8 août 2021

LA TRINITE NOIRE

 

 


Comment décrire ce que j’ai ressenti en apprenant ce dont ils avaient été capables ? Ce dont moi j’avais été capable d’accepter de leur part… Mais y-a-t-il vraiment une différence entre ces deux états de fait ? Après tout, nous étions très proches eux et moi. Ils me protégeaient, m’offraient de belles choses. Mais la différence, c’est que moi je n’ai jamais cherché à considérer l’amitié à un degré extrême. Pourtant, au départ, il y avait une vraie relation entre nous. Une complicité... Avant que leurs instincts changent du tout au tout…

 

Je n’ai jamais trop su ce qu’ils étaient réellement. Une part de moi, sans doute. Mais pourquoi ils sont apparus dans ma vie, pourquoi ils m’ont choisi moi plus qu’un autre, je ne saurais le dire. Je me souviens juste de ce jour, lors de mes 12 ans. Je venais de me faire gronder violemment par mon beau-père, parce que j’avais renversé un pot de confiture en plein milieu de la cuisine, pour répondre à une envie folle de gourmandise, au cœur de la nuit, vers 2 heures du matin. Je savais que ce n’était pas bien, mais des voix en moi me disait que je devais y aller. A bien y réfléchir, je me demande aujourd’hui si tout n’a pas commencé comme ça. Par une frustration inconsciente. Ou bien un simple défi envers celui qui avait remplacé mon père…

 

Quelques années auparavant, j’avais pleuré la mort de ce dernier, tué par un junkie en manque, juste pour avoir de quoi se payer sa dope par le dealer du coin. Et au final, mon père s’était fait tuer pour 3 dollars en poche. D’un coup de couteau planté dans sa gorge. L’affaire avait fait grand bruit à l’époque, à cause de la violence et de l’incompréhension du geste. Comment on pouvait tuer quelqu’un pour 3 dollars ? D’accord, c’était un junkie qui ne savait pas trop ce qu’il faisait, son cerveau étant embrumé par la drogue… Mais ça ne changeait rien au ridicule de la situation. A cause de lui, je me retrouvais orphelin de père. A cause de lui, ma mère, plongée dans le chagrin avait rencontré ce travailleur social. Au départ, il était là pour l’aider dans ses démarches administratives pour l’enterrement et ce qui s’en suivait. Et puis, leur relation avait changé…

 

Il était de plus en plus présent à la maison, et pas seulement pour aider maman. Enfin, il l’aidait bien, mais pour autre chose que ce à quoi sa fonction le destinait envers elle. Au cours des semaines, leur relation s’était transformée en complicité plus… intime. Pour ne pas dire amants, pour parler simplement. Et puis, 2 mois plus tard, il a démissionné de son poste de travailleur social. Pour pouvoir vivre avec maman…. Il était sympa au début. Il m’aidait à faire mes devoirs, il jouait au base-ball avec moi dans le jardin, ce genre de trucs que fait un père avec son fils. C’est comme ça qu’il me considérait. Comme un fils. Il me le disait souvent. Et puis, tout a changé le jour où il s’est marié avec maman.

 

Il était devenu plus froid envers moi, me délaissant, imposant des règles de plus en plus strict à la maison. Je sentais bien que maman n’était pas toujours d’accord avec ses décisions, mais elle n’osait rien dire. Elle pensait que j’avais besoin d’un père, même de substitution. Que c’était important pour mon équilibre. Pour mon avenir. Alors, elle se taisait quand il m’empoignait le bras parce que j’avais ramené un simple D de mon dernier contrôle en maths à l’école. Elle se taisait quand il m’imposait de tondre la pelouse malgré mon jeune âge à sa place. Elle se taisait enfin quand il me criait de me rendre dans ma chambre parce que j’avais refusé de lui obéir, lassé de sa loi. J’avais déjà entendu ces voix dans ma tête auparavant, mais je pensais que c’était juste mon imagination. Un reflet de ma colère qui se manifestait de cette manière.

 

Mais au fil des jours, les voix s’étaient intensifiées. Me donnant des conseils, des astuces pour contrer le pouvoir de mon beau-père. M’informant des moments où il ne pourrait pas s’apercevoir de mes expéditions. J’ignorais comment les voix étaient au courant de tout ses faits et gestes, mais à vrai dire, sur l’instant, je m’en fichais royalement. Seul comptait pour moi l’occasion de défier cet homme qui se prétendait mon nouveau père, alors qu’il n’était qu’un parasite, un déchet se prélassant du matin au soir dans le canapé, une bière à la main, devant la télé, pendant que ma mère se tuait au travail. Enchainant les petits boulots pour pouvoir payer le loyer, la nourriture, et mes études. J’avais beau être jeune, je comprenais très bien la situation. Mon beau-père ne faisait que profiter de la faiblesse psychologique de ma mère, il la dominait, et j’étais parfaitement conscient de ça.

 

Ces voix qui étaient apparues dans ma tête, peut-être qu’au départ, elles étaient effectivement des manifestations de mon ressentiment envers cet être abject qui avait détruit notre famille. Cependant, le jour où, pour ce simple pot de confiture, il a commencé par élever la voix, tout en m’écrasant mon poignet, provoquant une douleur presque insupportable, tout a changé. Ma mère est arrivée, demandant ce qui se passait. J’essayais de lui dire que c’était parce que j’avais faim que j’avais fait ça. Que j’en avais marre de pas pouvoir manger ce que je voulais parce que mon faux père l’avait décidé. A ces mots, il s’est énervé plus que d’habitude, et il m’a giflé. De manière très violente. Ma mère a voulu intervenir, et il l’a frappée elle aussi. Après ça, il m’a dit d’aller me coucher, qu’il verrait quelle punition m’infliger pour mon insubordination. Ce sont les mots exacts qu’il a prononcés ce soir-là. Il a relevé ma mère, tombé au sol après le coup reçu, et ils sont repartis dans leur chambre.

 

J’obéissais malgré moi à son ordre. Parce que je savais que si je ne le faisais pas, ça n’aurait fait qu’empirer la situation, mais au fond de moi, je fulminais. Et c’est ce même soir qu’ils sont apparus. Dans ma chambre. Au départ, je pensais que je rêvais. Mais ils étaient bien réels. Ils me touchaient. Je sentais leur souffle sur mon visage, alors qu’ils étaient penchés sur moi. Tous les 3. Je me souviens de la peur ressentie à ce moment. Une peur indescriptible. C’était… trop curieux. Ils se sont légèrement écartés de moi, de mon lit. L’un d’eux a allumé la lumière de ma lampe de chevet. Et j’ai pu les voir plus distinctement. Et là, j’ai cru clairement que je rêvais encore. Non seulement, ils étaient réels, mais… ils étaient mon portrait craché. Absolument identique à moi. Ça me perturbait, et j’ai eu l’impression qu’ils s’en sont rendus compte. Alors, devant mes yeux ébahis, ils ont changé de visage. Tous les 3. Chacun d’entre d’eux arborait maintenant des visages similaires, mais différent du mien. On aurait dit des triplés. Ils me disaient de ne pas avoir peur. Qu’ils étaient là pour m’aider à me sentir mieux.

 

Et effectivement, ils m’ont aidé. A part moi, personne ne pouvait les voir. Ils étaient comme invisible aux yeux de tous. Quelque chose en moi me disait que je les avait fait naitre, inconsciemment, même si je me refusais d’y croire. Ou plutôt je ne pouvais concevoir leur existence. Ils multipliaient les petites farces envers mon beau-père. Le faisant glisser au sol, renversant sa cannette de bière sur lui, alors qu’il était dans sa position préférée sur le canapé, renversant un livre situé tout en haut de la bibliothèque sur sa tête alors qu’il était occupé à ramasser son paquet de cigarettes, préalablement subtilisé de la poche de sa chemise l’instant d’avant. Cela me faisait rire, mais je me gardais bien de montrer mon sourire à chacune de ses déconvenues survenues après les frasques de mes nouveaux amis. Etaient-ce des amis imaginaires ? Non. J’avais lu des articles là-dessus sur le net, et les amis imaginaires ne pouvaient pas intervenir physiquement. En tout cas, ça ne s’était jamais vu. Un temps, j’ai cru avoir affaire à des Doppelgangers, mais ça aussi ça n’était pas possible. Les Doppelgangers n’étaient que par un, et agissait contre la volonté de leur « original », avec qui ils étaient en conflit constant.

 

Là, leur intentions étaient innocentes au début, et surtout ils me faisaient part de ce qu’ils allaient faire avant chacun de leurs coups. Comme s’ils avaient besoin de mon autorisation. Comme s’ils ne pouvaient exécuter quoi que ce soit sans que j’en ai donné l’accord. De plus, leur aide ne se limitait pas à faire des blagues. Ils possédaient une science incroyable. Grâce à eux, j’obtenais des notes comme jamais je n’aurais pu en espérer. Et sans tricher. Ils avaient une capacité pour m’apprendre qui était juste irréelle. A chaque fois qu’il m’apprenait quelque chose de nouveau, j’avais l’impression que mon cerveau l’enregistrait automatiquement. Comme par magie. Par eux, je pouvais aussi obtenir pleins de choses. Je ne savais pas comment ils les obtenaient, mais il me suffisait d’exprimer le désir d’avoir un jouet, un livre particulier ou quoi que ce soit d’autre, et quelques heures plus tard, je le trouvais installé sur mon lit, comme un présent d’anniversaire. Mais le plus étonnant, bien que je sois capable de me servir réellement de ces cadeaux, c’était que j’étais le seul à pouvoir voir tout les objets qu’ils m’offraient. Tout comme eux, tous les objets parsemant ma chambre étaient totalement invisibles aux autres. C’était fascinant, et en même temps, ça me faisait un peu peur.

 

J’ai grandi avec eux jusqu’à mes 19 ans, voyant ma vie changer du tout au tout. Mon beau-père n’osait plus m’approcher, comme s’il savait que tout ce qui lui arrivait était de mon fait. A ses yeux, j’étais LA personne à ne surtout pas contrarier. Il a agi de même avec ma mère, devenant un vrai mari attentionné, histoire de ne pas m’offusquer. Il a même fini par se rapprocher de moi, comme il le faisait avant de devenir mon beau-père. Mais je sentais que cette situation ne plaisait pas à mes amis invisibles. L’impression qu’ils n’appréciaient pas qu’une autre personne qu’eux me donne de la joie et du plaisir. Dès lors, ils ont commencé à changer de comportement. Leurs actions, qui au départ étaient de simples gamineries, se transformèrent peu à peu en quelque chose de bien plus inquiétant. Et pas seulement vis-à-vis de mon beau-père. De ma mère aussi. Celle-ci, qui lors de la période dominatrice de son mari, évitait de s’approcher de moi, de peur de faire preuve de trop d’affection qui déplaise à celui qui partageait sa vie, sentant le changement de ce dernier, put faire preuve de plus d’affection envers moi. Et ça n’avait pas l’air de plaire à mes amis non plus. Et je pus m’apercevoir, bien qu’ils s’en défendaient, alors qu’ils ne m’avaient jamais menti auparavant, que ma mère subissait à son tour leurs petits tours…

 

Un jour, ce fut les freins de sa voiture qui lâchèrent subitement, alors qu’elle était en arrêt à un feu rouge, se mettant à reculer, et emboutissant la voiture juste derrière elle. Elle se confondit en excuse auprès du propriétaire, ils firent un constat à l’amiable, et l’affaire n’alla pas plus loin. Mais d’autres « bizarreries » se firent à son encontre. La lumière s’éteignant alors qu’elle était dans les toilettes à son travail, le tiroir de la caisse enregistreuse refusant de s’ouvrir, l’obligeant à donner la monnaie de sa poche à un client pressé, ou bien encore une bagarre entre un chien et un chat qui lui valut de se faire griffer méchamment pour avoir été sur leur route… Autant de petites choses qui auraient pu paraître insignifiantes pour tout un chacun. Mais pas pour moi. Je savais que c’était de leur fait, car maman m’avait indiqué qu’avant chacune de ses multiples déboires, elle avait entendu des petits rires semblant se trouver autour d’elles. Des rires qui semblaient émaner de plusieurs personnes. Des rires enfantins, comme semblant de délecter de ses mésaventures.

 

Pour moi, il était clair que mes amis outrepassaient leur rôle protecteur envers moi. Je leur en fis part, mais ils firent la sourde oreille, prétextant ne pas savoir de quoi je parlais. Je savais que c’était faux, mais j’espérais que le fait d’en parler les ferait réfléchir, et qu’ils arrêteraient de s’en prendre à elle. Et aussi à mon beau-père. Je leur dis que je ne voulait plus qu’il lui fasse des tours à lui aussi. Qu’il n’était plus le même homme qui me martyrisait. Que maintenant, il était un vrai père pour moi. Je vis à leur mine déconfite que mes mots ne les enthousiasmait pas, bien au contraire. Je voyais comme une forme de contrariété dans leurs yeux, presque de la colère. Comme s’ils sentaient que je n’avais plus besoin de leur aide, maintenant que j’avais retrouvé une vraie vie de famille. Et que ça ne leur plaisait pas. Pas du tout même.

 

Cependant, je n’en fit pas plus attention, et les tours de leur part semblèrent s’atténuer envers ma mère et mon beau-père. Ils continuaient malgré tout à s’occuper de moi comme avant, et je crus qu’ils acceptaient que je reçoive de l’affection et de l’écoute par d’autres personnes qu’eux. Mais je me trompais… Non seulement, ils n’avaient pas renoncé à ce qu’ils considéraient comme des moyens de faire pression sur ceux qui osaient me témoigner de la considération, mais leurs interventions prirent bientôt une autre tournure, à mon grand regret…

 

Quelques jours après ma conversation avec mes protecteurs de l’ombre, ma mère revint à la maison en pleurs, l’air totalement désespérée. Je lui demandais ce qui lui arrivait, et elle me répondit que sa meilleure amie venait d’être écrasée par une enseigne sous ses yeux, alors qu’elles faisaient leur petite séance de shopping hebdomadaire. Elle semblait revoir avec effroi la mort de son amie en boucle dans sa tête, tellement la vision de son corps écrabouillée avait été horrible. J’avais de la peine pour maman. Cette amie, je la connaissais bien. Il n’y avait pas une journée sans qu’elle traine avec elle. Elles étaient amies depuis l’enfance. Depuis 25 ans. Elle la considérait comme la sœur qu’elle n’avait jamais eu. Et maintenant, rien qu’à l’idée qu’elle ne la verrait plus, elle sentait ses larmes redoubler. Sur le coup, je n’ai pas pensé que mes « amis » puissent être responsable de cette mort. Mais au vu des évènements qui suivirent, j’étais persuadé qu’ils en avaient été la cause directe. 

 

Le lendemain, ce fut le tour de mon beau-père d’être dans tous ses états. Alors qu’il avait retrouvé un travail depuis quelques mois, mettant fin à plusieurs années de farniente, il avait été témoin de la mort de son patron, écrasé par un camion dans la rue, alors qu’il venaient de se quitter au petit bar devant leur lieu de travail. Ce dernier venait de lui annoncer qu’il allait le nommer vice-président de l’entreprise dans les prochains jours, synonyme d’un salaire plus conséquent et d’une vie bien meilleure pour moi et maman. Mais la mort de son boss venait de tout envoyer aux oubliettes, en plus de mettre mon beau-père dans une peine immense. Ce n’était pas seulement son patron, c’était devenu un grand ami. Et sa disparition aussi brutale que choquante et inattendue l’avait bouleversé. Mais c’est un petit détail qui me chiffonna. Avant que son boss se fasse renverser, mon beau-père indiqua qu’il avait entendu des rires d’enfants semblant provenir de derrière lui. Il s’était retourné, mais il n’avait vu personne. Pris au vif, bien que conscient que cela pouvait être difficile pour elle, je demandais à ma mère si elle avait entendu des rires d’enfants avant la mort de son amie. Un peu perturbée par ma question quelque peu incongrue, elle se mit malgré tout à réfléchir, et se rappela, en effet, qu’il lui semblait avoir entendu quelques minutes auparavant des rires derrière elle. Pensant qu’on se moquait d’elle à cause de sa tenue, elle s’était retournée, mais n’avait rien vu.

 

Pour moi, suite à ces révélations, il devenait clair que mes « amis » avaient dépassé les bornes de notre relation. Le soir même, profitant de ce que mes parents soient couchés, je décidais d’une petite discussion. Ceux-ci eurent beau me dire qu’ils ne savaient pas ce dont je les accusais, je savais qu’ils mentaient. Cette fois, j’en étais sûr. Comme je leur avais interdit de s’en prendre à mes parents, ils avaient trouvé un autre moyen de les atteindre, et ainsi les attaquer psychologiquement, en s’en prenant à leurs proches, et ainsi les perturber suffisamment pour ne plus qu’ils m’entourent d’affection, et qu’ils puissent retrouver leur monopole de celle-ci envers moi. Et pour ça, ils n’avaient pas hésité à perpétrer des meurtres monstrueux, sous couverts d’accidents. Leur présence sur les lieux, leurs compétences… Je savais qu’ils étaient parfaitement capables d’avoir orchestré ces crimes. C’était odieux. Je ne pouvais pas prouver qu’ils étaient les auteurs de ces derniers, et ils le savaient… Je voyais à leur petits airs presque supérieurs qu’ils profitaient de ça pour asseoir leur importance auprès de moi. Mais je ne pouvais plus supporter leur comportement, et je leur demandais de quitter la maison et ma vie à tout jamais. Que je n’avais plus besoin d’eux. Que je n’avais pas besoin de meurtriers dans ma vie.

 

Je vis leurs expressions changer, radicalement. Ils n’avaient plus du tout de sourire arborant leurs visages. Bien au contraire. Ils semblaient furieux de se faire évincer de la sorte, me prévenant que si je faisais ça, je le regretterais amèrement. Je fis mine de ne pas avoir peur de leurs menaces, renouvelant ma demande de quitter la maison de mes parents. A cet instant, je crus apercevoir une aura noire, presque maléfique entourer leurs corps. Une forme de haine envahit leurs yeux, devenus d’un blanc intense, comme ceux d’un aveugle, mais auréolés d’un halo noir comme les ténèbres. Ils me demandèrent alors si j’étais sûr et certain de mon choix de les chasser. Car en faisant ça, je devais m’attendre à des représailles qui ne se limiterait pas à de simples actions punitives. Que je ne savais pas ce dont ils étaient capables. Que je n’avais vu que la surface de leurs pouvoirs. Et que bientôt, je subirais leur courroux pour les avoir chassés, alors que c’était grâce à eux si j’avais cette vie si appréciée en apparence. Bien que terrorisé, je leur dis que je les chassais, que je ne voulais plus les voir dans cette maison, plus jamais.

 

Ils sourirent alors, mais pas un sourire comme ils en avaient l’habitude jusqu’alors. Un sourire machiavélique, démoniaque. Ils me dirent qu’ils obéissaient à ma demande, mais que désormais je n’étais plus sous leur protection, et que je serais également leur cible. Tant que je restais à l’intérieur de ma maison, je ne craignais rien, elle était comme tabou pour eux, car c’était le lieu de leur pacte avec moi. Le lieu où ils avaient ressenti mon appel, et y avaient répondus. Le lieu où ils avaient acceptés de me faire bénéficier de leur protection. Mais en dehors de cette maison, rien ni personne ne serait en mesure de me protéger contre eux. Qu’on ne chassait pas la Trinité Noire sans en subir les conséquences. Et là-dessus, ils disparurent sous mes yeux, me laissant dans une peur profonde, me demandant si j’avais bien fait de les chasser. Mais si je ne l’avais pas fait, ils auraient continué à décimer les proches de mes parents. Et ça, je n’aurais pas pu me le pardonner. Mais bientôt, une terreur m’envahit. Mes parents. Je devais les prévenir de ne surtout pas sortir. Mais comment leur expliquer ?

 

Je descendais les escaliers à toute vitesse, cherchant les mots qui me permettraient de donner un sens rationnel pour les empêcher de sortir. Quand j’entendais les cris de ma mère. Des cris mélangés de terreur et de tristesse. Craignant le pire, j’accélérais la cadence. Arrivé en bas de l’escalier, je me précipitais vers l’endroit d’où venait les cris. Je voyais ma mère, les genoux à terre, semblant fixer la baie vitrée de notre salon devant elle. Une fois près d’elle, je dirigeais mon regard vers la direction où ses yeux se portaient. Et là, je crus défaillir, tellement le spectacle qui s’offrait à mon regard était horrible. Le corps de mon beau-père était étalé sur toute la surface de la vitre. Et quand je dis étalé, ce n’est pas une image. Sa tête, ses bras, ses jambes étaient disposées comme les pièces d’un puzzle qu’on dispose sur la table, afin de mieux voir où elles vont s’encastrer. Totalement écrasées, chaque parties de lui semblaient se fondre dans les particules de la surface de la vitre, comme encastrées. Une jambe à droite, l’autre plus bas, sur le côté gauche, un bras au milieu, la tête à l’extrême droite, coupé en deux, montrant les deux lobes de son cerveau, dégoulinant sur la vitre. Les entrailles étaient elles aussi placées dans des endroits différents l’une de l’autre, autour de ce qui était autrefois un torse humain. A d’autres endroits, on voyait les yeux, les oreilles, le nez, la bouche… Tout ce qui constituait autrefois ce beau-père que, tour à tour, j’avais apprécié, détesté, puis aimé, n’était plus qu’un amas de chair servant de décoration macabre.

 

Mais plus inquiétant encore, était ce qu’il y avait au-delà de la vitre, dans le jardin. Placés au milieu de la pelouse, la Trinité Noire regardait dans notre direction, comme pour nous défier. Je m’aperçus alors que ma mère pouvait les voir elle aussi, sans doute selon leur volonté. Pour me punir encore plus de les avoir chassés, il permettait que je puisse continuer de les voir, alors que notre pacte avait été rompu, et donnait accès à leur vision à ma pauvre mère, dont les larmes ne s’arrêtaient plus. Moi-même, je ne pouvait retenir les miennes. Je n’avais jamais vu quelque chose d’aussi horrible. Non sans mal, je parvins à décider ma mère à se relever et à l’emmener vers sa chambre, où, la fatigue, la nervosité, ou je ne sais quoi encore, eu raison d’elle et elle finit par s’endormir. A son réveil, je devrais tout lui expliquer, en espérant qu’elle veuille bien me croire. Mais après tout ce dont elle avait été témoin, quelque chose me disait qu’elle serait prompte à croire beaucoup plus que ses croyances. Sans compter qu’elle avait vu la Trinité Noire. Comble de défi de leur part, celle-ci avait revêtue à nouveau mon visage, comme pour augmenter le désarroi de ma mère.

 

Désormais, je savais à quoi m’en tenir. J’apprenais plus tard par maman que mon beau-père était sorti dans le jardin pour tondre la pelouse, histoire de mettre de côté dans sa tête la mort de son patron, quand elle l’a vu être soulevé dans les airs, puis démembré par petits bouts, méthodiquement. Elle avait voulu ouvrir la baie vitrée pour lui venir en aide, quand elle aperçut 3 enfants avec mon visage, lui souriant d’une manière diabolique. Et riant. Les mêmes rires qu’elle avait entendu lors de la mort de son amie d’enfance. Les mêmes aussi qu’elle avait entendues bien avant. A ce moment, elle sut qu’elle ne devait en aucun cas sortir à l’extérieur. Et elle a donc observé avec tous les détails le calvaire de mon beau-père, littéralement dépecé sous ses yeux, puis chaque morceau projeté sur la vitre de la baie vitrée, où ils semblaient s’encastrer, comme se fondant en elle. Elle s’était effondrée, leur criant d’arrêter, mais ils riaient de plus belle, s’amusant de son désespoir. Quand je lui expliquait leur origine, les tours dont ils étaient les auteurs, elle n’eut pas à faire d’effort pour me croire. A ses yeux, elle qui était très croyante, ils étaient les fils du diable, ni plus, ni moins.

 

Je lui expliquais aussi que si nous mettions le moindre pied dehors, nous subirions le même sort, voire peut-être pire. Par la suite, ma mère parvint, grâce à la venue d’un médecin en notre maison, signifiant de graves problèmes psychologiques, à obtenir un licenciement à son avantage. Puis, elle put obtenir un boulot en télétravail, lui permettant de ne pas avoir à sortir de la maison, et se trouver à la merci de la Trinité Noire. Nous nous fîmes livrer nos repas, en les commandant via Internet. Mais nous devions changer de société de livraison de manière régulière. Car chaque personne venant à notre maison devenait la cible de la Trinité Noire. Facteur, livreur, voisin, … Même le médecin qui avait donné le diagnostic permettant à ma mère de pouvoir avoir son poste en télétravail avait été leur victime. Même si chacune de ces morts avaient l’allure d’accidents tout à fait banals, bientôt la réputation de notre maison fit qu’il devenait de plus en plus difficile de trouver une société pour nous livrer. Notre maison fut vite considérée comme maudite, et plus personne n’osait s’en approcher, pour ne pas subir sa malédiction.

 

 A l’heure où je vous parle, ma mère est décédée de sa belle mort depuis maintenant 1 an. J’ai dû l’enterrer dans la cave, faute de pouvoir lui offrir une inhumation décente. De peur que la Trinité Noire s’amuse à transformer son corps en bouillie humaine une fois sorti de nos murs. En ce sens, elle avait eu plus de chance que mon beau-père, dont les restes parsèment toujours la baie vitrée de notre salon. Même si celle-ci est parée de rideaux opaques depuis longtemps, impossible pour moi de ne pas penser au puzzle humain qui pare la vitre derrière.

 

Je ne sais pas combien de temps je parviendrais à vivre de cette manière. J’arrive à subsister grâce au télétravail de ma mère, que j’ai repris. Le décès de ma mère ayant été déclaré, parvenant à faire croire qu’elle avait été incinérée par une société, falsifiant des documents administratifs, grâce à ma connaissance du Deep Web que j’ai appris à explorer et utiliser à bon escient, dans le seul but de ne pas à sortir, ce qui signifierait ma mort instantanée, je le sais. Mais quand je n’arriverais plus à trouver de livreurs ignorant la malédiction de ma maison, je ne sais pas de quoi je pourrais me nourrir. Sans doute me laisserais-je mourir à petit feu. De toute façon, ça vaudra mieux que tomber entre les mains de la Trinité Noire et leur servir de jeu macabre.

 

C’est pourquoi je me suis décidé à écrire ce blog. Sans doute la plupart d’entre vous penseront que je suis fou ou du moins dérangé, et je ne pourrais pas vous en vouloir pour ça. Mais au moins, j’aurais pu raconter mon histoire, et vous mettre en garde, et surtout prévenir vos enfants. Si un jour ceux-ci voient arriver dans leur chambre 3 enfants aux visages identiques, leur promettant de les protéger en tout, dites-leur de refuser leur aide immédiatement. Car une fois que vous avez accepté leur pacte, vous leur appartenez, et rien ne pourra changer quoi que ce soit. Si un jour, agacé par leur manigances, ils décident de les chasser, vous vous retrouverez dans la même situation que moi. Enfermé chez vous, sans espoir de vivre, gagné par la peur constante de voir tout ceux vous approchant mourir inexorablement, avant de mourir à votre tour dans l’indifférence générale. Ces enfants n’ont rien de serviteurs fabuleux et magiques, ni des amis. Ils sont la mort, tout simplement. Des créatures infernales avec qui il ne faut surtout pas pactiser. Il en va de votre vie…

 

Publié par Fabs

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