J’en suis encore à me demander comment j’arrive à écrire malgré le froid ambiant, mes doigts s’engourdissant de minute en minute, et mes yeux parvenant à peine à voir les mots noircissant ces page de mon carnet. Ce témoignage de ce qui est arrivé en moins de 24 heures au sein de ce restaurant qui aurait dû être un tournant dans ma vie. Cette même vie qui allait s’arrêter une fois que les engelures garnissant mon corps serait tellement nombreuses qu’elles en viendraient à se glisser à travers les pores de ma peau, gelant mon sang, et me faisant ressembler à une statue de glace digne des plus belles sculptures lors du carnaval du Québec, sur les promenades de l’Avenue Maguire. Qui sait ? peut-être les rejoindrait-je après que mon corps glacé ait été découvert. Peut-être aussi que j’en deviendrait le point de mire, parmi toutes les autres œuvres ? Moi qui voulait resplendir aux yeux des autres, et surtout de ma famille, je ne pourrais pas rêver mieux que cette éventualité.
Mais sans doute vous demandez-vous pourquoi j’attends la mort aussi impatiemment, rêvant d’un devenir funeste, moi qui n’ait toujours été qu’un paria pour les membres de la grande maison où j’ai vu le jour ? A vous dire la vérité, je ne suis même pas sûr de savoir si j’ai vraiment envie de briller, dans tout les sens du terme, au creux de cette société qui n’a fait que rejeter mes idéaux. Ces grands noms de la finance qui n’ont fait que me dénigrer dès lors que j’ai annoncé que je voulais devenir un grand chef de la restauration. Eux qui faisaient semblant de m’accepter, car malgré le dégoût que je leur faisais ressentir en me voyant, je n’en était pas moins un membre de leur caste, partageant leur sang, leur aura et la fierté de leur nom. Mais dès le jour où je fis part de mon désir de me plonger dans une profession « indigne » de la famille, le vilain petit canard que j’étais finit par devenir totalement un déchet dont il fallait se débarrasser…
J’ai été renié, destitué de toute possibilité de prétendre à un quelconque héritage, ou d’aides substantielles pour pouvoir survivre dans la jungle du monde « normal », eux se considérant comme pratiquement comme l’élite du pays. Même mon propre père m’indiqua qu’il ne me serait plus possible à l’avenir espérer remettre les pieds dans la demeure où j’avais été mis au monde. Simplement parce que je ne voulais pas être enfermé dans un carcan, une boite à privilège qui ne me correspondait pas. Alors, j’ai quitté ces hautes figures de l’économie sans même me retourner, fier d’être celui qui, le premier, à osé s’opposer à leur toute puissance hiérarchique, afin de me consacrer corps et âme à ce métier que me fascinait et m’attirait comme un aimant depuis tant d’années en secret. J’ai étudié dans des écoles prestigieuses, utilisant à bon escient la rente confortable que ma mère m’avait malgré tout alloué en secret pour mon départ vers ce que je considérais comme une vraie vie. Ma passion et ma persévérance ont fini par attirer l’œil d’un grand Chef, qui m’a proposé de travailler dans son restaurant.
Si vous saviez comme mes yeux étaient remplis d’étoiles ce jour-là… Mais à bien y réfléchir, si j’avais la possibilité de revenir en arrière, peut-être aurais-je dû revoir cette opportunité d’avancer dans mes rêves, comme un danger bien trop important pour m’y lancer, sachant que mon choix m’a entraîné dans cette situation digne d’un scénario de ces films de genre qui parsèment les plateformes de streaming, récoltant les avis négatifs par centaines, tellement l’intrigue semble éloignée de toute vraisemblabilité… Et pourtant, je suis là, enfermé volontairement dans cette chambre froide, seul refuge que mon cerveau survivaliste ait trouvé comme réponse pour échapper à l’un de ces scénarios « improbable ». Ces créatures ayant causées tant de morts innocentes, déchirant les chairs des clients du restaurant où j’officiais, mordant leurs bras, arrachant leurs os, se délectant de leurs organes sortis des corps, formant leur pitance appréciée dont elles se régalaient depuis maintenant plusieurs heures. Depuis le moment où elles étaient sorties de ces œufs étranges dont personne ne connaissait la provenance. Pas même le Grand Chef. L’un des premiers à avoir servi de cible à leur appétit vorace.
Et pourtant, je crois que je ne connaissais personne d’aussi consciencieux que lui. Toujours à vérifier plusieurs fois ses commandes, pour être sûr de ne rien avoir oublié pour confectionner ses plats qui faisaient la renommée de son établissement. Pour lui, rien n’était jamais trop bon pour ses clients, c’était une question d’honneur que de proposer les meilleurs ingrédients pour le palais de ces centaines de bouches qui salivaient à la simple idée de remplir leurs estomacs de ses plats. Hors de question d’incorporer des saveurs de moindre qualité, ou de proposer un mets incomplet pour avoir « oublié » un élément essentiel de sa composition. C’est pourquoi il fut très étonné de constater la livraison d’une caisse ne comportant aucun bon de livraison parmi la réception du jour, précédant l’invasion et le massacre qui allait se profiler au sein des murs de son commerce. Une caisse singulière, faite de bois grossièrement travaillé, très différente de ce qui était livré habituellement. En temps normal, les contenants avaient presque des allures de boites à bijoux de grande taille, tellement elles étaient prestigieuses, aussi bien par l’écriture ciselée, que par l’essence du bois et la majesté des crochets et autres formes d’ouverture.
Cette caisse-ci donnait l’impression d’être un vestige sorti d’une expédition à la Indiana Jones. La seule indication qu’on pouvait y voir était le nom du pays d’où elle venait, indiqué en grosses lettres peintes en noir : Brasilia. Intrigué par le mystère de cette caisse sans nom d’expéditeur, et ne figurant pas sur les bons de commande, le Grand Chef avait tenu à l’ouvrir lui-même, chose qu’il ne faisait jamais, laissant le soin à ses subalternes de s’en occuper, afin de ne pas salir ses doigts qui ne devaient pas être souillés par autre chose que des aliments ou ses accompagnements. La caisse avait été transportée dans la chambre froide, là où étaient entreposées les autres composants des commandes, afin d’en vérifier le contenu, puis disposées à leur emplacement prévu, sur les dizaines d’étagères disséminées à l’intérieur de la « Chambre des Délices », tel qu’elle était désignée. Après qu’il en ait ouvert le loquet et soulevé le couvercle, quelle ne fut pas sa surprise d’y trouver des œufs d’une taille considérable. Entendez par là qu’ils étaient pratiquement aussi gros que des œufs d’autruche, mais avec des couleurs inhabituelles. La coquille était d’un beige très foncé avec des teintes proche du vert, et comportant comme des sortes de petites taches brunes ça-et-là. Le dessus de la coquille formait une sorte de corolle blanche. La texture même de chaque œuf était étrange : elle n’était pas dure, comme tout œuf qui se respecte, mais presque molle.
Un peu décontenancé par cet aspect peu ordinaire, le Grand Chef demanda à ce qu’on ne touche pas à ces œufs, tant qu’il ne savait pas d’où ils venaient, et surtout qui les avaient envoyés dans son restaurant. Il supposait une erreur de livraison, ou une mauvaise blague de la part d’un de ses concurrents, ces derniers jalousant sa réussite très rapide dans le domaine de la restauration. Cela ne faisait que 2 ans qu’il s’était lancé dans le secteur, et il arborait déjà fièrement ses 3 étoiles, en plus d’être régulièrement sollicité par des magazines et émissions de cuisine, ayant même déjà fait publier son livre de recettes, qui était rapidement devenu un best-seller de sa catégorie. Un tel succès aussi rapide suscitait de la jalousie, et ces œufs pouvaient très bien être le fruit d’une action de ses adversaires, bien qu’il ne comprît pas trop la démarche de faire livrer une telle marchandise, ni quel but était visé par leur envoi dans son restaurant. Néanmoins, le coup de feu du restaurant n’allait pas tarder à être lancé, et il se dit qu’il examinerait le problème plus tard, une fois le dernier client parti. De ce fait, la caisse resta là, au milieu de la chambre froide, qui fut refermée dans la foulée, pendant que chacun s’affaira à son rôle.
Il se passa bien deux heures avant que la cuisine, dont les commis étaient en pleine effervescence, ne dut subir la rançon de son succès par le biais d’une rupture de plusieurs ingrédients présents, afin d’assurer la confection des plats demandés en salle. Etant le petit nouveau, à charge des basses tâches, il me fut demandé d’aller chercher ce qu’il manquait dans la chambre froide. Ce que je fis sans discuter, trop heureux de travailler au sein de cette brigade où l’ambiance collégiale frôlait la perfection, chacun étant plus qu’efficace dans son domaine de prédilection. Le spécialiste des viandes, celui des entrées, des accompagnements, des pâtisseries, des légumes… Tous étaient aux petits soins pour chaque plat, supervisés par le chef de Brigade, sous les yeux attentifs du Grand Chef, alternant sa présence entre la cuisine et la salle, où il se chargeait de discuter avec ses clients les plus à même de lui apporter encore plus de prestige, par leurs notes sur leurs blogs, leurs sites ou les forums et réseaux sociaux où ils ne manquaient pas de détailler le contenu de leur repas du soir.
Je quittais donc momentanément cette fièvre pour me rendre à la « Chambre des Délices », située de l’autre côté du couloir adjacent à la cuisine, afin d’en rapporter ce qu’il m’avait été demandé par mes collègues de brigade. Sur le chemin, je ressentis comme une impression curieuse de malaise, comme si le fait d’avoir quitté l’ambiance surchauffé de la cuisine m’avait fait pénétrer dans un autre monde… Plus froid, presque trop calme, tout juste égayé par les sons devenus presque inaudible émanant de l’endroit d’où je venais. Sans doute était-ce dû au fait de mon peu d’habitude des lieux. Du moins le pensais-je. Mais cette impression ne me quittait pas, et j’avais même la sensation qu’elle augmentait au fur et à mesure que je m’approchais de la chambre froide. Etant envahi par une sorte d’aura qui me faisait frissonner, alors que je n’étais pas encore entré là où étaient stockés les aliments. Au moment où je me trouvais près de la porte, je crus entendre des sortes de crissements, ou quelque chose de ressemblant, tels qu’en font certains animaux, ainsi que des bruits de chute, des coups métalliques. Bientôt, ces bruits se firent plus insistants, accompagnés de ce qui ressemblait fortement au son que l’on produit en déchirant des emballages : plastique ou carton. Et tout ceci venait de la chambre froide…
Sur le coup, je n’ai pas pensé immédiatement à la caisse et son étrange contenu, pensant plutôt à des souris ou des rats qui auraient investis, je ne savais pas trop comment, l’intérieur de la pièce. Je n’étais pas vraiment peureux de nature, mais je devais avouer que je n’étais pas particulièrement rassuré de me retrouver à ce genre de bestioles, capables de sauter d’un coup sur mon épaule, voire me donner un coup de dents. Puis je riais de ma propre stupidité. C’était ridicule d’avoir peur de petites bêtes qui auraient sûrement encore plus peur de moi que moi d’elles. D’autant plus que la simple idée d’avoir des rats ou des souris à l’intérieur d’une chambre froide, et qu’elles aient survécu, était du domaine de l’impossible. Oubliant mon appréhension, j’ouvrais donc la chambre froide, et entrait à l’intérieur. A ce moment, la stupeur et la surprise de voir les paquet contenant légumes, viandes et autres aliments au sol, déchiquetés de toutes parts, sans compter de nombreuses étagères renversées, fit place à la peur en voyant des entrecôtes presque croquées entièrement, os compris, des jambons à l’os grignotés en plusieurs endroits, ou encore tomates, pommes de terre, radis, réduits à l’état de miettes ou d’épluchures.
Je n’étais pas un spécialistes des rongeurs, mais il était hautement improbable que de simples rongeurs aient pu parvenir à dévorer des aliments de cette manière. Certes, c’était une chambre froide positive, dont la température variait entre 4 et 6 degrés, mais cela n’expliquait pas que les bestioles qui avaient fait ça aient pu pratiquer de tels dégâts en si peu de temps. A moins qu’il y ait une véritable armée au sein de l’endroit, il était improbable que les coupables n’aient pu être que de simples souris ou rats, au vu des morsures que je pouvais constater. D’autant que les traces sur les emballages n’avaient rien de commun avec des rongeurs. Mais plus encore que la constatation de ce carnage était ces dizaines de bruits que j’entendais autour de moi. Bruits de déplacement sur les étagères métalliques, me faisant comprendre que le poids des bêtes présentes étaient plus important que ces petits habitants peuplant habituellement greniers et murs des maisons. J’entendais aussi plus distinctement ce que je prenais pour des crissements quelques instants avant. Le bruit d’autres paquets tombant des étagères se faisait entendre à nouveau, sans que je puisse distinguer ne serait-ce qu’une silhouette. Quoi qu’il y eût ici, c’était suffisamment rapide pour échapper à ma vue, ce qui supposait une relative intelligence.
J’en étais encore à me demander comment ces bêtes, quelles qu’elles soient, avaient pu se faufiler à l’intérieur de cette chambre froide. Et, voyant la caisse étrange devant moi, je me rappelais soudain son contenu. Ces fameux œufs curieux sans expéditeur. Pas rassuré du tout, j’avançais prudemment vers cette dernière, observant en alternance sur les côtés, afin de parer à un éventuel saut de cet ennemi invisible. Je parvins finalement devant la caisse. Et là, mon angoisse prit une tournure bien plus élevée. Les œufs… Les œufs étaient fendus, pour ne pas dire proprement éventrés. Tous. Avec le Grand Chef, on avait dénombrés 16 œufs à l’intérieur de la caisse. En tout cas, 16 œufs visibles. Mais la caisse étant assez grande, et les œufs disposés dans de la paille, il était très probable qu’il y en avait d’autres dissimulés sous ceux visibles. Dès lors, il était impossible de savoir de combien d’individus de ces créatures sortis des œufs je pouvais être entouré. Ni de leur taille réelle. Mais au vu du bruit que j’avais entendu sur les étagères, elle devaient être suffisamment imposantes pour s’attaquer à un être humain, et lui infliger des blessures plus que conséquentes.
Au même moment, j’entendis des cris venant des autres pièces du restaurant. Des cris de terreur. Des dizaines et des dizaines de cris, doublés de bruits d’assiettes se brisant, de plats d’aluminium rebondissant en pagaille sur le sol, de chaises se renversant, de casseroles libérant leur contenu, de pas courant dans tous les sens… et il y avait aussi des cris stridents qui n’avaient rien d’humain, des cris d’animaux en chasse, dont les proies étaient les clients et le personnel du restaurant. Comment ces bêtes avaient pu sortir sans que je les voient ? Je me rappelais qu’en entrant, effrayé par le spectacle des aliments dévorés au sol, j’en avais oublié de refermer la porte derrière moi. Et en m’approchant de la caisse, les créatures avaient eu le champ libre pour sortir de la pièce, au vu de leur rapidité, et de leur intellect. Pas vraiment rassuré, je me dirigeais vers la cuisine, d’où venaient des cris de plus en plus distincts, mélange de douleur et de frayeur, après avoir refermé la porte de la chambre froide. Je savais bien qu’il était un peu tard pour ça, mais j’espérais que les créatures n’étaient pas toutes sorties, et que le fait de refermer laisseraient prisonnières celles n’ayant pu s’enfuir hors de la pièce. Mais j’étais loin d’imaginer le spectacle d’horreur qui allait se montrer à moi…
Devant moi, Garth, celui qui se surnommait lui-même comme étant le roi du gratin, était sorti en trombe de la cuisine, le corps parsemé de petites créatures parsemées de sortes d’épines proches de celles des porcs-épics, dotées d’une longue queue, elles aussi comportant des épines, mais plus courtes. Le bout de la queue ressemblant à une bouche remplie de dents pointues, qui plongeaient dans le corps de ce pauvre Garth à plusieurs reprises, en arrachant des morceaux de chair. Leurs corps longiligne devait mesurer dans les 30 centimètres à vue de nez, avec des pattes ayant de longues griffes tranchantes au nombre de 6. L’autre extrémité de leur corps comportait un museau démesuré, comme celui des crocodiles, avec en son sein 2 rangées de dents acérées, des oreilles en triangle, se partageant en 2 au bout, formant une espèce de cône, et une paire de yeux composé chacun de 3 pupilles dont le motif semblait se modifier, un peu comme les dessins de spirale qu’on utilise pour hypnotiser dans les BD.
Garth hurlait sous le coup des dents des deux parties des créatures, auxquelles se rajoutaient les épines dorsales qui pouvaient s’allonger et se rétracter, à l’image des griffes des chats, plongeant dans le corps, libérant un liquide noirâtre des blessures qu’elles infligeaient, comme une sorte de poison. Était-ce pour immobiliser leur proie ou l’intoxiquer ? Impossible de le savoir sans l’analyser. Il devait bien y avoir 4 ou 5 créatures de ce type sur lui, le mordant, arrachant sa chair jusqu’à l’os, certaines des bêtes brisant ceux-ci, avant de s’en nourrir. Garth se retrouva à terre, pendant que les créatures continuaient de le dévorer à petit feu, libérant un véritable océan de sang sur le sol du couloir. J’ignore pourquoi, mais je m’approchais de la cuisine, et là, ce que je vis était encore plus horrible. Il y avait des dizaines de créatures accrochées sur mes collègues, ceux-ci hurlant à l’unisson, certains tentant de se protéger le visage, laissant leurs mains se faire déchiqueter, pendant que le reste de leur corps était en proie aux centaines de dents des diverses créatures. D’autres commis avaient les yeux vitreux, ayant visiblement déjà succombés aux assauts de ces prédateurs d’un nouveau genre. Des corps gisaient sur les tables, étalés sur le sol, ou la tête plongée dans une marmite. L’un d’entre eux était la proie des flammes, étant tombé sur la gazinière en fonction. Le sang coulait partout sur les meubles, les aliments, le sol. Je voyais nombre de mes collègues tenter d’arracher les créatures de leur ventre, leur dos, leur cou, … En vain.
Par la fenêtre vitrée donnant accès à la salle du restaurant, j’apercevais un spectacle identique, les client étant envahis d’autres dizaines de ces bestioles voraces et implacables. Combien pouvait-il y en avoir ? C’était un vrai cauchemar. Je me souvenais que les œufs éventrés comportaient à peu près 2 à 3 trous, ce qui pouvait supposer qu’un œuf avait pu libérer plusieurs créatures. Multiplié par les 16 œufs, sans compter les œufs non visibles qui devaient être dans le reste de la caisse, ce devait être des centaines de ces créatures qui dévoraient toutes les personnes présentes. Je me demandais pourquoi personne n’avait tenté de sortir par la porte de l’établissement, jusqu’à ce que je m’aperçoive que le système anti-incendie était déclenché. Quand celui-ci était actionné, cela provoquait la fermeture automatique des portes. Un problème de fonctionnement que le Grand Chef avait signalé à la société qui avait mis en place le matériel, et qui devait être réglé depuis déjà deux semaines. Mais la société faisait la sourde oreille, et le Grand Chef envisageait de déposer plainte contre elle pour malversation.
Il n’aura plus besoin de le faire. D’autant que je vis le corps de celui-ci, affalé sur une table, une dizaine de créatures sur lui, du sang coulant sur la quasi-totalité de son visage, les yeux sortis de leur orbite, sans doute à présent dans l’estomac d’une de ces bestioles. La panique était totale partout où j’observais. Les client se démenant partout, espérant échapper aux morsures et à l’appétit de ces créatures du diable, mais il était évident qu’elles ne faisaient que retarder l’inévitable, et que leur sort était déjà programmé… Je me posais malgré tout une question. Pourquoi les créatures ne m’avaient pas attaquées moi aussi quand je suis entré dans la chambre froide. Même celles occupées à ravager les corps des différents cuisiniers et commis ne s’occupaient pas de moi, et donnaient même l’impression de m’éviter, sans que j’en sache la raison. Une idée me vint à l’esprit. Je ne vous l’ai pas dit au début de ce récit, mais j’ai une maladie auto-immune, et rares sont les personnes à être au courant. Mis à part ma famille. Ça fait partie aussi des raisons pour laquelle j’étais considéré comme un sous-homme à leurs yeux, presque un « échec de fabrication », même s’ils n’ont jamais employé ce mot devant moi. Était-il possible que ces créatures aient pu le ressentir, et du coup, ne me considéraient pas comme de la « bonne viande » ? C’était ironique en y pensant. Cette maladie qui faisait partie des tares que me reprochait mes parents me sauvait la mise…
Cependant, je n’étais pas sûr à 100 % que c’était vraiment la raison pour laquelle ces foutues bestioles, qui avaient transformé cet endroit en tombeau à ciel ouvert, ne m’attaquaient pas. Peut-être était- ce une forme de reconnaissance pour les avoir libérées involontairement de la chambre froide. D’ailleurs, le froid devait être à l’origine de leur éclosion, leur réveil. Une fois sorti des œufs, elles ont trouvés de quoi se sustenter, avec la viande présente, mais ça ne devait pas être suffisant pour elles. Elles avaient besoin de plus de protéines. Quand j’ai ouvert la porte, j’ai dû être à leurs yeux comme un libérateur, et rien que pour ça, elles ont dû se dire qu’elles s’occuperaient de moi en dernier. Enfin, tout ceci restait de l’ordre des suppositions. Je ne savais pas réellement la raison pour laquelle elles m’avaient épargné. Et à vrai dire, je n’avais pas trop envie de tester plus loin ma nature anti-créature. Rien ne garantissait que si je tentais de sortir du restaurant en brisant une vitre, elles ne chercheraient pas à m’attaquer. C’est ainsi que j’ai eu l’idée, ou la stupidité, je vous laisse le choix de me juger, de m’enfermer dans la chambre froide, attendant de devenir une œuvre impérissable.
Ah, j’ai oublié de préciser que la température de la pièce, qui normalement est constante, s’est mise à baisser, après que je m’y sois enfermé, et que j’ai commencé à écrire mon récit, là encore, sans que j’en sache la raison. D’où la perspective de devenir une sculpture de glace que je vous ai évoqué au début de cette histoire. Mon histoire. Et au moment même où j’écris ces lignes, je viens d’avoir la confirmation que toutes les créatures n’étaient pas sorties. 3 d’entre elles sont devant moi à l’instant, et se rapprochent de moi, toutes dents dehors. Je ne sais pas si c’est le froid qui fait qu’elles me trouvent plus à leur goût à présent, ou que celui-ci a fait disparaître les effets de ma maladie, mais du coup, je ne suis plus très sûr de finir ma vie sur l’Avenue Maguire, parmi les autres statues de glace. En tout cas, mon corps a peu de chance d’y être exposé en entier…
Publié par Fabs
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