23 oct. 2022

L'HOMME QUI PORTE MALHEUR [Pumpkin Stories-Saison 2]

 


 

Aussi longtemps que je m’en souvienne, j’ai toujours eu un lien privilégié avec le malheur, la malchance, les désagréments dû à la vie quotidienne, pour des raisons financières, sentimentales, ou bien simplement à cause de mauvais choix, d’étourderies passagères et bien d’autres facteurs. Ce n’était pas toujours moi la cible privilégiée, mais ma famille a toujours vécu dans un tel environnement. Elle a toujours été oubliée du bonheur, de la joie de vivre. Mes parents ont multiplié les séjours à l’hôpital à cause d’une santé fragile, accentuée par l’hygiène déplorable dans laquelle nous vivions tous au sein de notre demeure. Mais quand on est sans le sou, il est difficile de pouvoir faire ce qu’on veut. Nous ne mangions pas toujours à notre faim, mais mes parents s’arrangeaient toujours pour que moi, mes frères et mes sœurs aient ce qu’il faut, quitte à se priver eux-mêmes, et favorisant leurs ennuis de santé à répétition.

 

Nous étions jeunes à l’époque et nous ne nous rendions pas vraiment compte de l’importance du sacrifice de nos parents. Ma mère tentait tant bien que mal de s’assurer que les salaires des petits boulots qu’elle faisait permettent de nous donner une vie moins remplie de restrictions. Elle pouvait faire jusqu’à 14 heures de travail en une seule journée, et ce sur 6 jours sur 7. Mais jamais je ne l’ai entendu se plaindre de quoi que ce soit. Seul comptait pour elle de nous voir manger, jouer et avoir des habits convenables, même s’ils n’étaient pas toujours à la dernière mode. Mon père, lui, s’adonnait à divers trafics pas très glorieux. De la revente d’objets volés lors d’excursions nocturnes, jusqu’au rôle de passeur de drogues de tout ordre, quand ce n’étaient pas des trafics plus risqués, comme les armes ou les organes humains.

 

Quand maman, à cause de la fatigue, n’avait d’autre choix que d’être absente de la maison, pour des examens, le manque à gagner était compensé par mon père, qui acceptait diverses « missions » de la part de ses commanditaires. C’était une vie où la tristesse se voyait sur les visages, chacun de notre côté, sans le montrer aux autres. En tant qu’enfants, nous souffrions de voir nos parents se démener pour que nous gardions un toit au-dessus de nos têtes, mais malgré tout, nous montrions toujours un sourire forcé. C’était quelque chose de primordial pour nous que nos parents ne s’inquiètent pas plus que ce qu’ils devaient déjà subir en permanence.

 

A côté de ça, je voyais tous ces petits fils de riches, ou en tout cas appartenant à des familles bien plus aisées que la nôtre se plaindre au lycée parce que leurs pères ne leur avaient pas achetés le scooter avec la bonne couleur pour leur anniversaire. Ou encore, la déléguée de notre classe afficher une mine déconfite parce que son frère passait la journée à se goinfrer à outrance, et avait taché de graisse sa veste préférée en cherchant à récupérer la clé de l’armoire où se trouvait la manette de sa console de jeux. Simplement parce qu’elle ne supportait pas d’entendre son cher frère beugler sur des jeux en ligne avec ses potes « décérébrés », tel qu’elle les désignait.

 

Et ce ne sont que des exemples parmi d’autres. Ils ne se rendaient même pas compte de la chance qu’ils avaient de profiter de tels plaisirs que notre famille n’avait pas la possibilité de profiter. Mais je ne disais rien. Ça ne servirait à rien de lui indiquer que d’autres souffraient de vivre dans des conditions bien plus précaires que sa vie « horrible », là encore, en utilisant les mots sortant de sa bouche. De toute façon, elle ne prendrait même pas la peine d’écouter les propos de quelqu’un comme moi qui était invisible à ses yeux. Elle était bien trop occupée à se pavaner avec ses amies, à discuter de la manière d’inviter le quater back de l’équipe de foot du lycée pour la fête qu’elle allait organiser pour Halloween. Halloween. C’était le seul plaisir que notre famille se permettait de fêter chaque année. Les autres fêtes, que ce soit Noël ou Pâques, étaient bien trop coûteuses, et ne représentait pas le même engouement que la journée des esprits à leurs yeux.

 

Une passion que nos parents nous avaient transmise. Tous les ans, nous nous pavanions avec les mêmes habits reprisés plusieurs fois dans les rues, en quête des bonbons et autres friandises que nos parents ne pouvaient nous offrir en temps normal. C’était le seul jour de l’année où nous pouvions vraiment goûter à un vrai bonheur, et où les sourires de tous étaient véritables. Pourtant, c’est ce même jour qui allait devenir synonyme d’une succession de pleurs par ma faute. Parce que j’ai commis l’erreur de déclencher le courroux de l’esprit même d’Halloween, le PumpkinMan. Comme beaucoup, je pensais que ce personnage n’était rien d’autre qu’une création de cette fête. Du genre fait uniquement pour faire peur aux enfants. J’entendais souvent lors des festivités de ce jour, des filles dire à leur petit frère dissipé que s’ils ne leur obéissaient pas, le PumpkinMan viendrait les prendre pour les punir. Parce que ce jour-là, on doit respecter l’esprit d’Halloween, ses règles et son ambiance.

 

C’était amusant de voir ces petits garçons baisser la tête à cette évocation, en promettant d’être sage et d’obéir, en implorant presque de ne rien dire au PumpkinMan. Je me disais que c’était ridicule d’avoir peur d’un personnage fictif, inventé de toute pièces. Mais j’avais tort. Et je l’ai découvert après avoir agi sous le coup de la colère, en m’en prenant aux mauvaises personnes. Après que mon père fut dénoncé par celui qu’il considérait comme un ami, l’un des rares appartenant à un monde social autre que le nôtre. Mon père et lui se connaissait depuis des années. 

 

Mais en apprenant qu’il avait été complice d’un réseau de prostitution de jeunes filles venant de pays d’Amérique du Sud, il n’avait pas voulu fermer les yeux une fois de plus, comme il l’avait fait de nombreuses fois, car connaissant sa position précaire. Mon père fut condamné à plusieurs années de prison, sans visite, mettant ma mère dans un désespoir immense. Sans compter qu’elle devrait sans doute travailler encore plus pour pallier le manque d’argent qui était ramené par notre père. J’ai développé une haine pour cet homme, qui était le père de Cheryl, la déléguée de classe dont je vous ai parlé précédemment. Les journaux ont relaté l’affaire, tout comme la télévision, mettant notre famille sous le coup des projecteurs. Mes frères et sœurs et moi-même faisions l’objet d’insultes, de railleries, de médisance sur notre père. La vérité, c’était que ce dernier n’était pas au courant de ce à quoi était destiné les jeunes filles ayant causé tout ça. 

 

Son commanditaire lui avait seulement dit que c’étaient des filles qui voulaient s’implanter aux USA, sans passer par la voie normale administrative. Il ignorait qu’elles étaient destinées à la prostitution. Je ne pouvais pas accepter cette injustice. J’ai pensé et réfléchi de nombreuses fois à la manière de venger mon père, et le moment idéal pour la mettre en place. Puis, j’ai pensé à Halloween. Le père de Cheryl restait seul chez lui ce soir-là, occupé à attendre les enfants pour leur offrir des tonnes de friandises, et surveiller dans le même temps qu’il n'y ait pas de débordements, en restant à l’écoute des appels de ses subordonnés. Car oui, le père de Cheryl était le shérif de la ville.

 

Je savais aussi que la fenêtre de la chambre de Cheryl fermait mal. Elle en parlait souvent, car ça l’inquiétait. Elle craignait toujours qu’un stalker profite de ça pour abuser d’elle la nuit. Son père l’avait fait réparer à plusieurs reprises, mais le problème venait d’une malformation de l’encadrure de la fenêtre. Et ça impliquait d’effectuer des travaux nécessitant de refaire une bonne partie de la cloison pour que ce problème appartienne au passé. Et malgré son statut aisé, le père de Cheryl se refusait à faire des frais aussi importants, précisant que de toute façon, personne ne serait assez fou pour venir dans la maison du shérif de la ville. Ce fut sa plus grande erreur. C’est ainsi qu’un soir d’Halloween, alors que le shérif était seul comme à son habitude, et que la fête battait son plein en ville, je me suis éclipsé de la compagnie de mes frères et sœurs discrètement, disant que je ne me sentais pas bien, et que je rentrais pour me reposer.

 

Je m’étais muni d’un couteau de cuisine au préalable, et je me suis rendu à la maison de Cheryl, passant par la fenêtre de sa chambre. Son père était assis près du poste de radio qu’il possédait, discutant avec son adjoint. Je m’étais fait discret et étais parvenu à me poster juste derrière lui, sans qu’il se rende compte de ma présence. Je lui ai planté la lame à l’arrière du crâne, le traversant, et ressortant par l’un des yeux. Du sang avait giclé en masse sur le poste de radio, et le shérif s’écroulait sur le bureau où il se trouvait. Je ressortais la lame, et repartait par où j’étais venu. Devant moi, je le vis alors. Le PumpkinMan. Il souriait en me regardant, s’approchant. J’étais tétanisé par la peur en découvrant que les histoires le concernant étaient bien réelles. A ce moment, sachant ce que j’avais fait, j’étais persuadé qu’il allait me tuer pour mon acte, le jour d’Halloween.

 

 Mais il s’est contenté de poser son doigt sur mon front. J’ai ressenti une forte douleur. Comme si on le brûlait au fer rouge. Puis, il s’est écarté de moi, me montrant la chambre de Cheryl, comme pour m’inviter à repartir. Je ne comprenais pas très bien, mais je ne voulais pas me poser plus de question, et je m’enfuyais, partant en direction de ma maison. Je nettoyais le couteau, le remettant à sa place, pendant que je mettais mon t-shirt taché de gouttes de sang sous le tas de linge à laver. C’était moi qui me chargeais de cette corvée. Personne ne saurait rien de ce qui s’était passé.

 

J’avais du mal à croire que le PumpkinMan, malgré sa réputation de punir ceux qui salissaient l’esprit d’Halloween, ai pu me laisser la vie sauve. Mais j’allais vite découvrir le pourquoi de cet acte, qui allait plonger ma famille dans la terreur et un malheur encore plus terrible que celui dans lequel nous avions appris à vivre. La marque qu’il m’avait fait n’était visible que de moi. J’avais déjà pensé à une excuse pour expliquer sa présence, mais ni ma mère, ni mes frères et sœurs ne me firent part d’elle. Elle était composée d’un rond comportant plusieurs portions. Et dès Halloween suivant, je découvrais sa « fonction ». Mon grand frère fut le premier. A l’heure exacte où j’avais tué le shérif l’année précédente. Il est tombé d’un coup sur le sol, sans raison, alors que nous étions en pleine rue, tremblant de convulsions lui faisant cracher des gerbes de sang qui ne semblaient pas s’arrêter.

 

Il ne fallut que quelques minutes pour qu’il ne bouge plus. Mort d’un mal inconnu. Le lendemain, devant le miroir de la salle de bain, je vis qu’il manquait une portion de la marque sur mon front. Je comprenais que les portions correspondaient au nombre exact des membres de ma famille. Soit 5 portions. Autrement dit, mes 2 frères, ma sœur et mes parents... A Halloween suivant, ce fut mon père qui mourrait dans sa cellule. Exactement de la même manière, tel que l’avait indiqué les agents chargés de signifier à ma mère son décès. Puis, ce fut le tour les années suivantes de ma sœur, mon 2ème frère, et enfin ma mère. A ce moment, la marque sur mon front avait totalement disparue. Je restais le seul survivant. Seul avec la culpabilité d’être responsable de la mort de ma famille, qui, année après année, sombrait dans la mélancolie, la tristesse et le malheur. Personne ne comprenait pourquoi le sort s’acharnait sur notre famille d’une manière aussi horrible, éradiquant les nôtres l’un après l’autre. Quelle faute avait-on commis pour mériter ça ? 

 

Mais moi, je savais pourquoi. J’étais responsable, mais je n’osais rien dire. Il aurait fallu que j’avoue que j’étais le meurtrier du shérif, ce qui aurait détruit psychologiquement ma mère, qui n’avait pas besoin de ça. Voir ses enfants partir l’un après l’autre était déjà terrible pour elle. Je ne voulais pas lui rajouter cette peine supplémentaire. Alors, je me suis tu pendant toutes ces années, voyant le désespoir grandir à chaque Halloween. Nous qui adorions cette fête, dès la mort de mon père, nous avons cessé de la fêter. Pour ma mère, nous étions victime d’une malédiction, nous avions mis en colère le PumpkinMan. Fêter Halloween ne ferait qu’augmenter encore plus sa colère. Elle espérait qu’en faisant cela, il pardonnerait à notre famille, bien qu’elle ne comprît pas ce que nous avions fait de mal, allant à l’encontre de l’esprit d’Halloween.

 

Seul moi connaissait la vérité. Et j’ai gardé ce secret pour moi jusqu’à maintenant, jusqu’à ce que je rédige cette lettre expliquant que j’étais le coupable, et que je me rende à la police, avouant mon crime. Bien évidemment, je n’ai pas parlé du rôle du PumpkinMan là-dedans. Personne ne m’aurait cru. Après ça, on m’a soupçonné d’avoir été à l’origine de la mort des membres de ma famille, bien que la police ne comprît pas de quelle manière. J’avais déjà été puni par la mort des miens, mais ça ne suffisait pas pour le PumpkinMan. Il fallait en plus qu’aux yeux de tous, je sois celui qui les avait tués aussi, achevant de me faire plonger mentalement. Parce que ma colère de voir mon père emprisonné pour une injustice m’avait fait faire un acte impardonnable, j’étais puni de la pire des façons. Et jamais je ne me pardonnerais pour ça. Jamais non plus je ne pourrais oublier le visage du PumpkinMan, dont j’entends le rire chaque nuit d’Halloween, comme un rappel de ma faute, au cœur de la cellule de l’asile où je séjourne encore aujourd’hui…

 

Publié par Fabs

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