23 oct. 2022

LUMIERES HYPNOTIQUES [Pumpkin Stories-Saison 2]

 


 

Mon père était quelqu’un de secret, ne faisant confiance quasiment qu’à lui-même. Seuls ses livres trouvaient grâce à ses yeux. Des livres connus, d’autres plus rares, ou appartenant à des catégories de la science non reconnues, incomprises, ou appartenant au passé. Comme la démonologie, la magie noire, l’alchimie, et surtout la cryptozoologie. Il était un éminent scientifique dans ce domaine. Adulé par les uns, décrié par les autres pour colporter des rumeurs sur des créatures n’existant que dans son imagination. Accusé par ses collègues de se servir de sa notoriété de détenteur de prix prestigieux pour faire croire à des absurdités qu’il était le seul à croire. Je pense que c’est ce dédain, ce mépris qui a rendu mon père tel qu’il était. Un homme froid, se méfiant de tout le monde, y compris sa famille. Ma mère a rapidement trouvé ce comportement incompatible avec sa propre définition d’un environnement familial, lassée d’avoir l’impression de vivre seul avec moi. Avec un mari qui passait le plus clair de son temps enfermé dans le labo qu’il s’était fait construire à grand frais, en partie financé par des personnes dont il ne voulait pas indiquer qui ils étaient. Ma mère supposait que cela supposait que ces mécènes occupaient des activités non légales au yeux de la loi.

 

Cette attitude s’est amplifiée à l’issue d’une expédition en Amazonie, en pleine jungle, sur le territoire des Cablocos, sur les conseils d’un de ses contacts, le sachant féru de créatures méconnues. Là-bas, il a fait une découverte qui a considérablement modifié ses croyances, pourtant déjà très ouvertes. C’est là qu’il a fait aménager d’autres structures à son labo, avant d’y implanter des caisses dont il refusait de nous dire ce qu’elles contenaient. Dès lors, il est devenu pratiquement un fantôme aux yeux de ma mère, ne le voyant sortir qu’à de rares occasions, et sans jamais s’adresser à elle. Obnubilé par ses recherches. 

 

Seuls certaines personnes, invitées par mon père, avait l’honneur de pénétrer dans son antre, à sa demande, le jour d’Halloween. Des gens qui ressortaient dans des états curieux, sans se souvenir de ce qu’elles avaient vécu au sein du labo. Certaines évoquaient malgré tout des vagues souvenirs leur revenant en tête de lumières et d’une silhouette ayant une tête de citrouille et des friandises en guise de doigt leur demandant de partir loin de cette maison si elles ne voulaient pas subir un jour sa colère, au même titre que celui qui avait créé cette situation. Des propos incohérents, où se rajoutaient d’autres parlant de cages, de sceau et de créatures faisant partie du petit peuple vivant dans la jungle amazonienne…

 

Ma mère a attendu que je sois en mesure de m’occuper de moi-même sans son aide pour quitter la maison et cette vie qu’elle ne supportait plus. Les quelques fois où mon père s’est rendu compte de mon existence, c’était pour me dire de me méfier du PumpkinMan, le jour où il mourrait. Car à partir de là, c’est moi qui devrais continuer son œuvre. J’étais son fils, alors je saurais tenir le secret qui se trouvait dans son labo, et je saurais faire ce qu’il fallait pour préserver le secret qui s’y trouvait. Voire même parvenir à réussir là où il échouait sans cesse, sans parvenir à trouver LA solution. Je n’ai compris ce qu’il voulait dire qu’à sa mort, et après avoir hérité à la fois de la maison et de la clé me donnant accès à son labo. Ce même labo qui m’avait intrigué pendant des années, et causé le naufrage de notre vie de famille. Et surtout, j’allais comprendre la peur que représentait le fameux PumpkinMan aux yeux de ce père passionné par l’impensable.

 

C’est ainsi que j’ai compris l’ampleur des travaux de mon père, au sein de ce lieu qui m’était interdit pendant des années. Je découvrais de nombreuses notes, des registres, des formules écrites sur un tableau noir, des accessoires semblant sortir tout droit d’un film portant sur la sorcellerie. Et surtout, dans un recoin de la pièce, il y avait plusieurs petites cages, fermées par une sorte de sceau forgé dans un métal que je pensais au départ être du plomb. Mais en fait, il s’agissait d’un alliage de plusieurs métaux, que mon père avait fabriqué, en suivant les indications d’un livre d’alchimie. Un métal capable de retenir des créatures magiques. D’ailleurs tout l’ensemble de la cage était fait de cette même matière. Et à l’intérieur… Il… Il y avait des créatures que je pensais n’appartenir qu’à des légendes. On aurait dit des sortes de fées…

 

En lisant les différents écrits de mon père, j’apprenais qu’il s’agissait de Krills. Bien qu’appartenant à l’espèce des fées, elles étaient beaucoup plus vindicatives, s’attaquant aux autres espèces du petit peuple et s’en nourrissant. Avides de chair, en cas de famine ou de situation leur empêchant de trouver la nourriture leur étant nécessaire, elles pouvaient même recourir au cannibalisme, se dévorant entre elles. Leur corps pouvait émettre une lumière particulière, à l’image des lucioles, et ayant des particularités hypnotiques. Mettant leur proie dont les yeux étaient soumis au rayonnement de ces lumières dans un état de transe. Dès lors, les Krills empoisonnaient leurs victimes avec les griffes constituant leurs doigts, comme le faisaient les scorpions, puis les dévoraient…

 

Des créatures pour lesquelles mon père avait passé une partie de sa vie à étudier, espérant recueillir la substance permettant la création de ces lumières, afin de la recréer artificiellement, dans un but scientifique. La puissance d’hypnotisme de ce qui circulait dans le corps de ces créatures était plus puissant à certaines périodes de l’année, notamment Halloween, le jour où les frontières des dimensions permettaient l’accès à notre monde de façon importante. C’est pourquoi mon père invitait ces gens ce jour-là, afin de procéder à des « tests » de manière plus approfondie. Dans le même temps, tout en parcourant les notes expliquant les expériences, et les notes pouvant mener à l’utilisation de cette substance hors du corps de ces créatures, c’est là que j’ai reçu la visite de cette créature que mon père nommait le PumpkinMan.

 

Il m’indiquait qu’il avait prévenu à plusieurs reprises à mon père de cesser ces expériences, qu’elles nuisaient au fondement même d’Halloween, en plus de faire souffrir des créatures de son monde, celui de l’invisible. Pendant des années, à cause d’une perte de pouvoir dû à un humain, il n’avait pu qu’observer la souffrance des Krills, et l’irrespect d’Halloween par mon père en utilisant ce jour pour créer l’interdit. Sans pouvoir agir. Jusqu’au dernier Halloween en date où la personne ayant causée sa perte de pouvoir lui avait rendue. Dès lors, il avait pu punir mon père en conséquence de ses actes. Et si je ne voulais pas subir le même sort, il me déconseillait de poursuivre les recherches initiées par mon géniteur. Car sinon, au prochain Halloween, ce serait moi qui serais puni à mon tour. 

 

Il ne pouvait exercer de punition autre que ce jour, mais cela ne l’empêchait pas d’être présent autour de moi les autres jours de l’année, à surveiller mes moindres faits et gestes. J’appris aussi qu’il ne pouvait pas libérer les Krills, car la matière composant leurs cages était une barrière à toutes les créatures issues d’autre monde. Dont il faisait partie. Après m’avoir enjoint à réfléchir avant de procéder à des actes que je regretterais, il disparaissait. J’ai longuement réfléchi à ce que je devais faire, me demandant si je devais tenir compte des menaces du PumpkinMan, ou obéir au souhait de mon père de perpétrer son rêve… Finalement, j’ai opté pour la seconde option. Et les mois suivants, je me suis évertué à procéder à divers tests sur les Krills, afin d’en extraire le liquide dans leur corps qui causait ces lumières hypnotiques. Et ce, sans les tuer. C’était primordial.

 

Ces créatures étaient extrêmement rares, et je n’en avais que 3 à disposition. Je ne devais pas faire d’erreur. Pendant de longs mois, j’ai procédé à diverses expériences, utilisant les notes de mon père et les nombreux livres présents dans le labo pour approfondir mes connaissances scientifiques, et suivre le chemin de mon père. Sans m’en rendre compte, je devenais aussi obsédé par cette quête qu’il ne l’était, ne quittant presque pas le labo… Et puis, j’ai fini par réussir à où mon père n’avait pu trouver de solution au problème. J’ai pu extraire la substance créant ces lumières capables d’hypnotiser ceux qui étaient soumis, tout en gardant en vie les Krills. A partir de là, je l’ai synthétisée, et ai pu élaborer une bague spéciale, composée d’une pierre artificielle et remplie du fameux liquide hypnotisant, et munie d’un capuchon, afin de ne pas subir moi-même les effets du rayonnement.

 

Il me fallait désormais tester ce que j’avais créé. Halloween était proche, et je me souvenais que mon père me disait que ce jour permettait une puissance accrue de la substance. Celle que j’avais à disposition était synthétique, mais elle était composée en partie de fluide originel. Donc, pour bien me rendre compte du potentiel de la bague, je me devais de faire un test le jour d’Halloween, pour juger de son plein potentiel. Sans tenir compte de la menace du PumpkinMan, que je n’avais pas revu depuis. Mais j’avais senti sa présence à de nombreuses reprises, entendu un petit rire étouffé parfois. Je savais qu’il me surveillait en permanence, observait mon avancée. Mais je me refusais à me laisser freiner par lui.

 

Ainsi, le soir d’Halloween, profitant de la fête dans les rues, où chacun était occupé à se faire peur, je choisissais diverses cibles afin de voir si ma bague fonctionnerait. J’utilisais des prétextes propres à la fête pour les attirer dans un recoin sombre, dirigeant la bague vers elles, et soulevant le capuchon de métal recouvrant la pierre. Aussitôt, une lumière presque aveuglante émergeait, et enveloppait mes cibles dans un état de transe. Elles étaient comme des poupées immobiles, des statues de cire. Ça fonctionnait parfaitement, et l’utilisation de ce produit dans le domaine scientifique serait une révolution. Fini les anesthésies aux conséquences parfois fâcheuses pour des opérations hasardeuses chirurgicales. Les séances au dentiste, au gynéco, toutes les formes pouvant occasionner de la douleur, et soumises aux risques que le corps n’accepte pas l’anesthésie, deviendraient des balades de santé.

 

J’étais heureux, car j’avais réussi le vœu de mon père… Cependant, il y eut un souci que je n’avais pas prévu. Je voyais du sang couler des yeux de la première personne. Pensant que c’était peut-être dû à une trop longue exposition, je ne m’alarmais pas. La laissant recouvrir ses esprits peu à peu, sachant par les notes de mon père que l’effet hypnotique était provisoire, je cherchais d’autres « cobayes ». Avec les mêmes effets, quelque soit le temps d’exposition. Certains montraient même d’autres effets indésirables, comme un gonflement des veines du cou, un décollement des globes oculaires, un dessèchement rapide de la peau. J’étais en panique, et lors d’une fuite, après avoir vu mon 5ème cobaye subir ces mêmes déflagrations du corps, je trébuchais sur une fissure au sol, et tombais au sol. Brisant le capuchon recouvrant la pierre, et me soumettant moi aussi, au rayonnement de la lumière.

 

Incapable de bouger, je ne pus rien faire quand le PumpkinMan, souriant et ricanant de mon état, vint vers moi. Prenant plaisir à projeter plus près de mes yeux la bague et la lumière. J’avais l’impression de sentir mon cerveau appeler à l’aide, voir mon visage tout entier. Je commençais à ressentir des spasmes sur tout le corps, du sang coulant de mes yeux, de mes oreilles, de mon nez, de ma bouche. En état hypnotique, je ne pouvais même pas hurler, pendant que le PumpkinMan riait aux éclats de me voir souffrir de plus en plus. Au bout d’un moment, il s’arrêtait, satisfait de ma punition. Du moins, je le pensais. Mais ce n'était que le début. 

 

Il usait de ses pouvoirs pour m’emmener dans le labo, m’obligeant à libérer les Krills, afin qu’elles retournent vers leur lieu de vie, au-delà des océans, vers l’Amazonie d’où elles étaient issues. Puis, il m’obligeait à écrire mon histoire sur un registre qu’il fit apparaitre, prétextant qu’elle ravirait son ami humain, très friand du sort réservé à ceux qui souillaient l’esprit d’Halloween… Une fois fait, il faisait un geste de ses doigts, et une sorte de portail dimensionnel s’ouvrait. Il m’indiquait alors qu’il allait m’emmener vers un endroit où je subirais chaque jour les mêmes souffrances que j’avais occasionnées pendant des mois aux Krills. Tout comme mon père avant moi.

 

Un lieu d’où je ne pourrais pas m’échapper, car n’existant pas dans ce plan dimensionnel. Précisant que je devais me sentir privilégié, car cette prison, il la réservait à ceux qui l’avaient particulièrement mis en colère. Il riait alors à nouveau à gorge déployée. Un rire qui me terrifiait. Tout comme mon futur destin qui m’attendait. J’ignore qui vous êtes, vous qui lisez sans doute en ce moment mon récit, et vous ne me croirez peut-être pas, mais je regrette vraiment mes actes. A cause de mon désir de suivre le rêve de mon père, et en ne tenant pas compte des souffrances de créatures qui n’avaient rien demandé. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même de mon aveuglement, et je n’ai d’autre choix que de l’accepter. Moi qui ai fait passer mon orgueil avant le respect d’Halloween…

 

Publié par Fabs

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