9 sept. 2021

MIDNIGHT BOY (Pourquoi j'ai tué mon fils)




« Inspecteur, je comprends que vous vouliez faire votre boulot… Je comprends que vous vouliez savoir ce qui s’est vraiment passé… Mais comprenez à quel point c’est douloureux de tout vous dire… De revenir sur mon acte… Je revois son visage vide de vie… Je revois son expression semblant me dire « Merci, Papa… » … Est-ce que vous imaginez une seule seconde à quel point cela me fait souffrir ? Non…Bien sûr que  non… Vous avez des enfants, Inspecteur ? Non ? Alors, vous n’êtes pas en mesure de comprendre la douleur qui m’envahit à chaque seconde depuis que j’ai fait ce choix… Depuis que j’ai écouté mon fils me demander de le libérer, alors que toutes les larmes du monde coulaient sur mon visage… Depuis que je l’ai entendu me supplier de le tuer… Jamais je n’ai ressenti un tel chagrin… Vous ne pouvez pas imaginer… C’est impossible… Vous n’étiez pas là… Vous n’avez pas vu ce qu’il est devenu… Vous n’avez pas vu son corps se transformer… Ses yeux changer pour devenir des océans de noirceur… Sa peau se parsemer de veines noires comme la nuit… Je savais au fond  de moi que ce n’était plus vraiment mon fils… Cette… Chose… Cette entité… Ce démon, ou quoi que ce soit qui a pris possession de mon fils… La chair de ma chair …. Oui, je l’ai tué, inspecteur… Et je sais qu’il n’existera aucun châtiment suffisamment lourd pour me faire expier cette abomination dont je suis l’auteur…

 

Mais, inspecteur, il faut que vous compreniez que je n’avais pas le choix… C’était la seule manière de détruire cette horreur qui s’était emparé de son corps, de son âme, de sa vie… Vous dites que ça me libérera de parler… Je n’en suis pas si sûr… ça ne fera que raviver des moments douloureux… Des moments de terreur… Redonner vie à un cauchemar dont je voudrais tellement qu’il n’ait jamais eu lieu… Mon fils… Nicholas… Jamais je ne pourrais me pardonner de l’avoir froidement exécuté…. J’ai beau me dire que je l’ai fait à sa demande, alors qu’il luttait pour prendre le dessus sur la force démoniaque qui était en lui… Je cherche encore en moi à comprendre pourquoi c’est mon fils qui a été choisi comme cible pour cette entité… Pourquoi elle l’a choisi comme hôte, comme réceptacle pour exécuter ses plans macabres de destruction et de mort…


Comment ? Si je suis calme maintenant ? Simplement parce que j’ai réussi à vous dire ces quelques phrases ? Inspecteur, je pourrais répéter 100 fois cette histoire, jamais plus ne n’obtiendrai un moment de sérénité… Le seul instant où je serais enfin en paix, c’est quand je serais exécuté, après avoir franchi le couloir de la mort… Mais je sens bien que vous n’aurez de cesse de me tourmenter tant que je ne vous aurais pas tout dit… Non, ne mentez pas inspecteur… Je connais les gens comme vous… Vous prenez comme excuse de me dire que c’est pour mon bien, pour assouvir vos désirs enfouis de sadisme… Vous ne voyez en moi qu’un tueur d’enfant… Alors, me faire souffrir à mon tour doit vous procurer un plaisir immense… Mais je ne vous permettrai pas de rire de moi, alors que je suis dans cet état de douleur absolue… Je ne vous laisserai pas le bonheur de vous délecter de ma déchéance d’ancien homme… Car, oui, je ne suis plus un être humain… Plus depuis que j’ai coupé le fil de la vie de l’être que je chérissais le plus au monde… Alors, puisque vous ne me laissez pas le choix… Je vais tout vous dire… Je vais vous révéler comment j’en suis arrivé à aller à l’encontre du Serment d’Hippocrate… Moi, un médecin… Moi qui ne croyait qu’au concret, riant de toute les affabulations paranormales, telles qu’elles parsèment les sites internet, les médias de tous bords… J’ai bien changé depuis… Je sais que désormais des forces au-delà de toute logique nous entourent… Mon fils a été la victime de l’une d’elles… Et j’en ai payé le prix…

 

Puis-je avoir un verre d’eau, inspecteur ? J’ai la gorge sèche, et ce que je m’apprête à vous révéler va prendre un certain temps… Merci, inspecteur… Je dois tout reprendre depuis le début, afin que vous compreniez chaque détail de cette épreuve que j’ai subi…. Et mon fils encore plus…. Mon cher Nicholas que je  ne reverrais plus… Non, je vous remercie, inspecteur… Je ne veux pas de votre mouchoir… Je ne veux pas que mes larmes cessent de couler… Je veux que vous compreniez que je suis sincère dans mes paroles… Que je ne suis pas fou…. Que je ne suis pas comme ces pseudo diseurs de vérité, ces prédicateurs, ces enquêteurs du Paranormal qui se prétendent experts, alors qu’ils n’ont jamais vu un véritable phénomène de leur vie… Profitant de la crédulité des gens pour faire leur business… Je ne suis pas comme eux… Ce que j’ai vécu, moi et mon fils, est réel… Aussi improbable que va sans doute vous paraître mon récit, je vous assure que je ne mens pas…. Jamais je ne me permettrai de raconter des choses pareilles, simplement pour me racheter aux yeux de tous…


Je me fous de ce que chacun pensera une fois mes révélations faites… J’emmerde tous ces connards qui croient tout savoir sur tout, et qui s’amusent à rabaisser les gens, simplement parce qu’ils ne font pas partie du moule comme ils disent. Ces petites merdes qui font les marioles dans leurs costumes devant les caméras, alors que chez eux, ils sursautent au moindre bruit venant de la cave… Comme un peureux qui s’ignore… Je ne crains pas les lignes écrites de ces scribouillards qui vont me descendre en flèche dès lors que je ne serais plus là pour contrer leurs propos imbéciles et sans savoir ce qui s’est vraiment passé… Toutes ces enflures d’avocats, ces juges, ces jurés qui m’ont condamné avant même que mon procès ait commencé, avant même que je sorte d’ici, les menottes aux poignets, pour me diriger vers la geôle d’état de votre district… Avant même que je me fasse harceler, humilier, taillader par ces rebuts de la société qui remplissent les prisons… Parce que je suis un tueur d’enfant, et que même pour des brutes sans foi ni loi, je ne mérite pas le respect du code d’éthique des malfrats pour cela…. Alors, puisque vous tenez tant que ça à me faire endosser ce rôle d’être odieux, je vais vous prouver que je ne suis pas ce que tout le monde a déjà décidé de m’attribuer comme statut… Je vais vous dire ce que vous voulez savoir depuis le début de cet entretien… Je vais vous révéler pourquoi j’ai tué mon fils… Ou plutôt, ce qui était en lui…

 

Mon histoire a commencé il y a 3 mois de ça… J’étais un médecin apprécié et reconnu au sein de ma petite ville de Dahlonega, bien que cela me prit du temps avant d’obtenir cette notoriété. Pour bien comprendre, il faut savoir que je suis d’origine mexicaine. Un exilé qui ne supportait plus le système politique de son pays, et surtout la misère qui l’entourait, qui avait valu la mort de mon épouse. De malnutrition. Oui, inspecteur, il existe des systèmes, des pays qui peuvent être pire que l’amérique en ce qui concerne le dédain et la précarité. Après l’enterrement de ma chère Josefina, j’ai décidé de me rendre dans la « terre de rêve », telle qu’elle était décrite par mes rares amis, et de tenter ma chance. De reprendre des études de médecine que j’avais abandonné quelques années auparavant, par manque de moyens. Alors je suis parti avec mon fils, âgé de seulement 3 ans vers ce havre qu’on me vendait comme le symbole de la vie parfaite. Quelle désillusion j’ai ressenti une fois sur place, faisant place à la ségrégation, à l’obscurantisme, et des sectes pire encore que ce que j’ai vu dans mon pays, sans oublier  les cartels de drogue qui feraient passer ceux de mon ancienne nation pour des enfants de chœur.


Malgré tout, j’ai tenu le coup, et j’ai réussi à intégrer une faculté de médecine, reconnaissant le talent avant les origines, où j’ai obtenu mon diplôme de médecin. Le directeur de la faculté m’a même fait une lettre de recommandation afin que j’aille exercer à Daholonega, pour remplacer le médecin venant de partir à la retraite. L’intégration a été difficile, comme je vous l’ai déjà dit, mais au bout de quelques semaines, grâce aux bonnes paroles de patients moins réticents que les autres à accepter de se faire soigner par un « Chicanos », comme certains habitants m’appelaient, j’ai fini par trouver une renommée grandissante, et je suis devenu « l’un des leurs ». Je n’étais plus ce petit mexicain dont tout le monde se méfiait des compétences en médecine, mais un vrai docteur à leurs yeux, et même un confident, un ami pour quelques-uns. Du genre qu’on invitait à des barbecues géants, où la présence d’un médecin faisait figure de prestige pour les autres convives sur place. Mon fils, Nicholas, dont j’ai « américanisé » le prénom d’origine, appréciait lui aussi grandement cette nouvelle vie, ayant presque oublié l’absence de sa mère, du haut de ses 12 ans d’alors. Il m’aura fallu 9 ans pour acquérir ce statut, et pour un très grand nombre des habitants, j’étais même devenu le « Dr. Angel », à cause de mon prénom, Miguel Angel, que j’avais tenu à conserver. Un « ange » de la médecine, capable de miracles.

 

Et puis, Nicholas est tombé gravement malade. Une sorte de fièvre d’origine inconnue, que même moi, malgré mon nom de Dr. Angel, je  ne parvenais pas à trouver le remède. Et je n’étais pas le seul. J’ai fait appel à des collègues de grandes villes, me connaissant de réputation, qui ont acceptés de consulter mon fils. C’est lors d’une de ces consultations que j’ai rencontré le Dr. Mina Taggert, qui m’a orienté, en me faisant promettre le secret, pour éviter tout discrédit par rapport à ses collègues de l’hôpital où elle officiait, vers un sorcier qu’elle connaissait. Un adepte de la Brujeria mexicaine. Elle m’en a parlé, parce qu’elle connaissait mes origines, et qu’elle savait que je serais peut-être plus à même d’accepter une médecine non conventionnelle si elle venait de mon pays natal. Bien entendu, mon esprit cartésien s’y opposa de prime abord, refusant de laisser la vie de mon fils aux mains d’un « faiseur de sorts », qui allait à l’encontre même de la médecine que je défendais. Mais l’état de mon fils s’aggravant de jour en jour, je finis par accepter de rencontrer ce sorcier, qui se faisait appeler « Big Jorge ».

 

Celui-ci opéra en grand secret, avec la complicité du Dr. Taggert, à plusieurs visites secrètes dans la chambre de mon fils, faisant appel à des incantations, fumigations, appositions d’onguents sur le corps de Nicholas et autres choses du même genre. C’était d’un tel ridicule de le voir gesticuler dans tous les sens, faisant des danses rituelles, affublé d’un masque de pacotille, que je me demandais ce qui m’avait pris d’accepter qu’un tel énergumène tente de sauver mon fils. Cependant, au bout de quelques jours, je devais me rendre à l’évidence : le traitement marchait. Aussi incroyable que ça paraissait, la fièvre de Nicholas tombait de jour en jour, il retrouvait un teint normal, une respiration moins saccadée. J’étais en train d’assister à un vrai miracle. En seulement une semaine, mon fils fut totalement guéri, à la stupéfaction des autres médecins de l’hôpital, ignorant bien évidemment la venue de « Big Jorge ». J’étais tellement heureux que je ne me suis pas méfié quand le sorcier refusa d’être payé pour avoir guéri mon fils. Sur le coup, je trouvais ça admirable qu’un sorcier dont j’appris que les « honoraires » étaient très élevés habituellement, ce à quoi je m’étais préparé, et pour lequel j’étais prêt à sacrifier mes faibles économies, me fasse un tel cadeau. Mais par la suite, je découvris que ce beau geste n’avait rien de désintéressé, et qu’il était en fait à la tête d’un groupe sataniste local, dont Mina était membre. Elle était même la N°2 du mouvement. Et la maladie de Nicholas, ainsi que sa guérison leur avait en fait servi de tremplin à leurs noirs desseins…

 

Quelques jours plus tard, une fois assuré du rétablissement total de Nicholas, je rentrais à Daholonega avec lui, ne pensant qu’au bonheur retrouvé de voir mon fils à mes côtés. Pour fêter sa guérison, j’organisais même une grande fête où je conviais nombre de mes amis, patients et voisins. Ainsi que Mina et « Big Jorge », qui vint habillé de manière classique pour l’occasion, afin que personne ne se pose trop de questions sur la présence d’un « Brujeros ». C’est là que je m’aperçus des premiers changements de Nicholas. D’habitude, lui qui avait tendance à courir partout avec les enfants des autres, mangeant plus que de raison, restait impassible dans son coin, comme si la fête en son honneur le dérangeait plus qu’autre chose. A plusieurs reprises, je le vis même discuter avec Mina et « Big Jorge ». Je n’y fis pas vraiment attention, me disant, qu’après tout, il était normal pour lui de discuter avec ceux qui lui avaient sauvé la vie. Et son manque d’entrain à faire la fête, contrairement à ses habitudes, je le mis sur sa récente expérience aux portes de la mort, me disant que cela ne serait que passager.


Mais les jours suivants allaient me démontrer que mon fils n’était plus lui-même, malgré de rares moments où je vis sa vraie personnalité, celle que j’avais toujours connue. Comme des ressacs, comme s’il cherchait à me montrer qu’il était encore là, une sorte de signes de détresse, que je ne parvins pas immédiatement à percevoir. Ce que j’allais fortement regretter par la suite. Son comportement, au cours des jours suivants, devenait de plus en plus étrange, semblant ne s’intéresser à rien. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai. Il s’intéressait à certaines choses. Des activités morbides. Mettant cela de nouveau sur un après-coup de sa maladie, je pensais que ces macabres passions finiraient par s’estomper avec le temps. Mais il n’en fut rien. Bien au contraire, elles augmentèrent de manière significative. Regardant des émissions à la TV parlant d’anatomie humaine, de taxidermie, écoutant les infos parlers d’actes meurtriers, d’attaques sanglantes perpétrées par des gangs, ou des documentaires sur le dépeçage d’animaux… C’était totalement opposé aux précédents goûts de Nicholas. Et plus les jours passaient, moins je comprenais ce qui arrivait à mon fils. Un jour, je le surpris même à sortir les boyaux d’un moineau, que je l’avais vu frapper à l’aide de son lance-pierre volontairement l’instant d’avant. Je lui demandais pourquoi il avait fait ça, et sa réponse fit trembler mon échine. Il me dit qu’il trouvait ça « amusant ».

 

La semaine suivante, des disparitions étrange d’animaux causèrent inquiétude et suspicion à travers tout le quartier. Des chats, des chiens, des oiseaux, des hamsters, des tortues… Tous disparus de chez eux, alors que ces bêtes ne sortaient jamais de chez leurs propriétaires. Certains commencèrent à  parler d’un « Serial Killer » d’animaux, même si aucun cadavre n’avait été trouvé pour étayer cette thèse. Des témoignages parlaient d’une silhouette aperçue peu de temps avant chaque disparition. Celle d’un enfant « pas très grand », et portant une sorte de foulard autour du cou. Nicholas avait toujours sur lui un bandana qu’il avait l’habitude de porter autour du cou, au lieu du front, où cet accessoire de mode se portait habituellement. Dès lors, je me demandais s’il était possible que Nicholas… Non, c’était invraisemblable… Nicholas, le Nicholas que je connaissais serait incapable de faire de mal à des animaux… Et puis je me rappelais l’incident avec le moineau, et mes convictions sur son comportement ne parvenaient plus à être si affirmatives qu’auparavant. Pris sur le vif, je le suivis un jour, lui ayant caché que j’avais fermé le cabinet pour la journée. Et ce que je découvris fut une horreur sans nom…


Je le découvris s’introduire chez les Flinn, qui étaient absent pour la journée, le père de famille ayant emmené sa femme et ses enfants en pique-nique pour le week-end. Il était passé par l’un des côtés de la palissade, discrètement, l’une des planches basculant sur le côté, à cause de clous ayant rendu l’âme depuis déjà un moment. Beaucoup étaient au courant, mais la confiance dans le quartier était telle que jamais on n’aurait imaginé que quelqu’un puisse s’introduire chez les Flinn, en se servant de ce défaut de leur palissade. Ne pouvant le suivre, je me contentais d’observer son périple dans le jardin des Flinn. Je le vis s’approcher de leur chien, pourtant réputé peu aimable envers les enfants, et je m’apprêtais même à  lui crier de  ne pas s’approcher de lui, qu’il allait se faire mordre. Mais avant que je dise quoi que ce soit, Nicholas, le fixant dans les yeux, le fit s’accroupir, comme obéissant à un ordre impérieux, alors que Nicholas n’avait pas proféré la moindre parole. Mais la suite fut bien pire que ce simple étonnement. Nicholas sortit un canif de sa poche. J’ignorais où il avait bien pu se le procurer, étant donné que tous les éléments de cuisine dangereux, étaient situés dans un tiroir fermé à clé, justement pour éviter tout accident. Alors, où l’avait-il pris ? Et là, je manquais de m’étouffer en voyant Nicholas, égorger le chien avec un calme olympien, comme s’il se contentait de découper un simple morceau de bois, faisant gicler le sang sur le gazon, et sur ses habits, se parant de rouge.

 

Il laissa choir le cadavre de sa malheureuse victime, avant d’enlever sa chemise maculée de sang, sortir un briquet, dont j’ignorais également où il avait bien pu se le procurer, et mettre le feu à l’habit imbibé du  liquide rouge, restant en tee-shirt. Il resta quelques minutes sans bouger, semblant observer sa victime, le sourire aux lèvres. Il devenait clair que l’enfant qui se tenait devant moi n’était pas mon fils. Ça ne pouvait pas être lui, j’en étais certain. Je ne savais pas comment cette… monstruosité avait pris l’apparence de mon Nicholas, mais ce n’était pas lui. En tout cas, il m’était inconcevable d’imaginer que mon fils était devenu un monstre sanguinaire tel que je venais de le voir. Juste après, il fit un geste de la main, et le cadavre de l’animal disparut, sans laisser la moindre trace. Cependant, je m’écartais de la palissade en le voyant se retourner, attendant qu’il ressorte. A peine fut-il sorti, que je l’attrapais par le bras, lui demandant pourquoi il avait tué ce chien ? Que je voulais savoir qui était à l’intérieur du corps de mon fils. Je lui criais que je savais que ce n’était pas Nicholas qui avait fait ça. Pour me répondre, celui qui s’était emparé du corps de mon fils m’indiqua simplement ces mots :

 

« Je m’appelle Midnight Boy, mortel. Et je suis la mort. Ecarte-toi de mon chemin, si tu ne veux pas subir le même sort que ce clébard… »

 

Même sa voix était différente… Ses yeux s’étaient plissés, montrant un regard démoniaque, et je crus apercevoir comme le reflet d’une tête de mort à l’intérieur de ses pupilles. Ses lèvres s’étaient parées d’un rictus à faire pâlir n’importe qui. Paniqué, je m’écartais, me signant de manière instinctive, alors que je n’étais pas croyant, comme si je sentais que cela pourrait me protéger. Là-dessus, Midnight Boy reprit :

 

« Inutile d’avoir recours à tes pauvres stratagèmes débilitants : je ne crains rien de tes prétendus Dieux. Ils ne représentent rien pour moi. Personne ne peut être au-dessus de moi, et mon avènement viendra quand le corps de cet enfant aura atteint l’âge adulte. En attendant, je me contente de m’amuser avec quelques-unes de ces créatures. Ne te mets pas sur mon chemin, à moins que tu veuilles faire, toi aussi, partie de mes jouets… »

 

Là-dessus, il repartit vers ma maison, comme si rien ne s’était passé, me  laissant à ma terreur et mes angoisses. Quelque chose me disait que l’intervention de « Big Jorge » et Mina avait un rapport avec tout ça. Il n’avait pas guéri mon fils. Ou du moins, ils n’avaient pas fait que ça. Ils avaient introduit cette créature en lui, sûrement par le biais des invocations. En s’emparant peu à peu du corps de Nicholas, Midnight Boy, qui devait être insensible à toute maladie, avait détruit le mal dont souffrait mon fils, mais dans le même temps, par sa présence, il lui avait insufflé un mal bien plus terrible encore… Dès cet instant, je crus que mon fils était perdu à jamais, et je ne savais pas comment détruire cette… Chose… C’est peu après que je trouvais des renseignements sur « Big Jorge » et Mina, qui ne faisait plus partie du personnel de l’hôpital depuis un certain temps, et pour cause. En tout cas, ce n’était pas sa véritable identité. Mina Taggert, la vraie, était décédée 1 mois avant que je sois contactée par sa « remplaçante », ayant appris que je cherchais le moyen de guérir mon fils, en faisant appel à divers hôpitaux.

 

A force de recherches, je découvris son vrai nom, à partir de photos où elle se trouvait aux côtés de rares clichés de « Big Jorge ». Elle s’appelle en réalité  Alejandra Salmos. C’est une ancienne théoricienne et historienne, spécialisée dans la démonologie, dont la passion a fini par faire sombrer dans la folie, obsédée par le fait de faire venir dans notre monde l’Elu du Monde des Morts, le Prince du Chaos : Midnight Boy, une figure peu connue du folklore mexicain, sorte de pendant hispanique de l’Antéchrist. Une entité devant se développer à l’intérieur du corps d’un enfant, jusqu’à ce que celui-ci atteigne l’âge de 17 ans. Un nombre qui n’est pas dû au hasard, tout comme l’âge du garçon devant recevoir Midnight Boy. Il doit être de 12 ans, en rapport avec l’antiquité où le nombre 12 était considéré comme le nombre parfait (les 12 travaux d’Hercule, les 12 signes du Zodiaque ou les 12 lunes de l’année), signifiant l’excellence de l’entité : la perfection du Mal qui ne peut être arrêté. Quand au chiffre 17, signifiant son avènement, cela vient du romain. Le chiffre 17 et son écriture signifie en latin : « J’ai Vécu » ». Cette forme passée  indique l’appartenance de Midnight Boy avec la Mort. Toutes ces révélations me bouleversèrent. Je ne savais plus si je devais considérer Nicholas comme encore en vie, quelque part dans ce corps, ou s’il avait été totalement absorbé par Midnight Boy. Les jours qui suivirent me donnèrent la réponse…

 

N’osant plus m’approcher de ce fils qui me terrifiait, je m’aperçus néanmoins de certaines « périodes » où Midnight Boy  n’avait pas le contrôle total du corps de Nicholas. Ce fut par hasard que je le découvris. Et la plus convaincante fut quand je regardais une photo de moi, ma défunte épouse et Nicholas, alors qu’il était encore bébé, sans m’apercevoir que cet être qui avait volé le corps de mon fils était derrière moi. Sentant sa présence, je me retournais. A ma grande surprise, je vis celui-ci en sueur, les yeux remplis de sang, comme paniqué. Il me hurla dessus, me demandant de jeter cette photo immédiatement. Puis je le vis porter ses mains à la tête, semblant souffrir atrocement. C’était la première fois que je voyais un signe de faiblesse de la part de Midnight Boy et je me demandais ce qui pouvait en être la cause. C’est là que j’entendis la voix de Nicholas, mon Nicholas à travers sa  bouche, me demandant de le tuer, que c’était la seule façon d’empêcher la venue du Prince du Chaos. Que je ne devais voir dans son corps que celui d’un démon qu’il fallait renvoyer d’où il venait. Je pleurais en entendant sa vraie voix, et pas celle déformée, créée par Midnight Boy. Je lui disais que je ne pouvais pas faire ça. Je ne pouvais pas le tuer… Mon cœur de père me l’interdisait.


Nicholas me demanda de rapprocher la photo de lui. Que c’était grâce à l’amour que celle-ci lui rappelait pour leur famille, que le mal de Midnight Boy était repoussé. Mais que cet effet ne durerait qu’un instant, l’entité parviendrait à  prendre le dessus. Que cette faiblesse n’était dû qu’à un moment d’inattention de sa part. Mais quoi qu’il en soit, que je  ne devais surtout pas me séparer de cette photo, que je devais la garder sur moi, prendre un couteau, et le planter dans son cœur, afin de mettre fin au lien de Midnight Boy avec son corps. Toujours en pleurs, je lui disais que c’était impossible. Si je faisais ça, jamais il ne reviendrait. Que j’aurais l’impression qu’il mourrait une deuxième fois, tel que j’ai cru que cela allait arriver quand cette maladie s’était emparée de lui. Nicholas insista, je vis des larmes noires couler des yeux, je savais que ce n’était pas celles de Midnight Boy, celui-ci et le corps de Nicholas étant envahi par les spasmes, tentant de se libérer de l’emprise de Nicholas qui essayait tant bien que mal de garder le contrôle, le temps que je fasse ce que je lui demandais. A contre cœur, les larmes coulant encore plus fort, je gardais la photo pressée contre moi, afin que Nicholas garde l’emprise sur Midnight Boy, et je m’emparais d’un couteau de cuisine. Je me retournais, et m’agenouillais, afin d’être à la hauteur de Nicholas.

 

Celui-ci renouvela sa demande de planter le couteau en plein cœur. Par moments, Midnight Boy tentait de reprendre le dessus, criant de jeter ce couteau et cette photo, avant que Nicholas prenne le relais. C’était insupportable. Je voyais Nicholas lutter pour me permettre de mettre fin à ce mal que je pensais indestructible, condamné à voir le corps de mon fils à jamais possédé par ce démon. J’avais ce couteau en main, où tombait des larmes en pagaille, pendant que le corps de Nicholas était tombé au sol, criant de douleur. Je  ne savais même plus si c’était Nicholas ou Midnight Boy qui criait, et malgré la douleur immense qui m’assaillait en cet instant, je savais que Nicholas avait raison, que je n’avais pas le choix, si je voulais le libérer, lui et son corps. Pour plus de chance d’immobilisation, je plaçais la photo à l’intérieur de la poche de ma chemise, afin qu’elle reste placée contre mon cœur, et je tenais le corps de mon fils, les bras de celui-ci étant disposés en croix, sûrement par la volonté de Nicholas qui luttait encore pour que je parvienne à faire l’acte qu’il m’avait demandé.

 

Je levais le couteau, visant le cœur, hurlant de douleur, mes larmes coulant et inondant le sol et les habits de Nicholas. Je fermais les yeux, comme pour ne pas voir l’horreur que je me commettais à faire, mais je savais que je devais les rouvrir si je ne voulais pas louper le cœur. Je les rouvris donc, et dans un effort rempli de tristesse et de désespoir, j’abattis la lame du couteau en plein cœur du corps de Nicholas. Je vis la vie partir en lui petit à petit, libéré de l’emprise de Midnight Boy, qui partit avec lui en même temps, laissant son petit corps froid inerte sur le sol. Submergé par la douleur, je plongeais ma tête sur la poitrine sans vie de mon fils, mes larmes coulant de plus belle. C’est à ce moment-là que des voisins, alertés par mes cris firent irruption en trombe dans la maison, pensant que j’étais en prise avec un voleur. Quand ils virent le corps de Nicholas sur le sol, avec un couteau dans le cœur, deux d’entre eux m’immobilisèrent, pendant que d’autres appelaient la police…

 

Voilà, inspecteur, vous savez maintenant pourquoi j’ai dû commettre cet infanticide que je n’arrive toujours pas à me pardonner, même si je sais que  j’ai empêché, par cet acte, à une monstruosité d’installer un monde de chaos sur notre planète… Vous ne dites rien, inspecteur ? Vous pleurez ? Serait-il possible que j’ai pu atteindre votre cœur à vous aussi ? Quelque part, ça me réconforte, cela veut dire que je suis parvenu à être suffisamment convaincant pour vous montrer que je n’ai pas tué mon fils par un acte de folie incontrôlable… Mais pour ce que ça changera… Combien de ceux qui attendent ma mise à mort seraient à même d’être comme vous, et accepter mon geste. Ce n’était pas un acte criminel, inspecteur, maintenant vous le savez, c’était un geste d’amour…. Le dernier que j’ai pu faire pour montrer à quel point j’aimais mon fils, en l’empêchant d’être le point de départ d’un immense cataclysme, par la possession de son corps… J’ai répondu à ses paroles, sa détresse, j’ai fait ce que tout père aurait fait pour sauver son fils… Mais à part vous, personne ne le croira… Non, ne soyez pas triste, inspecteur, il n’y a que moi qui ai droit à ce privilège dans cette affaire… Je suis le seul fautif… Je n’ai pas su guérir la maladie de mon fils, et à cause de mon incompétence, j’ai laissé des individus sans scrupules placer un démon dans son corps, signifiant sa perte…Et la mienne.

 

Je voudrais juste vous demander une chose, inspecteur… Disons que c’est ma dernière volonté de condamné… Retrouvez « Big Jorge » et son âme damnée, Alejandra… Ce sont eux les plus dangereux… A l’heure qu’il est, ils savent qu’ils ont échoués… Et ils vont se mettre à la recherche d’un autre corps faible de garçon de 12 ans pour y mettre Midnight Boy… Je ne connais pas tout sur le rituel, il faut sans doute que certaines conditions soient réunies pour que le rituel fonctionne… Sinon, il y a déjà longtemps que Midnight Boy règnerait sur notre monde… Votre objectif, inspecteur, si vraiment vous croyez à mon histoire, c’est de les empêcher de réunir à nouveau les conditions pour le faire revenir…. Tous les pères ou les mères n’auront pas forcément la force de faire ce que j’ai fait… Même par amour… Promettez-moi, inspecteur…. Promettez-moi d’empêcher le retour de Midnight Boy…. »


Publié par Fabs

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