21 oct. 2023

SKINWALKERS (Challenge Halloween/Jour 20)

 


Bien que solidement ancré dans le monde moderne, mon peuple a gardé ses croyances. J’ai été élevé en apprenant l’histoire de mes ancêtres, et en vénérant la nature qui nous apporte chaque jour ses bienfaits. Mes parents sont d’honorables éleveurs de moutons, et mon frère est un guide fort apprécié par les touristes venant séjourner au sein des Hogans, nos habitations traditionnelles, présent à Window Rock, la localité servant de capitale a notre peuple, la nation Navajo, au sein du Comté Apache, au sein de l’état américain d’Arizona. Pour ma part, bien que mes parents aimeraient me voir suivre la même voie qu’eux dans l’élevage, j’aspire depuis longtemps à devenir un grand musicien, dans la droite lignée du groupe BlackFire, célèbre formation populaire chez nous de Punk Rock, et dont les membres, tous frères et sœurs, sont connus pour militer très activement pour les droits des amérindiens.

 

Mon frère est déjà mon plus grand fan, et c’est à lui que je dois d’avoir la guitare que je possède. C’était la sienne avant. Lui aussi voulait percer dans ce domaine, pour changer le quotidien de notre famille, mais il a vite compris qu’il n’était pas destiné à cette voie, et s’est donc tourné vers une carrière plus « classique » en termes de travail. Ses connaissances de la région, à force d’aider nos parents pour s’occuper de notre troupeau, l’ont fait se diriger naturellement vers le métier de guide pour les touristes, en plus d’un poste de serveur auprès d’un Bed and Breakfast de Window Rock, tenu par notre oncle. Comme vous voyez, tout reste dans la famille. Nous sommes très soudés, et mon frère Gad m’a un jour surpris à jouer un morceau sur sa guitare, et surtout très étonné de voir que j’étais naturellement doué. Bien plus que lui ne l’était à mon âge, tel qu’il me l’a avoué. C’est pourquoi il est mon meilleur soutien à persévérer dans cet objectif de carrière.

 

Mais en fait, la musique n’est pas la seule chose pour laquelle j’ai vite assimilé les bases. Ce fut le cas pour d’autres domaines divers, apprenant des tâches extrêmement rapidement, comme par magie. Mes parents n’aiment pas que j’emploie ce terme, bien qu’ils ne veuillent pas me donner plus de détails. Ils se ferment à toute conversation dès lors que j’évoque mon « don » à m’adapter à tout et n’importe quoi, au même titre qu’un caméléon se fondant dans son environnement. Ne pouvant avoir d’explication de leur part, j’ai demandé à Gad s’il savait pourquoi ce mot avait quasiment un sens tabou pour nos parents. J’ai vu à ses yeux que lui aussi semblait gêné, mais c’était surtout du fait qu’il ne voulait pas que notre père, principalement, l’entende évoquer cette partie « interdite » de l’histoire de notre famille, et même de l’ensemble de notre peuple. A demi-mots, il m’indiqua alors qu’il me dirait ce qui en est le moment venu, quand on serait seuls tous les deux, hors du cercle familial.

 

J’ai accepté ce « deal » de Gad, et ai attendu qu’une opportunité se montre. Elle arriva lors de l’Hozhoo Naasha, une fête traditionnelle se déroulant sur 5 jours, où danses, chants, parades et rodéos constituent l’occasion d’attirer nombre de touristes ravis d’assister à ce florilège mélangeant modernisme et culture traditionnelle navajo. Enfin je dis Navajo, parce que c’est le terme qui nous désigne quand on n’est pas de notre peuple, mais en réalité, nous préférons un terme qui est plus propre à notre langue : Diné, ce qui signifie tout simplement « le peuple ». D’ailleurs, notre langage reste toujours aujourd’hui comme une forme de barrière de compréhension pour beaucoup de personnes n’ayant pas l’habitude de nous côtoyer. Elle est si particulière qu’elle a servi pendant la 2nd Guerre Mondiale, lors de la guerre du Pacifique aux services secrets américains pour les messages confidentiels.

 

Plusieurs auxiliaires Diné traduisirent les textes les plus confidentiels, avant qu’ils ne soient chiffrés. Une technique qui empêcha les japonais de parvenir à « casser » le code. Et aujourd’hui encore, on fait appel à des gens de notre peuple pour complexifier certains codes informatiques, et les rendre extrêmement difficiles d’accès pour les hackers, en mixant langue Diné, chiffres et lettrage anglais classique. C’est quelque chose dont on est assez fier, car cela nous démarque de la plupart des autres tribus apaches, auxquelles les Diné sont apparentés. Bref. Profitant de la fête, et que nos parents, ainsi que notre oncle, soient occupés à se divertir sans s’occuper d’autre chose, Gab m’entraîna à part des festivités, au sein d’une grange, et m’expliqua le pourquoi de leur réticence à ce que j’emploie le mot « magie » pour parler de mes dons naturels d’adaptation d’apprentissage dans divers domaines. 

 

Pour cela il faut remonter à loin dans notre histoire, à ses fondements même, afin de comprendre tous les aléas de ce véritable héritage familial craint par nos parents, mais aussi, comme j’allais l’apprendre également, par d’autres membres de notre peuple, au sein de la réserve. Entre 1300 et 1500, une vague d’émigration de Dinés se sépare du groupe principal situé au Canada, qui a longtemps été le lieu d’implantation phare de notre peuple, et se dirige vers le Sud-Ouest des Etats-Unis et le nord du Mexique. C’est au cours de cette période « canadienne » que va se développer le lien étroit entre les Dinés et la nature, au sein de cette contrée encore sauvage à cette époque. Pour pouvoir survivre aux nombreux dangers, ils ont dû apprivoiser les éléments naturels de la région, la flore, et la faune, l’étudiant, l’analysant, jusqu’à en adopter plusieurs facteurs, donnant naissance à des rites divers pour obtenir la protection des esprits envers l’environnement alentour, pas toujours ravi de la présence de ces « intrus ». 

 

Notamment les coyotes, contre qui les Dinés étaient souvent obligés de se défendre, attaquant les camps en meute pour y trouver la nourriture qui les attiraient. Contrairement aux loups et autres bêtes sauvages, qui évitaient la plupart du temps de s’approcher des lieux de vie des tribus, les coyotes, eux, se montraient plus hardis. Ce qui valut à cet animal le statut de représentation du mal, qui perdura dans la culture de notre peuple. L’étude de diverses manifestations météorologiques, de plantes aux particularités surprenantes, suivant des processus d’associations complexe, ayant demandés des années d’essais pour en faire ressortir tous les secrets, tout cela mena aux hommes-médecines à développer des facultés propres à chasser les « démons » qu’étaient les coyotes, principale source de danger.

 

Seulement, pour apprendre à éloigner le mal, il fallait comprendre son fonctionnement, et en adopter l’essence. C’est ainsi que naquit la magie au sein des Dinés. Mais si elle permettait effectivement de contrer les actions du « mal », elle avait un revers : les hommes- médecines l’utilisant devaient modérer son utilisation, sous peine de céder à son côté sombre, et se rapprocher de trop près de la nature de l’ennemi principal, et devenir eux-mêmes des bêtes gorgées du mal qu’ils cherchaient à combattre. Certains hommes-médecines ou shamans parvinrent à résister à ces pendants emplis de noirceur contenus dans la magie, et réussirent à séparer le bon du mauvais dans l’utilisation de ces techniques, établissant des sortes de « règles » immuables pour ne pas se laisser tenter par le mauvais versant. Cependant, d’autres shamans, attirés par la puissance physique et spirituelle de ce côté sombre de la magie, bien plus importante que sa partie « claire », adoptèrent cette noirceur comme base de leurs pouvoirs, faisant se consumer leurs âmes, et contrôlés invariablement par l’esprit du coyote, représentant le mal qu’ils étaient censés combattre.

 

Ils devinrent des sorciers, s’opposant aux shamans par leurs méthodes, et pouvant se fondre littéralement dans le corps de l’animal représentatif de ce mal, à savoir donc le coyote, et d’autres animaux affiliés à ce dernier, comme le loup, le corbeau et parfois le chien, même si dans le cas de celui-ci, cela dépend des tribus, suivant le rapport de danger qu’elles ont avec cet animal. Sachant qu’en l’occurrence il ne s’agit pas de chiens domesticables, mais bel et bien de chiens sauvages, souvent issus de croisement entre plusieurs types de canidés, comme les loups et les chiens domestiques. Et quand je dis se fondre dans le corps de ces animaux, ce n’est pas au sens spirituel, mais bien physique. C’est-à-dire qu’ils ont la faculté de se métamorphoser en coyote, en loup, en chien ou en corbeau. Des dissensions au sein des tribus prirent forme, obligeant celles-ci à chasser les sorciers ayant cédés au mauvais côté de la magie, de peur qu’ils finissent par offrir les membres de la tribu en offrande à leur nouveau dieu.

 

Les mythes tournant autour de la naissance de l’homme et de la femme par le Dieu Coyote, afin qu’il se divertisse, et faisant en sorte que les hommes s’affrontent dans ce but, sont les conséquences directes de ces deux magies distinctes. Néanmoins, les shamans devant transmettre leur savoir quand ils sentent qu’ils vont quitter le monde des hommes, éduquent leurs apprentis, ceux qui sont amenés à les remplacer une fois qu’ils seront partis, apprennent les deux versants de la magie, la bonne et la mauvaise, afin qu’ils sachent comment combattre le côté sombre s’il y est confronté. Le shaman doit être suffisamment fort d’esprit pour n’utiliser que la bonne magie pour le bien de sa tribu. Les esprits plus faibles, cédant à l’autre côté et devenant sorcier ne peuvent que nuire au bien-être de ceux et celles dont il a la charge de protection.

 

C’est à cause de ces dissensions, dit-on, qu’a débuté cette 2ème vague d’émigration dont je vous ai parlé plus tôt, et ayant amené les Diné vers une région où vivent déjà des tribus Comanches, Pueblos, Utes et Païutes. La nature vindicative des ces Dinés, qu’on suppose menés par un sorcier plutôt qu’un shaman, les font s’affronter avec les divers clans occupant la région. Conflits qui vont durer des années, avant que, se rendant compte que ces combats ne mènent à rien, et sont dus à l’influence des sorciers, finissent par chasser ces derniers, et s’installent au cœur d’une région que les colons espagnols vivant également en ces lieux nomment Apacheria, qui donnera son nom aux différents clans et tribus Apaches, dont les Navajos.

 

Les années et les siècles passèrent, et nombre d’autres conflits éclatèrent entre des tribus étant retombés sous la coupe de sorciers autrefois chassés, ayant profité de la mort de shamans pour prendre leur place, et les colons espagnols, ainsi que mexicains. A partir de 1849, ce fut face au gouvernement des Etats-Unis que les Dinés, les Navajos si vous préférez pour mieux vous situer, furent confrontés. Des affrontements qui trouvèrent une issue funeste, suite à une campagne menée par Kit Carson, et menant à un épisode tragique de l’histoire Navajo, celle de la « Longue Marche », une déportation qui verra mourir plusieurs milliers des leurs entre 1864 et 1868.

 

Par la suite, les Navajos apprirent à vivre à cohabiter, la plupart des sorciers sont morts, et les rares survivants parmi ceux-ci sont systématiquement chassés des tribus, dès lors que leur nature est connue. Cependant, il y eut un évènement majeur qui se déroula dans l’une des tribus dans les années 40. La naissance de 4 enfants mâles de la même femme à quelques minutes d’intervalle l’un de l’autre. Vous allez me dire que ce n’est pas vraiment quelque chose d’étonnant, mais dans notre culture, et à l’époque où se sont déroulés les faits, c’était quelque chose d’exceptionnel. Et surtout, le chiffre 4, dans la culture Navajo ou Diné, revêt une symbolique divine. Ces 4 enfants firent donc l’objet de toutes les attentions. Parmi eux, figurait mon grand-père, d’après ce que m’apprit Gab. Et très vite, il montrait des dispositions à devenir Shaman, de manière beaucoup plus importante que ses 3 frères. Mais pas dans la direction qu’il aurait fallu.

 

Au même titre que d’autres, le Shaman qui lui apprit les rudiments de sa future fonction, insista sur le fait de choisir la bonne magie plutôt que l’autre, bien qu’il se devait de connaître les deux. Mais Ahiga, le prénom de mon grand-père que je n’ai donc jamais connu, se laissa tenter, ce qui allait le mener à devenir un sorcier malveillant, communément appelé dans notre culture, un Skinwalker, un marcheur de peau, du fait de sa faculté à se transformer en animal affilié au mal. Ahiga, à l’aube de ses 20 ans, conscient que son choix risquait de lui valoir une expulsion de la tribu, usa de son pouvoir pour tuer ses 3 frères, ainsi que le chaman lui ayant appris ce qu’il savait. La tribu, terrifiée de ses pouvoirs, ce dernier faisant une démonstration de ceux-ci pour bien montrer que chacun lui devait obéissance, se résigna à se soumettre au moindre de ses désirs. Y compris lorsque Ahiga désira prendre pour épouse une fille de la tribu, transgressant un tabou inimaginable.

 

Il faut savoir que chaque Navajo n’a pas le droit de se marier ou même avoir une relation, aussi éphémère soit-elle, avec un membre de la tribu dont il fait partie. C’est une manière de pérenniser celle-ci, et toute atteinte à cette règle peut déclencher le malheur au sein du clan. Mon père est né 2 ans après cette union interdite, et déjà la tribu avait subi nombre de conséquences de cette transgression. Morts de nombreux animaux des troupeaux, végétation aux alentours du camp devenue toxique, libérant d’étranges vapeurs, déflagrations de plusieurs Hogans, puits tari, obligeant à déplacer le camp régulièrement, et surtout de nombreux cas de maladie rares, voire des décès en pleine nuit sans cause apparente. A savoir que la maladie, dans la culture navajo, est considéré comme une rupture de l’Harmonie propre aux fondements de l’idéologie de notre peuple. Comme je vous l’ai dit auparavant, la nature revêt une importance fondamentale pour notre peuple, car c’est un symbole d’harmonie.

 

Elle s’adapte aux changements, et chaque animal, plante, phénomène météorologique constitue un élément d’un tout. C’est l’Hozho, l’Harmonie. Pour conserver cette harmonie au sein de la tribu, les dieux sont invoqués, des offrandes offertes, des danses rituelles sont pratiquées. Parmi ces cérémonies, nombre ont pour vocation de rendre l’harmonie à un membre du Diné avec le monde qui l’entoure. Des cérémonies qui peuvent s’étaler sur plusieurs jours et nuits et consacré à divers stades de l’Hozho : santé, stress, mort d’un proche. Autant de circonstances pouvant mener à la maladie, qu’elle soit d’ordre virale ou psychologique, et donc une perte de l’harmonie nécessaire à une bonne vie. Et depuis la prise de pouvoir d’Ahiga, cette harmonie s’est brisée totalement, faisant s’enchainer nombre de décès, fuir des membres de la tribu, retrouvé à leur tour mort peu de temps après par un animal, ou par un élément de la nature. Éboulement, noyade à la suite d’une chute dans une rivière, attaque d’un animal sauvage, empoisonnement après avoir mangé un fruit…

 

La naissance de mon père redonna un léger espoir, car aucune naissance n’avait eu lieu depuis les 2 ans la précédant, causant la déchéance de la tribu, et accentuant la perte d’harmonie.  Pour compenser le manque de nourriture faisant parfois défaut, il imposait aux hommes et femmes du camp à voler dans d’autres tribus, voire en dehors de la réserve allouée aux Navajos. Si cela ne suffisait pas il usait de ses pouvoirs de transformation pour attaquer les camps visés. Dans le même temps, il avait la faculté de déterminer quels membres de la tribu avait les mêmes dispositions que lui à devenir un Skinwalker, et il forma plusieurs d’entre eux aux méandres de la magie, mais en se limitant à leur apprendre la mauvaise magie, celle qui avait fait de lui ce qu’il était. Quand mon père est né, 4 autres Skinwalkers avait ainsi été formé, permettant des attaques ciblées fulgurantes, où des morts par dizaines se comptait après leur passage. Toute personne montrant des signes de résistance était tuée, pendant que, durant l’attaque, d’autres hommes de la tribu était chargé de piller les réserves du camp investi.

 

Des opérations rondement menées dont la nouvelle se répandit. On annonçait qu’un groupe de ces sorciers malveillants avait pris possession d’une tribu, imposant sa loi, et semant la terreur au sein d’autres tribus. Parfois, des enlèvements étaient pratiqués quand Ahiga repérait un « potentiel », un futur Skinwalker pouvant grossir les rangs de sa troupe, qu’il se chargeait de former. Si celui-ci ne se montrait pas obéissant et refusait de devenir un nouvel élément de sa petite armée en devenir, il était tué sans ménagement, et son corps était exposé aux abords d’autre camps, à titre d’avertissement. En grandissant, mon père a été témoin de nombre d’horreurs pratiqués par mon grand-père, et personne parmi les autres tribus n’osait montrer de résistance, ou tenter de mettre fin à son règne de terreur. Un « règne » qui dura de longues années, jusqu’à ce que mon père atteigne l’âge requis pour devenir, lui aussi, un Skinwalker, selon le désir de mon grand-père, ayant décelé en lui un « potentiel ».

 

Il avait 13 ans, et, malgré son jeune âge, était pleinement conscient du monstre, dans tous les sens du terme, qu’était son père. Entre-temps, Ahiga eut un autre fils, mon oncle, certainement promis à devenir, lui aussi, un « potentiel », et un futur Skinwalker. Mon père était très proche de son jeune frère, et s’imposa comme un protecteur envers lui, voulant le sauver de mon grand-père. C’est pour lui, pour sa mère, et pour tous les autres soumis que, sans rien laisser transparaître à Ahiga, il mit en place un plan qui permettrait de libérer la tribu du joug de ce dernier, avec la complicité d’adultes et de jeunes de son âge. Des jeunes enlevés dans d’autre camps, prévus d’être formés à leur tour dans les semaines à venir. Mon père profita de la sortie de mon grand-père avec sa « troupe », pour préparer le terrain au retour du groupe. Quand celui-ci revint, il fut étonné de trouver un camp vide. Appelant, il n’obtint aucune réponse, quand il vit soudain qu’à plusieurs endroits, des branchages caractéristiques avaient été disposés, et des signes gravés sur les Hogans. Un piège mystique. Tout le village avait été pensé pour bloquer Ahiga et son groupe. Bientôt, au signal de mon père, plusieurs projectiles enflammés fendirent l’air, s’abattant avec précision sur les endroits où avaient été placés les divers branchages, préalablement imbibés d’une substance inflammable, et créant un brasier infernal.

 

Les cris de la troupe d’élite d’Ahiga brisaient le silence des environs du camp, des cris déchirants de douleur, accentué des crépitements de la chair brûlée par les flammes, durant de longues heures. Jusqu’à ce que plus aucun son ne parvienne au petit attroupement des anciens soumis du sorcier. Cependant, quand mon père se rendit sur les cendres du camp, il ne trouva que 6 corps calcinés, correspondant aux Skinwalkers formés par Ahiga. Mais le corps de ce dernier était introuvable. Les connaissances en magie du sorcier étaient très étendues, et il était plus que probable qu’il ait trouvé une parade pour contrer le sort mis en place par mon père. Malgré tout, il devait être fortement affaibli, et surtout, il était désormais seul, sans plus aucune puissance de frappe, et il ne serait donc plus un danger pour personne.

 

Depuis ce jour, Ahiga n’a plus donné signe de vie, et on suppose qu’il a fini par mourir quelque part, dans l’anonymat le plus complet. Ma grand-mère mourut de sa belle mort un an plus tard, ayant gardé en elle des traces indélébiles des actes de son mari. Un mariage qu’elle n’avait pas choisi, imposé par Ahiga. Plus tard, mon père a rencontré ma mère, ayant trouvé un travail à Window Rock, tout comme son frère, chacun dans un domaine différent. Il travailla dur pour se payer une maison en dehors de la localité, et obtenir de quoi acheter quelques bêtes, qui constituèrent le point de départ de son élevage, tel que je le connaissais aujourd’hui. Voilà ce que m’expliqua mon frère, et qui me permettait de mieux comprendre l’appréhension de mon père envers la « magie », et tout mot y faisant référence. Je remerciais Gad de ces précieuses informations, et après ça on retourna à la fête.

 

J’avais la tête pleine de questions. De ce que je savais, Ahiga n’était pas mort, et avait juste disparu sans que personne ne sache ce qu’il était devenu, et mon père avait hérité des facultés de ce dernier, bien que j’aie bien compris qu’il ne voulait plus s’en servir. Il l’a fait une seule fois, pour libérer sa tribu et les autres soumis à la volonté de son père. Et il y avait un petit détail dont je n’avais pas encore parlé à mon frère, concernant mes « dons ». A chaque fois que je voulais m’atteler à quelque chose que je ne connaissais pas, mais qui m’intéressais, j’avais comme des « flashs ». Des sortes de « mode d’emploi » me disant comment faire, dans quel ordre précis, suivant un processus particulier pour maîtriser la technique. Et… Il y avait toujours le visage d’un coyote dans ces songes éveillés. Au vu de ce que j’avais appris aujourd’hui sur le passé de mon père, sur mon grand-père, sur la transmission de ces pouvoirs, était-il envisageable que ces dons ne soient en fait que les gênes familiales dont j’avais hérité ?

 

Mais en ce cas, est-ce que Gad les avait aussi ? Je ne pense pas, sinon il serait devenu une star de la musique. Sans compter qu’il me l’aurait dit s’il avait vécu les mêmes types de songes que moi. Certes, je ne lui en avais pas parlé, mais ça ne changeait rien. Je sais très bien qu’avec tout ce qu’il m’avait appris, prenant le risque de m’en parler, sans que nos parents, et surtout mon père, soient au courant, s’il avait lui aussi un « héritage » d’Ahiga, il était évident qu’il me l’aurait également confié. Néanmoins, je ne sais pas si c’est le fait de savoir, mais mes « songes » en plein jour se multiplièrent les jours suivants, dès lors que je touchais un objet ou quoi que ce soit d’autres qui attisait ma curiosité. Une sorte d’apprentissage accéléré. Ça m’intriguait et ça m’inquiétait en même temps. Il y avait toujours ce coyote, mais il semblait différent. Il avait des traits plus humains.

 

A partir de là, je me demandais si ce coyote ce n’était pas Ahiga, mon grand-père. Son corps n’a jamais été retrouvé. On n’a fait que supposer qu’il soit mort, quelque part dans la Réserve ou au-dehors, mais il n’y avait aucune certitude. A chaque nouveau songe, les traits humains se précisaient, le coyote laissait la place à l’homme, jusqu’à ce qu’un jour, il n’y eut plus que l’homme. Je n’avais jamais vu une photo, un dessin ou je ne sais quoi d’autre le représentant, donc j’ignorais de quoi il avait l’air avant ça. Mais, au fond de moi, je savais qu’il s’agissait de mon grand-père. Il devait passer par ces songes pour prendre contact avec moi. Il avait dû sentir que j’étais un « potentiel » moi aussi, malgré la distance. Mais peut-être n’était-il pas si éloigné que ça, et qu’il m’observait, ne manquant rien de la progression de mes « dons », suivant ses conseils chevronnés qu’il m’envoyait psychiquement. Les jours passaient, et un jour, ça ne se limitait plus à un visage, mais aussi à une voix, s’adressant directement à moi :

 

 -  Adriel… Je sais que tu sais… Tu sais qui je suis…

 

Ne voulant pas alerter mes parents ou même mon frère, je parlais à voix basse, comme pour répondre à la voix que j’entendais dans ma tête. 

 

 -  Ahiga ? Enfin, je veux dire Grand-Père ? 

 

 -  C’est bien moi. Tu connais mon histoire, inutile donc de te la redire. Si ce n’est que beaucoup de mensonges t’ont été dit. Ton père, mon fils, il n’a pas compris ce que j’essayais de mettre en place, petit à petit, la société que j’ai tenté d’ériger. Mais j’ai eu le temps de reformer un groupe depuis toutes ces années, et je suis prêt à reprendre le chemin du but, de l’objectif qui a été interrompu…

 

 - Mon frère m’a dit que vous enleviez des enfants, voliez des camps, forçant les gens à devenir comme vous, grand-père… Ce sont des mensonges ? 

 

 -  J’ai effectivement fait toutes ces choses, mais elles ont été mal comprises. Ce que je veux, c’est redonner la puissance à notre peuple, montrer aux non-amérindiens que nous ne sommes pas des sous-hommes tout juste bons à être relégués dans une réserve…

 

 -  Les choses ont changé depuis ton époque grand-père. Window Rock accueille toutes sortes de nationalités, notre peuple bénéficie de contrats avec le gouvernement américain pour l’exploitation du pétrole et du gaz présent sur nos territoires, ce qui apporte des revenus conséquents. Sans oublier le commerce du bétail, les souvenirs, les visites guidées…

 

 -  Ce ne sont que des preuves de plus que nous continuons d’être opprimés ! Nous sommes toujours dans des réserves. Le pétrole, le gaz, nous devrions être les seuls à l’exploiter et récolter tout ce qui en résulte. Quand au tourisme, cela montre bien à quel point nous ne sommes considérés que comme des animaux dans un zoo qu’on vient voir…

 

 -  Je n’avais jamais vu la situation comme ça…

 

 -  Et dis-moi, trouve-tu normal que certains d’entre nous n’ont toujours pas accès à l’eau potable et l’électricité, malgré tout le « modernisme » qu’on est censé avoir, grâce aux miettes offertes par les exploitants des puits ? 

 

 -  Je… Je ne sais pas quoi répondre à ça. Je ne sais pas tout…Papa saurait répondre mieux que moi…

 

 -  Ton père s’est mis des œillères depuis des années. Il refuse de voir l’évidence. Je peux changer tout ça. Toi aussi, si tu me rejoins. Si tu rejoins mon armée. 

 

 -  Ton… Ton armée ? Tu… Tu veux dire qu’il y en a d’autres comme toi ? 

 

 -  C’est tout à fait ça. J’ai juste modifié ma manière de faire pour « recruter » ceux constituant mon groupe, et j’ai dû trouver un lieu où personne ne se douterait ce qu’on y prépare. Je ne pratique plus d’enlèvements. Je dois avouer que c’était peut-être un peu radical et trop brutal à l’époque…

 

-   Ils sont consentants ? C’est ça que tu essaie de me dire ? 

 

 -  Tout à fait. Mes pouvoirs ne me permettent pas seulement de prendre la « peau » d’un animal. Je peux aussi, à l’occasion, glisser mon esprit dans le corps d’un être humain. Il me prête son corps, en toute connaissance de cause. A chaque fois, j’emprunte le corps humain d’un membre de mon groupe, et j’approche en plusieurs étapes ceux amené à être des potentiels. Je leur explique ce qu’ils sont, je leur montre des preuves, et ils finissent toujours par me suivre…

 

 -  Et tu voudrais que moi aussi je te suive, c’est ça grand-père ?

 

 -  Tu as tout compris. Je sais que tu es plus intelligent que ton père. Tu sais au fond de toi que ce que je fais est juste. J’agis au nom du futur de tous les amérindiens. Si tu es d’accord pour que ce pays change par notre action, rejoins-moi. Tu as juste à me dire que tu veux me suivre, et je t’indiquerais le chemin pour te rallier à notre groupe. Nous sommes déjà plus d’une centaine de nouveaux Skinwalkers, prêt à fondre sur Window Rock. La première étape du futur changement de l’Amérique. Et pour accentuer les symboles, nous fonderons sur la ville le jour d’Halloween. Traditionnellement, il s’agit du jour, pour les non-amérindiens, où les frontières des mondes se réduisent. Ce sera parfait. Ce jour-là, la frontière entre nous et eux vas se briser également…

 

Nous discutions encore un long moment. Lui dans ma tête, moi à voix basse. Il m’exposait son programme de « remise à niveau » de la société américaine, qui passait par une prise de contrôle des « pantins » de Window Rock, qui acceptaient tous les compromis du gouvernement américain sans sourciller. Ce qu’il n’acceptait pas. J’avoue qu’au début, j’étais sceptique, mais plus notre conversation avançait, plus je comprenais et adoptais son point de vue. Je n’étais pas dupe : je savais que son plan consistait en une sorte de gigantesque insurrection le jour d’Halloween. Tout un symbole ce jour, comme il me l’avait indiqué. Mais j’avais vu la misère que ma famille vivait au quotidien, parvenant tout juste à vivre de l’élevage de nos moutons. Et nous étions plutôt bien lotis. D’autres vivaient bien plus misérablement, sans que ça alarme plus que ça le gouvernement. Quel que soit le président, aucun ne s’est vraiment penché sur le sort des amérindiens, relégués à l’histoire, malgré toute l’aide que nous apportons chaque jour au fonctionnement du pays dans divers domaines.

 

Si Grand-Père pouvait changer les choses, même si ça passait par une action violente au départ, ce serait un mal pour un bien s’il pouvait vraiment apporter de vraies solutions. Alors, j’ai fini par accepter sa proposition, après avoir pesé le pour et le contre. Contrairement à papa, je voyais ce que grand-père pouvait apporter comme renouveau aux conditions de vie des amérindiens. Et c’était plus que louable. Il m’a indiqué où se situait son petit groupe, et dès le lendemain, j’ai trouvé le prétexte de me rendre à Window Rock pour un entretien d’embauche pour partir de la maison. J’ai feint me rendre en ville, et je me suis rendu à l’extérieur, suivant les instructions de mon grand-père. Un homme m’attendait. Il m’a emmené vers la cachette des Skinwalkers, quelques kilomètres plus loin. J’ai pu discuter plus en profondeur avec Ahiga, et il a commencé à me former.

 

Il a été très étonné de ma rapidité d’adaptation, encore plus rapide que ça ne l’avait été pour lui -même. Pour ne pas alerter mes parents, je revenais chaque soir à la maison, leur racontant une fausse journée de travail. J’ai joué à ce petit jeu pendant une semaine, sans qu’ils aient de soupçons, et puis, j’ai dit que j’avais trouvé autre chose en dehors de la réserve, un emploi plus stable et mieux rémunéré. Ils étaient ravis de cette nouvelle. Ce nouveau mensonge me permettait d’avoir une formation plus intensive. Mon grand-père avait tenu à assurer celle-ci personnellement. J’ai très vite progressé, apprenant à maîtriser mes facultés innées de Skinwalker, pouvant changer de forme. Pour l’instant, je ne peux que prendre l’apparence d’un loup, mais c’est déjà beaucoup. Grand-père peut prendre 5 apparences différentes, en plus de pouvoir incruster son esprit dans le corps d’un homme. J’espère pouvoir arriver un jour à ce niveau. En dehors de grand-père, seuls 12 Skinwalkers sont capables des mêmes capacités. Sur les 124 du groupe.

 

Il a fallu 1 mois intensif, mais je suis désormais opérationnel en tant que soldat de l’armée de Grand-Père, grâce à mon extrême adaptabilité, ayant fortement impressionnés nombre de membres du groupe, grand-père compris, et on s’est déjà mis en route vers Window Rock. Pour aller plus vite, on a tous revêtu nos formes animales. Entre-temps, d’autres ont subi des formations, d’autres ont rejoints le mouvement. Ils ne sont pas tous prêt, une partie est restée à la planque. Mais nous sommes tout de même fort de 147 Skinwalkers, de quoi prendre possession de la capitale Navajo sans la moindre difficulté. Pour commencer... A l’heure où vous entendrez ce message, Window Rock sera sûrement tombée, et une nouvelle ère va débuter. Désormais, Halloween sera la date où tout a changé. Pas seulement pour les Navajos, les Diné. Mais pour tous les peuples amérindiens…

 

Publié par Fabs

20 oct. 2023

LA GOULE DE FARRBURG (Challenge Halloween/Jour 19)

 


 

J’ai toujours admiré le travail de ma grand-mère. Bien que beaucoup trouve ses œuvres un peu macabres, se voulant dans la droite lignée de « l’art » du tueur Ed Gein, dont elle avoue s’être inspirée, elle a acquis au fil des années une certaine notoriété en Allemagne, attirant nombre de curieux de sa boutique au sein de notre petit village de FarrBurg. Un attrait touristique non négligeable et offrant un afflux de potentiels clients pour les autres petits commerces du village. Une abondance financière dont profite également la mairie qui a vu l’opportunité de profiter elle aussi des fans et curieux de l’art de ma grand-mère, Flekchen. Même son prénom n’est pas commun. La proximité du Rotofen, dont les monts escarpés faisaient déjà la joie des amoureux des paysages naturels à part, ont donné l’idée à notre Maire d’organiser des randonnées où un guide emmène les touristes désireux d’en savoir plus sur l’histoire du Rotofen et de ses secrets, à travers ses méandres rocheux, et se retrouver au plus près, suivant le circuit, de la poitrine, du nez ou du menton de la « sorcière endormie », le nom donné à cette chaîne de montagnes.

 

Le Rotofen est composé de 3 sommets situés dans le massif des Alpes de Berchtesgaden, au cœur du chaînon du Lattengebirge : le Vordere (1370 mètres, le Mittlere (1396 mètres) et l’Hintere Rotofen (1467 mètres). Son nom lui vient de son aspect, vu de la vallée, donnant l’impression d’une femme au nez crochu allongée. La direction de la « tête », avec le menton, le nez et la poitrine, sont clairement visibles au Sud-Est et au Nord-Ouest. La « poitrine » de la « sorcière » est composé du Mittlere Rotofen, aussi appelé Signalkopf. Le nez est formé par le Vordere Rotofen, qui se divise en deux parties : le Große Rotofenturm et le Kleine Rotofenturm. Ce dernier étant également connu sous le nom de Montgelas-Nase, une allusion à la taille et la forme du nez de l’homme d’état Bavarois Maximilian Von Montgelas. L’origine du nom de cet ensemble de montagnes puise ses sources dans une vieille légende, celle d’une sorcière opposée à l’arrivée du christianisme dans sa région, et qui menaçait sa tranquillité.

 

On dit d’elle, il y a mille ans de cela, qu’elle s’est retirée au sein du monde de la montagne, pour y trouver la sérénité, car ne supportant plus le peuple, et en particulier les chrétiens et leurs missionnaires, qui menaçaient son « activité ». Ses remèdes, ses potions sur mesure à l’usage divers, et notamment pour se venger de personnes à la demande de ses clients, que ce soit d’un voisin riche, d’une mère acariâtre, d’un oncle insultant ou d’un ami indélicat pratiquant l’adultère. Jalousie, intérêt économique ou politique, voire parfois simple farce, les clients de la sorcière Liselotte, son prénom, étaient nombreux, assurant une vie confortable à la vieille femme. Une opulence qui fut mis à mal avec l’arrivée, au sein de sa ville de « pêcheurs », de missionnaires, des religieux qui firent ériger une église au sein d’une cité qui en était dépourvue. Dès lors, Liselotte a vu le nombre de personnes faisant appel à elle diminuer drastiquement.

 

Plusieurs fois, elle a reçu la visite de ces hommes de foi, lui indiquant clairement qu’elle était indésirable au sein de cette ville qui était désormais habitée par la foi chrétienne, et qu’elle ne devait plus offrir ses services à des hommes ou des femmes perdues par leurs pensées mauvaises, et en phase d’être « sauvés » par l’Église. Elle résista tant bien que mal à « l’envahisseur », notamment un évêque très vindicatif, ayant juré de chasser Liselotte de ce nouveau « territoire de Dieu », mais dut bientôt abdiquer, au vu du nombre de ses anciens clients s’étant réduits à peau de chagrin, et ayant du mal à supporter les attaques incessantes de l’évêque à son encontre. Liselotte, dégoûtée du monde des hommes et des actions de l’Église la concernant, quitta la ville sans regrets cette ville de traîtres sans reconnaissance de tout ce qu’elle avait fait pour eux, et s’installa dans la montagne proche, pour y vivre dans le calme, loin de toute forme du Christianisme qui avait tué son commerce.

 

Pour autant, elle ne cessa pas tout à fait son activité, car les solutions qu’elle apportait continuait d’attirer nombre de « pêcheurs », qui, malgré la distance et la difficulté à se rendre sur les lieux où Liselotte habitait désormais, venaient lui demander son aide à leurs « problèmes », souvent liés à des oppositions personnelles dans un souci de vengeance, plus que pour obtenir des soins pour une maladie rare ne pouvant être guérie par un médecin « classique ». Sa science des herbes médicinales, qu’elle soit utilisée à bon ou mauvais escient, restait populaire, ce qui assurait à Liselotte des revenus réguliers, bien que ceux-ci ne lui étaient plus primordiaux, ayant adoptée une vie d’ermite au sein de cette montagne, et se contentant des ressources naturelles de cette dernière, par la pose de pièges pour le gibier et la cueillette de plantes et fruits, pour vivre décemment, sans aucune contrainte extérieure.

 

Néanmoins, elle appréciait offrir l’espoir de la résolution de leurs soucis à ces gens faisant des kilomètres pour la voir, affrontant la rudesse des monts escarpés où elle s’était installée, rien que pour solliciter son aide. Mais elle refusait d’effectuer quoi que ce soit à toute personne s’étant convertie au christianisme, obligeant ceux et celles ayant parcouru tant de kilomètres pour la voir, à rebrousser chemin. On disait même qu’elle « sentait » parfois la venue d’un de ces chrétiens, et qu’elle les accueillait à coup de chute de rochers sur le parcours menant à sa cabane, occasionnant plusieurs morts. D’autres fois, elle poussait le vice de sa vengeance envers l’Église et ses ouailles, qui avaient le culot de venir la voir après l’avoir conspuée, à leur offrir des boissons empoisonnées, se servant de leurs cadavres pour décorer l’intérieur de sa modeste demeure.


Nombre de ses « œuvres » s’offraient aux quémandeurs de ses services, formant une sorte d’avertissement à ce qui les attendaient s’ils étaient des chrétiens et osaient venir quérir son aide. Une situation qui déplut à des « rejetés » ayant pu survivre aux punitions de Liselotte, et avertirent l’évêque de la ville d’où celle-ci avait dû partir. Ce dernier, furieux d’apprendre que la « pécheresse diabolique » continuait de pervertir des âmes perdues demanda à Saint Martin de s’occuper du cas de la sorcière impie, ce que ce dernier accepta. Ainsi, le Saint fit route vers la cabane de Liselotte, échappant de justesse à la chute des rochers lancés par elle, car averti par le tonnerre provoqué par l’arrivée de la menace sur le convoi dont il était le meneur, malgré la vitesse de descente du danger rocheux. Après une deuxième tentative de la sorcière, Saint Martin tendit une grosse croix qu’il portait autour du cou, spécialement étudié pour mettre fin aux « créatures du Diable ». Au même moment, un énorme grondement se fit entendre, secouant toute la montagne. Du fait d’une force irrésistible, Liselotte fut projetée à terre, et transformée en pierre, se fondant dans la roche et les arbres avoisinants, jusqu’à fusionner avec eux. Son esprit était tellement empli de connaissances et de noirceur, qu’il s’étendit sur plusieurs kilomètres des lieux, constituant la forme que l’on connaît et donnant naissance au Rotofen.

 

C’était une belle légende, comme il y en a tant dans notre chère Allemagne. Si, au départ, l’art de ma grand-mère, ressemblant fortement au « style » de la sorcière Liselotte décrit dans la légende, fit peur aux habitants de mon village, craignant que cela « réveille » l’esprit de la sorcière, touchée d’avoir une « héritière », ils se ravisèrent vite, car conscient que ce n’était que des objets somme toute complètement anodins. En dehors de leur aspect morbide, cela restait une forme artistique qui n’était pas plus dérangeante que d’autres ayant adopté des styles empruntés au cinéma d’horreur, comme il en foisonnait tant sur le Net. Bien sûr, certains détracteurs accusèrent ma grand-mère de vouer une sorte d’admiration, de culte à Ed Gein, auquel son art faisait immédiatement penser, si l’on se réfère à ce que la police a découvert au sein de la sinistre demeure du tueur en série. Il y a même eu des rumeurs qui prétendait que les os de jambes, de pieds, de mains et les crânes constituant la base des œuvres de ma grand-mère, étaient de véritables restes de corps, pris dans le cimetière du village, ou dans d’autres aux alentours.

 

Une rumeur qui fut vite démentie. Plusieurs clients de ma grand-mère, voulant savoir si ces rumeurs folles étaient fondées, firent analyser les objets qu’ils avaient acquis auprès d’elle, en faisant appel à des spécialistes, usant de spectrographes pour détecter si, oui ou non, ces objets morbides contenaient des os humains. La conclusion de ces différentes analyses fut sans appel : aucun des objets confectionnés par ma grand-mère n’avaient pour base des cadavres, des squelettes, ou quoi que ce soit pouvant faire penser qu’elle était « La Goule de Farrburg », le « gentil » nom dont fut affublé ma grand-mère par ceux et celles étant persuadés que son commerce était encore bien plus macabre qu’il ne le montrait en apparence.

 

C’est d’ailleurs à cause de cette publicité gratuite que la popularité des objets créés par ma grand-mère fit un bond énorme auprès de passionnés de l’art horrifique. De seulement quelques clients au départ, la vente de ses créations grimpait après chaque analyse faite par des acheteurs. Il y a même eu une exposition à Berlin, où fut montrée plusieurs œuvres spécialement modelées pour l’occasion, puis mis en vente sur son site web par la suite. Et autant vous dire qu’à la période d’Halloween, les acquisitions des œuvres de ma grand-mère s’arrachent en grande pompe. Son atelier est un vrai musée à ciel ouvert, avec une partie accessible au grand public, constituant sa boutique où on peut acheter, à des prix très raisonnables, ce qui a aussi contribué au succès de son art, des lampes composées de cage thoracique plus vrais que nature, des cendriers en forme d’os de main, des décorations de pieds de fauteuil à l’aspect de « panards » osseux.

 

Cadres, contours de miroirs, pipes, Vases, boites décoratives, et divers petits gadgets du même ordre, tous à l’allure d’os humains, c’est tout un panel très large qui est proposé aux fans de cet art. Et notre village, en particulier la boutique de la « Goule de Farrburg », nom qui figure en tant qu’enseigne au-dessus de la porte d’entrée quand on arrive devant le commerce de ma grand-mère, profite largement des retombées de la notoriété de ces objets à part. En particulier lors de la semaine d’Halloween, la période où tout le village est en effervescence. Certains artisans se mettent au diapason de l’art de la « Goule », lors de ces jours emblématiques de tous les fans d’horreur. La boulangerie propose des pâtisseries aux formes de citrouilles, de fantômes, de diables, mais aussi des gâteaux avec des os en sucre comme décorations. 

 

Un petit clin d’œil à la « Goule », dont le nom est devenu officiel depuis quelques mois. Raison pour laquelle ma grand-mère a fait changer l’ancien nom de « Flekchen Art » en « La Goule de Farrburg », une désignation qui lui a beaucoup plu, disant même d’elle qu’elle reflétait bien son activité. Je n’ai pas trop bien compris quand elle a dit ça, justifiant le choix de ce nom par la même occasion, mais j’allais très vite comprendre la vérité derrière l’art à priori innocent, quoique morbide et étonnant de la part d’une personne ayant un certain âge, de ma grand-mère, qui ravissait tant de monde à travers toute l’Allemagne, et même au-delà. On a même vu de célèbres réalisateurs spécialisés dans l’horrifique, comme Guillermo Del Toro, un de ses clients les plus connus, arborer les objets de la « Goule » lors d’interviews au sein de leurs maisons.

 

Flekchen est devenue une sommité de plus en plus importante, grâce à ces fans de la première heure que sont les grands noms de l’horreur, et les photos de ses œuvres parsèment le Net, notamment sur Pinterest et Instagram, dont le compte officiel compte désormais près de 2 millions d’abonnés. Et le fait que chaque objet fabriqué est une pièce unique, en faisant des raretés qui font la fierté de ses acquéreurs, accentue encore plus la demande. A tel point que ma grand-mère n’a eu d’autre choix que d’engager une vendeuse pour sa boutique, afin de consacrer tout son temps à la fabrication de nouvelles œuvres, et suivre la demande de plus en plus forte. En revanche, personne ou presque n’est autorisé à la voir confectionner en « direct live » ses œuvres. Elle a fait exception pour de rares interviews, où des YouTubeurs et des journalistes divers ont pu filmer sur place la « Goule » en plein travail.

 

Pour autant, ils ne furent pas autorisés à voir la matière première de son art, ces fameux os plus vrais que nature, justifiant ce secret au fait que savoir ce fait briserait le mystère et l’aura de son art, ce qui était parfaitement compréhensible, et accepté par tous, mis à part quelques complotistes, s’étant mis en tête que les spécialistes ayant analysés les œuvres de la « Goule » n’avaient pas les outils adéquats pour véritablement détecter la vraie nature de ce qui constituait ces matières premières. Certains ont même affirmés qu’ils avaient la preuve de ce qu’ils avançaient, que cet art morbide l’était bien plus qu’on le pensait. Ils avançaient des théories, liant certaines disparitions en montagne de la part de trekkeurs, de skieurs ou de simples touristes, à la quantité d’ossements dit factices, composant la base des objets confectionnés par la « Goule ».

 

Mais chaque soi-disant « révélation » n’était que de pures spéculations, voire des fakes mal faits, se basant sur des simili films amateurs où on voyait Flekchen dans la montagne suivre des touristes, se cachant derrière des arbres, attendant sans doute le moment propice pour obtenir un corps de choix pour ses futurs objets. D’autres vidéos tout aussi ridicules et mal faites, montrait une silhouette creuser les tombes de cimetières de villes proches de Farrburg. Si, effectivement, il y a bien eu des profanations dans ces villes, il a été démontré qu’elles étaient le fait de mouvements sectaires ou de groupes de jeunes voulant profiter justement des doutes envers l’art de la « Goule », et revendiquant pleinement leurs actions sans la moindre gêne. Mais en l’absence de preuve formelle pouvant les traîner devant un tribunal, vidéos où on les identifierait à l’appui, ces groupes ne pouvaient pas être mis à l’arrêt. La police indiquait que bien que suspects, sans éléments de preuve indiscutable, leurs déclarations d’être les auteurs, ne restaient que des paroles.

 

Les enquêteurs s’accordaient à dire qu’il était également possible que ces groupes n’aient rien fait du tout, mais profitent de découvrir de nouvelles profanations pour obtenir une célébrité acquise en se fondant sur les affirmations de culpabilités des complotistes accusant Flekchen d’être en cause dans ces vols de cadavres dans les cimetières. La plupart des vidéos ont été débunkées, et il fut établi avec certitude qu’il s’agissait de fakes grossiers, pour permettre d’incriminer la « Goule », et se faire de la publicité sur son dos, car jaloux de son succès. Il reste bien une vidéo dont l’origine n’a pas pu être déterminée, publiée anonymement via un VPN, au sein d’un site spécialisé dans les faits étranges, et multi-partagé sur de nombreux réseaux depuis, mais l’image est tellement flou, et le grain de la vidéo tellement prononcée, qu’il est difficile de savoir s’il s’agit d’un autre fake, ou s’il s’agit bel et bien du fameux profanateur, ou profanatrice, défrayant la chronique, dont certains tentent régulièrement de s’approprier les « mérites » de ces actes, et confortant les complotistes dans leurs délires impliquant Flekchen, et demandant à ce qu’elle montre en public ses « matières premières », si elle veut qu’on la croit quand elle affirme n’être pour rien de ce dont ils l’accusent de manière honteuse.

 

Je ne croyais pas non plus à ces allégations mensongères, jusqu’à ce que je découvre la pièce où ma grand-mère mettait au point ses créations, alors que je l’avais vu sortir en pleine nuit de sa maison. C’était le soir d’Halloween. Comme toujours ce jour-là, ma grand-mère s’était enfermée dans son atelier, et avait demandé à ce que personne ne la dérange pour demander des bonbons. Contrairement à tous ceux de mon village, elle n’était pas trop fan de ce jour, même s’il représentait la période occasionnant les meilleures ventes de ses objets d’art. Elle disait qu’elle trouvait cette fête disproportionnée, et ne comprenait pas son engouement, précisant que les cris dans les rues, les sons de sonnettes la dérangeait quand elle travaillait. Raison pour laquelle, quand Halloween arrivait, elle se bouchait les oreilles pour ne pas avoir à supporter ces dérangements.

 

Ma famille et moi, on comprenait tout à fait sa position, d’autant que, grâce à elle, on vivait plus que confortablement, car bénéficiant régulièrement de « dons » d’ordre financier de sa part. C’est pourquoi on n’a jamais cherché à la faire changer d’avis. Mais ce soir-là, je compris la vraie raison pourquoi elle n’aimait pas Halloween, et l’effervescence des festivités en découlant. Ce n’étaient pas les cris des enfants, les musiques ou les divers bruits dû à la fête qui la gênaient en fait. C’était simplement parce que l’omniprésence de nombreuses personnes dans les rues et alentours l’obligeait à se montrer plus prudente et discrète sur ses activités nocturnes. A vrai dire, je n’avais jamais vraiment remarqué qu’elle puisse avoir une « vie » la nuit. Notre maison était assez éloignée de la sienne, qui était en périphérie du village, à l’écart de tous. A ma connaissance, elle avait toujours vécu ici, et certains disent même qu’elle faisait partie des tout premiers habitants, voire même qu’elle avait fondé le village, à une époque lointaine.

 

Mais rien dans les archives de notre lieu de vie n’a jamais pu établir avec précision la date de création de notre village. Il n’y a rien sur cette période, comme si quelqu’un ne voulait pas que l’on sache cette partie de l’histoire de notre village. Quand on demandait au Maire s’il savait pourquoi il y avait un tel mystère autour de ça, il se contentait de dire que ça n’avait pas d’importance, que le plus important, c’était aujourd’hui, et que connaitre notre passé n’apporterait rien de plus à notre quotidien. D’un côté, c’étaient des paroles pleines de sagesse, mais dans le même temps, c’était assez curieux qu’il entretienne le mystère autour du fondement de notre village. Je n’allais pas tarder à comprendre la raison de cette insistance à cacher le passé de Farrburg, en même temps que j’allais comprendre le secret de fabrication des objets d’art morbide de ma grand-mère.

 

Donc, pour revenir à ce qui s’est passé cette nuit d’Halloween, qui allait bouleverser tout ce que je pensais savoir sur ma grand-mère, et mettant en lumière plusieurs faits dont elle était accusée par nombre de détracteurs, je participais, comme les autres enfants, à la collecte de bonbons, sonnant ou frappant aux portes en lançant le fameux « Trick’Or’Treat » d’Halloween, devant des visages radieux et heureux de remplir mon sac à friandises. Mes parents m’avaient accompagné comme toujours, même si, au vu de mon âge, j’ai 15 ans, ils considéraient que j’étais assez grande pour faire ma tournée seule, « comme une pro ». Du coup, ils m’ont « lâchée » au bout d’une petite demi-heure, me souhaitant bonne chance, et me laissant au sein d’un petit groupe constitué de mes amis les plus proches, en gage de sécurité. D’autant que parmi le groupe se trouvait Helga, qui avait été pendant longtemps ma baby-sitter. Alors, forcément, mes parents savaient que j’étais entre de bonnes mains, ce qui leur permettait de faire la fête de leurs côtés, entre adultes, au sein de la salle des fêtes où était organisé, comme chaque année, un bal spécial Halloween.

 

La soirée s’était bien passée, et j’avais mon sac rempli à ras bord, grâce à la générosité de nombreux habitants, ravis de voir des petits démons venir les effrayer à leur porte. J’ai demandé à Helga si je pouvais revenir chez moi toute seule, parce que j’étais fatigué. Bien qu’un peu réticente au fait que je parte sans être accompagné dans le noir, devant mon insistance, elle acceptait finalement, à la condition que je ne perde pas de temps, et que je dise à mes parents qu’elle s’était chargée de me raccompagner, pour qu’elle ne se fasse pas gronder. Je lui promettais, et je quittais le petit groupe. Sur le chemin, je voyais de loin la maison de ma grand-mère, et j’ai eu envie de lui faire un petit coucou avant de rentrer. Je savais qu’elle devait travailler, mais elle était toujours aux anges quand je venais la voir. Je voulais lui faire une surprise, et je me souvenais qu’elle ne fermait jamais la porte de la remise, à l’arrière de la maison, reliée directement à sa maison. Ce qui fait qu’on pouvait y pénétrer facilement.

 

Ce n’était pas vraiment surprenant, beaucoup dans le village ne fermaient pas non plus leurs portes. On se connaissait tous et personne n’aurait eu l’idée d’aller « visiter » les maisons des autres, en profitant de leur absence, ou en pleine nuit pendant leur sommeil. Ça ne faisait pas partie de notre culture de voisinage, et chacun avait confiance dans les autres. Jamais il n’y a eu de souci de cet ordre à ma connaissance. Donc, je me rendais vers la remise, me disant que ce n’était pas un gros mensonge que j’avais fait envers Helga. Je ne resterais pas longtemps après tout, et je filerais à ma maison juste après. C’était juste dans l’idée d’apporter un peu de réconfort à ma grand-mère. Ça me peinait qu’elle se trouve seule pour un soir de fête, même si j’acceptais le fait qu’elle ne veuille pas participer à la fête. Tout le monde au village acceptait sa décision de ne pas être dérangée ce soir-là. Après tout, c’était à elle si tout le monde vivait plus que correctement, du fait de sa notoriété apportant touristes et argent à profusion à chacun.

 

Je fus surpris de constater que la porte de la remise soit fermée. C’était curieux. Ce n’était pas la première fois que je me rendais chez ma grand-mère, même en soirée, et le cachant à mes parents, et plusieurs fois j’étais passée par là. Mais je ne fus pas dépitée pour autant, car j’avais une clé pour l’ouvrir. Papa et Maman ne le savent pas, mais un jour je les ai entendu dire qu’ils possédaient cette clé, confié par ma grand-mère au cas où, sans pouvoir entendre avec précision les détails de la conversation. J’étais sortie pour aller aux toilettes cette nuit-là, et je m’étais mise dans l’ombre du couloir, tout près de la cuisine où ils discutaient. Je les ai vu mettre la clé dans une boite qu’ils ont placé tout en haut d’un meuble, poussé contre le mur, tout au fond, de manière à ce que ce ne soit pas visible vu d’en bas. J’ai profité un jour qu’ils étaient occupés à effectuer des travaux dans ma chambre, pour m’installer une bibliothèque et des étagères, pour m’infiltrer dans la cuisine, prendre une chaise et accéder à la cachette.

 

J’ai pris la clé, et remis la boite à sa place, avant de dissimuler toute trace de mon forfait. Je me disais que cette clé me serait bien utile un jour pour faire une farce à ma grand-mère, sachant son goût pour les surprises. Et cette clé, je la portais toujours sur moi, en toute occasion, placé dans le petit sac porte-bonheur qui ne me quittait jamais, et était autour de mon cou. Un petit sac en toile où figurait un cheveu de papa, maman et grand-mère, ainsi que leurs photos. C’était une idée que j’avais eu, après l’avoir vu dans un livre, afin de les avoir toujours auprès de moi. Ils ont trouvé ma demande charmante, et m’ont offert avec joie les éléments à placer dans mon petit sac. Ils savaient que c’était quelque chose de sacré pour moi, et ils n’y touchaient jamais. Impossible pour eux de deviner que j’y cachais cette clé. Je la sortais donc de sa petite cachette, et ouvrais la porte, aussi discrètement que possible, refermant derrière moi et pénétrant à l’intérieur de la maison, après être passé par la porte reliant les deux lieux.

 

Comme je voulais faire une surprise, j’ai essayé de ne pas faire trop de bruit. C’est là que j’ai aperçu ma grand-mère dehors, en la voyant à travers une vitre, et semblant se diriger vers le village. J’ai voulu ouvrir la fenêtre et l’appeler, mais il y avait quelque chose de curieux. Elle n’avait pas l’air comme d’habitude. La lune éclairait un peu sa silhouette, et elle était… Différente. Ses bras avaient l’air… plus longs, décharnés. Elle ne portait pas de vêtements, alors qu’il faisait très froid dehors. Ses cheveux… Elle n’en avait plus… Quant à ses jambes, elles étaient toute biscornues de ce que je voyais. Et pourtant, je reconnaissais son visage, bien que lui aussi quelque peu étrange. Elle avait plus de rides qu’habituellement, et ses yeux semblaient plus étirés, avec un nez plus long. J’étais fatiguée à ce moment, et je me disais que c’était peut-être à cause de ça que je pensais voir ma grand-mère différemment. Avec l’ambiance d’Halloween en plus, ça devait quelque peu forcer mon imagination à voir quelque chose de fantastique, propre à l’atmosphère de la fête.

 

Je n’ai pas trop fait attention sur le coup, mais avec le recul, je me suis rappelé qu’elle prenait la direction du cimetière du village, qui était situé à l’extérieur de celui-ci, tout près du petit bois au bas du Rotofen. J’étais un peu déçu de ne pas pouvoir faire ma surprise, mais j’ai repensé à une chose. Vu que ma grand-mère n’était pas là, je pourrais peut-être savoir le secret de fabrication de ses objets, sa « matière première », dont l’accès était interdit à quiconque, même à moi. Je crois que seuls Papa et Maman étaient autorisés à y accéder, et connaissaient donc eux aussi le secret, mais je n’étais pas sûr de ça. Je me suis donc dirigé vers son atelier. C’était la première fois que je m’y rendais seule, ça faisait bizarre. Sans grand-mère, les objets qui y étaient, à divers stades de fabrication, me faisaient plus peur que d’habitude. Tout l’endroit était nettement plus terrifiant, mais j’étais trop curieuse de savoir pour m’arrêter maintenant.

 

J’étais devant la porte secrète, là où je saurais de quoi grand-mère se servait pour donner autant de réalisme à ses objets d’art morbide, et je n’imaginais pas ce que j’allais y trouver. Mon âme de petite fille faisait que je pensais tomber sur des morceaux de plastique, du cuir, et du matériel du même style, qu’elle mélangeait, fusionnait entre eux pour former les os servant à la base de ses œuvres, avant de les ramener au sein de son atelier « classique », celui où elle autorisait de rares personnes à s’y rendre en sa présence. Sans doute pour s’assurer que personne ne tenterait d’en savoir plus sur son art, et fouillerait là où il ne fallait pas, mettant à jour son secret. Et… Comment dire ? Eh bien, vous savez quand je vous ai dit qu’on l’accusait de piller les tombes ou être responsable de la disparition de touristes dans la région ? Je vous ai dit aussi qu’il était impossible que grand-mère puisse être suspectée de ça, que je savais qu’elle était bien trop gentille pour faire de tels actes… Toute mon admiration pour elle est tombée d’un coup en découvrant que ce que je prenais pour d’immondes ragots, des rumeurs infondées… étaient vraies…

 

L’intérieur de la pièce montrait des monceaux d’os un peu partout, de différentes tailles, différentes formes. Je ne m’y connaissais pas très bien en anatomie humaine, mais j’avais quand même vu des images de squelette dans des livres à l’école, et ce qu’il y avait dans cette pièce, on y retrouvait tous les os possibles du corps humain… os de pieds, de main, cage thoracique, crânes appartenant à divers âges. Certains adultes, d’autres étaient sûrement ceux d’enfants, et même de bébés… Et ce n’était pas tout… Je voyais plusieurs bacs comportant des objets ayant appartenu vraisemblablement à des personnes bien vivantes… Si certains des os que je voyais semblaient être assez vieux, parsemés de fêlures, ou recouverts de poussières, de trous causés sans doute par l’érosion, suite à un séjour long sous terre évident, il y en avait d’autres semblant plus « récents », et comportant encore des traces de ce que j’imaginais être des résidus de chair. Ce qui laissait supposer que les « propriétaires » de ces os « neufs » étaient également ceux dont les objets se chevauchaient dans ces bacs.

 

Des montres, des bracelets, des colliers, des boucles d’oreilles, des bagues, et même des structures métalliques qui devaient être des restes de scarifications ou de prothèses, tels que j’en avais vu sur Instagram ou des livres. Il y avait aussi dans un coin des restes d’habits déchirés, couverts de sang. Mais je n’étais pas au bout de mes surprises. A côté de cet atelier de l’enfer, il y avait une autre petite pièce… Bien que terrifiée de ce que j’avais déjà vue, me faisant voir ma grand-mère sous un angle totalement différent de l’idéalisation dont je l’auréolais avant ça, je me rendais à l’intérieur de cet autre lieu. Elle se composait de plusieurs rangées de congélateurs de restaurant disposés sur les différents pans de murs présent. Ainsi qu’un grand frigo. Je tremblais de partout, mais je voulais aller jusqu’au bout. Appelez ça un désir morbide de curiosité. J’ai failli vomir en trouvant, disposés dans des boites tupperware, des yeux, des oreilles, des cerveaux, des cœurs, et des dizaines d’autres organes…

 

J’ai refermé la porte du frigo vivement, ayant du mal à respirer, posant une main sur ma bouche pour m’empêcher de dégueuler toutes les sucreries que j’avais mangés en avance, ne pouvant attendre d’être de retour à la maison pour les déguster. J’avais des palpitations m’envahissant tout le corps, ma tête tournait, et malgré ça, j’ai réussi à avoir le courage d’ouvrir un des grands congélateurs plaqués contre les murs. A l’intérieur se trouvait des corps congelés d’hommes et de femmes, nus, dénués de peaux, vraisemblablement arrachées. J’avais aperçu des boites où figuraient des textures bizarres dans le frigo, sans parvenir à l’identifier, vu le peu de temps que je suis parvenu à regarder. C’était sûrement la peau de ces corps. Cette fois, je ne parvins pas à me retenir, et je tombais à genoux, vomissant mes tripes suite à ce spectacle horrible. Une erreur de taille. Si grand-mère voyait ça, elle saurait à coup sûr que quelqu’un était venu ici, et avait découvert son secret. Mais je n’avais pas le courage de me résoudre à nettoyer la preuve de mon passage, peinant déjà à me relever et fermer le congélateur.

 

J’avais perdu la notion du temps : j’étais restée plus longtemps que prévue dans cet antre de l’horreur, m’ayant fait comprendre que les suspicions impliquant ma grand-mère de gens qu’on désignait comme des jaloux de son succès, des complotistes ayant fabriqués de toute pièces des vidéos pour la discréditer de ses affirmations d’innocence aux faits qui lui étaient reprochés, tout était la stricte vérité. J’avais les preuves sous les yeux. Pour autant, je n’aurais jamais le courage d’emporter ne serait-ce qu’un morceau de ce qu’il y avait ici pour dénoncer grand-mère. Et je n’avais pas emporté mon portable pour prendre des photos non plus. Sans compter que je n’avais pas le cœur de trahir ma grand-mère, malgré ce qu’elle avait fait. Il y avait quelque chose que je ne comprenais pas, bien que l’évidence de sa culpabilité m’apparût plus qu’évidente. Des analyses avaient été faites par des spécialistes, démontrant que les soupçons des acheteurs et autres complotistes sur la nature des « matières premières » étaient erronées. Comment avaient-ils pu se tromper à ce point ? A moins que…

 

J’étais déjà plongé en plein dans l’horreur, mais ce qui me venait à l’esprit était encore pire. Ces fameux « spécialistes » étaient peut-être payés pour donner des analyses fausses, des rapports et des preuves, radios à l’appui, entièrement fabriquées, afin de calmer les rumeurs pouvant donner la preuve de la nature de ma grand-mère. Mais en ce cas, si leur complicité était avérée, quel pouvait bien être leur mobile pour masquer cette horrible vérité ? Y trouvait-il un avantage ? Des pourcentages sur les ventes des œuvres de ma grand-mère peut-être ? Des « cadeaux » sous forme de pièce unique à leur demande ? Ou tout simplement de l’argent versé sur leur compte en banque, ou un compte offshore dans un paradis fiscal, afin que ces revenus ne soient pas révélés, et leur mensonge affiché au grand jour… Ils trafiquaient leurs rapports, leurs documents d’analyses, en échange d’avantages substantiels en numéraire. Il y avait une autre possibilité, et c’est là que l’horreur atteignait son comble…

 

L’impression que j’ai eu de voir grand-mère tout à l’heure au-dehors, celle où j’ai cru qu’elle était « différente », ce n’était peut-être pas dû à la fatigue, comme je l’ai cru, mais sa vraie nature. Et cette supposition devint une certitude quand je voyais, dans un recoin sombre de la pièce, une sorte de vestiaire de lycée comme on en voit dans les films pour ado américains. Bien que je tremblasse encore plus qu’avant, je m’avançais, afin d’avoir le fin mot de l’histoire sur ce qu’était peut-être ma grand-mère. Et en l’ouvrant, j’en eus la confirmation. Suspendu à une sorte de crochet figurait une peau humaine. Tout un corps fait de peau. Je reconnaissais ses cheveux caractéristiques, la bague à sa main droite, le petit tatouage de chat à son épaule gauche, la tache de naissance sur son ventre… Cette peau, c’était ce qu’elle utilisait pour masquer sa vraie apparence. Je repensais au terme dont on l’avait affublée, et qui était devenue le nom de son commerce, « La Goule de Farrburg », et qu’elle avait trouvée « tellement conforme à son activité », telle qu’elle me l’avait confiée, sans que j’en saisisse le sens. Pensant qu’elle disait ça de manière sarcastique pour se moquer de ceux lui ayant donné son nom, et que c’était dans un but de les narguer qu’elle l’avait adopté.

 

Mais en fait, c’était bien plus qu’une blague lancée par des petits malins qu’elle avait trouvée amusante. C’était ce qu’elle était. J’avais entendu parler de cette race de monstre, hantant les cimetières, se nourrissant de cadavres la nuit. Certaines espèces pouvaient se fondre parmi les humains, en prenant leur apparence, adoptant leur mode de vie, leur culture, quelle qu’elle soit, suivant le pays, la région, la ville. Mais… Mais alors… Si ma grand-mère était bien une vraie goule, ça… ça voulait dire que mes parents… Papa et Maman… Eux aussi étaient des goules ? Du coup, ce que je soupçonnais, comme quoi ils connaissaient le secret de grand-mère prenait tout son sens. Et je me remettais à penser au Maire, les précautions qu’il prenait pour qu’on ne sache pas les origines de la ville… Est-ce qu’il y avait un rapport avec la légende du Rotofen ? Et si cette vieille histoire n’était pas complètement fondée sur l’imaginaire, mais qu’il y avait un fond de vérité ?

 

Liselotte, la fameuse « sorcière » n’était peut-être pas une sorcière justement. Mais une goule se faisant passer pour une sorcière. Une manière de dissimuler sa vraie nature aux yeux des humains. Il était aisé de comprendre que la partie où elle fut contrainte à partir était peut-être vraie en partie. Elle craignait que les enquêtes des hommes d’église finissent par découvrir ce qu’elle était réellement. Et je supposais que toute la partie concernant Saint Martin n’était que pure affabulation, et que le Rotofen a toujours été comme il l’est aujourd’hui. Liselotte, en fuyant, n’a pas été dans la montagne, mais est restée à proximité, posant les bases du futur village de Farrburg. Si ça se trouve…  Mes parents n’ont jamais su trop m’expliquer qui était mon grand-père, disant qu’il était parti il y avait longtemps dans la montagne où il a péri, tué par un animal sauvage, dont on n’a jamais su exactement lequel. Sans doute un ours. Si c’était un mensonge ? Je sentais bien, à chaque fois que je demandais à ma grand-mère qu’elle bifurquait pour parler de lui, elle évitait le sujet habilement, me lançant sur autre chose, comme l’école, mes amis, mes passions…

 

Si le maire était mon grand-père, cachant son appartenance à notre famille de manière volontaire, pour des raisons qui m’échappaient encore, mais forcément dans un but de dissimulation de leur secret. J’étais sous le choc de toutes ces probabilités. A la lumière de tout ça, les fameux analystes mensongers, ne percevaient peut-être pas de pots-de-vin, mais étaient eux-mêmes des goules. Ou alors ça n’était pas sous forme d’argent, mais de corps, de viande à manger. Raison pour laquelle grand-mère conservait autant de corps dans ces congélateurs. Cela aurait pu lui servir de « stock » pour son usage personnel, mais au vu de la quantité, ça m’apparaissait soudainement peu crédible, et il était plus certain qu’ils servaient à fournir ces complices chargés de cacher l’existence des goules à Farrburg… Combien y en avait-il ? Quelques-uns ? La moitié ? Ou bien tout le village ?

 

Cette perspective me terrorisait. Helga… Est-ce qu’elle aussi était une goule ? Est-ce qu’elle aussi m’a menti depuis tout ce temps, et que c’était la raison s’il l’avait choisi comme baby-sitter pour moi ? Et… Pire que tout… Était-je moi-même une goule ?  Non. Si c’était le cas, j’aurais ressenti les goûts de viande, j’aurais découvert ma « peau » artificielle recouvrant mon corps, au gré de mes blessures causées par des chutes à vélo, la brûlure que j’ai eu à mes 6 ans, très profonde, qui aurait révélé mon vrai corps caché dessous. Non, j’étais humaine, j’en étais certaine. Ce qui voulait dire que j’avais été adoptée… Des goules ne peuvent pas mettre au monde une simple humaine, c’est impossible. Je devais servir à donner le change, toujours dans le cadre de la dissimulation de la vraie nature de notre famille auprès de ceux du village n’en faisant pas partie. Ce qui voulait dire que tout le village n’était pas constitué de goules. Il y avait des humains, inconscients que leurs voisins, leurs amis, étaient des monstres se nourrissant de chair. Le commerce de grand-mère était un subterfuge de plus dans leur quête de masquer la réalité aux humains.

 

Avais-je mangé de la viande humaine ? Papa et Maman, en me faisant croire que je mangeais des steaks, des entrecôtes, des faux-filet, ont-ils poussé le vice de leur couverture en me nourrissant de la chair des victimes de cet immense complot ? J’avais envie de vomir à nouveau à cette idée, et je ne pourrais plus jamais voir mon assiette de la même manière après ça. Mais pour l’heure, je devais prendre mon courage à deux mains et absolument nettoyer le sol, nettoyer la preuve que je sais. Je devais profiter de l’absence de grand-mère et du fait qu’elle ignorait que j’étais ici, que j’avais tout découvert, pour effacer toute trace de ma présence. Reprenant mes esprits, je pu agir vite, nettoyant en profondeur, m’appliquant à vérifier que rien ne restait de mon passage, passant des lingettes sur tous les objets que j’avais touché. Les poignées du frigo, des congélateurs, du vestiaire, et des portes. Tout ce qui pouvait trahir le fait que j’étais venue ici. Après ça, la tête pleine d’interrogations sur ce que j’avais vu et conclu dans la maison de grand-mère, je repartais comme j’étais venue.

 

J’eus la chance de ne pas avoir été surprise en partant. Grand-mère devait être fort occupée à dépecer des cadavres frais, dont la chair finirait dans un des congélateurs, ou récolter des os robustes pour ses prochaines œuvres, tout ceci dans le but de les ramener dans son antre. Je repartais vers ma maison. Enfin, la maison de mes parents adoptifs, c’était désormais une évidence que je ne pouvais plus évincer. Les jours qui suivirent, je n’ai pas montré de changement à mon attitude, faisant comme si de rien n’était, mais craignant de voir ma grand-mère me demander si j’étais venu chez elle en son absence, et que j’avais découvert ce que notre « famille » était, son secret, le lien avec le maire, qui ne pouvait être que mon grand-père, ça aussi ça m’apparaissait de plus en plus comme une certitude. Mais il n’en fut rien. J’avais apparemment réussi à bien masquer mon passage, et ça me rassurait.

 

Je n’osais imaginer ce qui m’arriverait s’ils venaient à apprendre que je sais. Je finirais vraisemblablement dans une de leurs assiettes, ou mon corps serait revendu à leurs complices, une autre goule de la ville, pendant que mes os seraient la base des prochaines œuvres de ma grand-mère. Après cet Halloween, je vis dans la peur. La peur que je commette une faute, aussi minime soit-elle, qui leur fassent comprendre que je connais leur secret et celui des fondements même de cette ville. La peur qu’ils découvrent que je sais que Liselotte, la fameuse sorcière à l’origine du mythe expliquant la formation du Rotofen, est ma grand-mère. Je n’ai pas droit à l’erreur. Pour parer à toute éventualité, j’ai écrit ce journal. Je ne sais pas si la personne qui le lira parviendra à croire tout ce que je raconte, mais je vous assure que ce que vous lisez en ce moment n’est pas un délire d’adolescente en mal d’  amour ou une autre connerie du genre. Je vis désormais un cauchemar permanent, et je n’arrive plus à voir les autres habitants du village comme avant, me demandant si eux aussi sont des goules. Des monstruosités se nourrissant de chair humaine.

 

Je me demande si Liselotte, ma grand-mère, est venue dans notre monde un jour d’Halloween, et n’a jamais pu en repartir, car coincée ici. On dit que cette fête réduit la frontière entre les mondes, qu’elle permet à des créatures innommables de venir parmi nous, mais rien n’est dit sur le fait qu’elles peuvent vaquer à leur guise quand elles franchissent la ligne. Mais peut-être ne vaut-il mieux pas savoir. Il y a sans doute des monstres encore pires qui vivent au sein de la race humaine. Soyez méfiants. Ils peuvent être votre voisin, votre ami, votre épouse, vos parents… Je ne sais pas combien de temps je parviendrais à cacher ce que je sais. Considérez ce journal comme mon testament, et si quelqu’un vous dit qu’il a vu un vrai monstre à Halloween, ou à une autre période, ne le regardez pas comme s’il était dérangé. Les monstres existent. Je vis avec plusieurs d’entre eux…

 

Publié par Fabs

19 oct. 2023

PARAPHRENIE (MENACE DANS L'ESPACE) (Challenge Halloween/Jour 18)

 

 

On a souvent tendance à croire que tout ce qui touche au surnaturel est limité aux croyances de l’homme sur Terre. Qu’il faille un environnement stable, du sable, de l’eau, de l’herbe, des villes, du moment que ça se passe sur notre bonne vieille planète. Car tout ce qui déclenche des évènements touchant à l’irréel, que ce soient des créatures monstrueuses, des revenants, le déclenchement de forces liés à la nature, du fait de nœuds telluriques, de failles géologiques libérant des effluves venant du fond des âges doit forcément être rattaché à un astre pour fonctionner, et joue sur le potentiel imaginaire de l’homme pour pouvoir exister. On se dit que hors d’une planète, et en particulier la nôtre, car nombre de personnes pensent que la Terre est un centre névralgique en la matière, le surnaturel, l’irréel, les esprits, et tout le reste ne peut pas avoir d’attaches propre à provoquer les mécanismes de ce qui le compose. Eh bien, je peux vous dire qu’avec l’expérience que j’ai vécue, ces idées reçues sont totalement fausses.

 

Il existe d’autres endroits autre que le sol ou l’atmosphère d’une planète, d’un astre, d’une étoile, où ce qui pourrait sembler impossible de prime abord pour un esprit cartésien, tout comme je l’étais avant de subir tout ça avec mes compagnons, trouve les pleines possibilités de naître et s’étendre. L’espace. On pense à tort que l’espace se limite à une vaste étendue infinie exponentielle, composée de poussières cosmiques, d’astres, de comètes, de météorites, de trous noirs, de nova, de silence et d’obscurité insondable, partout où on regarde. Que rien, en dehors de surfaces solides, gazeuses ou liquides, c’est-à-dire un épicentre à l’origine de manifestations dites surnaturelles, ne peut y exister. Il n’y a que des phénomènes parfaitement explicables. Connus ou inconnus, mais ayant une explication d’ordre scientifique tout à fait palpable, à différentes échelles.

 

Détrompez-vous. L’univers est rempli de mystères autres que ceux reliés aux connaissances astronomiques, métaphysiques et tout ce que l’homme a appris à maîtriser durant toute son évolution, et qu’il continue d’apprendre, au fur et à mesure d’autres découvertes par le biais de sondes spatiales, de télescopes, ou d’immenses paraboles et de satellites chargés « d’écouter » l’espace, même si ce terme peut sembler anachronique dans le sens où le son ne peut se diffuser dans l’espace, car dépourvu de l’atmosphère dont il a besoin pour « naître », mais aussi de voir tout phénomène cosmique à même d’intéresser la communauté scientifique, et approfondir le savoir de l’espèce humaine. En prenant justement l’exemple du son, on peut citer la découverte de ce qui a été désigné comme une sorte de « chant spatial » entre le soleil et la Terre. Un son inaudible pour l’oreille humaine, et qui ne se perçoit qu’une fois arrivé dans l’atmosphère terrestre, et percé le champ magnétique de notre planète.

 

Avant cela, on était persuadé qu’aucun son, quoiqu’il puisse être, ne pouvait naître et se diffuser dans l’espace. C’est la raison tous les films SF où on voit des explosions à grands coups d’effets sonores immenses et dévastateurs, des rayons lasers lancés par des vaisseaux émettre des lignes sonores stridentes en parcourant le vide spatial, ne sont absolument pas possible et crédibles. Mais ça, disons que ça fait partie de la magie du cinéma de créer ce qui ne peut être. Et puis entre nous, voir une planète exploser sans le moindre son, nous qui sommes habitués, sur Terre, à associer toute déflagration visuelle à un bruit perceptible, ça ferait bizarre d’assister à un métrage dépourvu de son lors de batailles spatiales qui nous ont émerveillés étant gosses. Que serait les combats des X-Wings face aux croiseurs de l’empire dans « Star Wars » sans ces créations sonores issues de l’imagination de techniciens sonores, véritables magiciens du son ?

 

Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, et des programmes comme HAARP, qui fait la joie des complotistes de tout autre, surtout depuis l’apparition d’un nuage étrange au-dessus du sol de la Turquie juste avant le séisme ayant fait la une des médias du monde entier, et ravagé le pays, ou les données recueillies par la Station Spatiale Internationale ont permis d’étendre toujours plus nos connaissances sur les secrets de l’univers. Mais tout ne peut pas être perçu par des appareils technologiques hautement sophistiqués, qui ont leurs limites en termes de portée, et ne peuvent pas couvrir l’intégralité de l’immensité galactique. Des phénomènes spatiaux sont encore à découvrir. Il faut rappeler que des théories, qu’on croyait autrefois farfelues, comme les trous de ver ou les dimensions parallèles, sans être totalement officialisées, ont vu passer de la théorie au concret, par le biais, justement, des découvertes de missions spatiales habitées, comme celle dont j’ai fait partie, et a permis de mettre à jour quelque chose qu’on n’aurait jamais imaginé possible. Et encore moins les conséquences et dommages collatéraux que cette découverte a déclenchée au sein de notre équipage.

 

Mais je ne me suis pas présenté : je me nomme Lian Shao-Ji, chef de mission de l’expédition menée conjointement par plusieurs pays, dans le cadre du programme spatial international, sur l’étude de phénomènes spatiaux connus ou encore inconnus. Une forme d’exploration à la « Star Trek » si vous voulez avoir une représentation du concept de cette mission. Vous n’ignorez pas, en cette année 2344 du calendrier terrestre, que les voyages spatiaux sont désormais réguliers depuis déjà près de 100 ans. La base lunaire, autrefois utopique, est devenue une réalité, et la colonisation de mars, par l’installation de structures prévues pour accueillir nombre de « touristes » ne sachant pas comment dépenser leur immense fortune, a débutée depuis 3 ans déjà. Les organisateurs de ce futur « Club Med » martien sont confiants, et espèrent pouvoir lancer les premières invitations pour les usagers « tests » d’ici les 3 prochaines années à venir.

 

Et, alors qu’on envisage de faire de même sur d’autres astres, dans des ambitions moins commerciales celles-là, et appartenant au domaine purement scientifique, des expéditions comme la nôtre ont été pensées, afin, justement, de prévenir de potentiels dangers pouvant menacer la vie et le bon fonctionnement de ces bases et futures colonies, en attendant, une fois ces séjours test effectués, de pouvoir proposer de véritables modes de vie hors de la Terre, pouvant remédier au problème persistant de la surpopulation grandissante. Depuis que la science a réussi à contrer la barrière de l’infertilité de nombreux couples sur Terre, le taux de natalité a atteint des proportions réduisant drastiquement les ressources naturelles. Et bien que nombre de ces ressources ont pu être reproduites aujourd’hui synthétiquement, à partir de cellules souches et de gênes des principales plantes et animaux de la Terre, il reste encore l’écueil des matériaux propres à la construction d’édifices toujours plus élaborés et nécessaires pour la vie humaine.

 

Le champ de force créé en 2256 permet à notre planète de ne plus être en proie aux dangers que représente les corps célestes déambulant dans l’espace, et menaçant la vie humaine par leur chute sur le sol terrestre. Une avancée révolutionnaire. Tout comme l’est l’allongement de la durée de vie de chaque être humain, à la demande des intéressés désireux de voir leur existence prolongée. Même si ce processus s’adresse à des clients fortunés, il y a fort à parier que d’ici quelques centaines d’années, les avancées technologiques et économiques trouveront le moyen de pallier ce fossé entre foyers aisés et modestes, en proposant des alternatives convenant à toutes les bourses. Malgré tout, une telle protection de l’atmosphère terrestre est très coûteuse, et nécessite de longues années de mise en place. Celui de la Terre a demandé 25 années avant d’être opérationnel.

 

Dans cet ordre des choses, faire la même chose sur la Lune et la future station touristique martienne n’est pas à l’ordre du jour, et c’est pourquoi des missions comme la nôtre sont primordiales pour anticiper de menaces cosmiques pouvant annihiler les projets à venir des Terriens pour s’installer sur d’autres planètes que notre planète, et prévoir les structures alternatives à adopter pour parer à ces potentiels dangers, pouvant annihiler les espoirs des instances gouvernementales de chaque pays, dont le Quintus, l’association des 5 plus grandes puissances spatiales de la Terre. USA, Russie, France, Chine et Japon. C’est donc dans cette optique que mon équipage et moi avons été chargés de « fouiller » l’espace, à la recherche de nouveaux astres susceptibles d’accueillir des études de groupes scientifiques sur leur sol, dans le but de prévoir la possibilité d’y établir des villes, pouvant régler l’inquiétude de la surpopulation, comme indiqué précédemment. 

 

L’objectif étant donc dans le même temps de mettre à jour de potentiels phénomènes, les analyser, les étudier en profondeur, et en trouver les failles afin de transmettre le résultat de nos constatations aux dirigeants du Quintus, qui finance la mission. Je suis secondé par mes compagnons dans cette tâche, tous ayant une fonction spécifique dans un domaine scientifique précis : Julius Larker, astrophysicien de génie ; Maria Oriatchov, spécialiste en géologie des corps célestes, et botaniste réputée ; Jun Nishikuri, expert dans l’analyse des sons spatiaux ; et enfin Catherine Matrin, grande dame du fonctionnement des trous noirs, nova et autres phénomènes spatiaux théoriques, comme les trous de vers, auteure de plusieurs ouvrages sur le sujet. Et bien sûr, il y a moi, qui suis un éminent chercheur dans le domaine du temps, et accessoirement anthropologue, ingénieur en mécanique spatiale et réputé pour mes travaux fondés sur l’environnement des astres de diverses galaxies.

 

Comme vous voyez, une équipe hétéroclite. Nous nous connaissions parfaitement depuis de nombreuses années, ayant souvent été amenés à travailler ensemble sur divers projets du Quintus. Raison pour laquelle on a fait appel à nous pour cette mission, du fait justement de nos liens professionnels, mais aussi affectifs, car étant un véritable groupe d’amis soudé, malgré nos nationalités et nos cultures différentes. Nous avons une grande passion commune, si on peut décemment désigner ça comme tel, c’est Halloween et tout ce qui touche de près ou de loin à l’horreur. Bien qu’unanimement cartésien l’un comme l’autre, fidèle à nos statuts de scientifiques chevronnés, nous aimons nous faire peur à travers des histoires lues ou écoutés sur des podcasts dédiés, et avons souvent organisés de véritables fiestas au sein des locaux du Centre du Quintus, où nous travaillions avant cette mission, sur le thème d’Halloween donc. Des festivités appréciées par tout le personnel du centre, y compris des dirigeants supervisant la structure.

 

C’est l’un des rares moments où on les voit sourire et montrer qu’ils ne sont pas que des visages quasi-impassibles et froids lors des conversations, et ne pensant qu’au travail. Mais cette année, certains vont regretter notre absence et notre sens de la fête au Centre en pleine semaine d’Halloween, du fait de notre présence au sein du vaisseau nous servant pour notre exploration de l’univers, depuis notre départ, il y a déjà 4 mois de ça. Pour autant, on n’a pas renoncé pour autant à fêter cet évènement, et on avait déjà prévu au préalable d’apporter tout ce qu’il faut : costumes, cotillons, masques, films et pop-corn. Il y a un petit micro-ondes à l’intérieur du vaisseau, permettant de réchauffer nos rations spatiales. Notre seul regret, c’est de ne pas avoir des boissons pour fêter dignement Halloween, mais tout alcool étant interdit lors des missions, on devait se résoudre à faire sans. En tout cas, c’est ce qu’on pensait.

 

Mais c’était mal connaître cette sournoise de Maria, qui avait emmené en douce des sachets de vodka, dissimulées dans son stock de rations d’eau. La couleur du liquide étant similaire, et les sachets mélangés lors de l’inspection des stocks avant départ, personne ne s’est aperçu de rien. Et elle a poussé le vice jusqu’à ne rien dire à aucun d’entre nous, cachant sa « réserve » pour le Jour-J, afin que tout ne soit pas piqué en douce par un des nôtres, connaissant bien le goût de certains d’entre nous d’avoir recours à l’alcool pour se libérer du stress. Julius et Jun notamment ne sont pas les derniers à y avoir recours. C’est surtout à cause d’eux, je pense, que Maria a pris cette petite « précaution » de masquer la présence de vodka au sein du vaisseau, qu’elle a habilement caché dans sa cabine. Et on a eu une autre surprise : Catherine nous a étonné en apportant, pour pimenter la soirée a-t-elle dit, une planche de ouija. Bien sûr, au même titre que nous tous, elle ne croyait pas aux « pouvoirs » de ce simple morceau de bois, objet commercial largement vendu à l’occasion d’Halloween justement, et ayant déjà fait l’objet de nombre de rumeurs concernant des « incidents » de la part d’utilisateurs qui, comme nous, ne croyaient pas aux histoires colportées sur les dangers que représentaient l’utilisation de cet objet pas si anodin que ça, comme on allait le découvrir par la suite.

 

 Bien qu’on ne soit pas vraiment sûr que la planche ait un quelconque rapport avec ce qui est arrivé ensuite, le fait que les évènements qui ont décimé notre petite équipe de vrais amis sont arrivés juste après qu’on a eu fait une séance, ne sont pas à prendre à la légère. Je vous devine interrogatifs au contenu de ma dernière phrase, et je peux le comprendre. Jusqu’à présent, j’ai fait l’exposé de la situation nous ayant amené à effectuer cette mission, de la complicité me liant moi et mon équipage, mais je n’ai pas fait transparaître que je ne suis que le seul rescapé du cauchemar nous étant tombé dessus, raison pour laquelle je suis l’unique personne à relater notre mésaventure au cours de l’enregistrement que vous êtes en train d’écouter. Car oui, au moment je vous parle, Julius, Maria, Jun et Catherine sont tous morts. Morts à cause de la culpabilité de leurs actions passées. Morts à cause de l’action d’une force surnaturelle qu’on n’aurait jamais imaginé être possible. Surtout ici, au milieu d’un vaisseau spatial naviguant dans l’espace infini…

 

Savez-vous ce qu’est la Paraphrénie ? C’est une forme de délire paranoïde plutôt rare où la personne affectée superpose un monde délirant au réel, et puisant dans sa propre expérience, souvent relié à une culpabilité profonde, des souvenirs marquants de sa vie qu’il pensait avoir réussi à occulter, mais qui ressurgisse suite à un choc traumatique extrême, et souvent extérieur. Une maladie proche de la schizophrénie, mais qui diffère d’elle en ce sens qu’elle a une progression plus lente, et, traditionnellement en tout cas, une occurrence moins élevée. Dans les faits, les personnes atteintes de Paraphrénie gardent un contact social avec les autres, souffrant en silence la plupart du temps, et, bien que sujettes à des « crises » récurrentes suivant les moments de la journée, parviennent à conserver un certain contrôle sur elles, ce qui fait que très peu des patients touchés font appel à des thérapies pour se soigner, persuadés que leurs hallucinations, en grande partie auditive dans un premier temps, avant de bifurquer par des visions, ne sont que la conséquence d’un stress dû à leur travail.

 

Il y a plusieurs formes de paraphrénie, ayant des degrés divers de violence mentale subie. La plus fréquente est la paraphrénie systématique, qui affecte les 5 sens et est chronique ; la paraphrénie expansive, où les affectés, souvent des femmes, ont des illusions de grandeur, de mégalomanie exacerbée ; la paraphrénie confabulatoire, où le cerveau créée des fausses mémoires, usant de personnages historiques fictifs et persuadant le patient de leur véritable existence, tout en gardant la reconnaissance de créations imaginaires, plus ou moins reliées entre elles ; et enfin la paraphrénie fantastique, qui débute par de l’anxiété et une sensation d’hostilité envers son environnement, suivi d’idées mégalomaniaques, devenant, avec le temps, de plus en plus exubérantes et démesurées, le délire subi provoquant une structure excentrique et incohérente. D’autres formes de paraphrénie existent, mais nombre de spécialistes ne tombent pas d’accord sur leur viabilité, et les rattachent aux catégories que je viens de vous citer.

 

Nous avons tous été confrontés à cette maladie nous affectant tous au même moment, suite à la rencontre avec un phénomène spatial qui nous était jusqu’ alors totalement inconnu, et vraisemblablement lié à l’utilisation de la planche ouija apportée par Catherine, bien que je ne pourrais jamais être en mesure de le certifier. Dans notre cas, nous avons subi plusieurs formes de paraphrénie se mélangeant, après avoir découvert cet étrange « nuage » sur notre chemin. C’est difficile de le définir, et je ne suis même pas sûr qu’il était réellement là, à dire la vérité. Je ne suis plus sûr de rien. Mais si ce n’est pas lui la cause, est-ce la planche ouija ? Mais ça ne serait pas cohérent dans le sens où nous avons aperçu ce nuage avant l’utilisation de la planche. C’est d’ailleurs du fait du stress rencontré par la découverte de ce phénomène, le jour- même d’Halloween qui plus est, que Catherine nous a révélé avoir apporté la planche. Juste après que Maria nous a distribué son petit « cadeau », les sachets de vodka qu’elle avait cachée jusque-là, pour nous faire la surprise.

 

L’accumulation de l’alcool pour faire évacuer le stress déjà présent, l’utilisation de la planche qui a pu accentuer l’impression de son « fonctionnement », il y a tellement d’éléments qui se sont confondus que j’ignore ce qui a été ou non. Mais reprenons au commencement. Cela faisait 4 mois que nous étions dans l’espace, vaquant chacun à nos occupations dès lors qu’on croisait un phénomène à même d’être étudié. Rien de bien florissant à vrai dire, car tous étaient des choses connues, et n’ayant pas vraiment révélés de nouveaux éléments sur ce que nous en connaissions déjà. A vrai dire, c’était assez frustrant. 4 mois passés, et rien de véritablement excitant à se mettre sous la dent. Malgré tout, on faisait notre travail, analysant ce qui se montrait à nous, et cherchant un « petit truc » différent dans l’étude du phénomène rencontré. Un champ de météores, une comète, les débris du résultat de l’explosion d’une supernova, ce qui s’est révélé être le plus intéressant de tous en comparaison, et une étoile un peu plus brillante que les autres par moments. Rien que du relativement banal. Et puis, le jour d’Halloween, alors que nous pensions faire une petite pause plus tôt que prévu pour organiser notre petite fête attendue, il est apparu devant nous.

 

Au début, on a pensé à une sorte de flux d’ondes sonores ayant frappé des étoiles rapprochées l’une de l’autre, donnant cette impression de forme nuageuse, ou des poussières cosmiques s’étant agglutinées autour d’un nouveau champ de météores plus petit que ce qu’on avait observé auparavant. Mais en nous rapprochant, on a vite vu que ça n’avait rien à voir avec quelque chose de connu, et notre excitation était à son comble. Enfin on découvrait un phénomène inattendu qu’on pourrait étudier le sourire au ventre. Comment le définir ? ça ressemblait vraiment à un nuage au niveau de son allure générale. On distinguait des extrémités délimitant sa forme de manière assez nette. Une sorte de nuage transparent composé de milliers de petites lumières scintillantes. Ce n’étaient pas des étoiles, mais autre chose. Aujourd’hui encore, je ne sais pas ce qu’étaient véritablement ces lumières. Elles n’étaient pas fixes, elles effectuaient des mouvements coordonnées, suivant des cycles bien définies au cœur de cet ensemble.

 

Les lumières évoluaient à l’intérieur de ce qui pouvait être apparenté à de la vapeur ou quelque chose d’assimilé. Ce qui n’avait aucun sens dans l’espace. Comment une forme d’humidité pouvait avoir pris naissance dans le vide sidéral ? Et ces lumières… on aurait dit qu’elles avaient une vie propre, dessinant ces cycles indépendamment l’un de l’autre, et modifiant leur rotation parfois d’un seul coup, sans aucune logique, et pouvant même échanger leur position avec un autre lumière. C’était comme des sortes de lucioles, si je devais leur donner une image pouvant vous donner une idée de ce qu’on voyait. La « vapeur » elle-même semblait suivre un cycle également, tournant autour de l’amas de « lucioles », et tout l’ensemble avançait dans notre direction lentement. On avait parfois l’impression de milliers d’yeux nous fixant intensément, et je dois avouer que cette sensation insistante avait fini par nous perturber quelque peu, provoquant un stress marquant sur plusieurs d’entre nous. Il n’y avait guère que Jun qui semblait encore plus fasciné que les autres, et ne semblait pas montrer de gêne comme nous le ressentions à ce spectacle surprenant et malaisant dans le même temps.

 

Et puis, il y a eu « l’attaque »… Je crois que je ne peux vraiment pas définir ce qui s’est passé autrement. Le nuage a soudainement modifié son mode de fonctionnement. Les lumières décrivaient des cycles beaucoup plus courts, plus rapides, s’entrechoquant les unes dans les autres, certaines fusionnant même entre elles, pour former des éclats de lumières plus intenses, pendant que le contour de l’amas semblait tournoyer à toute vitesse. C’était comme la formation d’une tornade en devenir, dont l’œil du cyclone était ces lumières à la nature incompréhensibles, et montrant de plus en plus l’impression qu’elles étaient des formes de vie. L’ensemble s’est alors mis à foncer à toute allure vers notre vaisseau, tout en continuant de tournoyer sur lui-même, les lumières se rassemblant les unes après les autres pour ne former qu’une seule et unique luminescence centrale, avant de s’agglutiner autour de notre vaisseau.

 

On a alors ressenti des soubresauts partout, secouant l’appareil dans tous les sens, nous envoyant valdinguer contre les parois. On a dû s’accrocher comme on pouvait à l’intérieur de ce véritable manège spatial. Et puis, le « nuage » s’est infiltré à l’intérieur du vaisseau, libérant des centaines, des milliers de lumières, qui s’étaient séparées à nouveau, formant comme de véritables flèches lumineuses nous frappant tous de plein fouet, l’un après l’autre. On a clairement ressenti des sensations de brûlures sur tout le corps, on avait l’impression d’être au milieu d’un bûcher, mais, pourtant, notre corps restait intact, comme si notre cerveau nous communiquait de fausses informations sur la situation. Je ne saurais pas vraiment dire ce qui s’est passé ensuite. C’était comme si on avait eu une absence prolongée, pendant laquelle tous nos sens ont été endormis d’un coup. Une sorte de léthargie, mais avec nos yeux restants éveillés. Les lumières avaient disparu. Toutes. On a mis du temps à parvenir à se relever, et se remettre de cette expérience très désagréable, se demandant ce qui s’était passé exactement. Nos esprits étaient brouillés.

 

Jun avait été blessé au bras, en ayant été projeté contre le coin d’un appareil de contrôle. Rien de bien méchant, tout au plus une écorchure. Mais dans l’espace, toute blessure, même infime, peut vite se transformer en un problème médical grave s’il n’est pas soigné à temps. Du fait de mes connaissances médicales, faisant office de médecin de bord si nécessaire, je m’occupais d’emmener Jun à l’infirmerie, après m’être renseigné sur l’état de santé des autres, qui souffrait tous de migraines importantes, tout comme moi je le ressentais. Finalement, on s’est tous rendu à l’infirmerie. Pendant que je soignais la blessure de Jun, Maria se chargeait de préparer et fournir des anti-douleurs aux autres, ainsi que de l’aspirine pour les migraines. Bien que peu grave, l’écorchure sur le bras de Jun était étrange. Je ne suis pas sûr de moi à cet instant, et il est possible que ce fût le choc subi par l’attaque du nuage qui ait déjà été en cause de ce que j’ai cru voir. Mais j’ai eu l’impression, l’espace d’un instant, d’apercevoir des luminescences dans le sang, pendant que j’appliquais un anti-coagulant et un désinfectant sur son écorchure.

 

Ça n’a duré que quelques secondes, et ma vue ayant aussi été affecté par ce qu’on venait de subir, je ne saurais vraiment pas affirmer que je n’avais pas déjà subi une hallucination à ce moment. J’ai mis ça sur le coup du choc, et n’y ai plus pensé, m’inquiétant surtout de savoir comment allaient les autres, tous très choqués par notre expérience. C’est après ça que Maria a proposé de nous offrir un petit « remontant » pour nous remettre de nos émotions. On s’est demandé ce qu’elle entendait par « remontant », jusqu’à ce qu’elle revienne avec ses « cadeaux ». Julius fut le premier à esquisser un énorme sourire. Il s’est approché de Maria, l’embrassant sur la joue d’une manière tellement enthousiaste qu’il a fait rougir notre petite russe préférée. Ce que n’a pas manqué de remarquer Catherine, profitant de l’occasion pour demander quand Julius et elle allaient se décider à nous faire part de leur couple. Maria est passé au rouge pivoine à cet instant. C’est Julius qui a finalement dévoilé ce qu’on savait tous depuis déjà un moment, malgré leurs précautions.

 

 -  Ok, Ok. Je vois qu’aucun secret ne peut longtemps rester dans l’ombre dans ce vaisseau… Bon, allez je vais crever l’abcès. Vous avez raison : Maria et moi on est devenu un peu plus que des amis…

 

Jun riait en s’adressant à Julius :

 

 -  Vous êtes pas très discret en même temps. Tu pensais vraiment qu’on n’avait pas remarqués vos petits manèges ? Chaque fois que l’un de vous deux prenait l’excuse d’aller piquer un petit roupillon, comme par hasard l’autre suivait quelques minutes après. Et quand vous daigniez revenir, vous aviez tous les deux de gros sourires…

 

Catherine rajoutait :

 

 -   Et parfois, il y en a un des deux qui n’avait pas bien remis la ceinture de sa tenue..

 

Maria ne savait plus où se mettre, provoquant l’hilarité générale :

 

 -  Oh, mon dieu… Julius, c’est ta faute. Je te demandais pourtant si ma tenue était correcte…

 

 -   Ah parce que c’est ma faute en plus ?

 

 -  C’est toi qui me lançais des signes quand tu avais une « envie » …

 

 -  Et tu n’as jamais refusée, que je sache…

 

Cette fois, c’est moi qui intervenais :

 

 -   C’est mignon les querelles d’amoureux… Allez, faites la paix tous les deux. Même hors du vaisseau, avant qu’on parte pour cette mission, on avait déjà tous deviné que vous étiez ensemble… Bon, et nous ? on peut trinquer aussi ? Du coup, la vodka va avoir double emploi. Ça va nous remettre de cette expérience très désagréable, et en plus on va fêter votre union officiellement.

 

Jun rajoutait :

 

 -  Triple emploi même. C’est Halloween aujourd’hui, n’oubliez pas ! Bon, je vous avoue que je n’ai pas trop le cœur à me déguiser après ça, mais la vodka je suis pour !

 

Catherine reprenait :

 

 -  Je pense qu’on est tous d’accord pour faire une pause prolongée pour aujourd’hui. On discutera de ce qui est arrivé demain. J’ai de quoi faire oublier quelque peu notre mésaventure…

 

Intrigué, je demandais :

 

 -  Tiens donc ? Toi aussi, tu as un cadeau « spécial » comme notre alcoolique notoire ?

 

 -  Eh ! Je suis pas une poivrot, monsieur je sais tout.

 

Jun, riant à nouveau, s’adressait à Maria :

 

 -  C’est vrai que le fait que tu sois la seule à avoir emmené de l’alcool, ça fait de toi quelqu’un de super crédible à ton affirmation…

 

Maria tirait la langue à Jun, et se rapprochait de Julius. Elle ne voulait pas le montrer, mais on sentait qu’elle était plus sereine à l’idée de ne plus avoir à se cacher de sa relation avec Julius. Ils se sont même embrassés à la demande de Catherine, et on a tous renchéri pour avoir droit à une preuve de leur couple. Maria, aussi rouge qu’un feu de signalisation a fini par obtempérer, pour notre plus grand plaisir, pendant que Jun félicitait la « fusion USA-Russie », en soulignant que l’opposition entre les deux nations dans le domaine spatiale était bien loin aujourd’hui, ce qui fit rire tout le monde, et contribua à détendre l’atmosphère quelque peu. On gardait une large part du stress engendré à la suite de ce qui s’était passé, mais on essayait tous de ne pas le montrer, pour ne pas plomber l’atmosphère plus sereine qui s’était installée. Après avoir tous pris notre petite « dose » de vodka en main, on s’est même affairé à disposer quelques décos, histoire de se mettre dans l’ambiance d’Halloween.

 

C’est là que Catherine a amené sa surprise. Une planche de Ouija. Bien que Jun fût un peu réticent, on s’est tous affairé à suivre les instructions de Catherine. De toute façon, on était dans l’espace : aucune chance qu’un esprit ou un démon vienne nous voir. Alors, on s’est installé sur la table de la cambuse, autour de la planche de ouija, et on a formé un cercle autour, comme nous l’indiquait Catherine. Bon, je ne vous cache pas qu’entre les blagues de Julius, moi qui imitais le bruit du vent et Maria qui faisait une voix de sorcière, autant vous dire que la séance a vite tourné à du grand n’importe quoi. Y’avait que Jun qui nous disait d’arrêter de nous moquer. Qu’une planche de Ouija n’était pas un jouet, et qu’on devrait s’excuser de nos blagues envers les esprits si on ne voulait pas les mettre en colère. On oubliait parfois qu'il était issu d’un milieu très croyant, et tout il avait tendance à être très sensible à tout ce qui touchait aux démons, aux esprits et tout ça.

 

Il avait beau dire qu’il était aussi cartésien que nous, très scientifique, par moments, son vrai ressenti sortait naturellement, et il ne pouvait pas cacher ses croyances. Le ouija, je crois que c’était le truc qu’il n’aurait pas fallu faire en sa présence, et ce qui paraissait au départ une bonne idée, Catherine ayant manifestement prévu de s’en servir comme animation, car ne croyant pas, comme la plupart d’entre nous à part Jun, aux histoires qu’on racontait sur les malheureux utilisateurs de cette planche. En plus de ça, on venait de subir l’attaque d’un « démon » de l’espace, on était plus à ça près. D’ailleurs, je pensais à faire subir un examen complet de tout l’équipage le lendemain, une fois mis le souvenir de cette attaque un peu de côté. Juste histoire de vérifier que personne n’avait subi de dommages dans le corps, vu que ce qu’on avait tout ressenti du fait de l’attaque du nuage s’étant infiltré dans le vaisseau, et libérant ses lumières sur nous.

 

Le nuage, les lumières, tout avait disparu dès l’instant qu’on les avait tous pris de plein fouet dans le corps, sans explication. Et pour l’instant, personne n’avait trop envie d’en reparler. Le ouija, c’était un peu pour faire rebaisser la tension, mais Catherine, consciente que nos moqueries avaient blessé Jun, préféra ajourner la « séance », qui s’était soldé par un échec total niveau « manifestations », par respect pour lui. Après qu’on a mis de la musique et sorti tout notre attirail de portions de nourriture spécialement étudiée, et comprenant même quelques sucreries, elle s’est même excusée auprès de Jun. Elle ne pensait pas à mal, étant loin d’imaginer la réaction de notre ami. Il lui a pardonné avec le sourire, en recommandant à Catherine de jeter cette planche, précisant que ce genre d’objet n’attirait que le malheur. Elle lui promit de le faire, et, montrant sa détermination à respecter sa promesse, plaça la planche dans le petit incinérateur dont on disposait dans la cambuse, qui nous servait à se débarrasser des emballages des plats cuisinés.

 

Et… Je ne sais pas comment définir ce qu’on a entendu tous à cet instant. Pendant toute la durée où la planche était atomisée par technologie laser à l’intérieur de l’incinérateur, on a clairement entendu des voix semblant venir à la fois de ce dernier, mais aussi de tout l’intérieur du vaisseau. La séance, selon ce que Jun avait dit, avait été mal « fermée ». En voyant dans quel état nos blagues avait l'avait mis, on s’était tous lâché les mains et levé, interrompant brutalement la session spiritique. Ce qui avait pu entraîner des conséquences. Jun nous disait que, même si aucun ne s’était manifesté de manière physique, le fait de se servir de la planche avait quand même pu ouvrir un portail spirituel, dans lequel un démon s’était engouffré. Les « voix », les plaintes même qu’on entendait étaient peut-être le résultat d’une créature étant passé, et désormais incapable de revenir dans son monde, coincé dans le même plan dimensionnel que nous.  Ce ne fut que le début d’un long cauchemar qui allait détruire l’unité de notre groupe d’amis et de scientifique.

 

Les premiers symptômes de ce mal en nous, qu’il soit du aux lumières du nuage, à la séance Ouija ou la combinaison des deux, se montrèrent progressivement. Jun fut le premier à manifester de la nervosité dans son travail. Il transpirait abondamment, s’emportait dès lors qu’on lui demandait si ça allait, parlait à quelqu’un ou quelque chose qu’il était seul à voir. On a vite compris qu’il s’agissait d’un membre de sa famille, sans savoir qui exactement, qu’il pensait être présent avec nous, s’excusant auprès de lui pour sa faute. Petit à petit au fil des jours, il devenait arrogant, nous prenant de haut, estimant qu’on n’était pas au top de notre forme, nous demandant si on avait vraiment les diplômes de nos catégories scientifiques. Il atteignait un degré de mégalomanie inquiétant, voulant que sa place habituelle à la cambuse, lors de nos repas soit plus « stylée », criant parfois en plein milieu d’une conversation houleuse, alors qu’on tentait de lui rappeler qu’on était tous amis ici, et qu’on ne comprenait pas son comportement. Mais bientôt, la situation devenait incontrôlable.

 

Les autres manifestait eux aussi les mêmes troubles, parlant dans le vide à quelqu’un qu’eux seuls pouvaient voir. Maria pleurait en parlant à son père décédé, qu’elle seule pouvait voir, lui demandant pardon de n’avoir pas respecté sa promesse, poussant des cris comme Jun le faisait de plus en plus régulièrement, et montrant, à son tour des tendances mégalomaniaques, créant des conflits avec Jun sur la place du « meilleur » de l’équipe. Julius et Catherine montrèrent eux aussi les mêmes symptômes. Julius parlait avec sa cousine qui s’était suicidée, considérant que c’était sa faute, car il savait que son petit ami la battait, mais il n’avait rien fait pour la sortir de cette situation, malgré ses appels à l’aide. On a fini par comprendre que Jun s’en voulait d’avoir « volé » le travail que convoitait son frère quand ils étaient adolescents, par pure jalousie de sa réussite. Il avait voulu lui montrer qu’il n’était pas si intelligent que ça. Son frère avait sombré dans la drogue et la déchéance après ça, et est mort dans l’oubli de sa propre famille qui l’avait renié.

 

Pour Maria, elle l’avait dénoncé à la police après avoir découvert qu’il s’adonnait à des escroqueries en tous genres. Il est mort en prison par des détenus en lien avec ses victimes, tué avec un couteau artisanal, fait à partir de morceaux de plastique. Pour Catherine, c’était sa sœur, autiste, dont elle se moquait ouvertement en public, alors qu’elle était censée la protéger des autres, telle la promesse faite à leurs parents, décédés dans un accident d’avion. Elle avait fini par « l’abandonner » dans un centre, véritable mouroir, ou sa sœur, désespérée d’être séparée de sa sœur, qu’elle aimait malgré les moqueries que celle-ci pratiquait sur elle, refusait de se nourrir, sans que ça inquiète le personnel soignant. J’ai moi aussi subi ces hallucinations extrêmement réalistes. Dans mon cas, il s’agissait de mon meilleur ami, qui était devenu paraplégique à la suite d’un accident de voiture. On sortait de boite ce jour-là, j’étais sobre, mais extrêmement fatigué. Mon ami m’avait presque supplié d’appeler un taxi pour qu’on rentre, n’étant pas sûr que je sois en état de prendre la route.

 

Il avait raison. En désespoir de cause, lui qui était auparavant un grand coureur, champion de notre lycée, il a accepté une opération à risque très coûteuses pour retrouver ses jambes, sans m’en parler. Les médecins l’ayant opéré faisaient partie d’un réseau obscur, sans aucune formation et compétences. Il est mort sur la table d’opération. Tous avions en commun un acte dont nous nous sentions coupable, qui rongeait notre mémoire profondément, et qu’on pensait avoir réussi à surmonter. Ça déclenchait des hallucinations semblant de plus en plus réelles, donnant l’impression qu’on pouvait les toucher, et occasionnant des situations violentes, en étant confrontés aux fantômes de nos passés. Pensant s’en prendre à ces hallucinations, on s’agressait les uns les autres, suivant les « recommandations » de voix intérieures de plus en plus présentes, nous emmenant vers un stade de folie dont on ne voyait pas l’issue. Chacun se croyait meilleur que l’autre, des conflits éclataient, de plus en plus violents. Et il y avait ces autres « voix » résonnant chaque jour sur les parois métalliques du vaisseau, nous incitant à des manœuvres dangereuses, à des manipulations pouvant occasionner des dégâts plus que préjudiciables pour le bon suivi de la mission.

 

Chaque jour qui passait, les hallucinations, la mégalomanie de chacun, occasionnant affrontements, insultes, et destruction de matériel s’intensifiait. Je parvenais tant bien que mal à garder une partie du contrôle de mon esprit, d’une manière à priori plus aisé que mes compagnons, qui sombraient de plus en plus dans la folie. Ils tenaient des propos incohérents, prenait des choix allant à l’encontre du bon sens, jusqu’au moment où le pire arrivait. Julius finit par égorger Maria avec le verre d’un écran de contrôle qu’il brisa, la confondant avec sa cousine qu’il accusait d’harceler par ses « visites ». Encore un peu lucide, j’ai tenté de l’arrêter, mais j’ai compris trop tard ce qu’il voulait faire, et le temps que j’arrive à leur niveau, Maria avait déjà la gorge tranchée, et tombait au sol. Jun riait en voyant ça, pendant que je tentais de ramener Julius à la raison, luttant moi-même avec mes démons, que j’avais énormément de mal à contenir.

 

A cause de ça, demandant à mon ami que je voyais en hallucination de me laisser tranquille, Julius en profitait pour s’approcher de Jun, qui s’esclaffait de plus belle. Ce dernier se moquait de Julius, l’appelant par le prénom de son frère, lui avouant pourquoi il lui volé son travail, expliquant les raisons de sa jalousie. Il prit en main un stylo et s’en prit à Julius. J’étais tellement assailli par mes hallucinations et les migraines qui en résultaient que je n’ai pu qu’assister à la fin de mes amis qui entre-tuaient sauvagement. Dans le même temps, alors que j’étais recroquevillé sur le sol, criant à mon fantôme personnel de me laisser, lui hurlant presque que j’étais désolé de ce que je lui avais fait, Catherine s’était figée devant un hublot, et semblait parler à sa sœur.

 

 -  Je t’ai jamais aimée… Papa et maman reportaient toute leur attention sur toi, alors que t’étais une débile. Moi, j’avais des bonnes notes, excellentes même, et ils s’en foutaient. Ils n’y prêtaient pas attention. Y’en avait que pour toi. Je croyais que t’étais morte, mais t’es encore là à me pourrir la vie. Alors je vais te tuer pour de bon…

 

Je n’avais aucun moyen de stopper son geste, bien trop occupé à faire fuir le fantôme de ma culpabilité. Elle se fracassa le crâne, le projetant à plusieurs reprises sur le hublot en face d’elle, jusqu’à ce que son cerveau ne tienne plus le choc. Morts. Ils étaient tous morts. Ils s’étaient entre-tués, battus, fais du mal, à cause de je ne sais quelle force en place. Ils n’étaient pas schizophrènes. Vu tous les examens médicaux que nous passions régulièrement au centre, et qui ont été accentués avant notre départ de mission, ça aurait déjà été décelé depuis longtemps. Même chose pour moi. Il y aurait déjà eu des symptômes bien avant. Non, tout s’était déclenché après qu’on ait croisés le chemin de cette… chose dans l’espace, après qu’elle nous aie attaqués, qu’elle se soit insinuée dans nos corps. Je n’en étais pas sûr, mais je ne croyais pas aux coïncidences. Ce n’était pas le mal de l’espace non plus. Les symptômes n’avaient rien à voir. On aurait eu des nausées, des vomissements. Rien de tout ça ici. Même la « voix » qu’on a tous entendus lorsque la planche de Ouija a été détruite, je me posais la question si on n’a pas ressenti à ce moment le premier stade de ces hallucinations qui nous ont assaillies.

 

La paraphrénie. Ça ne pouvait être que ça. Une forme extrêmement violente de paraphrénie déclenchée par la présence de ce… parasite qui a exploré nos souvenirs, les a transformés en arme contre nous-mêmes. Pourquoi je dis ça ? Parce que dès l’instant où Maria, Julius, Jun et Catherine sont tombés, j’ai vu les lumières quitter leurs corps. C’était très peu perceptible, et, là encore, je ne suis pas sûr de moi car, à ce moment, j’étais en lutte avec ma culpabilité, et parsemé de voix dans ma tête. Les premiers symptômes de la Paraphrénie se caractérisent par l’apparition de « voix » dans la tête, suivie d’hallucinations, des créations issues de nos souvenirs, de nos connaissances, se mélangeant l’une et l’autre, jusqu’à atteindre un paroxysme. La plupart des gens parviennent à contrôler cet état, et peuvent même vivre une vie « normale ». Mais l’action des composants de ce nuage devait déclencher une forme inconnue et aiguë de la maladie. Le stress de l’attaque subie, notre « possession » par cette force, cette forme de vie ou je ne sais quoi qu’elle est, accentué le degré de culpabilité que chacun avions en nous et s’en est servie contre nous.

 

Pour quelle raison s’en est-elle prise à nous ? Je soupçonne que c’est dans un désir de défense de son territoire. Là où nous avons découvert ce nuage cosmique et son étrange composition, nous étions sans doute arrivés sur ce qui constituait la partie de l’univers où il vivait et se déplaçait. Il nous a perçus comme une menace à sa tranquillité, des intrus tentant de pénétrer chez lui, et il a agi en conséquence, comme un chien de garde défend la maison de son maître. Je me dis que ce n’est peut-être que ça. Un gardien de quelque chose de plus terrible encore, vivant au-delà de l’endroit où nous sommes tombés sur cette entité. Plus j’y pensais, plus je devenais convaincu que c’est bien ce qui s’est passé. Le Ouija n’a entraîné aucune conséquence à mon avis. Je me trompe peut-être, et ce dernier a éventuellement libéré quelque chose lui aussi. Le nuage n’a fait que remonter les souvenirs à sa surface, sa manière de se défendre, et l’entité libéré du Ouija a fait le reste, s’engouffrant dans la brèche mentale créée par les lumières du nuage. Je ne le saurais sans doute jamais.

 

Ce qui est sûr, même en occultant le ouija, reste que ce nuage est dangereux pour l’homme. J’ignore s’il se déplace dans tout l’univers ou une partie bien définie de celui-ci, mais s’il venait à se rendre sur la base lunaire, sur la colonie en construction de Mars, ou pire, sur la Terre, les conséquences pour l’humanité seraient désastreuses. Il y a une dernière possibilité : Halloween est censé réduire la frontière entre les mondes, telle que l’indique l’origine de cette fête sur notre planète, venant des traditions Celtes, dont les druides étaient en phases avec d’autres dimensions, d’autres mondes. Mais est-ce que cette « frontière » se réduisant est limitée à la Terre ? Est-ce qu’il n’est pas envisageable de penser, vu qu’il s’agit de dimension, que cela agit également dans l’espace ? Et cette… Chose a donc profité d’une brisure, du fait du jour d’Halloween, pour pénétrer notre espace-temps. Peut-être même qu’elle vient d’un futur de notre univers, ou d’un autre, il y a tant de possibilité.

 

Quoi qu’il en soit, luttant pour enregistrer ce message que je vous envoie à vous, dirigeants du Quintus, il me fallait vous avertir du danger, de la menace grave que peut représenter ce nuage s’il venait à rejoindre la Terre. Je n’ose imaginer les conséquences. Et, comme dit, précédemment, il se peut que ce ne soit qu’une sorte d’éclaireur, chargé de « sonder » les territoires où il voyage, pour le compte de quelque chose d’encore plus dévastateur. Un peu comme le Surfeur d’Argent pour Galactus. Halloween n’est peut-être qu’un hasard, comme il a pu être déterminant. A vous de juger ce qui vous semble le plus vraisemblable, et de déterminer ce qu’il convient de faire pour la suite. Quand vous entendrez ce message, j’aurais sûrement cédé à la folie s’étant insinué en moi, me rongeant heure après heure, minute après minute. Je ne pourrais donc pas voir ce qui arrivera. Et, au vu de ce qui peut arriver, c’est sans doute mieux ainsi, plutôt que d’assister à la fin de l’humanité…


Publié par Fabs