9 août 2021

PUMPKIN STORIES IV - Des Mannequins D'Enfer

Aussi loin qu’il s’en souvenait, l’alcool avait depuis longtemps fait partie de la vie de Jake. Comme une sorte de compagnon de voyage, un remède personnel pour oublier ce qui avait constitué sa vie à l’opposé de ce qu’il espérait étant enfant. Pourtant, tout ce dont il avait rêvé avait fini par s’exaucer. Il avait trouvé l’amour, une femme adorable, une petite fille qu’il chérissait par-dessus-tout, un boulot au salaire confortable, des amis en pagaille. Mais peut-être était-ce ça le problème. Cette vie trop parfaite, cette routine quotidienne, cette réussite sans doute trop rapide, au bout d’un moment, il n’y trouvait plus le goût de la victoire qu’il ressentait en franchissant chaque étape de ce qui avait toujours constitué ses objectifs de vie. Une fois acquis ses buts, il n’avait plus d’horizon à franchir, de ligne à dépasser. Pour faire simple, Jake, qui avait trimé pendant des années pour avoir cette vie parfaite avait ressenti l’ennui une fois obtenu ce qu’il avait souhaité. Alors, il avait cherché un moyen de rompre cette lassitude…

 

Ça avait commencé par une petite escapade en sortant de son travail au bar du coin. Un petit verre ou deux, le temps de noyer son ennui, juste avant de rentrer chez lui, retrouver sa petite famille. Mais très vite, ces petites excursions ne suffisait plus. Il avait commencé par garnir le frigo de packs de bière plus que de raison. Sa femme ne disait trop rien au départ. Après tout, elle se disait que ce n’était qu’une passade, et il restait le même. Rien d’alarmant. Et puis, les packs ont été en grandissant, complétés par des bouteilles de whisky, en quantité de plus en plus importante. Jake négligeait sa famille, devenait arrogant à son travail, son caractère devenait plus irascible. Un comportement qui avait fini par exaspérer ses collègues, puis son patron, avec un renvoi pour résultat. Puis, ce fut le tour de son épouse d’abandonner, de ne plus chercher à comprendre les raisons de ce changement. Elle le quitta, emmenant leur fille avec elle, et le laissant seul avec ses incertitudes sur ce qu’il attendait de la vie.

 

Une fois livré à lui-même, seul dans sa maison, Jake n’était plus que l’ombre de lui-même, habitué aux frasques en pleine rue, passant des nuits complètes au poste de police pour avoir cassé la vitrine d’un commerce en pleine nuit, sans la moindre raison. Parce qu’il trouvait ça marrant. Une vie dissolue, sans ambition aucune, vivant de quelques aides par-ci, par-là, par des associations diverses tentant de l’aider à se débarrasser de son habitude à s’enivrer à toute heure du jour ou de la nuit. Il n’y avait qu’un seul jour de l’année où Jake se sentait heureux. Le jour d’Halloween. Depuis tout gosse, il adorait cette ambiance particulière, les costumes colorées, fabriqués parfois avec presque rien, les rires dans les rues, ces familles soudées, reflets de ce qu’il avait été autrefois…

 

Et ce qu’il adorait par-dessus tout, c’était décorer son jardin de pantins faits maison, de banderoles représentants les icônes de l’horreur tel que Freddy Krueger, Jason Voorhees, Michael Myers, Pinhead ou Chucky. Il installait des lumières évoquant fantômes, vampires, loups-garous et autres créatures propres au  bestiaire qu’on avait l’habitude de voir durant cette nuit particulière. Ça vous paraîtra curieux, mais dès les 15 jours précédant Halloween, Jake ne vivait plus que pour ça. Il dédaignait son ami l’alcool, et se consacrait exclusivement à ce qui était devenu une passion. Autant il était exécrable lors des autres parties de l’année, faisant l’objet de dégoût des personnes le croisant par son attitude, ses habits sans cesse débraillés, son vocabulaire ordurier ; autant ses décorations faisaient l’admiration de tous le jour d’Halloween, tellement elles étaient au-dessus du lot de tout ce que faisait les habitants du quartier où il habitait… On peut même dire que c’était sa fierté.

 

Chaque année, il voulait faire toujours faire mieux que la précédente, cherchant des idées nouvelles pour parer extérieur de sa maison et jardin des plus beaux atours de l’horreur sous différentes formes. Cela le rendait heureux, il oubliait ses erreurs du passé, ses méchancetés habituelles, il faisait la joie des enfants, car c’est lui qui offrait le plus de friandises aux enfants venant admirer ses décorations et sonner à sa porte pour demander leur lot de sucreries abondantes. Ceux qui avaient l’habitude de le voir déambuler complètement saoul les autres jours de l’année, effrayant les couples par pur plaisir, ou déféquant sur les paliers des portes, avaient du mal à croire qu’il s’agissait du même homme durant cette période. Il était une autre personne, appréciée, propre sur lui, et passionnée par la construction de ses décorations d’Halloween, à chaque fois plus élaborées et complexes, parées d’illuminations projetant leurs lumières tout autour de sa maison devenue pratiquement un vrai parc d’attractions. Plusieurs personnes venaient même photographier ses œuvres, lui procurant une immense joie.

 

Pourtant, cette année, quelque chose le perturbait. Quelques jours avant Halloween, Jake avait remarqué qu’il y avait moins de monde que les autres années devant sa maison, pour photographier ou admirer ses décorations dont il était si fier. Il avait remarqué des petits attroupement plus importants devant une maison située plus en amont de la rue, habité par quelqu’un qui n’était arrivé dans la ville que depuis un mois environ. Lui qui d’habitude prenait plaisir à voir un nombre important de badauds envahir l’espace devant chez lui, il se sentait frustré d’en voir moins au détriment de cet étranger. Il ressentait ça comme une insulte envers son travail. Curieux, il s’était rendu discrètement vers la maison de celui qui, à son sens, lui avait volé ses admirateurs habituels. Histoire de voir pourquoi cette maison attirait plus les regards que la sienne cette année. Et il comprit alors que la concurrence était très forte.

 

Il devait se rendre à l’évidence. Les décorations parant le jardin et les murs de la demeure de l’étranger étaient clairement au-dessus de ce qu’il était capable de concevoir. Les figurines en carton, dessinées et disposées sur les haies et buissons semblaient plus vrais que nature, les lampes d’illumination avaient des formes stylisés comme il n’en avait jamais vu, la disposition des créatures en plastique étaient dignes d’un décorateur d’Hollywood. C’était vraiment  magnifique de toutes parts. Et plus encore, les mannequins représentants des figures mythiques de l’horreur, comme lui le faisait, étaient tellement parfaites qu’on aurait juré qu’elles sortaient de leurs films respectifs. Ghostface, le Creeper, Annabelle… Au total, 12 mannequins incroyable de réalisme. Jake était jaloux de tant de beauté, et se rendait compte à quel point il était un amateur face à ces réussites artistiques indéniables. L’homme qui en était l’auteur était un vrai orfèvre, aucun doute là-dessus…

 

Mais la jalousie fait faire bien des actions stupides, et Jake, vexé de tant de réussite, et de voir son public le déserter au profit d’un étranger, se mit en tête de faire revenir vers lui ses anciens admirateurs. Ainsi, la  nuit précédant Halloween, il pénétra dans le jardin de son rival, et s’empara des 12 mannequins qui faisaient se pâmer d’admiration les enfants et adultes du quartier, les disposant sur une brouette, et les ramenant chez lui. Bien entendu, il n’allait pas les disposer dans son jardin, cela aurait été stupide et tout juste digne d’un amateur, ce qu’il n’était pas. Non, il cacha les mannequins dans sa cave, à l’insu des regards. Et une fois Halloween passé, il les ramènerait dans le jardin d’où ils venaient. Après tout, il n’était pas un voleur. Il avait beaucoup de défauts, mais voler, ça ne faisait pas partie de son mode de vie. Ce n’était qu’un emprunt provisoire. Le temps pour lui de retrouver son public auprès de sa maison et ses décorations à lui.

 

Le lendemain, le jour d’Halloween, son stratagème porta ses fruits. Les habitants du quartier, qui les jours suivant se pressaient en masse devant le jardin de l’étranger, pour admirer ses fabuleux mannequins, ne virent qu’un jardin vidé de ceux-ci. Personne n’avait jamais vu le propriétaire de la maison, ni ne l’avait vu disposer ses décorations. On supposait qu’il l’avait fait en pleine nuit, afin de ne pas être vu. Un comportement curieux, mais au vu de la splendeur de ce qu’il exposait, ça n’avait pas d’importance au vu de tout le monde. Mais là, devant ce jardin vide, chacun reprit le chemin de la maison de Jake et ses propres créations. Au grand bonheur de celui-ci, qui voyait à nouveau une multitude de sourires et d’admiration, au fur et à mesure que le jour faiblissait. Mais, à la nuit tombée, alors que le quartier était en pleine effervescence, Jake entendit des bruits curieux venant de la cave, là où ils avait entreposés les mannequins empruntés.

 

Au départ, il se disait que c’était peut-être la tuyauterie vieillissante qui faisait des siennes, mais les bruits se faisaient de plus en plus réguliers, et il décida d’aller voir ce qui se passait, pensant que c’était peut-être une bande de gosses voulant jouer un tour plus hardi que d’habitude. Arrivé devant la porte de la cave, il commença à angoisser. Celle-ci était ouverte, alors qu’il la fermait toujours à clé. Il voulut descendre à la cave, afin de vérifier si les mannequins étaient toujours là, et là il sentit son cœur battre la chamade. Ces derniers avaient tous disparus de l’endroit où il les avait disposés. C’était impossible. Personne n’avait pu entrer dans la maison et les dérober sans qu’il puisse s’en apercevoir. De plus, il sentait comme une présence autour de lui, rendant l’atmosphère de la pièce oppressante. Par instinct, il se retourna avec la lampe qu’il avait emmené avec lui, et là son visage se figea…. Devant lui, le mannequin à l’effigie de Jason Voorhees le fixait, debout, avant de s’avancer vers lui, la machette à la main.

 

Jake hurlait, échappant de peu à la lame d’acier qui n’avait rien de factice, il recula, et toucha quelque chose, avant de sentir une main se poser sur son épaule, puis des griffes creuser peu à peu sa chair sous son tee-shirt. Il osait à peine se retourner, toujours fixé sur Jason qui s’approchait lentement vers lui. Il tourna sa tête, et hurla à nouveau en voyant la tête du mannequin de Freddy Krueger. Parvenant à se défaire de son emprise, malgré la douleur ressenti sur son épaule, Jake se dirigea vers les escaliers, où se trouvait les répliques de Chucky et Annabelle, se jetant sur lui, couteaux à la main, tailladant son cou, enfonçant leurs lames dans ses bras et ses jambes. Il se débattit avec force, et réussit à projeter vers le bas de l’escalier les deux poupées vivantes, avant de se diriger à toute allure vers la porte de la cave, qu’il franchit et referma derrière lui. Par mesure de sécurité, il plaça le meuble à chaussures situé plus loin dans le couloir, afin de bloquer la porte.

 

Il avait du mal à croire ce qu’il venait de voir. Il ignorait comment un tel prodige était possible, mais il était évident que ces mannequins étaient doués de vie, aussi impossible que ça semblait l’être. Voilà pourquoi ils avaient l’air aussi réaliste. Mais il eut à peine le temps de souffler que des pas se faisaient entendre sur sa droite. Sortant peu à peu de la pénombre, il vit les mannequins de Michael Myers et Pinhead, côte à côte, se diriger vers lui, eux aussi armes en main. Michael ayant son célèbre couteau de boucher, et pinhead portait une chaine en fer forgée. Jake hurlait de nouveau, sentant son cœur prêt à lâcher. Il se pinçait le bras pour vérifier qu’il ne rêvait pas, mais ce n’était pas le cas, tout était réel. Il courait parmi les autres pièces de la maison, croisant le Creeper, puis Ghostface, Regan, Carrie White et enfin Pennywise. A chaque fois, il parvint de justesse à leur échapper alors que son visage devenait de plus en plus blême. Il se rappela alors que son atelier de confection, là où il créait ses décorations d’Halloween, était doté d’une porte en acier. Jamais les mannequins ne pourraient entrer. De plus, quelque chose lui disait qu’une fois le petit matin du 1er Novembre arrivé, il serait tiré d’affaire. Ce devait être, sans qu’il sache comment, la nuit d’Halloween qui leur avait donné vie…

 

Il parvint à s’enfermer dans la pièce, tournant à double tour la clé de la porte, avant de s’asseoir sur le siège de sa table de travail, exténué, et attendant que le matin arrive. Il entendait les pas et les coups assénés contre la porte des mannequins qui s’étaient agglutinés devant l’entrée de l’atelier, pendant que Jake, terrorisé, n’osait plus bouger de sa chaise. Pensant être à l’abri, il ne se méfia pas de ce qui se cachait dans l’obscurité, et avançait sans bruit vers lui, profitant des ténèbres avoisinantes, Jake ayant oublié d’allumer la lumière de la pièce. Arrivée derrière Jake, la silhouette posa ses deux mains glaçantes sur les épaules de Jake qui resta pétrifié sur place, incapable de remuer ne serait-ce qu’un muscle, complètement tétanisé par la peur. Il eut à peine le temps de voir le visage du mannequin de la nonne Valak se pencher vers lui, puis poussa son dernier hurlement, alors que derrière la fenêtre de la pièce se dessinait le visage souriant et ricanant d’une tête de citrouille aux yeux luminescents, toute heureuse du sort de ce voleur de Jake, qui avait voulu souiller lui aussi Halloween par ses actes…

 

Le lendemain matin, Halloween passé, les habitants du quartier eurent la surprise de constater que les mannequins de la maison de l’étranger étaient à nouveau disposés dans le jardin. Ils remarquèrent qu’un nouveau mannequin avait pris place au milieu d’eux, tout aussi réaliste que les autres. Un mannequin à l’effigie de Jigsaw, faisant l’admiration des passants. Sans savoir que s’ils avaient eu la possibilité de soulever son masque, ils auraient eu la surprise de voir le visage d’un habitant du quartier, celui de Jake, nouveau pensionnaire de cette collection de l’horreur comme il n’en existait nulle part ailleurs…

 

Publié par Fabs

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