23 oct. 2022

CELUI QUI ENLEVAIT LA PEUR [Pumpkin Stories-Saison 2]

 


 

Peut-on se passer de peur ? Est-il possible de vivre mieux une fois que ce sentiment humain a été arraché à son corps, libérant l’esprit de ce qui provoquait tremblements, froideur de la peau ainsi qu’une sensation de fragilité extrême ? De nombreuses expériences scientifiques ont été faites pour tenter de comprendre ce qui formait la peur, les gênes, les cellules qui lui donnait naissance, et pourquoi elle était nécessaire à un certain équilibre de vie. Car oui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, la peur fait partie de l’être humain et lui est primordiale. Quelqu’un qui n’a plus de peur profonde gagne en assurance, et ne se méfie plus du danger, s’en amusant et finit par l’entrainer dans des situations où, n’ayant plus cette notion lui indiquant de jouer la sécurité pour préserver sa vie, finit par s’éteindre. Au final, perdre sa peur finit toujours par provoquer le malheur, sous différentes formes. Et surtout, sans peur, on ne ressent plus ce frisson parcourant notre être et nous prouvant que l’on est un être humain.

 

Je sais ce que vous vous dites : pour certaines personnes, ne plus avoir peur peut changer la vie de manière radicale. Ne plus craindre de subir les foudres d’un patron irascible, prendre des risques sans penser à autre chose pour remporter une course, un examen ou pour oser s’avancer vers la fille qui nous fusille du regard pendant une soirée. Mais comme dit précédemment, cela signifie aussi ne plus avoir de notion d’anticipation des situations présentant un danger, qu’il soit petit ou grand, voire mortel. Cela peut engendrer des drames à plus ou moins grande échelle. La peur fait partie de nous, c’est elle qui définit nos doutes, nous permet d’analyser le bien ou le mal et établit notre personnalité. Maintenant que j’ai subi cette punition par le PumpkinMan, j’ai pris conscience de ça. Je pensais faire le bien autour de moi en libérant ces gens de leur peur, mais c’est tout le contraire que j’ai provoqué.

 

Si j’avais su vers quel destin je me dirigeais, jamais je n’aurais accepté la transmission de ce pouvoir particulier, ce soir du 22 Mars 2012, auprès de cet homme étrange qui gisait sur le trottoir, baignant dans son sang. Je n’ai jamais trop compris ce qu’il était : un sorcier, un voyageur inter-dimensionnel, un visiteur du futur peut-être ? Ce que je savais en revanche, c’était ce qu’il m’avait dit alors qu’il agonisait. Il s’était retrouvé dans cet état après avoir déclenché la fureur d’un gang de malfrats s’étant déchainé sur lui, le jugeant responsable d’avoir vu leur victime du jour se rebeller contre eux par sa faute. Juste après qu’il ait fait un geste curieux dans la direction de la femme que le gang avait pris pour cible pour la délester de son argent, et qui était terrorisée. Dans un premier temps, l’inconnu avait demandé à la bande de laisser cette pauvre femme, mais il n’avait reçu en retour que des rires et des insultes, lui enjoignant à ce qu’il les laisse travailler en paix.

 

Quelques secondes seulement après le geste fait par l’homme vers la victime de la bande, cette dernière s’est vu molester comme jamais par une femme débarrassée de la peur qu’elle ressentait l’instant d’avant, et parvenant à faire fuir ses agresseurs, déstabilisées par cette situation inédite. Par la suite, conscient que c’était à cause de l’homme qu’ils n’avaient pu avoir leur « pourboire » du soir, ils avaient retrouvé sa trace, et lui ont fait comprendre qu’ils n’avaient pas appréciés du tout son intervention. Même s’ils ne comprenaient pas trop comment il avait fait pour donner du courage à cette femme. Pour ma part, j’ai assisté à la scène. Voyant cet étranger à la ville recevoir coups sur coups, au point d’entendre des os craquer, lançant des cris de douleur intense, et laissé pour mort sur le bitume de la rue. Par peur, je n’ai pas osé intervenir. Je savais que je n’étais pas de taille contre plusieurs hommes portant des battes de baseball et des couteaux.

 

Néanmoins, une fois la bande partie, je suis allé voir l’homme au sol, espérant pouvoir l’aider, et vérifier s’il avait des chances de survivre à cette agression gratuite. Il arrivait tout juste à parler, me remerciant de ma gentillesse. Lui demandant pourquoi ces voyous s’en était pris à lui, il m’a alors expliqué ce qui avait précédé cette altercation, et c’est là qu’il m’a fait cette proposition incongrue. Il voyait en moi un homme bon, prêt à aider son prochain. La seule chose qui me bloquait était cette peur qui était en moi. 

 

Il me donnait l’occasion de faire ce qu’il ne pourrait plus effectuer : donner l’occasion à d’autres personnes de ne plus ressentir la peur, de leur permettre de ne plus craindre de voir leurs rêves se réaliser, quel qu’il soit. De ne plus redouter les vicissitudes de la vie terrienne. Ce terme m’avait paru étrange sur le moment, mais je voyais que l’homme était sur le point de perdre connaissance, et au vu de son état critique, sans doute la vie. Dans un souci, de permettre à un mourant d’accomplir ses dernières volontés, j’ai répondu à l’affirmative à sa demande de me transmettre le pouvoir qu’il avait en lui d’effacer la peur des gens. Simplement par la pensée. Il disait que c’était une pratique courante d’où il venait, avant de se retrouver enfermé dans ce monde. Il ne voulait pas que son pouvoir se perde, et il voyait en moi la personne idéale pour poursuivre sa mission. Il m’a alors tenu la main, pendant que du sang continuait de couler de ses bras et ses jambes, remplissant son visage de coulées rougeâtres en continu. J’ai ressenti alors comme une vague de chaleur se déverser dans mon corps pendant de longues minutes, juste avant que l’homme frappe le sol de sa tête, signifiant l’arrêt de sa vie.

 

Bien qu’incrédule au départ, au fil des mois suivant, j’ai découvert que le pouvoir dont l’homme m’avait parlé n’était pas que des paroles de quelqu’un sombrant dans un délire post-traumatique. C’était bien réel. Ce pouvoir était une réalité, et j’en ai fait profiter de nombreuses personnes, enlevant la peur qui les submergeait, comme moi je l’avais été avant eux. Avant que je reçoive ce pouvoir. J’ai libéré des vies des dizaines, peut-être des centaines de fois, et c’est là que m’est venu l’idée de tenter une expérience à plus grande échelle. Halloween. La fête des esprits, le symbole même de la Peur dans toute sa splendeur. Le jour où tout un chacun se déguise en monstres horribles, cognant aux portes pour réclamer des friandises, provoque des frayeurs en pagaille à ceux qu’ils détestent ou à leurs proches. Dans un esprit de plaisir de provoquer la terreur aux autres.

 

Je n’ai jamais bien compris l’intérêt de cette fête qui insuffle d’aimer faire peur à des gens, prétextant de ce jour pour tourmenter encore plus leurs cibles habituelles, sans risque de se faire punir par la loi. Si j’utilisais mon pouvoir pour faire disparaitre l’essence même de cette fête, en prenant comme terrain d’essai la petite ville où j’habitais, en éradiquant l’intérêt de faire du mal aux autres, en y prenant plaisir même, je ferais un grand pas en avant dans la mission que m’avait confié cet inconnu quelques années auparavant. Sans savoir qu’en opérant à ça, j’allais provoquer la colère de l’entité pour qui Halloween représentait son existence même, en tant que gardien du respect de cette fête depuis des millénaires, depuis les fondements même d’Halloween : le PumpkinMan. Il allait me faire payer très cher mon arrogance à vouloir m’attaquer à ce qu’il représentait, chaque 31 octobre.  Mais à ce moment, j’ignorais que ce personnage n’était pas qu’une simple histoire de plus pour faire peur aux enfants. J’ignorais que le PumpkinMan était bien plus qu’un gardien, mais qu’il avait aussi comme fonction de punir ceux qui osaient perturber l’esprit d’Halloween, en souillant ce qui faisait qu’elle était adulée par des millions de personnes dans le monde.

 

N’étant pas effrayé par la perspective de voir le courroux d’une entité emblématique d’une fête païenne tomber sur moi, car n’ayant plus cette peur en moi qui aurait pu me faire douter, j’ai longtemps réfléchi à la manière dont j’allais opérer pour parvenir à ce que mon test réussisse. Et finalement, j’ai trouvé. La ville se voyait regorger de haut-parleur un peu partout ce jour-là, afin de diffuser des musiques « creepy » en boucle. Mon pouvoir était comme une onde qui était envoyé par psychisme, utilisant l’air pour être diffusé avant de toucher sa cible. Avec le temps, je m’étais aperçu que je ne n’avais pas l’obligation de voir la personne pour la déposséder de sa peur. Si je l’avais vu au moins une fois, il me suffisait de penser à elle pour lui enlever ce sentiment l’empêchant d’avancer dans sa vie. Et un jour que j’étais malade, j’ai involontairement libéré cette onde psychique à travers les grilles d’aération, passant par celle de ma chambre, et se diffusant partout dans l’immeuble. Avec pour résultat de « libérer » 54 personnes habitant la bâtisse.

 

J’étais persuadé qu’en utilisant les haut-parleurs de la ville, en lançant la diffusion à partir de son lieu d’émission, je pourrais toucher de la même manière tous les habitants. Etant proche du maire, j’ai pu obtenir qu’il me confie la tâche de jouer les DJ d’Halloween, en me chargeant de la diffusion des musiques, cachant mon aversion pour cette fête, qui allait devenir mon terrain d’expérience. Ainsi, le jour-J, alors que la fête était à son pic, je me préparais mentalement à envoyer l’onde psychique pouvant « libérer » toute la ville par le biais du micro de la salle où je me trouvais. Dans le même temps, j’ai ressenti la présence de quelqu’un d’autre que moi dans la pièce. Mais étant dépourvu de peur, cela ne m’a pas perturbé plus que ça. D’instinct, je me suis malgré tout retourné, histoire d’être sûr que personne ne me verrait en train d’opérer à mon test psychique. Et là, debout au milieu de la pièce, m’observant sans rien dire, je le vis. Le PumkinMan. Il n’était pas une légende, il était bien là, en chair et en os. Enfin, disons qu’il était plutôt constitué d’une chair orangée, propre à ce légume emblématique d’Halloween. La tête de la créature était elle-même une citrouille surmontée d’un haut de forme. Elle montrait sa désapprobation de ce que je m’apprêtais à faire en bougeant son doigt de droite à gauche. J’ai pensé à cet instant que comme le PumpkinMan comprenait que je n’avais pas peur de lui, c’est ce qui l’avait poussé à s’en aller. Aujourd’hui, je sais qu’il n’a fait que me donner une chance de ne pas subir sa colère. Une chance que je n’aie pas saisie.

 

Le test a parfaitement marché. L’onde psychique s’est étalée dans toute la ville, enlevant la peur de tous les habitants. J’étais fier et heureux de ça. Je savais désormais comment débarrasser tous les hommes, les femmes et les enfants de ce sentiment inutile qu’était la peur, de mon point de vue. J’ai pu voir par la fenêtre le résultat allant au-delà de ce que j’espérais. Il serait fastidieux de vous décrire le détail de ce qui s’est passé, mais sachez qu’après ce jour, toute la ville n’a plus jamais fêté Halloween, symbole de la Peur, n’y voyant plus d’intérêt. Mais cela a aussi été le début de ma punition par le PumpkinMan qui a déversé sur moi sa colère, en faisant se retourner ce pouvoir en moi dont j’étais si fier. Moi qui ne connaissais plus la peur depuis des années, j’ai commencé à voir dans ma tête des images qui ne m’appartenaient pas, des images de situations dont je n’étais pas le protagoniste. Des dizaines, des centaines d’images se déversant en moi comme un tsunami sans fin. Je reconnaissais des visages. Des visages de personnes que j’avais « sauvés » de leur peur.

 

C’était ça qui entrait dans ma tête. Toutes ces peurs que j’avais effacées, le PumpkinMan les faisait rentrer dans ma tête, l’une après l’autre. Je ressentais ce que les autres avaient en eux avant que je leur en libère, et… cela m’effrayait à un très haut point. C’était impossible. J’étais libéré de la peur. Comment pouvais-je la ressentir à nouveau ? Et pourtant, plus les minutes passaient, plus ces images venaient, et plus j’avais peur. Extrêmement peur. Maladivement peur. Me tenant la tête, tentant de chasser ces images de ma tête, je sortais en courant du bâtiment où je me trouvais, hurlant devant des gens ne comprenant pas ce qui m’arrivait. Je me suis enfermé chez moi, pensant que cet environnement me permettrait de me remettre les idées en place, afin de faire revenir mon pouvoir pour balayer ces images. Mais c’était peine perdue. Et ce fut comme ça tous les jours, les semaines, les mois, les années qui s’ensuivirent. Chaque minute qui passait, c’était une nouvelle peur qui s’insinuait en moi, augmentant mon mal-être.

 

Je ne sais pas comment j’ai fait pour tenir le coup pendant tout ce temps. Certains diront qu’on finit par s’habituer à ses peurs, ou peut-être était-ce justement le fait que je savais que ce n’était pas à moi qu’appartenait celles-ci. Je n’en étais que le réceptacle. Après ça, je n’ai plus jamais osé utiliser mon pouvoir. J’avais trop peur que le PumpkinMan fasse en sorte d’augmenter le flux d’images venant dans ma tête. J’ai tenu 2 ans et demi de cette manière, avant que mon cerveau ne parvienne plus à supporter cette situation, et m’obligeant à me cloîtrer chez moi de manière définitive. Au bout d’un moment, j’espérais même que mon cœur cesse de battre, afin de mettre fin à mon calvaire. Mais je sentais que le PumpkinMan avait fait en sorte que cela n’arrive pas. Pas tant que toutes les peurs que j’avais annihilées ne se soient incrustées dans mon crâne, s’ajoutant aux autres. Il voulait que je comprenne ma faute d’une manière cruelle et indélébile. Si je voulais que cela cesse, il faudrait sans doute que j’attente moi-même à ma vie, de manière brutale.

 

Mais je ne suis même pas sûr que le PumpkinMan me le permette. J’avais détruit Halloween au sein d’une ville, qui ne le fêterait plus jamais, ce qui, pour le gardien de cette fête, le protecteur du respect de cette institution, était impardonnable. Tout comme Halloween ne serait plus dans cette ville, je n’aurais plus jamais droit au repos. Le PumpkinMan s’en assurerait…

 

Publié par Fabs

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