2 août 2021

PUMPKIN STORIES III - La Voleuse de Vies

 


Le désir de vengeance est un mal qui détruit des vies parmi les plus insoupçonnables. Des êtres brisés par un destin à un tel point qu’ils n’arrivent plus à discerner le bien du mal, tellement ils sont focalisés par l’objet de leur haine envers une personne, une ethnie, voire un système économique dans son intégralité. Leur esprit embrumé ne voit plus que le moyen d’apaiser leur colère en se servant d’un outil, aussi improbable soit-il, qui se trouve à leur portée, qu’il soit physique, psychologique… ou magique. Quand ce n’est pas ce dernier qui se dresse sur leur chemin, afin de leur apporter une solution au mal qui les ronge de l’intérieur. Une solution qui n’en est pas une, car elle ne fait que creuser plus encore le fossé qui sépare la personne du rang d’être humain, et la rapproche de celui de créature dénuée de toute compassion, incapable de réfléchir au mal donné et ses conséquences.

 

C’est cette haine envers les habitants de sa ville qui a mené Liv à se perdre au plus profond de cette fosse de rancœur. Liv a toujours été, depuis sa naissance, une personne à part aux yeux d’une société qui considère la difformité comme une tare n’ayant pas le droit d’exister. Faisant la part belle au beau, au doué en toute choses, au charismatique et autres « qualités » à ses yeux. Elle est née avec un corps qui la malmène chaque jour. Son squelette est décalé, lui procurant une gêne visible à tous. Entendez par là que la partie droite de son corps est plus basse que sa partie gauche, lui donnant des gestuelles et une démarche disproportionnée, l’obligeant à boîter pour pouvoir se déplacer. Et ce n’est pas son seul problème. La nature ayant décidé qu’elle ne souffrait pas assez, son visage est également en décalage, son œil gauche est presque sortant, son nez est atrophié, et elle a un bec-de-lièvre qui l’empêche de s’exprimer de manière aisée. Autant de raisons de détester ce qu’elle est par-dessus-tout, se considérant comme un monstre qui n’a pas sa place parmi les autres. En tout cas, c’est ce que les autres, les « normaux », tentent de lui faire comprendre à chaque fois qu’ils la croisent sur leur route.

 

A force d’entendre les railleries de la plupart des habitants, Liv a fini par se persuader de ce fait, tout en gardant le secret espoir de faire payer les méchancetés de cette soi-disant « caste » de normalité envers elle. Combien de fois s’est-elle retrouvée à terre par une bousculade forcée, ou encore recevant des objets divers, tels que des cannettes de boissons, des cailloux ou encore des crachats sur ses vêtements ?  Liv n’a jamais connu d’amour familial, ses parents l’ayant abandonné très jeune, ne supportant pas d’avoir mis au monde une créature, selon leurs propres mots, telle qu’elle était. De ce fait, Liv a vécu au sein de l’église, le seul endroit acceptant ce qu’elle était, et ne portant aucun préjugé sur son aspect extérieur. Sachant que l’intérieur était d’une beauté incomparable vis-à-vis de la cruauté des habitants de la ville. Pour échapper à l’ambiance malsaine de la ville, Liv se rendait souvent près des ruines de l’ancien moulin, le seul endroit où elle était vraiment emplie de sérénité. Le prêtre avait beau faire, elle sentait bien qu’il la regardait avec pitié, malgré tout sa gentillesse. Et c’était quelque chose de difficile à supporter à longueur de temps. Alors, cet endroit, elle s’y sentait vraiment bien, entouré de cette nature qui, elle, ne la jugeait pas sur son aspect.

 

En plus de ça, dans 2 jours, c’était Halloween. Liv détestait cette fête. Pas pour son côté festif. Bien au contraire. Voir les enfants dans leurs costumes de vampires, de monstres de Frankenstein, de fantômes ou de démons, elle aimait beaucoup ça. Tout comme les décorations toutes aussi belles les unes que les autres. Mais Halloween l’avait fait souffrir de nombreuses fois. A cause des autres, la prenant pour cible ce jour-là, multipliant les farces plus encore que les autres jours, se disant sans doute que ce jour-là, il en avait le droit, et qu’après tout, elle n’était qu’un monstre qui n’était là que pour les divertir. Avec les années, Liv, qui aimait l’ambiance d’Halloween lorsqu’elle était plus jeune, avait fini par la détester. Parce qu’elle était devenue un symbole d’une souffrance encore plus grande que d’habitude. C’est pour toutes ces raisons que cet endroit était pour elle un havre de paix. Son petit monde à elle où personne ne venait la déranger, car éloigné de la ville. Personne parmi les habitants n’y venait jamais. Et c’était tant mieux.

 

Mais aujourd’hui, il y avait quelque chose de différent. Il y avait quelques jours, un glissement de terrain, bien que minime, avait modelé le paysage se dressant devant elle. Les ruines du moulin s’étaient affaissées plus avant dans le sol, craquelant les pierres le composant, et libérant quelque chose de caché en son sein. Liv, de là où elle était, ne percevait pas bien, mais elle devinait par sa silhouette, une sorte de lampe des temps anciens, tel qu’elle en avait lu dans les vieux livres de la bibliothèque de l’église où elle séjournait. Intriguée, elle s’approcha un peu plus des ruines, afin de savoir si sa vue lui jouait un nouveau tour, où s’il s’agissait bien d’une lampe. Arrivée sur place, elle ne put que constater que l’objet était bel et bien ce qu’elle avait cru percevoir. La lampe, alors qu’elle devait être enfermé dans les murs du vieux moulin depuis des temps immémoriaux, donnait l’impression d’être comme neuve. Elle la prit en main, fascinée par l’aura qui se dégageait de l’objet. Et là quelque chose d’étrange se passa. Une voix se fit entendre dans sa tête. Une voix lui disant que la lampe était la solution à toutes ces années de médisances de la part des habitants de la ville. Elle lui indiquait comment utiliser la lampe pour se venger de tous ceux qui l’avait tant brimé au cours de son existence.

 

Un peu effrayée dans un premier temps par cette voix dans sa tête, elle finit par s’habituer à ses mots, son intonation qui semblait la rassurer, comme une forme de guide, de gardienne, de mentor. Un peu comme la conscience de Pinocchio, représentée par Jiminy Criquet. La voix lui expliqua le pouvoir de la lampe. Il lui suffirait de diriger sa lumière vers les yeux de quelqu’un pour absorber son essence de vie, son fluide vital, effaçant ses difformités. Plus elle absorberait de vies, plus elle parviendrait à un état de normalité lui assurant d’être vue autrement par les autres. Obéissant à la voix, bien qu’étant encore un peu incrédule quand aux facultés de la lampe, elle se mit en chemin, passant près d’un champ où s’affairait les frères Downer. Deux ados de 16 ans aussi bêtes qu’ils étaient cruels envers elle. Elle s’approcha d’eux. Ceux-ci l’apercevant, ils se mirent à sourire, commençant à chantonner leur comptine stupide pour se moquer d’elle, entamant une ronde autour de son corps. Suivant les conseils de la voix, Liv bouscula l’un des deux frères qui tomba au sol. L’autre frère, voulant lui faire regretter son geste se dirigea vers elle, et au même instant, Liv braqua la lumière de la lampe antique vers les yeux de son assaillant. Ce dernier stoppa net son avancée, comme pétrifié par la lumière de la lampe, scintillant comme un feu de Saint Elme.

 

C’est alors qu’elle vit un spectacle incroyable. L’adolescent vieillissait à vue d’œil, alors qu’elle sentait dans le même temps les muscles de son corps se redresser comme par magie. Au bout de quelques minutes, il ne restait qu’un corps desséché de son ancien tortionnaire. L’autre frère resté à terre n’avait rien perdu de l’horrible spectacle et se rua à son tour vers Liv qui braqua à nouveau la lampe vers le deuxième frère. Et là, le même miracle se produisit. Le jeune homme se flétrissait en même temps que le corps de Liv devenait plus droit, son visage voyait son nez retrouver une forme, son œil gauche rentrait dans son orbite de façon à obtenir un équilibre avec son œil droit. Elle devenait normale. Elle le sentait. C’était fabuleux. Alors que le deuxième frère tombait au sol, réduit au même état que son ainé, Liv observait cette lampe fabuleuse. Elle fomentait un plan qui lui permettrait à la fois de se venger de tous ceux qui l’avaient blessé physiquement et moralement, et dans le même temps qui lui assurerait de devenir une personne « normale ». L’action purificatrice de la lampe n’avait qu’un impact limité sur sa transformation. Il lui fallait plus de vie si elle voulait devenir totalement identique à la constitution des autres habitants. Et quoi de mieux qu’Halloween pour voler les vies qui lui offrirait ce à quoi elle aspirait depuis si longtemps ? Alors, elle rentra tranquillement vers l’église, attendant patiemment le jour qui lui permettrait de voir son rêve se réaliser, après avoir caché dans des buissons les corps des deux adolescents, non sans les avoir au préalable cassés comme on brise des brindilles de bois.

 

Deux jours passèrent, et le jour d’Halloween arriva. La ville était quelque peu en effervescence depuis hier. Le père des deux garçons ayant signalé la disparition de ses deux fils de manière inexplicable. Malgré le chagrin, il avait tenu à assurer de s’occuper des décorations, tel qu’il le faisait chaque année, en espérant avoir des nouvelles d’ici le reste de la journée. Liv profitait de la fête qui commençait à se mettre en place, pour viser ses prochaines proies, les prenant à part, usant d’excuses futiles pour mieux les attirer, comptant sur leur propension à se moquer d’elle ce jour précis. Sans méfiance, chacun d’eux acceptèrent ses « invitations », persuadés de passer un bon moment de rigolade en la parsemant de détritus ou d’œufs, comme à leur habitude. Leur assurance signa leur perte, faisant d’eux de nouvelles momies, offrant toujours plus de vies à Liv, qui voyait son corps se transformer de plus en plus, étonnant quelque peu ses proies suivantes, se demandant s’il s’agissait bien de la Liv qu’ils aimaient martyriser, tellement elle semblait… différente. Physiquement. 

 

Après plusieurs dizaines d’opérations de ce type, Liv était aux anges en voyant son corps devenu parfait à ses yeux. Son rêve s’accomplissait. Désormais, elle n’était plus un monstre. Désormais, elle pourrait enfin vivre, porter de beaux vêtements, elle serait acceptée par les autres. Peut-être même qu’elle pourrait connaitre l’amour. Quelque chose auquel elle avait renoncé depuis longtemps. Grâce au pouvoir de cette lampe, elle allait renaître. Elle avait tout pour être heureuse, pourtant, depuis sa dernière victime lui ayant assuré les dernières modifications de son corps, elle sentait que quelque chose n’allait pas. Elle se sentait nauséeuse, comme si elle allait vomir tous les organes de son corps. Elle devenait pâle, presque blême, ses jambes supportant mal le poids de son corps, elle tombait à genoux. Ses mains tremblaient, sa tête lui faisait mal, elle ressentait une douleur intense à la poitrine, comme si elle bouillait de l’intérieur. Puis, ce fut l’horreur : sa main droite se désagrégeait, se boursoufflant, prête à exploser sous l’effet d’un mal qu’elle ne comprenait pas. Ses jambes firent de même. Elle tenta d’interroger la voix à l’intérieur d’elle, mais celle-ci semblait avoir disparue, la laissant dans le désarroi le plus total. D’un coup, elle se souvenait d’une recommandation qu’elle avait négligée. Elle ne devait pas être trop gourmande sans en subir de graves conséquences.

 

Dans les faits, une dizaine de personnes étaient suffisantes pour permettre à Liv d’avoir un corps normal. Mais Liv ne voulait pas se limiter à ça. Elle voulait un corps supérieur aux autres. Elle voulait les dominer comme eux l’avait dominé toutes ces années. Mais en faisant ça, elle avait causé sa propre perte. La voix l’avait averti qu’en cas de surconsommation, elle ne l’entendrait plus dans sa tête. Elle disparaitrait. Et que la magie qui lui avait permis d’obtenir réparation disparaitrait à son tour. Et que cela pourrait déstabiliser son corps tout entier. C’était exactement comme la voix avait dit. Pour avoir voulu aller contre ses avertissements, ne voyant qu’un confort surréaliste pour être supérieure aux autres, elle en payait le prix. Son calvaire dura de longues minutes, voyant chaque partie de son corps se transformer en un amas de chair se décomposant chaque instant un peu plus. Au bout du compte, Liv vit sa vie rêvée se résumer à une flaque immense composée de morceaux d’une viande infâme étalée sur le sol. Sous les yeux d’un rire moqueur accoudé à la balustrade d’une maison proche, satisfait de voir cette punition s’accomplir. L’esprit d’Halloween observa encore quelques instants ce qui restait de celle qui avait voulu salir Halloween, par ses désirs plus grands que son corps ne pouvait le supporter, avant de s’effacer aussi soudainement qu’il était apparu…

 

 

Publié par Fabs

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