29 août 2022

LES SOEURS DEMONIAQUES : LE MAL QUI EST EN MOI (Point de vue de la Mère)

 


 

2 - LE MAL QUI EST EN MOI (Yrsa)

 

Cette histoire fait partie d'une série de 4, et constitue le premier projet du collectif "Les Colporteurs de l'Horreur", adoptant 4 points de vue différents des personnages de l'histoire. 4 visions se complétant l'une et l'autre, afin de mieux discerner la subtilité des psychologies des protagonistes principaux : Magnus (le Père), Yrsa (La Mère), Liv et Helga (Les Filles).

 

Je ne me souviens pas de ma naissance, d’aussi loin que je creuse dans mes souvenirs les plus anciens. Les seules images de mon passé qui me viennent en tête remontent à mes 14 ans, alors que je découvrais l’environnement autour de moi. Cette salle plongée dans l’obscurité, tout juste éclairée par des bougies en grand nombre, ce carrelage froid agressant ma peau sur mon corps nu, ces hommes qui me fixaient comme si j’étais une divinité, se prosternant devant moi en récitant des psaumes au langage inconnu. Ils me faisaient peur. J’étais terrorisée par eux, par leurs regards pleins de convoitise sur moi, cette noirceur qui nageait dans la pupille de leurs yeux. Ce jour-là, c’était comme si je découvrais ce monde pour la première fois, mais dans un corps qui n’était pas le mien. Comme si on m’avait enfermée dans une boite sans mécanisme d’ouverture, ou de fermeture, sans possibilité de s’en échapper. En tout cas, c’est ce que je ressentais…

 

Par la suite, on me donnait des habits tout aussi noirs que l’atmosphère des lieux dans laquelle je me trouvais, mais pas de sous-vêtements. Juste cette espèce de tunique comportant cet étrange signe sur le tissu. Ce même signe qui figurait sur ma tempe droite, caché par mes cheveux. Je ne l’ai vu que plusieurs jours après, une fois que ces hommes m’aient privée de ma chevelure en la coupant, malgré mes protestations. Je sentais à ce moment que ce n’était pas moi qui les intéressais, mais ce qui se trouvait en moi. Cette partie de mon être qui était la raison de ma présence ici, et sans doute de ma véritable nature. J’ai vite compris que je n’appartenais pas à ce monde dans lequel j’avais été placée de force. Je venais d’ailleurs, sans savoir d’où. Le voyage m’ayant fait arriver au sein de cette dimension devait être la cause de mon amnésie concernant mes origines véritables. Une sorte d’effet secondaire.

 

J’ai longtemps soupçonnée que ce corps, je l’avais volé à une autre, ayant servi de matière première à ma venue. Cette autre dont il subsistait quelques traces, cet instinct maternel que je développerais plus tard, après que Magnus, l’homme qui allait m’offrir des filles, ferait se réveiller en moi. Une réminiscence de la fille à qui j’avais pris la place, et une partie de son âme. Cette même âme qui allait me torturer tout le reste de ma vie, étant sans cesse en combat entre mon vrai moi, et la partie de l’humaine qui tentait de reprendre son bien. Ce corps fait de sang, d’os et de chair qui me faisait souffrir à chaque « prélèvement », le terme employé par les hommes de ces lieux. Malgré cela, ils me traitaient bien, me laissant parcourir les couloirs de cet étrange endroit où je vivais, me nourrissant avec abondance, prenant soin à ce que je ne manque de rien. Beaucoup se seraient sans doute contenté de vivre cette existence, qui ne demandait après tout qu’un léger sacrifice, mais pas moi.

 

Chaque prélèvement me causait d’horribles brûlures en sortant de moi, avant de se diffuser dans ces fioles. Lors de ces moments, j’étais attachée sur un appareil semblable à ces instruments de torture que je voyais parfois en flash dans ma tête. Des images devant venir de la personne à qui j’avais pris ce corps. Comme des messages de son ancienne vie, qui n’avait été que souffrance à elle aussi, tout comme je le subissais à mon tour. Mais à un niveau différent. Contrairement à elle, je savais que je n’étais pas une native de ce monde rempli de fausses attentions envers moi. Ces hommes ne voyaient en moi qu’un objet, un fruit dont le fluide avait plus d’importance que mes ressentiments. Alors, un jour je me suis enfuie, profitant de la confiance qu’ils avaient en moi, en me laissant aller où je le désirais, sans avoir besoin de demander la permission. J’ai découvert la beauté du monde extérieur. Ces paysages, ces rivières luxuriantes, ces senteurs exquises, ces animaux aux formes et aux couleurs tellement variées.

 

J’ai tenté de m’approcher d’eux à de multiples reprises, mais ils me fuyaient sans cesse, effrayés de mes tentatives. Les jours passaient, et un changement important se fit en moi. Je ressentais une rage qui affluait dans mon être. Une rage que je ne parvenais pas à contrôler. Au début, je la déversais sur le sol, creusant la terre, ou bien en grattant l’écorce des arbres jusqu’à la sève. Mais cette colère me rongeait, me demandant autre chose pour l’apaiser. Elle me demandait du sang, des corps à meurtrir. Je me découvrais certaines aptitudes à chasser ces animaux que j’admirais, les dépeçant sans vergogne, me nourrissant de leurs organes, dédaignant le reste du corps, prenant leurs vies. Jusqu’à ce que je passe à un autre stade. Celui de corps humains. Ces humains qui m’avaient arrachée au monde d’où je venais, et dont je n’avais pas le moindre souvenir. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Quand j’étais dans ce lieu où je m’étais réveillée, au centre de cette pièce dont le sol comportait ces curieux dessins, je ne ressentais pas cette rage, cette haine qui emplissait mes pensées. Elle devait être endormie par le biais de la nourriture que l’on me fournissait, c’était la seule explication. Une sorte de drogue dissimulée dans mes repas afin de la contenir à mon insu, qui devait assurer à mes « hôtes » une certaine sécurité envers eux, leur permettant de me prendre ce qui les intéressait en moi. N’ayant plus l’effet de ce produit, ma nature profonde avait pris le dessus.

 

Et puis, il y eut ce jour où j’ai perdue ma liberté. Mes actes sur ces hommes, ces femmes dont j’éviscérais les corps ont permis à d’autres personnes, comme ceux à qui j’avais fui « l’hospitalité », de me retrouver, de me capturer, et de m’emprisonner. Contrairement à mes précédents hôtes, ceux-ci ne me laissaient pas aller où je voulais. J’étais enfermée dans une pièce encore plus sombre que le reste des lieux, attachée au mur par des chaines. On me nourrissait en m’indiquant quand ouvrir la bouche, gardant toujours les mêmes haillons gracieusement « offerts ». Je n’étais pour eux qu’un animal tout juste bon à servir leurs desseins. Je ne m’étais jamais interrogée sur l’utilité de ce fluide qu’on me prélevait. Mais après mon expérience au-dehors, ces corps que j’avais mutilés, ma soif de connaissance fit que je demandais à celui qui semblait être le chef, vu que tout le monde baissait la tête en le croisant. Je voulais savoir ce que pouvait bien lui apporter ce qu’il y avait en moi. J’ignorais ce que j’étais, mais de ce que j’avais vu, ce qu’il y avait en moi n’apportait que mort et désolation, et était sans contrôle. L’homme me fixait, souriant :

 

« Chère petite chose, c’est justement la fureur qui se dégage de ce qu’il y a en toi qui est l’essence même de nos objectifs. Tu n’es pas de ce monde. Seul ton corps l’est. Mais ton esprit, c’est nous qui l’avons fait venir dans notre dimension. Tu viens d’un endroit où la mort est un quotidien tellement banal qu’aucune créature n’y fait plus attention. L’essence de ce mal peut nous servir à faire d’hommes ordinaires des soldats acharnés et sanguinaires, nous permettant de gagner les guerres nous opposant aux pays voisins. »

 

Je comprenais mieux le pourquoi de ma présence ici, dans cette dimension. C’était exactement ce que je pensais. Je n’étais qu’un objet, une machine leur servant à fournir ce mal pour leurs desseins mortels. Je demandais si je n’étais rien d’autre pour lui que celle qui pouvait créer des tueurs en puissance dans ce monde, et obtenir le pouvoir.

 

« Tel quel, sous sa forme brute, nous ne ferions que créer des monstres humains tuant tout ce qui se trouve autour d’eux. Y compris leurs maitres. Pour gagner une guerre, nous avons besoin de soldats certes puissants, mais qui obéissent aux ordres qu’on leur donne. C’est pourquoi nous devons filtrer le mal que nous prenons dans ton corps, de façon à créer un produit capable de moduler la force de nos futures machines à tuer. Et cela demande du temps. Et aussi pas mal de cobayes humains, je dois bien l’avouer. Tu devrais te sentir fière de ce que tu apportes à notre monde »

 

Je lui indiquais ma haine envers la race humaine. Cette espèce vile que je considérais comme des bêtes et mes ennemis naturels. L’homme riait à mes propos, confiant dans la soumission à son encontre qu’il exerçait sur moi. Puis il s’approchait de moi

 

« La seule bête que je vois ici, c’est toi. Tu devras t’y faire. Tu n’es pas près de sortir de ces murs. Je ne ferais pas la même erreur que ceux qui t’ont fait venir au sein de notre monde. Ces incapables qui ont trouvé le moyen de te donner le moyen de t’enfuir… »

 

Juste après, l’homme quittait la pièce, me laissant à nouveau seule face à mon malheur. Plusieurs jours passèrent, se ressemblant tous. Jusqu’à ce que j’entende des cris et des bruits inhabituels. Des cris de panique et d’affolement. Des cris d’agonie. Et c’est là que je fis la rencontre de Magnus la première fois. Il avait beau être un humain lui aussi, je sentais qu’il ne me considérait pas comme un objet, contrairement aux autres. Il me libérait de mes chaines, m’observait, caressait mes cheveux, essayait de me parler. Mais j’étais dans un tel état de fatigue que je ne comprenais pas ce qu’il me disait. Tout juste parvins-je à décrypter sa dernière phrase :

 

« Tu ne crains plus rien maintenant. Nous nous sommes occupés de tes geôliers. Viens avec moi. Je saurais te rendre l’humanité que ces gens t’ont enlevé… »

 

Magnus m’a emmenée chez lui, me dorlotant comme ces princesses dont il me parlait dans les histoires qu’il me racontait, afin de m’expliquer ce monde. Il prenait ma méconnaissance de ce qui m’entourait pour une forme d’amnésie, pensant que la tendresse et l’amour qu’il m’offrirait saurait me rendre la mémoire à un moment ou un autre. Curieusement, bien que je ne prenais plus la drogue que l’on m’administrait, je ne ressentais pas cette rage ressentie lorsque que je m’étais trouvée au-dehors la première fois. Je me méfiais de Magnus, car il restait un humain, mais je sentais qu’il m’aidait à contenir ma propension à tuer, propre à ma nature. Je pense que c’est ça qui m’a convaincue d’accepter sa gentillesse à mon égard. Je le voyais comme un médicament à ce que j’étais.

 

Ainsi, au fil des mois, je comprenais mieux ce monde grâce à Magnus. J’acceptais qu’il me touche, qu’il use de gestes tendres sur mon corps, de baisers sur ma bouche, bien que je ne comprenais pas ce « rituel » qu’il appelait « amour ». Je devins sa femme, sans plus comprendre ce que ça signifiait, et je pensais avoir échappée à la fureur qui se trouvait en moi. Mais ce n'était qu’une fausse espérance qui s’évanouissait le jour où je tombais enceinte. Je sentais la vie en moi, et dès lors, mes instincts de défense reprirent peu à peu le dessus au fur et à mesure que les jours me séparant de la naissance s’installait. La méfiance que j’avais envers Magnus s’amplifiait de plus en plus, alors que mon instinct de protection, mon instinct maternel devenait chaque jour plus important. Je refusais de sortir, me terrant dans notre chambre, voyant Magnus s’inquiéter de mon changement d’attitude à son égard. Mais seul comptait pour moi la naissance à venir. A ce moment, pour moi, Magnus n’était plus qu’un obstacle à la sécurité de mes filles.

 

Car, oui, je savais qu’il s’agissait de filles. Des jumelles. Je le sentais au plus profond de mon être, je les entendais me parler dans ma tête, comprenant déjà la différence entre elles. L’une montrait un caractère plus fort que l’autre, rebelle, proche de ce que j’étais quand je massacrais animaux et humains. Ça m’inquiétait un peu, mais je me disais que ce n’étais peut-être qu’une impression, et que ce tempérament serait amenuisé par sa sœur, qui, elle, était plus calme, ayant moins de propension à la violence. Même si elle n’était pas absente pour autant. Mais elle était plus modérée. C’était comme si elle voulait ne s’en servir que si la situation l’exigeait. Je sais que ça peut paraitre bizarre, mais c’est vraiment ce que je ressentais dans ma tête. Comme si mes filles étaient déjà sorties de mon corps. Plusieurs fois, Magnus avait voulu poser la main sur mon ventre, prétextant de sentir la présence de celles qu’il considérait aussi comme ses filles, ce qui déclenchait ma colère. Lui hurlant de quel droit il se permettait de me toucher, et affirmant qu’en tant que mère, j’étais la seule à décider s’il pouvait s’approcher de mes filles ou non…

 

Ma relation avec Magnus devint encore plus compliquée quand Liv et Helga, le prénom que je leur avais données, vinrent au monde. Mon instinct de protection atteignait alors des sommets de prudence et de méfiance, réveillant ma crainte des humains. Je restais auprès d’elle en permanence, dans la chambre dont je m’étais moi-même chargée de décorer et remplir des meubles, jouets et autres objets utiles, refusant l’aide de Magnus. Je m’occupais de leur fournir leur éducation, à partir de ce que je savais du monde humain. Leur inculquant ce que je jugeais nécessaire. Je ne voulais pas que la main d’un humain ne touche la peau de mes filles. Magnus comme les autres. Ce qui déclenchait parfois des confrontations inévitables.

 

« Mais enfin, ce sont mes filles aussi ! Pourquoi ne puis-je même pas les toucher ? »

 

Je rappelais à Magnus mon interdiction pour lui d’entrer les voir, car il n’était pas digne de le faire, n’étant qu’un humain. Qu’il était hors de question qu’il souille l’environnement où elles se trouvaient. Qu’il n’était que celui qui avait permis leur venue, et rien de plus. Et enfin que cela ne l’autorisait pas à avoir la moindre emprise sur elles. J’étais la seule à avoir le droit de les élever. Je sentais que cela attristait Magnus, mais je m’en moquais. Il n’avait plus l’importance d'autrefois à mes yeux. Il n’était plus mon libérateur. Simplement un humain qui partageait le même espace de vie que moi et mes filles. Aux 5 ans de celles-ci, je leur fit découvrir le reste de la maison, faisant toujours attention à ce que Magnus ne s’approche pas d’elles avec rigueur. Pour moi, il était du même ordre que ceux qui m’avaient fait souffrir. C’est à lui également que j’avais dû affronter cette grossesse qui m’avait provoquée des douleurs constantes durant plusieurs mois, seulement apaisées par les voix de mes filles dans ma tête. Il n’était plus qu’un serviteur, tout juste bon à me servir les repas, à moi, Liv et Helga, et chargé de faire en sorte qu’elles ne manquent de rien. Il n’était pas autre chose que ça. Je vis l’attitude de Magnus changer vis-à-vis de moi et les filles les semaines suivantes, je sentais sa haine grandir, et me tenais sur mes gardes à tout moment. Cette colère naissante en lui prouvait bien qu’il n’était qu’un humain comme les autres. Puis vint le moment où il dépassait les bornes. Je m’étais assoupie ce jour-là, sans m’en rendre compte. Et je fus réveillée brutalement par les pleurs d’Helga que je voyais au sol, la main posée sur l’une de ses joues. Pris de fureur, je me jetais sur Magnus, le traitant de cloporte :

 

« Qu’as-tu fait à Helga ? J’ai vu ses yeux virer au rouge ! Elle est un monstre, tout comme toi ! Je comprends mieux maintenant pourquoi on t’enchainait ! »

 

Je profitais de ce que Magnus soit au sol, sans doute du fait d’Helga, pour m’acharner sur lui, lui lacérant le visage avec mes ongles, faisant voir pour la première fois à Magnus la vraie couleur de mes yeux à moi aussi. C’est Liv, en se blottissant sur moi, qui me fit lâcher prise. Magnus en profitait pour fuir hors de la maison afin d’avertir les villageois de ce qui venait de se passer. Juste après, plusieurs d’entre eux vinrent dans la maison, et parvinrent à prendre le dessus sur moi et m’attacher. Je les insultais, criant qu’ils paieraient pour ça, et les maudissant, tous autant qu’ils étaient. On m’enfermait dans la remise au fond du village, avant qu’un homme d’église, tel qu’on me le présentait, m’emmenait loin d’ici, loin de mes filles, sans que je ne puisse rien faire, obligée de laisser Liv et Helga entre les mains de Magnus. 

 

 Je me retrouvais alors dans une situation similaire à celle à laquelle j’avais échappée du fait de Magnus. Le fameux homme d’église n’était en fait qu’un autre adepte de ce culte qui m’avait déjà utilisée. Je parvins néanmoins à le convaincre que Liv et Helga n’avaient pas héritées de mes gênes, en échange d’une soumission totale. Je n’étais pas sûre qu’il pensait que mes filles ne disposaient pas des mêmes capacités que moi, mais je comprenais plus tard, en étant témoin de conversations avec d’autres adeptes, et un nouveau maitre, que mes filles étaient perçues comme trop jeunes pour contenir la même force de mal, et que, de toute façon, leur jeunesse ne permettait pas de recueillir le fluide qui les intéressait comme ils le faisaient avec moi. J’ai tenu le coup ainsi plusieurs années, pensant constamment à mes filles. Elles étaient celles qui me poussaient à vivre plutôt que de mettre fin à mes jours pour ne plus offrir ce qu’ils voulaient à ces monstres d’humains. Mais je savais aussi que dès que Liv et Helga auraient atteint l’âge de 18 ans, elle se retrouveraient également dans le collimateur des membres du culte, qui chercheraient à les ramener ici à leur tour, afin de leur faire subir les mêmes souffrances que moi. Je ne pouvais pas accepter cela, et dès que l’occasion se présenterait, je devrais fuir pour les sauver.

 

Cette occasion ne se présentait que bien des années après, alors que je savais Helga et Liv ayant atteint l’âge requis pour que les membres du culte choisissent de les rapatrier auprès de moi. Je sentais leur excitation d’avoir de nouvelles sources de fluide. Avec les années, le culte avait réussi à « filtrer » le mal en moi, et distribué ce produit à des guerriers, leur ayant permis de remporter plusieurs conflits et guerres. Moi vieillissant, mon fluide n’était cependant plus aussi efficace sur de longues durées, et la perspective d’avoir de nouvelles créatures plus jeunes comme l’étaient mes filles firent qu’ils manquaient de la même prudence que d’habitude. A l’inverse de ma précédente geôle, je n’étais pas attachée avec des chaines, seulement enfermée dans une sorte de cellule semblable à une prison. L’adepte chargé de m’apporter ma nourriture, ne me voyant pas à travers les barreaux de la porte pensa que je m’étais enfuie. Affolé, il ouvrait la porte, et je lui tombais dessus. J’avais laissé pousser mes ongles suffisamment pour pouvoir m’en servir comme instrument pour me hisser au plafond. Je pus ainsi m’enfuir, le reste des lieux étant peu surveillé, le culte faisant trop confiance à la solidité de ses cellules.

 

Ma chance fut qu’il s’agissait d’un jeune adepte qui fut chargé de mon repas ce jour-là. S’il s’était agi d’un autre, ma ruse n’aurait sans doute pas aussi bien fonctionné. A peine sortie des murs de l’endroit servant au culte, je me mis en route vers le village, pressée de sortir mes filles des mains de Magnus. J’ignorais quelles brutalités il avait bien pu leur faire vivre, mais il paierait pour ça, c’était certain. Je me souvenais d’Helga au sol, pleurant, lorsqu’elle était encore petite, et je savais Magnus capable du pire, connaissant sa nature. Le voyage fut long, et je craignais constamment que des hommes soient lancés sur mes traces pour me rattraper. J’espérais juste obtenir suffisamment d’avance pour que le culte ne puisse pas lancer de traqueurs. Au bout de plusieurs jours, je parvins au village. Profitant de ma connaissance des lieux et de mon âge conséquent, faisant que je devais être moins reconnaissable auprès des villageois après toutes ces années, je parvins à la maison de Magnus, ouvrant la porte arrière. Et là, le spectacle devant mes yeux fit remonter mes instincts de haine, n’étant plus sous le coup de la drogue du culte reçue pendant mon séjour forcé. Magnus s’apprêtait à lever la main sur mes enfants. Je lui hurlais d’arrêter ça, qu’il n’avait pas intérêt à poser à nouveau sa main sur mes enfants.

 

J’entendais Liv s’adresser à moi :

 

« Maman ? C’est toi ? Je savais que tu étais toujours en vie… »

 

« Yrsa ? Co… Comment tu peux être là ? Je te croyais morte depuis tout ce temps… Je pensais que l’Eglise s’était débarrassée de toi… »

 

Au même moment, Liv courait vers moi, mais elle fut stoppée par sa sœur :

 

« Tu manque pas de culot, maman. Tu nous a laissées subir les coups de cet homme pendant des années, et tu crois qu’on va t’accueillir à bras ouverts ? Pour ma part, tu ne vaux pas mieux que celui qui se prétend notre père… »

 

« Helga, t’es injuste ! Maman a été enfermée loin de nous. Comment aurait-elle pu… »

 

A peine Helga avait-elle dit ces mots qu’elle se précipitait vers moi, utilisant ses ongles pour trancher ma gorge, et profitant de mon état de surprise, elle s’acharnait sur moi, me parsemant de blessures multiples. Je ne parvenais plus à résister, et surtout, je ne le pouvais pas. Mon instinct de mère m’interdisait de répliquer et de risquer de faire du mal à Helga, ma fille. J’entendais Liv tenter de calmer sa sœur :

 

« Helga ! Arrête ! Tu es folle ! Pourquoi tu fais ça à Maman ? »

 

Helga stoppa un instant ses attaques…

 

« On a pas besoin d’elle ! Tout ce qu’on sait, on l’a appris par nous-mêmes… Notre nature, notre besoin de tuer, le moyen d’attirer nos proies, nos facultés de régénération… Où était-elle quand on avait besoin d’apprendre tout ça ? Elle est inutile, et elle n’aurait jamais du revenir… »

 

Désespérée de la réaction d’Helga, je tentais de la dissuader de continuer, la suppliant. J’étais sa mère… Comment pouvait-elle me faire ça ?

 

« Eh bien quoi ? C’est pas ce que tu voulais ? Que l’on devienne comme toi ? Tu peux mourir tranquille alors… Je vais tellement te charcuter que tu n’auras pas le temps de te régénérer, et après ça cette idiote de Liv arrêtera de me saouler avec le fait que tu vas revenir… »

 

Liv tentait d’arrêter sa sœur, fonçant vers elle, mais elle fut stoppée dans son élan par Helga, qui lui infligeait une profonde blessure, la faisant tomber au sol

 

« T’inquiètes pas : tu va vite guérir »

 

Helga se tournait ensuite vers moi :

 

« Bon, on en étais où ? »

 

Helga reprenait ses attaques de plus belle. Je voyais mes forces s’affaiblir. La capacité de régénération propre à ma nature n’était plus en mesure de suivre, je voyais mes yeux se fermer, mon cœur, enfin celui de ce corps abritant ce que j’étais s’arrêtait, me laissant comme dernier souvenir sur ce monde le visage souriant de me voir mourir d’Helga. Helga que je chérissais tant… J’avais du mal à y croire… Dans le même temps, j’étais rassurée, car je savais que désormais mes filles étaient en mesure de survivre en ce monde. Helga avait raison. Elles n’avaient plus besoin de moi. Je pouvais m’éteindre en paix. Peut-être que, libérée de ce corps humain, ce que j’étais allait pouvoir retourner là d’où je viens, et reprendre son existence là où il s’était arrêté. Me souviendrais-je de mes filles, ou ferais-je comme la fois où je me suis retrouvé dans ce monde, sans souvenir de ce que j’étais ? C’était la question qui m’angoissait le plus, au moment où mes yeux se fermaient définitivement en ce monde…

 

Publié par Fabs

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