23 oct. 2022

LA GROTTE DES OUBLIES [Pumpkin Stories-Saison 2]

 


 

Pour moi, Halloween a toujours été source de tristesse, de malheur, de souvenirs maudits, de pertes chères à mon cœur. Vous avez sans doute déjà entendu parler des malédictions, des lieux maudits. Non, pas du genre qu’on voit dans les films de série B, voire Z, ou les romans. Je parle des vraies malédictions, celle dont on n’ose pas parler, parce que si on le fait, la situation est pire qu’avant, et bien souvent la « punition » s’abat sur nos proches de manière brutale, sans sommation, et se rajoutant à notre désespoir. Et on ne peut même pas s’en prendre à quelqu’un, car on est le seul fautif de notre situation. C’est par notre propre choix que l’on se retrouve maudit. Ne croyez pas ces histoires où on vous affirme qu’une sorcière vous a désigné au hasard, sans raison aucune. Ou bien qu’on se retrouve pourchassé par un démon ou une autre créature parce que notre tête ne lui revenait pas. Non, tout est question de choix, et rien d’autre.

 

Si vous êtes la cible d’une malédiction, c’est parce que vous avez choisi de passer par un bois dont on vous a certifié qu’il était dangereux de s’y aventurer. Parce que vous avez traversé des ruines vieilles de plusieurs siècles simplement pour prouver votre courage et obtenir une notoriété inutile pour les beaux yeux d’un garçon, alors que vous saviez qu’il était hanté par une entité n’aimant pas être dérangée sur son territoire. Ce sont nos choix qui décident de notre futur, de la direction que va prendre notre vie. Le hasard n’existe pas. Même dans les jeux à gratter, les parties de poker ou des centaines d’autres exemples. Au départ, vous avez choisi de bluffer au Klondike, entrainant une désillusion et la fin de la partie pour vous. Vous avez choisi de prendre ce ticket avec votre dernière pièce, espérant toucher le gros lot.

 

Rien dans la vie n’est dû au hasard. Je pourrais vous citer des exemples du même type pendant des heures, mais ça n’aurait pas vraiment d’intérêt. D’ailleurs, vous-même avez choisi de lire mon histoire. A aucun moment, je ne vous ai forcé à le faire. Je n’ai fait que placer mon histoire sur ce blog. Libre à vous ensuite de lire mes mots, de les croire ou non. Ça peut changer votre conception de la réalité, comme ça peut vous faire sourire, car vous avez votre propre idée sur la véracité de ce que vous lisez. Ça aussi, c’est un choix. Vous voyez, il n’y a pas de hasard, tout est calculé selon ce que vous avez décidé de faire. Quand j’ai décidé d’explorer cette grotte à l’origine de tout, et que j’ai déclenché cette série de larmes au sein de ma famille, je ne pensais pas à mal. J’ai cru les racontars que l’on disait dans ma petite ville, indiquant que si l’on formulait un vœu devant l’autel de pierre se trouvant au fond de ladite grotte, il se réaliserait. Mais on ne m’a pas précisé que ce vœu avait un contrecoup, un effet secondaire, un dommage collatéral de grande ampleur.

 

Malgré les risques, je me suis rendu à cette grotte, sachant déjà ce que j’allais demander comme vœu, ne pensant pas que cette décision allait détruire mon entourage. C’était un soir d’Halloween. Pour vous situer un peu mieux ce qui a pu me pousser à aller là-bas, vous devez savoir que j’étais folle amoureuse du nouvel élève qui venait d’arriver au lycée où j’étudiais. Vous savez, le genre de garçon qui donne des sueurs froides à l’ensemble de la population féminine présente autour, par son allure, ses tenues vestimentaires, ses aptitudes au sport, sans oublier son visage proche de celui d’un ange. A peine arrivé, il était courtisé par toutes les pétasses du lycée. Ces mêmes filles qui changeaient de mec aussi souvent que leur vernis à ongle au goût douteux. Curieusement, Lewis ne semblait pas particulièrement sensible à toute cette attention autour de lui de la part des harpies composant le gang des pétasses. Ce qui le rendait encore plus craquant à mes yeux. Ça prouvait qu’il avait une sensibilité et un cerveau suffisamment intelligent pour ne pas tomber dans les griffes et les pièges sentimentaux à 2 dollars des filles qui ne le méritaient pas.

 

Et quand je me suis aperçu qu’il était dans ma classe, j’ai vraiment pensé que c’était une chance inespérée offerte par le destin. Cependant, il y avait un grain de sable dans mes espoirs. Mon extrême timidité. J’étais incapable de l’aborder, de lui avouer mes sentiments. Je craignais trop qu’il m’ignore comme les autres, ce qui me plongerait dans un puits de désespoir dont j’aurais forcément du mal à me remettre. Et pourtant, si je vous disais que je voyais son regard croiser le mien régulièrement, que ce soit en classe ou dans la cour du lycée. J’avais l’impression qu’il était au moins aussi maladroit en amour que moi, et j’avais peur que si je ne trouvais pas le courage de me lancer, je perdrais toute chance de savoir si ça pouvait coller entre nous de façon durable. J’avais besoin d’une assurance que je ne possédais pas. Et c’est là que j’ai entendu parler de cette fameuse grotte. De son pouvoir, de l’opportunité qu’elle pouvait m’offrir à briser ma timidité, et oser m’avancer vers Lewis, grillant toutes les greluches qui essayaient tour à tout de le prendre dans ses filets.

 

Seulement, je ne pouvais pas prendre le risque que l’on me voit me rendre à la grotte. Elle se trouvait en surplomb de la ville, cette dernière étant placée dans une vallée profonde. Le genre de petite ville pouvant être balayée en un instant en cas de catastrophe naturelle, style glissement de terrain ou inondation. Tout le monde pouvait la voir, quel que soit l’endroit où on se trouvait en ville, et donc on pouvait immédiatement savoir qui s’y rendait. C’est pour ça que j’ai eu l’idée de m’y rendre le soir d’Halloween, quand tout le monde serait occupé à la fête et ne prêterait pas attention à la grotte. J’y ai mûrement réfléchie la semaine précédant Halloween, et je ne pouvais pas passer à côté de cette possibilité de voir enfin un de mes rêves s’accomplir. Et quel rêve. Lewis, c’était même au-delà de mes rêves les plus fous. J’imaginais la tête de Livia, la leader du gang des pétasses, en me voyant collée au bras de celui qu’elle tentait de rajouter à son tableau de chasse, sans succès. Quel soufflet ça lui ferait. Rien que de penser à sa tête, j’en salivais d’avance…

 

Le soir d’Halloween arrivait, et pendant que chacun des habitants sortait, se déguisait, admirant les lumières des maison, buvant plus que de raison, et faisait la chasse aux friandises, moi je me glissais discrètement sur le petit sentier qui menait à la grotte des oubliés. Je me suis souvent posé la question pourquoi elle portait un nom aussi curieux. La grotte des vœux aurait été plus logique… Mais j’allais vite comprendre la raison de ce nom, et aussi pourquoi j’étais la seule depuis des années à y avoir mis les pieds. Tout le monde connaissait le pouvoir de la grotte, mais personne ne voulait prendre le risque de subir les conséquences d’y faire un vœu. C’était peut-être juste un truc pour éviter qu’un trop grand nombre s’y rende et détériore l’intérieur. Faut dire aussi que la grotte abritait des peintures un peu bizarres. Personne ne savait trop ce qu’elle représentait, ni quel peuple les avait faites sur la roche. Quant à l’autel, il avait une signification bien précise que j’allais découvrir par la suite, pour mon plus grand malheur.

 

Je me suis donc rendu dans la grotte, et dès le départ, je fus saisie par l’aura glaçante des lieux, l’oppression qui semblait se dégager des parois, et plus encore de ces fameuses peintures qui me donnaient l’impression de m’observer et de s’illuminer légèrement au fur et à mesure que je m’approchais de l’autel aux vœux. C’est là que je le vis, comme s’il m’attendait. J’avais déjà entendu parler de cette représentation d’Halloween, le Pumpkinman. Mais je pensais qu’il n’était qu’une fable. Et pourtant, il était là, semblant m’observer, voir si j’irais jusqu’au bout de mon objectif. Il me souriait, assis sur un rocher, juste à côté de l’autel, ne disant pas un mot. J’avoue que je n’étais pas rassurée de sa présence, de son sourire permanent émanant de sa tête de citrouille. Mais j’étais allée déjà trop loin pour reculer si près du but.

 

Je me suis positionnée devant l’autel, et j’ai fait mon vœu. Celui de ne plus ressentir de timidité, quel que soit le prix à payer pour ça. Le Pumpkinman riait de plus belle, puis me laissait seule, disparaissant petit à petit en se dirigeant vers la sortie de la grotte. Je redescendais en direction de la ville, confiante, et je tombais nez à nez avec Lewis, qui était seul, attablé à côté d’un des stands de pâtisserie d’Halloween qu’on trouvait à chaque coin de rue. Je n’éprouvais aucune peur, le vœu avait fonctionné. Je me dirigeais vers Lewis et je lui avouais mes sentiments. J’ai vu la surprise sur son visage, mais ça n’a duré qu’un instant. 

 

Je sentais qu’il attendait depuis longtemps que je fasse ce qu’il n’arrivait lui-même pas à faire. Ma déclaration avait débloqué quelque chose en lui. Il s’approchait de moi, et sans que j’aie le temps de réagir, m’embrassait. Et devinez qui a été témoin de ce geste fou ? Livia, qui était à quelques mètres de là, et qui était sans doute sur le point de faire une nouvelle tentative de séduction envers Lewis. Je l’avais coiffé au poteau, et je ressentais une telle fierté de ça. Lewis et moi on est passé à côté d’elle, qui montrait un choc sur son visage. Le reste de la soirée était digne d’un conte de fées. Tout comme les jours suivants. Je devenais le sujet de conversation numéro un du lycée. Celle qui avait pris le cœur de Lewis qui repoussait chaque tentative de la population féminine. J’étais heureuse. Mais bientôt, le contrecoup du vœu se rappelait à moi. Ça a commencé par mon grand-père, tombé dans un coma étrange, les yeux dans le vide, comme si son âme n’était plus dans son corps. Puis, une semaine plus tard, ce fut au tour de ma mère, trouvée dans le même état, debout dans la cuisine, comme une statue dénuée de toute vie. La semaine suivante, mon père fut atteint. Il fut retrouvé assis devant son ordinateur, avec la même expression dans le regard, la même absence de vie.

 

Ça ne pouvait pas être une coïncidence qu’ils subissent tous la même chose, sans que le médecin de famille puisse comprendre la raison de leur coma. Prise d’un doute, je me renseignais sur Internet plus en détail sur la grotte et son histoire. J’appris ainsi que plusieurs personnes ayant fait un vœu dans cette grotte ont constaté les mêmes faits étranges sur des membres de leur famille, peu de temps après s’être rendu devant l’autel de la grotte des oubliés. Les oubliés. Ce terme désignait l’état des victimes de la malédiction, à la suite d’un vœu fait par quelqu’un de leur famille. Elles oubliaient qu’elles étaient des êtres vivants. Elles oubliaient tout ce qui se trouvaient autour d’elles. Elles oubliaient tout ce qui faisait leur humanité, se réduisant à des coquilles vides. Leurs fonctions motrices étaient stoppées, comme on arrête une machine par la pression d’un bouton. C’était le prix à payer pour avoir le droit d’obtenir les pouvoirs du peuple de la grotte. Ce peuple dont les âmes étaient emprisonnées dans les peintures sur les parois. Ces peintures qui, en échange d’offrir une partie de leur âme contenue dans la roche, transformé en désir, en émotion, pour le demandeur, exigeaient une compensation. D’autres âmes qu’elles absorbaient, ayant un lien avec la personne ayant fait le vœu.

 

En faisant ce vœu, j’avais donc condamné ma propre famille. Tous ceux vivant sous le même toit que le demandeur était la compensation pour l’utilisation du vœu toute sa vie durant. Et le processus était irréversible. A moins d’offrir sa propre vie pour faire revenir à eux les oubliés. Et pour ça, le demandeur devait s’installer sur l’autel, et attendre la venue du Pumpkinman, qui se chargerait du sacrifice. J’avais obtenu ce que je voulais, l’amour de Lewis, en faisant disparaitre ma timidité, mais à quel prix ! Je refusais que ma famille subisse les conséquences de mon choix. Alors, le soir suivant, je me suis rendue à la grotte. Je sentais le regard des habitants porté sur moi, me voyant remonter le sentier. Ils avaient compris ce que j’avais fait, et que j’avais décidé de réparer mes torts. Que j’avais décidé de sauver les miens, plutôt que continuer à jouir de ce vœu dont je ne voulais plus. Dans la grotte, je voyais le Pumpkinman, toujours souriant, faisant le geste de m’ouvrir le passage vers l’autel.

 

Je m’installais sur ce dernier, attendant mon sort. Le Pumpkinman s’approchait de moi, dressant ses doigts fait de bois et de paille, devenant aussi tranchants qu’une lame, et d’un geste, il les enfonçait dans mon corps, et je me perdais dans les ténèbres. Aujourd’hui, je ne suis plus qu’une âme errante, ayant eu la joie de voir mes proches reprendre leur quotidien, débarrassé de leur malédiction dont j’avais été le vecteur. J’apprends peu à peu à agir sur le monde des vivants, ce qui m’a permis de continuer à écrire sur mon blog, et suivant le destin de mes parents, de mon grand-père, et de Lewis. En apprenant ma faute, il n’a plus jamais été le même, tombant dans la dépression, et finissant dans un centre spécialisé. J’ai sauvé ma famille, mais je n'ai pas pu le sauver. Désormais, je sais que je ne fais plus partie de ses souvenirs, tout comme mes proches. Mon existence même a été effacé de la mémoire collective. Comme si je n’avais jamais existé. Les mots que j’écris sur mon blog sont ceux d’une inconnue aux yeux de tous, et n’intéressant personne. C’est ce que je suis devenue. Personne. Je ne suis plus rien. Je ne suis plus qu’une oubliée, victime de mes choix, et sacrifiée par ma faute par la main du Pumpkinman, pour avoir souillé Halloween par mon geste ce jour dont il est le gardien…

 

Publié par Fabs

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