16 août 2021

PUMPKIN STORIES VI - LE SERVITEUR DE PAILLE


 


Joyce aurait pu avoir une vie heureuse si la malchance ne l’avait pas suivie toute sa vie. Dès sa naissance en fait. Enfant prématuré, elle n’a dû sa survie qu’à des médecins compétents ayant accompli des miracles. Mais ceux-ci n’ont rien pu faire pour sauver sa mère, qu’elle n’a donc jamais connue, hormis par des albums photos, ou des vidéos. Elle a grandi avec un père qui ne l’a jamais vue autrement que comme celle qui lui avait volé la vie de sa femme bien-aimée. Jamais un geste d’amour de sa part, jamais d’embrassades, jamais même un conte de fées le soir pour l’aider à s’endormir. Dès qu’elle eut atteint l’âge de 14 ans, il jouait les pères absents de plus en plus, toujours à faire la bringue avec ses collègues de bureaux, plutôt que de passer des soirées en tête à tête avec elle. Joyce n’a jamais su ce que signifiait la joie de fêter un anniversaire, de souffler les bougies d’un gâteau, elle vécut une grande partie de sa vie sans connaitre un regard affectueux de lui, des conseils, des balades en voiture, des promenades en forêt… Pour son père, elle n’était personne…

 

C’est sa tante qui s’occupait d’elle la plupart du temps. Cette dernière tenta plusieurs fois de mettre le père de Joyce face à ses responsabilités, de lui imposer de faire preuve d’affection envers sa fille. Que celle-ci n’était en rien responsable de la mort de sa maman à sa naissance. Elle trouvait injuste et lâche de rejeter cette faute sur une enfant qui ne connaissait pas la vie, ses drames, ses pleurs et ses tracas. Joyce les voyait souvent se disputer à son sujet, et cela la rendait encore plus triste, car elle considérait que tout était de sa faute, comme son père lui disait parfois, entre deux bières, les rares fois où il se retrouvait seul avec elle, l’espace de quelques instants.  Les seules joies de Joyce étaient avec Diana, sa tante. Mais pour Joyce, Diana était bien plus qu’une simple tante. C’était sa maman. Bien sûr, elle savait que ce n’était pas vraiment sa maman. Ce n’était que la sœur de celle-ci que Joyce n’avait jamais connue. Mais au vu de l’affection et l’amour que Diana lui portait, elle la considérait comme tel.

 

Au début, cela gênait Diana quand parfois Joyce l’appelait « Maman », de peur de la réaction de son père. Mais même ça, ce dernier s’en foutait, s’intéressant plus aux résultats de sa start-up nouvellement créée, que de ce que ressentait sa fille de son attitude. Alors, Diana avait accepté ce rôle de mère de substitution, considérant Joyce comme sa propre fille. Avec le temps, elle obtint même du père de Joyce que celui-ci accepte qu’elle puisse l’adopter, et que ce dernier renonce à ses droits de père. Vous ne serez sans doute pas étonné d’apprendre que celui-ci n’y vit aucune objection. Diana eut même l’impression qu’il était ravi de ne plus avoir un gosse dans ses pattes qui lui faisait rappeler chaque jour la mort de son épouse. Diana prit donc Joyce sous son aile et partit avec elle loin du père de cette dernière, dans une petite ville où elles vécurent en paix. Diana adorait Halloween, et elle transmit cette passion à Joyce, lui apprenant à faire des décorations, des banderoles des dessins en papier à disposer sur les vitres, à découper des citrouilles, à fabriquer du faux sang et des toiles d’araignées.

 

Joyce aimait énormément cette fête, ces moments de pur bonheur, et elle pensait vraiment que sa malchance l’avait quittée. Cette belle vie dura jusqu’à ce que Joyce atteigne l’âge de 21 ans. A partir de là, Joyce découvrit que la malchance dont elle pensait s’être débarrassée n’avait fait que lui offrir un sursis, avant de frapper à nouveau. Sous la forme d’une attaque cardiaque frappant Diana. Même si cette dernière avait cherchée à le cacher des années durant, Joyce avait appris que sa chère maman d’adoption était porteuse d’un souffle au cœur, en tombant par hasard sur les résultats d’examens de la part de son médecin. Elle ne lui avait jamais rien dit, de peur que celle-ci craigne la réaction de Joyce, ne la voyant plus que comme une morte en devenir. Mais quand Diana tomba dans le champ de leur ferme où elles vivaient, Joyce maudissait le ciel de toutes ses forces de lui avoir enlevé la seule personne qui l’aimait vraiment. Est-ce que ce sont ses  paroles qui déclenchèrent la suite des évènements ? Difficile de le savoir, tant les aspirations des forces obscures sont au moins aussi impénétrables que celle de la lumière.

 

Toujours est-il que quelques jours après l’enterrement de Diana, Joyce découvrit une étrange texture sur les épis de maïs dont elle s’occupait. Ça ne ressemblait en rien à ce qui compose habituellement l’intérieur de la coque protégeant les grains. Ça n’était pas filandreux… C’était plus ferme, mais malléable en même temps, ressemblant un peu à de la paille. Cette découverte lui donna l’idée de confectionner un épouvantail à partir de cette texture. Justement, Halloween approchait à grand pas, et Diana lui avait appris un jour comment en faire un. Ça devait même être leur objectif pour l’Halloween de cette année. Alors Joyce recueillit tout ce qu’elle pouvait de cette « paille de maïs », et se mit à l’ouvrage, se servant de poteau de bois pour faire la structure du futur épouvantail. Au bout de quatre jours d’efforts intensifs, elle termina ce dernier, l’habilla avec des vieux habits restant des propriétaires qui les avaient précédés ici, à Diana et elle, et le disposa à l’entrée de la maison jouxtant la grange et les champs. Elle le regarda un moment, fière de son travail. Puis elle s’assit exténuée. Sans trop s’en apercevoir, elle se mit à espérer d’avoir un gros seau d’eau pour y plonger la tête. Et là, elle crut avoir des hallucinations.

 

L’épouvantail qu’elle venait de confectionner se mit à bouger, les piquets formant ses bras et ses jambes se transformèrent sous ses yeux, se mélangeant à la « paille de maïs », devenant de vrais membres sculptés, dignes d’un menuisier. Seuls le torse et la tête restèrent composés de la « paille de maïs », sans se mélanger au tissu habillant l’épouvantail. Et puis celui-ci se dirigea vers le puits, faisant descendre un seau au fond, extrayant de l’eau, avant de remonter le seau et lui apporta. Ayant du mal à croire ce qu’elle venait de voir, elle resta plusieurs minutes à observer l’épouvantail, avant de se lever pour le toucher. Juste histoire de voir si elle ne rêvait pas. En regardant le seau, elle comprit que l’épouvantail avait réagit parce qu’elle avait émis le souhait d’avoir ce seau d’eau. Ce qui voulait dire que cette… « chose », cette créature était capable d’obéir à ses moindres caprices. Elle le testa plusieurs fois, juste pour vérifier cette idée. Et l’épouvantail s’avéra être un esclave incroyablement serviable et très doué. Trayant les vaches, réparant le portail de la grange, ramassant les pommes tombés des arbres. Chaque souhait qu’elle exprimait, l’épouvantail l’exécutait à la perfection. C’était juste incroyable. Mais ce n’était que la surface de ce dont il était capable, tel que Joyce allait le découvrir.

 

Le lendemain, elle tombait sur une vieille photo de son père, et, sans trop faire gaffe, indiqua à haute voix qu’elle aimerait qu’il soit mort pour tout le malheur qu’il lui avait fait quand elle était enfant. L’après-midi même, elle reçut un appel de l’exécuteur testamentaire de son père, lui signifiant que son père était mort ce matin, victime d’un accident de voiture. Joyce n’arrivait pas à y croire. C’était l’épouvantail qui avait exaucé son souhait ? Il avait donc plus de pouvoir qu’elle pensait. Elle se dit qu’elle pourrait utiliser ses dons pour créer la plus fabuleuse fête d’Halloween qui ait jamais existé. Et elle émit le souhait que toutes les fausses créatures en bois, en papier, en carton faites par les habitants de la ville deviennent réelles le jour d’Halloween. Une occasion en même temps de se venger quelque peu de ceux-ci, qui l’avait toujours, elle et Diana, traités en parias depuis leur arrivée dans la région. Les traitant « d’étrangères » qui n’avaient rien à faire ici. Les commerçants, le médecin, le banquier n’acceptant de les servir qu’à cause des remontrances du shérif, s’étant aperçu de cette discrimination. A cause de la couleur de leur peau. Car oui, Joyce est métisse. Sa mère et Diana étaient noires, alors que son père était un « pur blanc » comme disaientt les gens du coin. A croire que les préjugés racistes pouvaient se trouver partout.

 

Joyce attendit donc le soir d’Halloween, installée sur un monticule de pierre surplombant la ville, et observa. Elle avait demandé à l’épouvantail d’agir à une heure précise, et à l’heure dite, tout se déclencha. Les mannequins de loups-garous se mirent à bouger, leurs griffes devenant véritables, griffant les passants, les lacérant pendant que des vampires en carton, devenus réels, mordaient des jeunes filles déguisées, faisant couler leur sang à profusion. Ailleurs des personnes affublées de masques aux effigies de monstres ou de tueurs de films d’horreur, agissait comme les personnages, lardant de coups de couteau tous ceux se trouvant sur leur chemin, tranchant des gorges, éventrant ceux qui tentaient de les arrêter. Des chauves-souris de papier devinrent chair, voletant un peu partout, se mêlant aux cheveux d’enfants épouvantés. Les diablotins faits de sucre des boutiques sortaient de leur étalages, effrayants hommes, femmes et enfants ayant le malheur de croiser leur chemin. Bientôt toute la ville fut en proie à la panique la plus totale, les habitants courant dans tous les sens, criant, hurlant, se cachant où ils pouvaient pour échapper à toute cette folie. Des créatures montaient sur les toits, bouchant les cheminées, les maisons se parsemant ainsi de fumées noires. 

 

D’autres bestioles brisaient les fenêtres, des fantômes issus de dessins passaient à travers les corps…. Une vague de terreur envahissait chaque visage que Joyce regardait, lui procurant un plaisir immense, éclatant de rire à chaque nouvelle action des créatures.  Joyce n’avait jamais vu un Halloween aussi génial de toute sa vie. Elle filmait même les mésaventures des habitants, prenant des photos des femmes gisant au sol, tuées par leur frères, leurs maris qui avaient eu  l’idée de se mettre un masque aux effigies de Ghostface ou Michael Myers. Elle était tellement subjuguée par la scène qu’elle ne fit pas attention à la créature s’avançant derrière elle, qui s’approchait peu à peu. Une branche brisée fit cependant se retourner Joyce qui vit la créature s’avancer. Elle demanda à l’épouvantail qui l’avait accompagnée d’éliminer la créature. Mais celui-ci restait impassible. Il se contenta d’hocher la tête, indiquant qu’il ne pouvait pas agir. La créature, un Wendigo, continuait de s’approcher, pendant que Joyce reculait dangereusement vers le vide derrière elle. Elle continuait de crier pour demander à l’épouvantail de faire quelque chose. Mais celui-ci avait toujours la même réaction, signifiant qu’il ne pouvait rien faire.

 

Joyce comprit alors pourquoi l’épouvantail n’agissait pas. Jusqu’à présent, ses vœux étaient indépendants l’un de l’autre, sans interactions entre eux. Mais ici, c’était différent. Cette créature devant elle était issue de son vœu de faire de la fête d’Halloween de la ville un cauchemar vivant. L’épouvantail ne pouvait pas agir sur un vœu déjà formulé, et donc ne pouvait faire la moindre action sur l’un d’entre eux, une fois celui-ci enclenché. Joyce était terrorisée. Jamais elle n’aurait pu imaginer que son souhait se serait retourné contre elle. En même temps, il n’y avait pas de mode d’emploi de l’épouvantail quand elle eut fini de le confectionner, et elle ne pouvait donc pas connaître cette subtilité de son pouvoir. Le Wendigo avançait toujours, et Joyce cherchait un moyen de s’échapper. Mais à chaque mouvement qu’elle tentait de faire sur le côté, la créature faisait de même, l’obligeant à reculer toujours plus. Elle suppliait la créature de la laisser, sachant pertinemment que cela ne servait à rien, regardant l’épouvantail toujours impassible à la scène. Elle était en larmes, regrettant d’avoir fait ce vœu stupide. Soudain, elle sentit que son pied gauche était dans le vide. Elle s’arrêta, espérant que le Wendigo arrêterait sa marche, en vain.

 

Puis, le sol se déroba sous ses pieds, la terre s’étant effritée à cause du poids de son corps, et Joyce tomba. Elle atterrit plusieurs mètres plus bas, s’empalant sur la fourche en métal d’une sculpture de jardin. Dès cet instant, l’instigatrice de toute cette folie ayant cessée de vivre, toutes les créatures dont la vie était due au souhait de cette dernière, retournèrent à leur état premier, et la terreur qui avait envahie la ville s’arrêta immédiatement. Au même instant, l’épouvantail se figea, ses bras et ses jambes redevinrent des piquets de bois se plantant dans le sol, et la « paille de maïs » s’envola peu à peu, emporté par une brise soudaine, partant vers l’horizon. Juste en face, accoudé à un rocher, une silhouette ricanait de tout cela, satisfaite que la fauteuse de troubles de la fête d’Halloween ait été punie pour son acte ayant sali cet évènement dont était la gardienne.

 

Publié par Fabs

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