Il fut un temps où j’adorais les fêtes traditionnelles japonaises, et en particulier celle de l’Hina Matsuri, célébrée le 3ème jour du 3ème mois de l’année, et faisant partie du cycle des Go-Sekku (1). Je n’avais que 5 ans à l’époque, et pour une petite fille de mon âge, cette fête était juste l’évènement le plus important en matière familial. Bien sûr, j’attendais avec impatience d’atteindre mes 7 ans pour pouvoir participer au Shichi-Go-San (2), juste pour pouvoir défiler dans les rues jusqu’au temple, habillée d’un Yukata (3) confectionné spécialement pour l’occasion, mais en attendant ce jour, l’Hina Matsuri, fêté chaque année pour les petites filles jusqu’à leur 10 ans, était un instant de pur bonheur. Du moins il l’était jusqu’à ce jour fatidique où tout a basculé. Simplement parce que mon cœur de petite fille m’a fait faire une erreur qu’aujourd’hui encore je regrette amèrement. Car à cause de moi, ma famille, à savoir mes parents, ma grand-mère et surtout ma grande soeur, ont été déchirés…
Déchirés parce que ce jour-là, ils m’ont perdue de manière définitive. Mais pas comme vous devez le penser. Non, je ne suis pas morte ce jour-là. Mais parfois je me dis qu’il aurait mieux valu qu’il en soit ainsi. Je vois leurs visages à chaque fois qu’ils me croisent, partagés entre effroi et tristesse. Car ils savent ce que je suis. Ils savent le choix que j’ai fait. Simplement pour les sauver. Ils ne se pardonnent pas d’avoir manqué d’attention et de ne pas avoir fait suffisamment preuve de sévérité en ce funeste jour, car tout ceci aurait pu être évité. D’ailleurs, depuis cette date fatidique, plus personne dans ma famille ne fête Hina Matsuri. A mon grand désespoir. Moi qui adorais tellement cette fête, à cause de ma stupidité, je l’ai détruite… Purement et simplement… Et jamais je ne pourrais réparer le tort que j’ai fait.
Si vous saviez l’étendue de ma douleur quand je vois la photo de ma grand-mère décédée. Elle qui était la joie personnifiée, la sagesse même. Le lendemain de mon changement, à la suite de ma décision, elle a préféré se donner la mort, plutôt que de supporter me voir chaque jour du restant de sa vie, lui rappelant mon choix… Je me souviens des cris de détresse de ma mère quand elle trouva son corps, étalé sur son lit, un Deba (4) planté en plein cœur. Jamais je n’oublierais la réaction de ma grande soeur, m’empêchant d’entrer dans la chambre, alors que j’avais été alertée par les cris, me regardant comme si j’était une pestiférée de la pire espèce, comme pour me rappeler ce que j’étais devenue. Impossible de ne pas me rappeler son expression, l’instant d’après, retenant ses larmes de couler en me voyant, accroupie dans le couloir, avec interdiction de voir ma grand-mère une dernière fois, rajoutant à la douleur de voir partir celle que j’adorais tant. Mais je vous vois interrogatif. Vous devez vous demander comment une petite fille de 5 ans a pu, en l’espace de 24 heures passer de soleil d’une maison à celui de créature du diable qu’il ne fallait surtout pas approcher ? Pour bien comprendre, il faut remonter à la veille de ce jour où j’ai choisi de perdre mon humanité. Pour sauver ma famille… Quitte à devenir une paria, une monstruosité sans équivalent… Une honte majeure en plus de la représentation d’un danger sans commune mesure pour l’ensemble de ceux qui m’adulaient avant que tout arrive…
On était la veille de l’Hana Matsuri. Ma mère m’avait demandé d’aider ma grande sœur, Ayumi, à descendre le carton comportant les Hinakazari (5) dont les 2 éléments principaux : l’Obina (6) et la Mebina (7), ainsi que l’Hinadan (8) recouvert de son Hankake (9). Mon père étant parti acheter de l’Amazake (10), des Hina Arare (11), des Sushi Chirashi (12), des Sakuramochi (13) et de l’Ushioriju (14) pour le repas du lendemain. Une fois parvenu en bas, ma mère disposa l’Hinadan, pendant que ma sœur et moi sortions les poupées dans l’ordre donné par ma mère. Il était très important de ne pas les sortir n’importe comment. D’abord les 2 Dairi-Bina (15), avec le Shaku (16) et l’éventail, placés devant le Byobu (17). Ensuite les Bonbori (18) et les Hibukuro (19). Puis entre les deux Dairi-Bina, les Sanbô Kazari (20) et ses vases de branches de pêchers artificiels. Sur le deuxième niveau figuraient les 3 San-Nin Kanjô (21) et leurs Takatsuki (22). Au 3ème niveau se plaçaient les 5 Go-Nin Bayashi (23). Au 4ème niveau, c’étaient les 2 Daijin (24), séparés par les Kakebanzen (25), ainsi que le mandarinier à droite, et le cerisier en fleurs à gauche. Le 5ème niveau, lui, était réservé aux 3 Shisho (26), tandis que les deux derniers niveaux se composaient de personnages mineurs et d’accessoires, comme les Tansu (27), les Nagamochi (28), les Hasamibako (29), les Kyodaï (30), l’Haribako (31), deux Hibaichi (32), les Daisu (33), les Jubako (34), le Gokago (35), et enfin le Goshoguruma (36).
Ces préparatifs sont très longs, mais chaque étape doit être respectée rigoureusement, car de leur disposition dépend la protection la plus efficace pour la réussite de la cérémonie, et de la personne visée par cette fête, à savoir les petites filles telles que moi. Une fois tout en place, j’étais en admiration devant le résultat final. L’année précédente, nous n’avions pas tout l’ensemble nécessaire, devant nous contenter des 3 premiers niveaux, du fait d’une situation financière très précaire. Entretemps, mon père a eu une promotion, et est devenu vice-président de la société où il travaillait depuis près de 20 ans. Un poste qu’il convoyait depuis des années, et son travail acharné lui avait valu reconnaissance de la part de son patron, qui voyait en lui son futur successeur, et dans ce but, lui avait offert ce véritable cadeau du ciel, selon les propres mots de ma mère. Une évolution sociale arrivée deux mois avant l’Hina Matsuri, et la première chose que mon père a voulu faire pour fêter sa nouvelle position était d’acheter l’ensemble des éléments manquants des Hinakazari, afin que la fête m’étant destinée soit la plus prestigieuse possible. Il voulait que sa fille, c’est-à-dire moi, puisse avoir les yeux émerveillés de tant de luxe et de beauté.
Le lendemain, jour de la fête, la journée fut inoubliable, entre moments de jeux dans le jardin, achats de costumes traditionnels l’après-midi, après un repas où je crus que mon ventre allait exploser, pendant que l’hilarité de mon père, un peu aidé par l’absorption quelque peu intensive d’Amazake, fit froncer les sourcils de ma mère, n’appréciant que fort peu ses pointes d’humour quelque peu déplacées devant deux jeunes filles, à savoir moi et ma grande sœur. Mon père, confus, s’était même mis la tête au sol pour implorer son pardon de s’être comporté comme un immonde poivrot, selon ses mots. Ce qui avait fait rire ma mère et ma grande sœur, auquel je m’étais joins, même si mon jeune âge, à ce moment-là, ne me permettait pas de tout comprendre de la situation.
Le soir, nous nous rendîmes tous ensemble près du fleuve, afin d’offrir à ce dernier les petites poupées de paille, disposées dans une barque prévue à cet effet, pour la cérémonie de Nagashi-Bina (37), symboles de l’impureté disparue. A ce moment-là, tout était absolument parfait, et rien ne pouvait présager du drame qui allait s’ensuivre dès le lendemain, juste après que mon acte stupide de petite fille nouvellement gâtée n’ait réveillé les esprits, censés être écartés de mon entourage, grâce justement à tout ce cérémonial. Mais voilà, j’étais tellement subjuguée par toutes ces merveilleuses poupées que j’ai commis quelque chose d’impardonnable. Pour faire simple, ma mère, qui s’occupait de faire désaouler mon père, avec l’aide de ma grand-mère, celui-ci n’ayant pu résister, après le Nagashi-Bina, à descendre quelques Amazake supplémentaires, nous avait chargées, ma grande sœur et moi, de ranger les Hinakazari dans leur carton. Un acte très important qui finalise l’action de protection. Les poupées doivent être rangées dans l’ordre inverse où elles ont été sorties, et aucune ne doit manquer à l’appel. Si l’une des poupées figurait toujours à l’air libre, dans l’enceinte de la maison, séparée des autres, passé 24 heures après l’Hina Matsuri, cela sonnait comme un grave sacrilège aux esprits protecteurs de la maison, et surtout permettait aux esprits mauvais de pénétrer dans la maison, symbolisant un péché d’orgueil, et étant puni de la pire manière qui soit, à savoir que les membres de la famille devraient périr pour laver l’affront fait.
Bien évidemment, à cette époque, j’ignorais ce détail, prenant toute cette cérémonie, ce faste, comme un immense jeu, dont ces poupées représentaient une fascination, doublée d’une incompréhension. Pourquoi ne pouvais-je pas jouer avec ces poupées si belles et attirantes ? Ma mère, ma grand-mère et même ma grande sœur, qui habituellement ne fait pas autant de manières pour de telles choses, m’avait expliquées qu’il était très important, voire primordial de respecter les délais imposés pour ranger les poupées, et que celles-ci n’étaient pas des jouets, mais étaient là uniquement pour leur propre protection, et surtout la mienne. Je ne comprenais rien à tout ça, mon cerveau de petite fille de 5 ans ne voyant que de simples poupées, et rien de plus. De ce fait, quand ma grande sœur, qui était fatiguée des dernières 24 heures, dût s’interrompre à un moment du rangement avec moi, elle me fit confiance pour terminer le rangement.
A ce moment-là, il ne restait que les deux Dairi-Bina à remettre dans le carton, ainsi que l’Hinadan. Pour elle, il n’y avait rien de bien compliqué à ranger ces deux dernières poupées et leur support dans le carton, avant de remonter le tout au grenier, et elle me demanda donc d’achever le rituel seule, pendant qu’elle-même allait se coucher, tenant à peine debout. Le reste fut un concours de circonstance. Ma mère avait demandé à ma sœur de veiller à ce que les poupées soient rangées dans les temps impartis, pendant qu’elle s’occupait de « soigner » la gueule de bois de mon père, grâce aux remèdes de ma grand-mère. La préparation de ceux-ci ne pouvant que se faire à 2, selon un rite bien particulier, et propre aux croyances en fonction dans notre maison. Comment aurait-elle pu imaginer que ma sœur se serait vue pratiquement obligée, à cause d’une fatigue obstruant tout lucidité, de me laisser le soin de finir une cérémonie dont je ne comprenais pas toute l’importance, à cause de mon âge pas vraiment à-même d’en saisir les subtilités ? Et je ne pouvais concevoir de laisser ces poupées enfermées pendant une année entière dans un carton, au milieu d’un grenier envahi par le froid et la poussière. Alors, ma sœur partie, je rangeais l’Hinadan et l’Oniba, mais gardait avec moi la Mebina, la poupée représentant l’Impératrice qui me fascinait par la beauté de ses habits et la majesté de son visage peint. Je montais le carton au grenier, et le remettais à la place qui lui était dévolu, avant de redescendre, cachant la Mebina sous mon kimono, puis rejoignant ma chambre. C’est le soir que je pris conscience de mon erreur qui allait faire basculer ma famille dans le désespoir le plus total…
C’est au cours du dîner que tout arriva. Mon père étant à nouveau sobre s’était joint à ma mère, ma grand-mère, ma grande sœur et moi pour le repas, lorsque nous entendîmes un grand bruit venir du couloir. Alerté, et pensant à un cambrioleur, mon père se leva immédiatement dans la direction d’où semblait provenir le bruit. Le temps semblait s’être arrêté à ce moment, et nous attendions toutes, anxieuses de la suite, que mon père revint, porteur, en tout cas nous l’espérions, de nouvelles nous annonçant que ces bruits étaient le fait de souris, ou d’un objet tombé, à la suite d’un quelconque courant d’air. Mais quand il revint, il n’était pas seul, et en plus de cela, en très mauvaise posture. Mais ce n’était pas le plus inquiétant. Ses pieds ne touchaient plus le sol, car il était maintenu en l’air, son dos étant la proie d’une immense main griffue, tel que nous le verrions plus tard. Son visage était d’une blancheur comme nous n’aurions jamais pu penser qu’il était possible qu’un être humain en fût capable. Il transpirait à grandes gouttes, complètement terrorisé par la créature qui le maintenait dans cette position. Oui, j’ai bien dit créature, car il était évident que ce qui n’était encore qu’une silhouette, rien que par l’ombre projetée sur le sol, n’avait rien d’humain.
L’ombre entra dans la lumière de la pièce. C’est ainsi que nous pûmes mieux distinguer sa forme. La créature devait bien faire plus de 2 mètres de haut. Son corps, recouvert d’un kimono noir, paré de kanjis ayant tous des rapports avec les esprits, la mort et la souffrance, cachait à peine un corps laissant montrer des os apparents, tout juste recouvert de parties de chair ça-et-là. Sa tête était ornée d’un Jingasa (38), son visage, à l’image de son corps, se composait des os d’un crâne humain. Seule la moitié comportait de la chair. Son autre main, elle aussi faite d’os, mais avec de grandes griffes à son extrémité, portait quelque chose. Au début, nous ne parvenions pas à voir ce que c’était, et à vrai dire, nos yeux se portaient surtout sur mon père, qui semblait agoniser. C’est là que nous vîmes que du sang coulait au sol. Son sang. Sans doute dû à la blessure au dos perpétré par l’autre main de la créature. Puis, la créature s’avança encore, jusqu’à s’arrêter devant la table où nous mangions. Elle jeta, comme s’il s’agitait d’un déchet, mon père au sol. Ma mère se précipita alors, pour vérifier qu’il vivait toujours. Son pouls était faible, mais il respirait encore.
Puis, la créature montra l’objet qu’elle portait à sa main droite. En voyant de quoi il s’agissait, ma mère, ma grand-mère et ma sœur se mirent à faire de grands yeux, semblant terrifiées par ce qu’elles voyaient, et surtout semblant comprendre la raison de la présence de l’être de cauchemar qui se dressait devant elles. L’objet n’était ni plus ni moins que la poupée, la Mebina que je pensais être parvenue à cacher aux yeux de ma famille, afin de ne pas me faire gronder. Ma grand-mère se mit à faire des signes qui ressemblaient à des prières, ma sœur se mit à pleurer à chaudes larmes, pendant que ma mère se mit à genoux devant la créature, l’implorant de ne pas tuer sa famille pour l’affront fait aux esprits protecteurs. Je ne comprenais rien à ce qui se passait. Je voulus demander à ma sœur ce qui se passait, et ce qu’était cette chose devant nous. Elle se retourna vers moi, l’air accusateur, semblant comprendre que je n’avais pas achevé le rituel de rangement, par la présence de la Mebina dans la main de la créature. Elle me demanda, ou plutôt elle cria, pourquoi je n’avais pas mis la Mebina dans le carton avec les autres. Qu’elle m’avait fait confiance, et qu’à cause de ma stupidité, toute notre famille était destinée à mourir.
Je ne comprenais pas ses paroles. Comment le simple fait d’avoir cachée une simple poupée pouvait nous faire mourir ? Ma grand-mère elle aussi se mit à pleurer, tout en continuant de prier, levant ses mains au ciel, en psalmodiant des paroles presque inaudibles. Mon père, lui, était couché sur le dos, la vie semblant se retirer de lui petit à petit, son visage devenant de plus en plus blanc, ses bras et ses jambes ne donnant plus de signe de mouvement. Je me mis à pleurer à mon tour, demandant ce qui se passait, et pourquoi tout le monde avait peur et pleurait. Je voulais qu’on m’explique ce qui se passait. La créature s’avança alors, repoussant avec son pied ma mère qui était sur son chemin. Celle-ci poussa un cri de douleur, avant que son corps soit stoppé net par un des pieds de la table. L’être cadavérique me montra alors la Medina, me demandant si c’était bien moi qui l’avait cachée. Si c’était bien moi qui n’avait pas achevé le rituel de protection, ne pensant qu’à mon désir de possession, au détriment de la vie de ma propre famille. Je pleurais de plus belle, indiquant que je ne voyais pas de quoi elle parlait. Que je n’avais fait que prendre une poupée. Juste pour jouer avec. Parce que je la trouvais tellement jolie.
La créature se présenta comme un Shinigami. Un Dieu de la Mort. Elle était ici parce que j’avais bafoué la loi des esprits, en ne pensant qu’à ma propre avidité, et que par ce geste, j’avais décidé de la mort de ma famille. Je regardais ma sœur et ma grand-mère, puis ma mère au sol n’osant se relever, de peur d’irriter encore plus le Shinigami. Mon père, lui, semblait ne plus être parmi nous. Le Shinigami fit un geste, et une étrange lumière sortit du corps de mon père, comme une boule d’énergie, qui vint vers le Shinigami, dans sa main. Le Dieu de la Mort la mit alors dans sa bouche, et se mit à l’avaler. J’appris plus tard que c’était l’âme de mon père qui venait d’être dévorée. Et le Shinigami s’apprêtait à prendre celle de ma mère quand je me mis à crier dans sa direction. Demandant s’il y avait une manière d’expier ma faute, un moyen de sauver ma famille ? Le Shinigami stoppa alors sa main qui s’était apposée sur le corps de ma mère, puis s’avança à nouveau dans ma direction. Il pencha alors son visage vers le mien, et de sa voix caverneuse, me demanda quel prix j’était disposée à lui payer pour que sa famille ait la vie sauve ? Je ne sais pas encore pourquoi j’ai dit ça à ce moment, ne sachant même pas la répercussion de mes paroles, mais je dis au Shinigami que j’étais prête à me mettre à son service pour réparer mes torts, du moment que ma famille vive toujours.
Le Shinigami sembla intéressé par ma proposition, comme s’il ne s’attendait pas à une telle réponse de la part d’une enfant. Il me demanda alors si j’étais vraiment prête à respecter mes paroles, ou si c’était juste une manière de gagner du temps. Car si c’était le cas, il prendrait ma vie en premier, avant les autres membres de ma famille. Je lui criais que oui, je voulais les sauver. Et que pour ça, j’étais prête à sacrifier ma propre existence pour leur permettre de ne pas mourir. Le Shinigami se mit à rire. Un rire glacial qui me terrorisa. Puis, il me tendit la main, me disant que si tel était mon souhait, il acceptait ma proposition. Qu’il ferait de moi une Shinigami, et qu’ainsi ma famille serait sauve. Qu’il suffisait juste qu’il touche mon cœur, pour le rendre froid comme la mort, et enlever mon humanité. Ma famille vivrait, mais je devrais continuer de vivre parmi eux, acceptant leur regard de médisance, leur rejet de toute forme d’amour envers moi. Devenant pour eux une étrangère, un être personnifiant la mort à laquelle ils ont échappé en ce jour, par mon choix.
Je deviendrais une Shinigami à part entière quand tous les membres de ma famille, aujourd’hui épargnés, périraient, après que j’ai absorbé leur âme lors de leur dernier instant. Si je ne mangeais pas leur âme au moment de leur mort, si une seule d’entre elles venait à s’échapper dans les limbes ou volée par une âme errante à cause de mon incompétence à réaliser ma tâche, ll reviendrait alors, et reprendrait là où il s’était arrêté. Il avalerait leurs âmes lui-même, sans attendre leur temps naturel, devant mes yeux, avant de dévorer mon âme à son tour. Il me demanda si je comprenais bien le sens de ses paroles, et que je persistais à vouloir devenir un être comme lui, juste pour sauver les membres de sa famille, et moi-même. Je répondis que oui, du haut de mes seulement 5 ans. Ma réponse sembla satisfaire le Shinigami. Il plaça alors sa main sur ma poitrine. Je ressentis alors un froid intense m’envahir, me saisissant dans tout le corps. Cette sensation parvint jusqu’aux extrémités de mes pieds, de mes mains et du sommet de mon crâne. Au bout de quelques minutes qui me parurent interminables, je ne ressentis plus rien. Mes mains étaient devenues blêmes, presque transparentes, et je pressentais qu’il devait en être de même pour mon visage. Je sentais que je n’étais plus humaine. Je ne voyais plus ma sœur, ma grand-mère, ma mère de la même manière, apercevant une sorte d’aura autour d’eux.
Devinant ce que je voyais, le Shinigami m’apprit que cette aura que j’apercevais était la marque de vie des vivants. Plus celle-ci est intensive et bleutée, plus sa vie est éloignée de la mort. Quand celle-ci vire au blanc, elle est à la moitié de son existence. Quand elle devient grise, il ne lui reste plus qu’un quart de son espérance de vie. Quand elle devient noire, elle est arrivée à son terme, et ce sera le moment pour moi de la prendre en l’absorbant, rien qu’en touchant la personne. Quand tous les membres restants de ma famille auront été absorbés, je deviendrais une Shinigami à part entière, et je pourrais prétendre à une vie différente, et qu’alors il viendrai me rechercher pour m’emmener au Sanctuaire, où je recevrai l’Ouros, le pouvoir de prendre toute vie, même si elle n’est pas arrivée à son terme, tel qu’il l’avait fait avec mon père. Ce pouvoir permet d’éliminer les humains susceptibles de trop modifier le destin de l’humanité, et de ce fait d’abréger le travail des Shinigami, et de punir ceux qui ont transgressés les lois de la mort et des esprits. Il Indiqua qu’il m’apprendrai comment se servir de ce pouvoir, une fois que j’aurais l’Ouros en moi, et que je serais donc une vraie Shinigami, parce que j’aurais prouvée que je méritais de l’être.
Après cela, le Shinigami repartit de la même manière qu’il était venu, me rappelant que je ne deviendrai libre qu’une fois absorbée toutes les âmes de ma famille, et me laissant ainsi seule avec mes doutes et l’angoisse du choix que je venais de faire. Voilà, vous savez maintenant ce que je suis, ce que j’ai fait pour le devenir, et la raison pour laquelle ma mère et ma grande sœur ont peur de moi, et ne me considère plus comme un membre de leur famille. L’âme de ma grand-mère fut la première que j’ai absorbée, respectant en cela la promesse faite à mon créateur, Ichiioki. Et je sais que ma mère devrait suivre très bientôt. Son aura est déjà d’un gris très sombre, presque noir. Celle de ma sœur est encore de couleur blanche, signe qu’il lui reste encore plusieurs années à vivre. Plusieurs années durant lesquelles je ne pourrais pas me montrer, sous peine de révéler ma véritable nature auprès des hommes. C’est une autre des conditions de mon « contrat ». Je ne peux sortir de cette maison, sauf pour absorber l’âme des personnes faisant partie du deal, à savoir ma mère et ma sœur. Si l’une d’elle venait à mourir à l’extérieur de la maison, il me faudrait me rendre sur place pour absorber leur âme, avant qu’elle soit volée par une âme errante, ce qui aurait pour conséquence de briser le pacte fait avec Ichiioki. Pour ma mère, ce ne sera pas le cas, elle est déjà aux portes de la mort, et ne sera bientôt plus en mesure de se déplacer au dehors, du fait de sa paralysie des jambes en pleine expansion.
Pour ma sœur, je devrais redoubler de prudence. Mais Ichiioki m’a indiqué qu’étant encore liée aux membres restants de ma famille, je recevrais comme une sorte de signal me prévenant de leur mort, comme un flash à l’intérieur de ma tête, indiquant le lieu où leur corps vient de tomber. Ce qui devrait me permettre de me rendre rapidement sur place pour dévorer son âme. Même n’étant qu’une sorte d’apprentie, j’ai le don d’ubiquité, et peut donc me déplacer instantanément à l’endroit que je désire, du moment que je connais l’endroit où se trouve le corps dont je dois absorber l’âme. Voilà mon histoire, vous êtes libre de juger mon choix, je ne vous en voudrais pas, mais je ne regrette pas ce moment. La seule chose pour laquelle je m’en veux, c’est d’avoir voulu garder cette poupée à l’origine de tout. Depuis, je déteste l’Hina Matsuri, comme toutes les autres fêtes d’ailleurs. Elles me rappellent trop ma condition d’être de mort, ma faute, et le calvaire subi par ma famille. Cela peut paraitre cruel, mais j’aimerais que ma sœur ne tarde pas trop à mourir à son tour, afin que je me libère de ce carcan, et que je goûte pleinement à mon rôle de Shinigami, en recevant l’Ouros. Car telle est la voie que j’ai choisie….
LEXIQUE
· (1) Go-Sekku :
Ensemble des 5 cérémonies traditionnelles japonaises de l’année, qui sont fêtées le 1er Janvier, le 3 Mars, le 5 Mai, le 7 Juillet et le 9 Septembre.
· (2) Shichi-Go-San :
Rite de passage traditionnel pour les filles de 3 et 7 ans et les garçons de 5 ans, qui se déroule le 15 Novembre de chaque année.
· (3) Yukata :
Kimono léger, porté traditionnellement en été, aussi bien par les hommes que les femmes.
· (4) Deba :
Couteau de cuisine japonais, servant notamment à faire des filets de viande ou de poisson.
· (5) Hinakazari :
Terme désignant l’ensemble des poupées et accessoires servant pour la fête d’Hina Matsuri
· (6) Obina :
Terme désignant la poupée « Homme » de l’Hina Matsuri
· (7) Mebina :
Terme désignant la poupée « Femme » de l’Hina Matsuri
· (8) Hinadan :
Estrade en forme d’escalier où sont disposées les poupées et accessoires de l’Hina Matsuri
· (9) Hankake :
Revêtement en feutre rouge recouvrant l’Hinadan
· (10) Amazake :
Bière traditionnelle japonaise peu alcoolisée à base de riz
· (11) Hina Arare :
Biscuits à base de riz
· (12) Sushi Chirashi :
Recette de cuisine japonaise consistant en un bol où sont disposés des sushis (le nom signifie littéralement « Sushis éparpillés »)
· (13) Sakuramochi :
Pâtisserie traditionnelle japonaise, se composant d’un Mochi rose sucré et de pâte de haricots rouges, recouvert d’une feuille de cerisier légèrement salée.
· (14) Ushioriju :
Soupe de coquillages
· (15) Daini-Riba :
Terme désignant l’ensemble des deux poupées impériale (l’Obina et la Medina) de l’Hina Matsuri
· (16) Shaku :
Bâton Rituel
· (17) Byobu :
Paravent doré japonais
· (18) Bonbori :
Lampes traditionnelles japonaises
· (19) Hibukuro :
Lanternes de papier
· (20) Sanbô Kazari :
Accessoire de l’Hina Matsuri composé de deux vases contenant des branches de pêcher artificielles
· (21) San-Nin Kanjô :
Poupées représentant 3 dames de cour de l’Hina Matsuri, servant le saké au couple impérial.
· (22) Takatsuki :
Accessoire de l’Hina Matsuri composé de tablette ronde portant des sucreries
· (23) Go-Nin Bayashi :
Musiciens traditionnels japonais
· (24) Daijin :
Ministre japonais
· (25) Kakebanzen :
Tables couvertes de bois
· (26) Shisho :
Serviteurs
· (27) Tansu :
Commode à 5 tiroirs
· (28) Nagamochi :
Grand coffre de rangement pour les kimonos
· (29) Hasamibako :
Coffre de rangement pour des petits habits
· (30) Kyodaï :
Commode surmontée d’un miroir
· (31) Haribako :
Nécessaire de couture
· (32) Hibaichi :
Braseros
· (33) Daisu :
Ensemble d’ustensiles pour la cérémonie du thé
· (34) Jubako :
Ensemble de boites laquées imprimées, tenues ensemble par une corde
· (35) Gokago :
Palanquin
· (36) Goshoguruma :
Char à bœufs utilisé pendant l’ère Heian du Japon
· (37) Nagashi-Bina :
Cérémonie traditionnelle ou des petites poupées de papier sont disposées dans des barques. Celles-ci sont ensuite libérées de leurs liens, et laissées emportées par le courant. Les poupées représentent les pêchés et les impuretés auxquelles on renonce.
· (38) Jingasa :
Casque militaire léger en bambou tressé, porté par les guerriers japonais à partir du XVème siècle. Très populaire pendant l’ère Edo.
Publié par Fabs
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