La confiance que l’on peut porter aux autres dépend de plusieurs facteurs : apparence, environnement, comportement, mode de vie, goûts artistiques ou culinaires… Chacun de ces petits éléments constituant l’essence même d’une personne peuvent être déterminants dans l’envie d’accorder de se faire approcher par la personne se trouvant en face de vous, que ce soit une rencontre fortuite ou bien par le biais d’une de vos connaissances qui vous l’a présenté. Certains vont faire plus confiance à des hommes, d’autres à des femmes, et d’autres encore vont se fier à leur instinct, tout simplement. Mais ce sentiment, cette première impression, qui, bien souvent, est déterminante dans vos futurs contacts ou non envers votre interlocuteur n’est pas toujours exempte de défauts. Car certaines personnes cachent quelque chose en eux, et leur apparente bonhomie, leur calme, leur gentillesse de surface, n’est en fait qu’un appât pour mieux berner leurs proies, et faire ressurgir en elles des regrets, une fois s’être aperçu de leur erreur de jugement premier…
C’est une expérience de ce type qu’ont vécu Akiko Nabuiko et son petit ami, Min-Jae, après que ces deux âmes sœurs aient décidés de s’enfuir, n’acceptant pas le refus du père de l’un des deux de leur accorder de se marier, pour de sombres histoires de conflits, faisant appel aussi bien à l’opposition de deux nations aux cultures différentes, qu’à l’orgueil exacerbé d’un père de famille ayant déjà décidé du sort de sa progéniture, par une alliance d’intérêt. Entendez par là que le paternel d’Akiko, dont le prestige familial était tombé aussi bas que l’un des 4 pieds d’un Getabako (1), s’était entendu avec les parents du fils d’une famille au nom prestigieux, afin d’entretenir de futures relations commerciales avec celle-ci, et redorer le blason et l’honneur perdu de leur nom.
Pour ce père qui ne jurait que par les affaires et le désir de revenir à un niveau élevé des strates économiques japonaises, découvrir que sa fille veuille se lier avec le rejeton d’une famille sans la moindre valeur financière valable, et qui plus est coréenne, était un affront qu’il ne pouvait tolérer. Malgré les suppliques de son épouse, qui aurait préféré que son mari entende l’amour d’Akiko pour celui qu’elle avait choisi, Ryo Nabuiko, le père d’Akiko, ne voulut rien savoir de plus concernant sa fille. Pour lui qui désirait faire siennes ses propres conceptions des traditions familiales, venues tout droit de l’époque féodale japonaise, en particulier l’ère Heian, où se trouvaient les racines de ses illustres ancêtres, de fiers partisans de la cour impériale de l’époque, il était inconcevable qu’une fille puisse désobéir à son père. Celle-ci devait obéir aux exigences de ses parents, et de la figure paternelle en particulier, sans la moindre marque de rébellion. Le refus d’Akiko de se plier à ses exigences le mit dans une fureur sans nom, et il exigea que sa fille reste enfermé dans sa chambre jusqu’à ce qu’elle ait changé d’avis sur les besoins de l’union forcée qu’il avait entrepris la concernant. Mais c’était mal connaitre la force d’un amour naissant et sans faille envers l’homme qu’elle désirait plus que tout rejoindre. Elle profita ainsi de la nuit pour s’éclipser, non sans avoir prévenu Min-Jae, qui, de son côté, était moins soumis à un contrôle parental, vivant seule avec sa sœur, depuis que leurs parents furent assassinés lors du braquage d’une épicerie ayant mal tournée.
La sœur de Min-Jae, In-Soon, qui était la meilleure amie d’Akiko, et surtout sa confidente privilégiée, était ravie de voir cette dernière et son frère filer le parfait amour, et elle ne pouvait qu’encourager leur désir de vivre celui-ci loin de la ville qui les avait fait se rencontrer, libéré du carcan familial du père d’Akiko. In-Soon leur fournit même tout le matériel nécessaire pour leur fuite, ainsi que de l’argent pour subvenir à leurs premiers besoins, malgré les réticences de Min-Jae, sachant les difficultés qu’avait sa sœur à payer le nécessaire pour qu’il continue de vivre dans des conditions décentes au sein de leur maison. Mais celle-ci fut intransigeante, et ne voulut pas entendre les objections de son frère. Tout ce qu’elle demandait en retour, c’est qu’ils puissent vivre heureux, et lui donnent de leurs nouvelles dès qu’ils seraient à l’abri de toute forme d’influence du père d’Akiko, qui ne manquerait pas de lancer des recherches pour ramener sa fille à ses obligations familiales, tel que ce dernier les concevait. En les voyant partir dans l’obscurité de la nuit, In-Soon avait les larmes aux yeux. Mais ce n’était pas de la tristesse. C’étaient des larmes de joie. Elle était heureuse que Min-Jae ai pu trouver l’amour et la liberté qu’elle s’était toujours refusé d’obtenir, tant que son frère n’ait pas trouvé la femme parfaite. Elle se réjouissait de lui avoir fait rencontrer Akiko, sa meilleure amie, et camarade de classe…
C’est ainsi que le périple d’Akiko et Min-Jae les fit se retrouver au sein d’une forêt inconnue, après avoir parcourus de nuit plusieurs kilomètres. Exténués, mais désirant mettre le plus de distance possible entre eux et les hommes que ne manquerait pas de lancer à leur poursuite le père d’Akiko, les deux amants interdits furent attirés par la lumière d’une petite chaumière, en plein cœur des bois, qui ne leur avaient pas particulièrement parus hospitaliers jusqu’à présent. Mais ils se disaient que ce devait être pareil dans toutes les forêts quand on les traversait de nuit. Alors, quand ils parvinrent à cette chaumière, en tout point identique aux Sanka (2) propres aux montagnes, ils espéraient trouver une âme charitable, ne posant pas de questions quant à leur présence nocturne dans ces bois, et acceptant de leur offrir l’hospitalité pour la nuit. Le temps pour eux de se reposer, avant de continuer leur épopée. Après avoir cogné à la porte, une femme âgée vint ouvrir, ce qui rassura les deux amoureux, anxieux de tomber sur un homme rustre, qui n’aurait sans doute pas vraiment apprécié un semblant d’intrusion au sein de sa demeure.
La femme était tout sourire, portant un Haori (3) dont les cordons semblaient quelque peu élimés par le temps, preuve que cette vieille dame ne devait pas être en contact avec la civilisation depuis déjà un bon moment, ce qui était encore plus rassurant. Car cela signifiait que sa maison ne devait pas être vraiment connue aux alentours jouxtant la forêt. Après avoir demandé à passer la nuit à la vieille dame, qui se présenta sous le nom de Hisaé Kobanachi, celle-ci accepta avec grand plaisir de leur offrir un lit pour la nuit. Une fois entré à l’intérieur, Akiko et Min-Jae semblaient être entrés dans un autre monde, tellement l’intérieur était typique des valeurs traditionnelles japonaises, telles qu’elles l’étaient il y avait plusieurs années de ça. Ils eurent l’impression étrange d’avoir fait un véritable bond dans le temps en observant l’architecture intérieure, la texture stylisée des tatamis parsemant le sol, le bois ancien d’un Kuruma Dansu (4), ainsi qu’un Kotatsu (5) au centre de la pièce, qui respirait une époque révolue. Hisaé leur demanda de laisser leurs chaussures dans le Genkan (6). Akiko et Min-Jae se confondirent en excuses pour cet oubli impardonnable. En même temps, se retrouver dans une maisonnée aussi atypique pour eux, était tout nouveau. Leur hôte leur fit signe de se rapprocher de la Kotatsu, afin qu’ils se réchauffent de la froideur qu’ils avaient dû ressentir à l’extérieur.
Trop heureux de pouvoir goûter à de la chaleur, Akiko et Min-Jae s’accroupirent afin de profiter de la douceur dégagée par les ondes chaudes venant de la Kotatsu. Au même moment, Hisaé vint s’installer en face d’eux, apportant des Hibachi (7), qu’elle disposa à leurs côtés, afin d’accentuer la chaleur ambiante du Zashiki (8). Elle leur demanda d’attendre un peu, qu’elle allait leur apporter du thé, et leur demandant s’ils avaient faim, précisant qu’il lui restait un peu de soupe Miso (9) et quelques Okonomiyaki (10). Akiko et Min-Jae acceptèrent avec grand plaisir l’offre d’Hisaé. Celle-ci revint quelques minutes plus tard avec les plats. Affamés, Akiko et Min-Jae se ruèrent dessus, alors qu’Hisaé les regardaient, toujours parée d’un grand sourire, comme ravie que ses plats leurs plaisent autant. Un peu plus tard, celle-ci leur disaient qu’ils devaient être bien fatigués, et qu’il était sans doute temps pour eux qu’elle les mène à leur chambre. Akiko et Min-Jae, dont les yeux trahissaient leur fatigue apparente, ne purent qu’acquiescer. Hisaé fit coulisser la Fusuma (11) de la pièce menant au couloir, et les emmenait donc à leur chambre. Prenant congé d’eux en leur souhaitant une bonne nuit, elle refermait derrière elle, prenant grand soin que ses mains tremblantes ne percent pas le papier de riz constituant la Fusuma de leur chambre.
Une fois seuls, Akiko et Min-Jae furent époustouflés par la beauté de la pièce, composée d’un Futon (12) impeccable, de deux Byobu (13) de chaque côté de la chambre, d’une Chabudai (14), d’un Kodana (15) et de quelques Zabuton (16) disséminés un peu partout sur le sol. Les couleurs, les motifs, tout était absolument magnifique, et les deux amoureux étaient sous le charme. Ils se disaient qu’ils adoreraient que leur future maison, où qu’ils puissent aller, ressemble à celle-ci, tant chacun de ses composants ne cessaient d’émerveiller leurs yeux. Mais bientôt, leur fatigue eut raison de leur envie de voir plus en détail les merveilles de leur chambre. Ils se mirent en tenue pour dormir, et se couchèrent aussitôt, s’endormant presque immédiatement.
Il devait bien être 3 ou 4 heures du matin quand Min-Jae eut l’impression d’entendre du bruit venant du couloir, suivi de ce qui semblait être de petits rires sardoniques, presque imperceptibles. Se pourrait-il qu’Hisaé ne puisse pas dormir. Une personne âgée comme elle devait voir son temps de sommeil sans doute déstabilisé avec le temps. Sans compter que s’occuper de l’entretien d’une telle maison devait lui procurer beaucoup de travail, et elle devait vraisemblablement être souvent à effectuer des tâches, de jour comme de nuit. Mais tout de même, ces rires plus ou moins étouffés le troublait. Puis il entendait comme des sortes de froissement sur la Fusuma, comme si un poids s’appuyait sur celle-ci. Juste après, il entendait quelque chose de plus inquiétant. Ça ressemblait à des griffes qui grattaient le sol ou le plafond, dans le couloir. Min-Jae observa Akiko, et voyant que celle-ci dormait toujours, et ne voulant pas la réveiller, il se levait discrètement, écartant doucement les draps, et se dirigeait vers le couloir, fermant derrière lui la porte coulissante. Il faisait un noir d’encre, et se rendait compte qu’il n’avait même pas pensé à prendre son portable pour avoir de la lumière. Il se dirigeait à tâtons, se servant des cloisons comme repère pour avancer dans l’obscurité, essayant de comprendre l’origine de ces étranges bruits perçus l’instant d’avant dans la chambre.
Il continuait d’avancer, et à ce moment, il vit deux yeux luisant, juste devant lui, semblant perchés sur un meuble que le noir lui empêchait de distinguer clairement. Au même moment, il sursautait. Une petite lumière au-dessus des yeux venait de s’allumer, et il put mieux voir ce qui se trouvait devant lui. C’était un chat tout ce qu’il y avait de plus normal. Et il riait de sa stupidité. Avoir eu une telle angoisse pour un vulgaire chat. Alors qu’il continuait de sourire après s’être retourné, afin de revenir vers la chambre, il crut entendre des sortes de craquements d’os derrière lui, suivi de pas. Des pas lourds. Ce ne pouvait pas être Hisaé. Sa démarche était tout autre. Et ça ne pouvait évidemment pas être le chat. Mais alors, qui ça pouvait bien être ? Hisaé ne leur avait pas dit que quelqu’un d’autre vivait ici. La sueur commençait à perler sur son visage. Pas vraiment rassuré, Min-Jae se retournait à nouveau, voulant savoir qui était là, et pourquoi Hisaé ne leur avait pas parlé, à Akiko et à lui, de la présence de cette personne. Mais en voyant la nature de cette dernière, il crut qu’il était en train de faire un cauchemar.
Devant lui se trouvait ce qui était manifestement un cadavre, se déplaçant, et poussant des râles rauques, et portant le chat vu auparavant sur le dessus de sa tête. Il se rappelait certaines légendes que lui racontait sa sœur, quand il était enfant. Des histoires horribles, peuplées de chats démoniaques nommés Bakeneko (17), capables de ranimer des personnes décédées, et d’en faire ses marionnettes. Pris au vif, Min-Jae reculait lentement, surveillant l’avancée du cadavre mené par le Bakeneko, quand il entendit un cri venant de la chambre. Un cri strident qui semblait ne plus finir. C’était la voix d’Akiko ! Oubliant sur l’instant la présence du zombie du couloir, il se ruait dans la chambre, et là, le spectacle qu’il vit le rendit aussi blême que la créature à laquelle il venait de fausser compagnie. Devant lui, il reconnaissait Hisaé, penchée sur le corps d’Akiko, les mains plongées dans son corps, d’où ressortaient ses entrailles. Le lit était rempli de sang. Le sang d’Akiko. Et Hisaé… Elle… Elle mangeait l’intestin du corps éventré d’Akiko. Ça aussi ça lui rappelait les histoires racontées par In-Soon. Des histoires parlant de vieilles femmes âgées qui étaient en fait des sorcières se nourrissant des corps des personnes qu’elles hébergeaient chez elle la nuit.
Des voyageurs fatigués ou égarés, qui leur servaient de repas. Et ces sorcières avaient souvent en animaux de compagnie des Bakeneko, comme celui du couloir. Quant au cadavre, c’était vraisemblablement une de ses précédentes victimes, ranimés par le chat démoniaque. Ces sorcières s’appelaient des Yama-Uba (18), et les légendes racontaient que dès l’instant où on a franchi la porte de la maison de l’une d’elles, il n’y a plus d’échappatoire possible. On est destiné à lui servir de repas. Et une fois rassasiée, notre cadavre sert de jouet à son Bakeneko. Min-Jae s’effondrait à genoux au sol, les larmes coulant sans vouloir s’arrêter le long de ses joues, observant la Yama-Uba continuer à dévorer Akiko, pendant qu’il entendait le cadavre dirigé par l’autre créature derrière lui. Il n’arrivait plus à bouger, tétanisé par la terreur, et bientôt il sentit la morsure du zombie lui déchirer la peau, arracher la chair de son cou, faisant couler son sang sur le tatami où il se trouvait. Hisaé s’arrêtait un instant de se restaurer, juste pour indiquer au Bakeneko de stopper le zombie. Il ne fallait pas qu’il gâte la viande. Précisant qu’elle adorait les beaux jeunes hommes en dessert….
LEXIQUE
· ( 1) Getabako :
Meuble à chaussures où l’on place les Geta, sandales en bois traditionnelles japonaises
· ( 2) Sanka :
Nom donné aux maisons traditionnelles japonaises construites dans les régions montagneuses ou jouxtant des forêts
· ( 3) Haori
Sorte de veste au dessus d’un kimono, paré de deux cordons sur le devant. Il est porté aussi bien par les hommes que les femmes
· ( 4) Kuruma Dansu :
Commode servant à ranger les kimonos
· ( 5) Kotatsu :
Petite table basse chauffante
· ( 6) Genkan :
Hall d’entrée des maisons traditionnelles japonaises
· ( 7) Hibachi :
Brasero japonais individuel et portable
· ( 8) Zashiki :
Salon des maisons traditionnelles japonaises
· ( 9) Soupe Miso :
Soupe faites à partir d’Udon, des pâtes composées de farine de blé tendre et très épaisses (2 à 4 mm de diamètre) à la consistance molle et élastique
· (10) Okonomiyaki :
Sorte d’omelette japonaise composé d’ingrédients très variés, dont les recettes diffèrent suivant la région
· (11) Fuyuma :
Porte coulissante fermant séparant les pièces d’une maison traditionnelle japonaise
· (12) Futon :
Matelas constituant un lit japonais
· (13) Byobu :
Paravent
· (14) Chabudai :
Table basse japonaise
· (15) Kodana :
Placard de rangement d’une maison traditionnelle japonaise
· (16) Zabuton :
Coussin de sol
· (17) Bakeneko :
Yokai : chat démoniaque pouvant prendre une apparence humaine, et capable de contrôler des cadavres. Certains Bakeneko choisissent de vivre chez des humains dans le seul but de les tourmenter chaque jour. Quand ils sont lassés de leur « jouet », ils mettent le feu à leur habitation, avant de chercher une autre victime. Ils pénètrent dans les foyers en prenant l’apparence d’un chat tout mignon, semblant perdu, comptant sur la naiveté de ses futures victimes. Certains peuvent accepter de vivre avec une Yamauba, sous réserve que celle-ci accepte de les laisser jouer avec les cadavres de leurs victimes.
· (18) Yama-Uba :
Yokai ayant l’apparence d’une femme très âgée, portant un kimono ou un haori. Elle vient en aide aux voyageurs égarés ou perdus, en leur proposant l’hospitalité chez elle. Durant la nuit, elle dévore leurs corps vivant. Les Yamauba (littéralement « Sorcière des Montagnes ») vivent généralement près des montagnes ou dans les forêts. Certains autres folklores fantastiques ont leur propre « Yamauba », comme la Baba Yaga de russie, qui en est très fortement inspirée.
Publié par Fabs
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