligeait à tuer. Les premières victimes, elle s’était contentée de me forcer à regarder, s’appliquant à découper lentement le corps. Et une fois que la vie n’était plus présente dans le corps, s’acharnant à dépecer à coups de dents et d’ongles le reste, afin de faire croire à l’attaque d’un animal, tel un ours ou un loup, qui étaient en grandes quantités dans la région. Mais après, elle a tenu à ce que je participe moi aussi, afin que je franchisse à mon tour la ligne, tout comme elle. Comme une vraie sœur se doit de le faire. C’était le prétexte qu’elle me sortait à chaque fois que j’hésitais, me prenant la main pour m’aider le cas échéant, pour s’assurer que je ne m’enfuirais pas en courant.

 

« C’est très bien, Liv. Tu es de plus en plus douée, tu sais ? Tu me fais très plaisir, ma chère petite sœur adorée… »

 

Et moi, je n’osais rien dire, je faisais comme elle me disait de faire, car j’avais trop peur de subir le même sort si je refusais. J’avais bien trop peur d’elle et de ce qui adviendrait si je ne m’abaissais pas à suivre ses traces. Je suis devenue une meurtrière à cause d’elle. Je suis devenue un monstre à cause d’elle. Usant des mêmes facultés qu’elle. Les yeux rouges, les ongles, les dents. J’étais son parfait sosie dans le meurtre sauvage. J’étais sa prisonnière, sa complice, et elle le savait. Elle savait que jamais je n’oserais me rebeller contre elle, contre les horreurs qu’elle m’obligeait à faire. Même le jour où on s’en est pris à Karel, le fils de notre voisin. Toutes les deux on a senties qu’on nous observait, alors que le corps du jeune garçon gisait au sol, baignant dans une mare de sang coulant sur la terre. Helga a dit qu’elle sentait la haine de notre père venant d’un fourré. Il nous avait vues avec le corps de Karel. On ne savait pas depuis combien de temps il était là, mais il savait maintenant qu’on était à l’origine des morts, et que les loups ou les ours n’avaient rien à y voir. Et puis un soir, notre père s’est encore plus déchainé sur nous, alors qu’une nouvelle disparition d’un des garçons du village avait été annoncée. Il savait que nous étions à l’origine de ça. Il savait même que nous nous dévêtissions pour opérer à notre « rituel », afin de ne pas laisser de traces de sang sur nos habits, et semer le doute. Ce soir-là, alors qu’il nous frappait avec effervescence, et qu’Helga riait de plus belle, incitant à ce qu’il nous frappe toujours plus, la porte arrière de la maison s’est ouverte avec fracas, et une voix familière se fit entendre :

 

« Arrête ça, misérable humain ! Je t’interdis de poser la main à nouveau sur mes enfants ! »

 

Helga et moi n’en revenions pas, et papa arrêta aussitôt ses coups :

 

« Yrsa ? Co… Comment tu peux être là ? Je te croyais morte depuis tout ce temps… Je pensais que l’Eglise s’était débarrassée de toi… »

 

Pour ma part, j’étais tellement heureuse. Je savais que maman ne nous avait pas abandonnées, et je me précipitais vers elle, des larmes de joie, cette fois, coulant sur mes joues. Mais Helga s’interposait, stoppant ma course, avant de s’adresser à notre mère :

 

« Tu manque pas de culot, maman. Tu nous a laissées subir les coups de cet homme pendant des années, et tu crois qu’on va t’accueillir à bras ouverts ? Pour ma part, tu ne vaux pas mieux que celui qui se prétend notre père… »

 

Je disais à Helga qu’elle était injuste. Que maman avait été enfermée loin de nous contre son gré. Mais je ne pus pas terminer ma phrase. Déjà, Helga avait foncée sur maman, et tranchée sa gorge avec ses ongles qu’elle venait d’allonger, avant de s’acharner sur elle comme elle le faisait avec nos victimes du village. Je lui criais d’arrêter, qu’elle était folle, mais elle se contenta de se retourner, s’adressant à moi :

 

« On a pas besoin d’elle ! Tout ce qu’on sait, on l’a appris par nous-mêmes… Notre nature, notre besoin de tuer, le moyen d’attirer nos proies, nos facultés de régénération… Où était-elle quand on avait besoin d’apprendre tout ça ? Elle est inutile, et elle n’aurait jamais du revenir… »

 

Au même moment, maman, agonisante, tentait de faire revenir Helga à la raison :

 

« Helga… S’il te plait… Je suis ta mère…Comment tu peux me faire ça à moi ? »

 

Imperturbable, Helga lui répondait :

 

« Eh bien quoi ? C’est pas ce que tu voulais ? Que l’on devienne comme toi ? Tu peux mourir tranquille alors… Je vais tellement te charcuter que tu n’auras pas le temps de te régénérer, et après ça cette idiote de Liv arrêtera de me saouler avec le fait que tu vas revenir… »

 

Pris d’une colère intense, je fonçais sur Helga, mes yeux rouge vif se montrant à notre père, qui les voyais sur moi pour la première fois, mais Helga freina ma course en m’occasionnant une profonde blessure à ma jambe droite, et me faisant tomber au sol, juste avant de sourire :

 

« T’inquiètes pas : tu va vite guérir »

 

Elle se tournait alors vers maman

 

« Bon, on en étais où ? »

 

Continuant son déchainement de coups sur maman, cette dernière succombait rapidement, ses facultés de guérison ne parvenant plus à suivre les attaques, et elle restait sans vie sur le sol. Helga revint vers moi, m’aidant à me relever, ma blessure s’étant déjà refermée, et m’entrainant à la suivre au-dehors, non sans adresser un dernier message à notre père :

 

« C’est ici que notre vie commune se termine. Après un coup comme ça, ça risque d’être compliqué de cacher notre nature aux yeux du village. Les habitants vont faire le rapprochement avec les autres meurtres. Dommage : tes petites séances de coups envers moi vont me manquer… Mais toutes les bonnes choses ont une fin… »

 

En sortant, j’observais le corps lacéré de maman, pleurant comme jamais il ne m’était arrivé de le faire, tout en donnant mon ressentiment à ma sœur :

 

« Je te déteste ! »

 

« Moi aussi, je t’aime. Au lieu de pleurnicher, suis-moi… »

 

Nous partîmes alors de cette maison qui avait été le point de départ de notre vie, laissant notre père expliquer ce qu’il pourrait aux villageois sur la présence de notre mère et la manière dont elle avait été massacrée. Les semaines, les mois suivants ne furent qu’une succession de meurtres toujours plus violents, selon le bon plaisir d’Helga. Moi, dans le même temps, je commençais à prendre goût à cette nouvelle vie, car je n’avais plus cet espoir qui m’empêchait de plonger dans la noirceur voulue par Helga. Maman était cet espoir. Maintenant qu’elle n’était plus, j’avais un autre objectif : la vengeance. Jamais je ne pourrais pardonner à Helga ce qu’elle avait fait.

 

Pour autant, je n’avais pas encore la force nécessaire pour l’affronter et lui faire subir la même chose qu’à maman. Alors, je m’appliquais à suivre ses directives, devenant un exemple d’élève studieuse, et une sœur attentionnée, protectrice. Je refusais qu’une autre personne que moi la tue. Cela prendrait peut-être des années pour arriver au même niveau de monstruosité qu’elle, mais je m’accrochais à ce nouvel espoir. Elle devenait mon objectif, le but ultime qui me ferait s’accrocher à ce monde. J’ignorais ce que je ferais après l’avoir fait rejoindre les centaines de victimes mortes sous ses coups, et aussi des miens dorénavant. Peut-être tenterais-je de trouver une place quelque part, loin des humains, loin de tout. Un havre de paix pour un monstre tel que moi. Si tant est qu’un tel endroit puisse exister. Mon destin est sans doute de mourir à mon tour. Mais pas avant qu’Helga paie pour maman. Je me le jurais, et je n’aurais de cesse de vivre jusqu’à ce que je parvienne à cette finalité…

 

Publié par Fabs

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