22 oct. 2022

NIGHTMARE MAN

 


 

Je ne sais pas qui il est exactement. Je ne sais pas CE qu’il est. Mais je sais de quoi il est capable pour avoir vu de quelle manière il procède pour tuer. La première fois que j’ai aperçu sa silhouette dans les couloirs de l’école où mes parents m’ont intégré de force, j’ai cru être sujet à des hallucinations du au malaise que j’ai ressenti dès le départ dans cet établissement. Une sorte d’effets secondaires de ma frustration. Moi, je voulais faire des études dans la médecine, sauver des vies. Mais mes parents ont jugé que c’était une activité qui ne convenait pas à quelqu’un comme moi. Ils ne pouvaient accepter que je me salisse les mains pour permettre à des asociaux, des inconnus de conserver une vie qu’ils avaient gâchée. Je me devais d’apprendre les rudiments de l’art selon eux. Pour le prestige de notre famille.

 

Celle-ci comporte un grand nombre d’artistes, tous ayant une notoriété très importante, aidés en cela par des réseaux sociaux qui ont toujours favorisés notre caste sociale. Des sculpteurs, des musiciens, des peintres, des directeurs artistiques dans le théâtre ou l’opéra. Tous ont contribués à faire de notre famille l’une des plus en vue de la planète à travers leurs œuvres. Il était inconcevable pour mon père et ma mère de ne pas suivre la trace de mes oncles, mes tantes, mes cousins, et surtout mon frère. La fierté ultime. Celui qui est parvenu à hisser l’art contemporain au niveau des grands noms de la peinture. Certains critiques spécialisés ayant comparés ses œuvres à celles intemporelles de Monet, Gauguin, Renoir ou Rembrandt, en termes de qualité incontestable. Subjugués par sa manière de transposer le quotidien présent sur ses toiles à un summum de réalisme et de poésie.

 

Du coup, pour mes parents, il leur était impossible de concevoir que moi je n’ai pas hérité du même talent artistique. J’ai bien essayé de leur démontrer que je ne valais déjà rien en dessin. Alors peindre, c’était au-dessus de toute ambition de ma part dans ce domaine. Mais ils n’ont rien voulu savoir. Convaincus qu’ils étaient que mon talent ne demandait qu’à être réveillé, au sein d’une école digne de ce nom. Et la Delaware High School of Art and Graphics, qui n’existait pourtant que depuis quelque mois, jouissait déjà d’une solide réputation, et 10 des élèves y ayant étudiés étaient déjà sous les feux des projecteurs, par leurs aptitudes exceptionnelles dans l’art du dessin et de la peinture. Aux yeux de mes géniteurs, aucune autre école ne serait capable de me faire passer de vilain petit canard à celui de virtuose…

 

Mais au lieu de ça, ils n’ont fait que m’envoyer en plein cœur du nid d’un monstre ne voyant dans les « artistes » en herbe y officiant, que des mets de choix pour ses pulsions meurtrières, et sa soif de peur. Bien que les instances de l’école aient pu parvenir à masquer la vérité aux yeux des médias, à coup de pots de vins, et de silence acheté auprès des parents des élèves victimes de cette créature, certaines rumeurs avaient pu fuiter sur le net. Des rumeurs dont mes parents se moquaient bien, prétextant qu’il ne s’agissait que de ragots, inventés de toutes parts, et visant à discréditer une école aux résultats bien plus probants que d’autres écoles étant installées dans le milieu artistique depuis bien plus longtemps.

 

Mais ce que je pris au départ pour la personnification d’une légende bien connue du creepypasta, l’Homme au Chapeau, créé par mon cerveau avide de ces histoires, sous la forme de visions, s’est révélé bien plus terrible que ce personnage phare des récits horrifiques sévissant sur le net, et relayés sur des plateformes de vidéos, tel YouTube, à travers la voix de conteurs, ou de spécialiste du Paranormal. Aujourd’hui, comme beaucoup d’autres comme moi je pense, je serais incapable de vous dire si le Hat Man existe réellement. En revanche, celui que j’ai pris au départ pour lui, le Nightmare Man, le nom que je lui ai donné, s’est révélé être bien réel. Et j’ai eu le malheur de me trouver sur son terrain de chasse. Et pire encore. De voir de mes yeux la réalité derrière ce que j’ai pris pour un chapeau sur le dessus de son crâne. Alors que ce n’était rien d’autre qu’un assemblage de monstruosités, tout aussi horrible que l’être de cauchemar sur lesquels elles se trouvaient…

 

Cette école, ce lieu, ce n’était que des territoires permettant à cette horreur vivante de se nourrir. Un garde-manger contenant une substance particulière dont elle était très friande. La peur. Ou plutôt l’essence de peur, telle qu’il me semble plus logique de la désigner, car cette créature, ce monstre, le Nightmare Man, il puise ce dont il a besoin non pas par le biais de la peur ressentie à sa vue, mais par celle qu’il créé de toutes pièces en faisant naitre des rêves peuplés des angoisses les plus profondes habitant dans les victimes de ses attaques nocturnes. Comment je le sais ? Parce que je l’ai vécu un court instant. Et si je peux vous raconter mon histoire aujourd’hui, et la réalité de l’existence de cette abomination qu’est le Nightmare Man, c’est parce que je suis parvenu à me défaire de son emprise. J’ai réussi à faire échouer sa tentative de me tuer de l’intérieur, en succombant à mes peurs.

 

Je vous vois venir. Je sens votre incrédulité à cause des mots que je viens de vous fournir. Non, je ne vous ai pas fait la description de Freddy Krueger, et non je ne fais pas partie de ces jeunes attardés, fanas d’horreur, et incapable de faire la différence entre fiction et réalité, au point de croire qu’un personnage inventé et n’existant réellement que sous forme d’encre couchée sur le script d’un film pour le cinéma, soit sorti de mon imagination débordante. Au point de croire le voir devant moi, alors qu’il n’y a rien d’autre que des murs, ornés d’une tapisserie de très mauvais goût. Un comble pour une école artistique. Je peux vous assurer que, contrairement au tueur d’Elm Street, le Nightmare Man est très loin d’être le résultat d’un grand nombre d’heures à mater des films d’horreur pour un cerveau fragile et influençable.

 

Je n’irais pas jusqu’à prétendre que le QI de mon cerveau vaut bien plus que la plupart des amateurs d’horreur. Ce serait me fustiger moi-même, vu que j’adore effectivement ce genre cinématographique. Néanmoins, ce que j’ai vu au sein de cette école, et à qui j’ai échappé, grâce à mon discernement d’avoir su faire la part de ce qui était réel, et créé par ce monstre, au sein même du cauchemar qui m’habitait au même moment, je ne l’ai pas inventé. Et j’ai des marques sur le corps pour le prouver. Ces mêmes marques que les médecins ont conclu êtres le résultat d’automutilations faites par des esprits instables et névrosés, n’ayant pas supporté le rythme imposé par les professeurs de cette école. Quelle bande d’imbéciles ! Ils ont pourtant vu les notes de ces mêmes élèves qu’ils n’ont pas hésité à traiter d’adolescents au cerveau dérangé. 

 

Certaines de ces victimes possédaient même les meilleurs scores de l’école. J’en suis d’ailleurs à me demander si ce c’est justement pas ce niveau d’intelligence qui a attiré le Nightmare Man vers eux ? Ce n’est pas impossible. Mais si je m’en tiens à cette explication de choix de ses cibles, il y a une exception. Moi. Étant très loin des capacités de ceux et celles ayant finis par succomber à leurs propres peurs, par la main de ce cauchemar sur pieds. Mais me concernant, le fait qu’il se soit attaqué à moi, c’est dû au fait que j’ai été en mesure de le voir. J’ai vu son ombre se prolonger sur les murs, sur le sol des couloirs de l’école, en pleine nuit. J’ai entendu le bruit caractéristique de ses déplacements. Comme ceux d’un vieillard impotent, ne pouvant soulever ses pieds, et les faisant glisser sur le sol, provoquant des grincements. Mais malgré ce bruit qui m’avertissait de sa présence, et donc du fait qu’il venait pour choisir une autre victime à sa faim, je semblais être le seul à pouvoir l’entendre.

 

Je n’ai jamais vu une porte de chambre s’ouvrir, faisant sortir un élève, ou un professeur, désireux de savoir l’origine de ces couinements à la limite du supportable. Je ne sais pas ce qu’il y a en moi qui me permette de savoir quand il est là. Peut-être est-ce un don enfoui en moi. Une gêne héritée d’un de mes ancêtres, dont mes parents auraient omis de me parler, car le jugeant ridicule, et résultant des propos d’aïeuls qu’ils préféraient oublier. Mais le fait est là : j’ai ce pouvoir. J’ai en moi cette faculté de déceler la progression du Nightmare Man en ces lieux. J’ai ma propre interprétation de l’impossibilité de cette créature de ne pouvoir se mouvoir comme tout autre bipède, normalement constitué. Je pense que c’est dû à ce qui compose ce que je pensais être un chapeau sur le dessus de la tête de ce monstre. Le poids représenté par les excroissances qui le forme doit être conséquent, et oblige le Nightmare Man à n’avoir d’autre choix que de « traîner la patte » pour avancer. Mais il serait bon de vous indiquer comment je me suis retrouvé pris dans ce cauchemar, celui-ci ayant débuté le lendemain soir de mon arrivée au sein de l’école…

 

Il était 23 heures passées, et comme bien souvent, le sommeil refusait de s’installer en moi. Dans ces moments-là, je me plonge dans la lecture, en attendant que mes yeux m’indiquent qu’ils sont arrivés au bout de leur position de rebelles. Des livres d’horreur bien évidemment, étant les seuls à trouver grâce à mes yeux. Ce qui avait toujours eu le don de provoquer des soupirs de la part de ma mère, qui ne comprenais pas l’attrait que j’avais envers ce genre littéraire, plutôt que les classiques de la littérature, comme mon frère. Toujours cette comparaison avec mon ainé. Mes parents ont cette sale manie de se servir de lui comme modèle à atteindre de ma part. Ils n’arrivent pas à se mettre dans la tête que des frères peuvent être différents sur plusieurs points. Pour eux, génétiquement, il est impensable que je ne dispose pas des mêmes centres d’attention que celles de mon frère. Lui, il adore les drames et les comédies romantiques. Sur les conseils de mon père, et pour faire plaisir à ma mère également, j’ai tenté une fois de lire ce style littéraire. Et ça n’a fait que me provoquer des bâillements et de l’ennui.

 

Ça peut surprendre certains, mais moi, lire les exploits d’un tueur en série, les aventures d’un groupe d’ados faisant la chasse aux monstres, c’est bien plus grisant et passionnants que les livres de Danielle Steel dont mon frère raffole. Mais ça, c’était avant que je découvre que les monstres des livres qui donnaient des étincelles à mes yeux, et faisaient vibrer mon imagination, n’étaient peut-être pas tous issus du cerveau d’un romancier populaire. C’était avant que je découvre que des monstres existaient dans le monde réel, et qu’ils ne pouvaient être vus que par certaines personnes. Pour toutes les autres, qui ne pouvaient les percevoir, ne faisant qu’assister aux morts dont ils étaient la cause, et à priori incompréhensible pour des esprits cartésiens, les monstres nous entourant n’étaient que des légendes, de histoires pour faire peur aux personnes faibles d’esprits et aux enfants. Dans le monde réel, les monstres n’existaient pas, ça ne faisait aucun doute dans leur esprit.

 

Et j’étais comme ça moi aussi. J’avais ce sentiment que des créatures tel qu’on en voit dans les romans et les films d’horreur, n’avaient aucune chance viable de pouvoir exister. Ne serait-ce que par leur composition anatomique, la capacité supposée de leurs os à se transformer. Ce qui était scientifiquement impossible. Mais ce soir-là, j’ai très vite compris que j’étais dans l’erreur. C’est là que j’ai entendu la première fois ces couinements sur le sol caractéristique de SON arrivée. Pensant qu’il s’agissait de ce bon vieux Milton, le garde de nuit, qui avait bien du mal à monter les genoux pour marcher, au début, je n’ai pas vraiment fait attention. Et puis, il y a eu les cris de Finn. Il y avait une telle terreur dans sa voix, que j’avais l’impression de sentir se dresser l’intégralité de mes cheveux sur la tête. Mais c’est surtout le silence qui a suivi qui était encore plus angoissant. Un silence de mort. J’ai entendu juste après une multitude de pas courant dans le couloir, se dirigeant vers la chambre de Finn. Je suis sorti au même moment. Et, alors que la plupart des élèves et des professeurs présents se trouvaient auprès de Finn, c’est là que j’ai vu son ombre se projeter sur le mur du fond. Se déplaçant lentement, et avec ces mêmes couinements entendus auparavant…

 

Piqué par la curiosité, j’ai voulu savoir qui pouvait bien avoir l’idée de se rendre dans la direction opposée aux cris de Finn, et je me suis rendu vers le couloir où se trouvait l’instant précédent cette ombre. L’ombre d’un homme de grande taille, et affublé d’un chapeau sur la tête. Mais une fois arrivé à l’intersection, j’eus beau regarder, il n’y avait aucune personne avec un chapeau déambulant dans les couloirs. Il avait comme disparu. Une impression qui se confirmerait plus tard en demandant à d’autres élèves venant d’autres ailes de l’école, et qui auraient du normalement le croiser, s’ils avaient vu un homme un peu étrange, portant un couvre-chef sur la tête. Mais tous m’affirmèrent qu’ils n’avaient croisés personne ce soir-là. Je ne m’étais pas mêlé à la foule incessante voulant savoir pour quelle raison Finn avait crié avec une telle force. Comme si on l’avait plongé vivant dans une cuve de liquide en fusion. D’abord parce que ça ne servait à rien d’être tous dans la chambre, et ensuite parce que je n’avais pas vraiment d’affinité avec Finn.

 

Pour vous le situer, Finn c’était la tête pensante de l’école. La fierté de tous les professeurs. Jamais une notation en dessous du A. Autant vous dire que dès la nouvelle de sa mort a été annoncée, ce fut un énorme choc au sein de l’école. Et plus encore les causes de la mort. Si au début certains optaient pour une crise cardiaque, ce qui, au vu de son jeune âge, était improbable, mais possible ; le diagnostic final eu tôt fait de soulever des questions de tout ordre. Finn était mort d’un œdème cérébral. Autrement dit, pour une raison inconnue, son tissu cérébral avait enflé, du fait de l’accumulation d’eau dans les tissus cérébraux, et poussant contre les parois du crâne. Normalement, c’est quelque chose qui est soignable s’il est pris à temps. Mais dans le cas de Finn, et de manière inexplicable, cet œdème s’était formé de manière accélérée, par le blocage du liquide céphalorachidien, et entrainant la mort ? tel que l’a montré l’autopsie peu après l’évacuation du corps en dehors de l’école par les services d’urgence appelés immédiatement après que les professeurs s’étant rendus dans la chambre, aient constatés que Finn ne bougeait plus, et avait les yeux révulsés.

 

Certains ont ironisé par la suite, disant que Finn était tellement intelligent que son cerveau n’avait pas supporté la pression exercée par les connaissances accumulées, mais ce genre de blagues fut vite dénoncé, et les mauvais plaisants punis sévèrement pour irrespect envers un camarade décédé. Il ne fut pas le seul à rejoindre les limbes de cette manière, créant un climat de peur au sein de l’école qui allait en grandissant au fur et à mesure que les morts s’accumulaient, à un rythme régulier. Un par mois. Chaque mois, une nouvelle victime était à déplorer, avec les mêmes constations quant aux causes de la mort, sans que personne ne puisse comprendre ce qui pouvait provoquer ces œdèmes. Pour les médecins, comme pour les professeurs, c’était incompréhensible. Et à chaque fois, c’était un élève apprécié et bien noté qui était touché. D’autres rumeurs prirent forme, parlant d’une sorte de virus des « intellos », ce qui faisait sourire les moins bien lotis par le système de notation, se disant qu’il étaient à l’abri de l’IntelloVirus, tel qu’il était désigné par les élèves de l’école.

 

Mais moi, je savais que c’était autre chose. 5 élèves au total furent touchés durant cette période. Et pour 3 d’entre eux, j’avais entendu ce couinement sur le sol, et vu cette ombre. Cet homme mystérieux au chapeau qui était dans le couloir au même moment qu’un nouveau corps d’étudiant avait été trouvé dans sa chambre, juste après que des cris de terreur aient été entendus au travers de l’école. Pour les deux autres, si je n’ai rien entendu, c’était parce que les élèves touchés se trouvaient dans une autre aile de l’école, loin de celle où je me trouvais. Et un soir, j’ai à nouveau entendu ce grincement sur le parquet. Dès lors, je savais que l’homme responsable de ces morts, car cela était devenu une évidence pour moi, s’apprêtait à faire une nouvelle victime. J’ai bien tenté de parler au directeur de l’établissement de cet homme, dont je n’avais vu que l’ombre se déplaçant sur les murs.

 

Mais au vu de ma description sommaire, je n'ai eu pour réponse que le fait que j’avais dû être choqué par toutes ces morts, et que cela m’avait provoqué des hallucinations. Afin de trouver une autre explication que celles ayant conclues à la mort des étudiants. Selon lui, je n’acceptais pas ces morts, malgré moi. Mon cerveau créait cette impression d’ombre. Qui plus est, le directeur m’indiquait qu’aucun adulte dans l’école ne portait de chapeau. Et il était impossible qu’un étranger ait pu pénétrer au sein de l’école. Dès la nuit tombée, les portes étaient automatiquement fermées par la sécurité, et le moindre forçage d’une porte ou d’une fenêtre déclencherait l’alarme. Sans compter qu’il y avait un garde de nuit, au cas où…

 

Comprenant que personne ne porterait crédit aux divagations d’un simple élève, soi-disant perturbé par les morts de ses camarades, je savais qu’il me faudrait prouver que je n’étais pas fou, et qu’il y avait bien quelque chose qui tuait les élèves de l’école, en usant de je ne savais quel outil pour provoquer ces morts qui n’avaient pas de sens logique. Ainsi, quand j’ai entendu à nouveau ce bruit caractéristique, je suis sorti de ma chambre discrètement, et j’ai suivi à l’oreille l’origine de la « marque » de présence de l’assassin. A ce moment, je pensais qu’il s’agissait d’un être humain, un malade qui était parvenu à déjouer le système de sécurité, et qui, pour une raison que j’ignorais, s’était mis en tête de décimer certains élèves de l’école. C’est ainsi que j’ai vu que le meurtrier n’avait rien d’humain. 

 

Suivant les sons des pas, j’ai aperçu l’ombre projetée sur les murs, et l’ai suivi, m’appliquant à faire le moins de bruit possible. De loin, dans la pénombre, je ne voyais pas très bien ce qu’il était, toujours convaincu que c’était un homme. Jusqu’à ce que je voie de quelle manière il pénétrait dans les chambres. Il n’ouvrait pas la porte. Il passait à travers. Littéralement. A cet instant, je me suis frotté les yeux, me pinçant même, pour vérifier que je ne rêvais pas. Aucun homme ne pouvait traverser les murs. Même un magicien avait un truc pour simuler l’illusion de faire quelque chose de similaire. Un jeu de miroir, ou quelque chose comme ça. Mais ici, il n’y avait rien de ce genre. L’Homme était vraiment passé à travers la porte, comme s’il était immatériel, ou que la porte se décomposait à son contact. Bien que terrifié, je voulais en savoir plus, espérant obtenir le comment de ces morts, et peut-être une preuve de l’existence de cet être que je savais désormais ne pas être un humain.

 

Je me posais des dizaines de questions : démon ? Fantôme ? Extraterrestre ? Le seul moyen de le savoir, c’était de voir ce qui se passait dans cette chambre. Je me suis donc approché, regardant par la lucarne de la porte, afin de vérifier où se trouvait le meurtrier irréel, et j’ai pu assister à une scène cauchemardesque, dont la vision me marquerait de façon indélébile. S’il avait une allure humaine, portant une sorte de long manteau noir, masquant ses pieds, et dont les manches cachaient également une grande partie de ses mains, elles-mêmes semblant parés de gants noirs, il en était autrement de sa tête… Ce que j’avais pris pour un chapeau montrait des signes d’agitation, alors que l’être se trouvait sur le côté droit du lit où dormait Willy, sa victime du mois. Le « chapeau » se décomposait en des dizaines de protubérances, des tentacules ou quelque chose de ce style. Dans l’obscurité, il m’était encore à ce moment difficile de distinguer exactement ce que c’était. Les excroissances se dirigeaient vers Willy, et, en plusieurs endroits, se collèrent sur son corps, telles des ventouses.

 

Ces dernières semblaient s’agiter plus une fois en contact avec le corps de Willy, et je voyais ce dernier se parer de convulsions de plus en plus importantes, comme s’il était atteint de douleurs très fortes. Malgré tout, il ne réveillait pas, il ne criait pas. Pas encore. C’était comme si la créature bloquait les sons pouvant découler de cette attaque. J’ignorais ce qui se passait réellement, mais je comprenais très bien que Willy allait rejoindre le rang des victimes. C’est au même moment que j’ai signalé malgré moi ma présence à la créature s’emparant de la vie de Willy. A cause de la peur ressentie, j’avais pressé le bois de la lucarne où j’observais tout, et j’arrachais un morceau de bois, dont l’extrémité s’enfonçait dans un de mes doigts, et me faisant libérer un léger cri de douleur. J’avais beau tenté de l’étouffer le plus possible, j’ai vu, en regardant à nouveau à travers la lucarne, que la créature avait tourné la tête en direction de la porte. Elle m’avait vu, j’en était certain. Paniqué, j’ai couru aussi vite que j’ai pu, me dirigeant vers ma chambre située dans un des couloirs un peu plus loin. Dans le même temps, j’ai entendu les cris de Willy. Signe que la créature était en train de l’achever. Comme les autres avant lui.

 

Arrivé à ma chambre, je m’enfermais à l’intérieur. Par instinct, je poussais ma commode contre la porte. Un geste désespéré, sachant pertinemment que la créature pouvait passer à travers la matière.  Je me recroquevillais contre la barrière de fortune ainsi établie, tremblant de partout, pendant que j’entendais le même manège qui avait eu lieu pour les autres morts. Des bruits de pas lourds envahissaient les couloirs, en direction de la chambre de Willy. Mais comme pour les autres, les professeurs et les élèves ne trouveraient qu’un corps sans vie. Mort d’un œdème cérébral, sans plus d’explication logique que les précédentes victimes. L’autre élément qui avait interloqué ceux chargés de l’autopsie, dans l’hôpital situé un peu plus en contrebas de l’école, c’était cette forme de terreur profonde dans les yeux des victimes. Ils n’avaient pas su l’expliquer, et pensaient que c’était dû au fait de la peur de mourir, à cause de l’œdème brutal et rapide. Mais après ce que j’avais vu, je savais que c’était dû à ce que faisait subir cette chose à ses victimes, par l’intermédiaire de ces excroissances que j’avais pris pour un chapeau, à cause de la pénombre qui m’avait jusqu’alors empêché de le voir distinctement.

 

Sans que je sache vraiment comment l’expliquer, j’avais le sentiment que je serais le prochain à recevoir la visite de cet être de cauchemar. Ce qui me rassurait, c’était que cela n’arriverait que le mois suivant, la créature respectant un cycle régulier. Peut-être que cet espace entre les attaques était le temps qu’il lui fallait pour « digérer » ce qu’il aspirait à ses victimes. Mais quoi ? Les rares renseignements qu’on avait pu obtenir ne parlait pas qu’il manquait quoi que ce soit du corps des victimes. Ni organe interne, ni membre, ni sang, ni quoi que ce soit qui aurait pu servir de nourriture à ce monstre. Dès lors, la seule solution possible était que cette créature se nourrissait de la peur engendrée par ces tentacules disséminées sur le corps de ses proies. Je ne savais pas encore le processus exact, mais j’étais persuadé, surtout au vu de la révulsion des yeux des victimes, telles qu’elles avaient été indiquées par les rapports d’autopsie, et relayés dans la presse locale, qu’il ne pouvait s’agir que de cela. Et très bientôt, je connaitrais de près ce processus, pour le subir moi-même…

 

Un mois. Il me restait un mois pour trouver une parade à ce monstre. Un mois pour découvrir ce qu’il était, pourquoi il était là, pourquoi il s’en prenait à des adolescents, plutôt que des adultes. Un mois pour trouver le moyen de le faire fuir. Je profitais donc de ce laps de temps pour tenter de comprendre à quoi j’avais affaire, à travers l’historique de l’école. Par ces recherches, j’apprenais qu’avant que cet établissement soit construit, il y avait un hôpital. Un hôpital qui avait été sous le feu des projecteurs à cause de nombreux décès survenus en son sein, et dont les victimes étaient de jeunes enfants. Uniquement des enfants. Aucun adulte n’avait été atteint par ce « phénomène ». Chaque mois, un enfant hospitalisé était trouvé mort dans son lit par les infirmières de l’établissement. Chacun d’entre eux avait succombé à un œdème cérébral, et avait le visage marqué par des yeux révulsés. Comme s’ils avaient été soumis à une frayeur immense. Une enquête fut menée à la demande des parents ayant subis ces pertes.

 

Il fut découvert que le directeur de l’hôpital et quelques-uns des membres du personnel, dont des médecins réputés, s’adonnaient à un trafic d’organes humains et de médicaments contenant des stupéfiants. Bien qu’ils se soient défendus ne pas être responsable des morts des enfants, mais reconnaissant prélever, sans l’accord des familles, des organes sur d’autres patients décédés, qui, eux, l’avaient été de manière naturelle, tous les responsables du trafic furent reconnus coupables de crimes volontaires sur de jeunes enfants, et incarcérés. L’hôpital n'ayant pu trouver de repreneurs, du fait de sa réputation ternie, ce dernier fut fermé, et les personnes en traitement transférées vers d’autres hôpitaux de la région. Le matériel fut dispersé à ces mêmes hôpitaux, et le bâtiment détruit. Pendant 12 ans, le terrain resta vierge de toute construction. Jusqu’à ce que l’école où je me trouvais fut érigée sur les ruines de l’ancien hôpital.

 

En poussant mes recherches vers d’autres sites plus spécialisés dans le Paranormal, je trouvais un article parlant de ce fameux hôpital. Un article où il était indiqué que l’endroit où se trouvait l’édifice hospitalier était connu autrefois pour abriter sous son sol une des portes de l’Enfer. Une porte qui fut scellée par un ordre mystique en des temps anciens. Néanmoins, par crainte, les habitants de la région ont appris à tenir compte de ces rumeurs de porte de l’enfer. Aucune culture ne pouvait pousser, et les animaux paniquaient quand ils passaient à proximité. Malgré cela, le terrain fut acheté par un groupe financier, désireux de s’établir dans la région, faisant construire l’hôpital, ainsi que divers bâtiments d’entreprises autour. Des travaux qui, dit-on, aurait provoqués une faille sur la Porte. Faille dont aurait profité une créature pour se glisser dans notre monde, lors de l’édification de l’établissement hospitalier. Quand les morts commencèrent à se faire connaitre, les entreprises autour décidèrent de partir les unes après les autres, ne voulant pas subir la mauvaise publicité dû à la réputation en chute libre de l’hôpital.

 

Ce dernier fut le seul à rester, avant de devoir fermer ses portes à son tour. Personne ne sait vraiment ce qu’est cette créature, mais il existe quelques témoignages de personnes ayant indiqué la présence d’un médecin curieux, qui déambulait la nuit, et portant un chapeau sur la tête. Mais la direction, interrogé à la suite de l’affaire, a affirmé qu’il n’existait aucun médecin ayant l’habitude de porter un chapeau parmi les membres du personnel. Finalement, il a été conclu que ces témoignages n’avaient pas de légitimité, car venant de personnes étant sous l’effet de médicaments leur ayant provoqué des hallucinations. Pour les enquêteurs, seuls le Directeur et ses complices étaient responsables des morts, et furent déclarés coupables à la suite d’un procès très médiatisé.

 

A la lumière de toutes ces informations, j’en savais un peu plus sur les raisons de la présence de cette créature, mais pas vraiment sur ce dont elle se nourrissait exactement, et le processus qui faisait mourir de cette façon ses victimes, leur procurant une terreur visible dans leurs yeux. J’eus beau consulter toutes sortes de documents, anciens ou récents, rien ne mentionnait une créature ayant des protubérances sur la tête, se collant entre elles de manière à faire penser à un chapeau par l’ombre projetée, se déplaçant d’une façon très particulière, et capable de traverser la matière. Ce monstre était totalement inconnu de la part des spécialistes. La raison semblait évidente : elle était rattachée à ce lieu, ce terrain. Comme si elle ne pouvait quitter un périmètre défini. Sachant qu’avant que la porte de l’enfer supposée fut scellée, des travaux avaient provoqué cette faille, faisant surgir cette créature, il était envisageable de penser qu’une sorte de barrière entourait la porte, empêchant les créatures pouvant sortir d’aller plus avant. Cela expliquait la raison pour laquelle certaines ailes de l’école n’avaient pas été touchées par les visites de celui que j’appelais désormais le Nightmare Man. En rapport à l’état des yeux terrifiés des victimes…  Je n’imaginais pas encore à quel point ce nom était on ne peut plus justifié, en regard de la manière de tuer ses proies…

 

Durant le reste de temps me séparant de la période de « repas » du Nightmare Man, je suis allé sur nombre de sites traitant du paranormal, des sciences occultes, des rapports de chutes de météorites, de catastrophes naturelles, pouvant expliquer l’existence de la Porte de l’Enfer. Mais je devais bien me rendre compte à l’évidence. Cette Porte semblait bien être tout sauf naturelle, et la créature qui en était sortie était on ne peut plus réelle et mortelle. J’ai voulu user de fausses excuses auprès de mes parents, pour les décider à me faire partir de l’établissement, disant que je n’arrivais pas à suivre le rythme, et que ça n’était pas la voie qui me plaisait, rien n’y fit. Quant à filer en douce, non seulement il me serait impossible de contrer le système de sécurité, mais je ne ferais que déclencher la colère de mes parents, une fois que ceux-ci auraient appris mon « évasion », et encore plus si je faisais l’erreur de leur parler de la créature. Ça les inciteraient encore plus à me laisser ici.

 

Alors, je me faisais lentement à mon sort, sachant que je deviendrais la prochaine mort à ajouter au palmarès morbide de cette école, qui parvenait encore à convaincre les parents à ne pas ébruiter dans les médias la mort de leurs enfants en son sein. Et finalement, le mois s’était écoulé, et comme d’habitude, je ne parvenais pas à trouver le sommeil. En fait, c’était même pire, car même la lecture ne pouvait me faire oublier que ce soir le Nightmare Man allait me faire passer de vie à trépas. Il était Minuit passé quand j’entendis les couinements indiquant sa venue. Et de la même manière que les mois précédents, je semblais être le seul à pouvoir discerner cette « marque » de la créature. Je supposais que ses précédentes victimes ne devaient se rendre compte de rien, jusqu’à ce qu’elles soient « reliées » à ce monstre.

 

Au bout de quelques minutes, je le vis traverser la porte de ma chambre, d’une façon aussi naturelle qu’un humain passe sous le porche d’un camp de vacances. Mais je sentais son étonnement de me voir l’attendre, sans chercher à fuir. Jusqu’à présent, je n’avais vu dans ses déplacements qu’une lenteur évidente. Mais n’ayant pu trouver de renseignement utile sur ce monstre, j’ignorais si c’était son seul mode de se mouvoir. Il pouvait déjà traverser les murs, peut-être était-il capable de voler, ou de m’envoyer des éclairs lors de ma fuite…

 

Un temps hésitant, sans doute à cause de mon comportement qui devait lui être surprenant, et au vu de ses victimes habituelles ne le voyant pas, il continuait de s’approcher malgré tout, se trouvant rapidement sur le côté de mon lit. Je ne bougeais pas. Attendant mon sort, je décidais de voir le visage de celui qui allait faire finir mon existence. Mais en fait, il n’y avait rien à voir. En tout cas, presque rien. Ce n'était pas un visage. Tout juste deux cavités faisant office de yeux, d’un noir opaque, et des traces pouvant être interprétés comme un semblant de nez. Aucune bouche, aucune oreille. Le seul point vraiment distinct étaient des sortes de lueurs rouges clignotant parfois à ce qui semblait être une texture proche d’une peau humaine, mais en plus foncée. Tout à mon observation, mon regard fut bientôt attiré par le mouvement fait par son faux chapeau. Ces excroissances qui, de près, me faisaient plus penser à des sortes de serpents, dont les corps tubulaires s’illuminaient de la même façon que le « visage », et pourvu d’une ventouse, comme les tentacules des poulpes.

 

Je sentais le contact froid des serpents de chair sur mes bras, mes jambes, mon torse, mon cou, mes oreilles, mes joues, ma tête. Puis je ressentais une étrange sensation qui devait provenir des tentacules. Comme si un produit était déversé dans tout mon corps. Pour autant, aucun des tissus de ma tenue n’était déchirée pour permettre cette « invasion ». Cela devait être le même phénomène qui permettait à cette créature de passer à travers la matière. Elle avait le pouvoir de choisir ce qu’elle devait traverser ou toucher. Très vite, j’avais l’impression de me trouver en état de transe : mon cerveau me faisait voir un paysage dont les couleurs se chevauchaient l’une après l’autre, se mêlant, se distordant, avant de prendre des teintes uniformes, et créant une sorte de monde à part. Et venant du lointain de ce monde virtuel, qui ne devait exister que dans ma tête, selon le vouloir du Nightmare Man, je voyais l’une de mes plus grandes frayeurs prendre forme devant moi, me tétanisant sur place.

 

Une mante religieuse. La plus énorme que j’avais jamais vue de ma vie. Je sais que ça peut paraitre ridicule, mais j’ai toujours été terrorisé par l’aspect de cette bestiole, depuis le jour où l’une d’entre elle est venu s’installer sur mon visage, lors d’un séjour dans un chalet loué pour le week-end par mes parents. Je ne sais pas pourquoi, mais à plusieurs reprises, j’ai repoussé de la main l’insecte, et il revenait se positionner sur mon visage, comme s’il me défiait directement. J’ai hurlé, et finalement mon père l’a chassé à coup de journal, avant de l’écraser. Fièrement, il m’a montré ce qu’il restait de la Mante Religieuse, me disant que je ne devais pas avoir peur d’une bestiole aussi insignifiante. Et à cet instant, j’ai hurlé encore plus fort, obligeant ma mère à demander à mon père de sortir avec le cadavre de la mante. J’en ai gardé une profonde aversion, cela fait partie de mes peurs les plus enfouies à l’intérieur de mon être.

 

Et c’est justement cet insecte qui se trouvait devant moi, mais avec une taille disproportionnée. Il n’y avait pas que ça. Sans doute pour parfaire le tout, le paysage se transformait, et devenait cette chambre où j’avais vécu cette peur étant enfant. N’osant pas bouger, je fus secoué de ma presque léthargie face à cette mante géante, lorsque cette dernière lançait l’une de ses pattes dans ma direction, et touchant ma jambe, y laissant une entaille profonde. Ce n’était pas un rêve ordinaire. J’avais l’impression de ressentir la douleur réellement. Comme si ce monstre avait été projeté dans la réalité. Et chaque coup de ce cauchemar pouvait être fatal. Je sentais bien que ce n’était qu’un coup de semonce. C’était juste pour m’indiquer ce qui m’attendait. Pour les prochains, la mante userait certainement de moins de diplomatie…

 

C’est alors qu’un affrontement comme jamais je n’en aurais imaginé s’enclenchait entre l’insecte géant et moi. Plusieurs fois, je reçus des coups, me blessant plusieurs parties du corps. A chaque fois, j’évitais de justesse de me prendre un geste fatal, usant de l’espace se trouvant autour de moi pour échapper à cette diablerie. Mais il y avait autre chose qui se déclenchait. Plus l’affrontement durait, plus la peur en découlant me faisait perdre des forces. C’était comme si à chaque moment où ma peur augmentait face à ce monstre, cela donnait plus de puissance à cet ennemi immense. Comme s’il absorbait ma peur, pour le transformer en une forme d’anémie, qui ne pourrait aller qu’en grandissant. 

 

Plus j’aurais peur, plus je tomberais à sa merci. Et je sentais bien que si je mourrais dans cet espace, je finirais comme les autres. Les yeux révulsés, mon cerveau arrêtant de fonctionner, à cause de cette même peur. C’était cela le processus utilisé par le Nightmare Man. Il se servait de nos peurs profondes, pour les utiliser comme arme, et dévorer l’essence de peur qui était créé par mon corps dans ce monde, affaiblissant peu à peu ses proies, jusqu’à ce qu’elles ne soient plus en état de lutter, et sombre dans le néant. Plus que la peur, il se nourrissait de la perte de tout espoir ressenti en voyant notre fin approcher. C’était d’un sadisme intense, comme rarement des créatures pouvaient en être capable. J’étais un jouet entre les mains de ma propre peur. Les autres victimes devaient être tellement terrorisées de se retrouver dans un monde recréé à l’image de leur peur profonde, qu’ils devaient chuter rapidement dans le désespoir, et leurs cris venaient du coup fatal porté par le monstre ou la personne représentant leur plus forte angoisse.

 

Seulement moi, j’avais un avantage. Les autres n’avaient pas connaissance du Nightmare Man. Ils avaient été pris au dépourvu. Mais je connaissais mon ennemi à l’avance, je l’avais attendu. Et je comprenais la technique qu’il utilisait. Il me suffirait d’user de volonté pour contrer les attaques de la représentation de ma peur. Dès cet instant, je décidais de me convaincre que la mante n’existait pas. Elle n’était qu’une image virtuelle puisée dans mon moi profond. Il fallait que je parvienne à faire réagir mon cerveau que ce monstre ne pouvait pas me faire peur. Car il n’était pas vraiment réel. Il ne l’était que si je croyais que c’était le cas. Enfant, j’avais été terrorisé par cet insecte, et j’ai toujours de l’appréhension pour lui. Mais j’avais grandi, et je pouvais jouer sur l’effet de surprise. J’avais bien vu la réaction du Nightmare Man en se rendant compte que je pouvais le voir, et que je ne cherchais pas à fuir, mais au contraire, que j’attendais mon châtiment. Il fallait que j’use de la même méthode pour déstabiliser cette représentation qui se trouvait en face de moi.

 

Cela me prit du temps, mais je puisais en moi des sources positives de ma vie, même si elles étaient peu nombreuses. Une virée en pleine nuit avec mon frère, à une époque où il n’avait pas encore été formaté par mes parents, le premier concours que j’ai remporté, un concours de chant ; la montre offerte par mon père, pour me récompenser de ce stage à son entreprise, où je l’avais surpris de ma compréhension des tâches budgétaires. Des choses simples, parfois anecdotiques, mais qui eurent l’effet escompté. Ces ondes positives firent reculer ma peur, les actions de la mante devenaient hésitantes, maladroites. Et puis, elle commençait à s’effacer, tout comme le paysage autour, avant de disparaitre totalement, me faisant me réveiller dans la chambre de l’école, dans la réalité. Avec un Nightmare Man encore plus surpris que précédemment. J’avais vaincu ma peur, malgré ses tentatives de me faire sombrer. Je sentais la déception en lui. Il décollait les tentacules de mon corps, qui se regroupaient sur sa tête, formant son fameux chapeau.

 

Il me regardait un instant, comme pris d’incompréhension. Ce devait être la première fois que quelqu’un lui avait résisté. Puis, finalement, il repartait vers la porte, avant de passer à travers, comme il l’avait fait pour entrer, et disparaissait de ma vue. J’étais tellement heureux d’être encore en vie. Finalement, même sans savoir ce qu’il était exactement avant notre affrontement, le simple fait de savoir qu’il existait, et de me baser sur l’expression de terreur de ses précédentes victimes, avait eu un effet choc sur ce qu’il pensait être un effet dominateur. Maintenant que je connaissais le processus, je commençais à comprendre pourquoi il s’en prenait aux enfants et aux adolescents, plutôt que des adultes. Dans son esprit, cette catégorie d’âge était plus malléable, plus impressionnable. Il ne lui était pas concevable qu’un esprit non adulte puisse combattre ses peurs à l’intérieur de son propre soi. Malgré leur intelligence, les « intellos » qui lui avaient servis de victimes, à cause de leur propension à rejeter le surnaturel, et surtout la surprise de se retrouver face à lui, ont eu raison de leur mental logique. Comme une déconnexion, ne leur permettant plus de différencier réel et réalité. Ils devaient penser qu’ils rêvaient, et qu’ils allaient se réveiller. Sans penser que perdre leur combat intérieur leur faisait perdre la vie…

 

 

Malheureusement, je n’ai pas pu empêcher le Nightmare Man de récupérer sa nourriture ce soir-là. Il a pris pour cible un autre étudiant, mort comme les autres, après avoir vu sa peur lui détruire l’esprit. Pour ma part, cette expérience m’a servi. J’ai repéré une faille dans le système parfait de l’école. J’ai fait exprès d’obtenir de mauvais résultats en pagaille. Résultat : je me suis fait virer, car je ne correspondais pas à l’élite exigée par l’établissement. Mes parents étaient désespérés, vous pensez bien. Ils ont enfin compris que je n’étais pas mon frère, et j’ai pu obtenir d’intégrer une école de médecine. Par la suite, l’année suivant ma confrontation avec le Nightmare Man, l’école a fermée. L’un des parents d’une des victimes n’a pas accepté de se taire pour ne pas faire perdre du prestige à l’établissement. Un scandale sans précédent qui a fait l’affaire des autres écoles du même type ayant perdu nombre d’inscriptions à cause de la Delaware High School of Arts and Graphics…

 

Et le Nightmare Man me direz-vous ? Je le soupçonne de procéder à une forme d’hibernation. Il s’est passé plusieurs années entre la destruction de l’ancien hôpital et la construction de l’école. Plusieurs années durant lesquelles le Nightmare Man n’a pu officier, et n’a donc pu faire de victime. Condamné à rester dans ce périmètre qu’il ne peut franchir. En tout cas, c’est ce que je croyais. Mais le mois dernier, par suite de la visite d’un groupe d’enquêteurs du Paranormal au sein de l’école, qui comportait un spécialiste en sceau, j’ai entendu parler d’une mort mystérieuse dans les locaux d’un centre de redressement pour adolescents.

 

Un peu plus au Nord de la ville proche de l’école désormais fermée. Une mort dû à un œdème cérébral, et qui a surpris toute l’équipe éducative. Mais je ne peux rien y faire. Seul ceux qui sont choisis comme cible peuvent lutter intérieurement face à cette créature. De l’extérieur, personne ne peut contrer les agissements du Nightmare Man. Je ne dois ma propre survie qu’à ma volonté de briser ma peur. Et parler de ce monstre ? Franchement, vous pensez vraiment qu’on va croire les divagations d’un petit médecin qui a eu des notes déplorables dans une école d’art ? Si je relate cette histoire ici, c’est plus par acquis de conscience qu’autre chose. Juste pour qu’il y ait une trace de l’existence de ce monstre.

 

Comme ça, si quelqu’un en vient aux mêmes conclusions que j’ai eu, en cherchant le moyen de combattre cette monstruosité, il aura plus de connaissances que j’en ai eu pour la vaincre. C’est tout ce que je peux faire à mon niveau. Et c’est déjà beaucoup. Alors, si vous aussi un jour vous voyez les morts s’accumuler autour de vous, avec les mêmes symptômes que ce que je vous ai décrits, vous savez ce qu’il vous reste à faire. Apprendre à affronter vos peurs les plus profondes pour espérer vivre encore demain, et vaincre le Nightmare Man…

 

Publié par Fabs

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire