5 oct. 2023

PLEINE LUNE (Challenge Halloween-Jour 5)


 

On croise tous les jours nos voisins, on prend l’habitude de leurs petites manies, on entend quand ils se disputent avec leur épouse, leurs enfants, leurs amis, on discute avec eux de tout et de rien, on leur sourit le matin en partant au travail. On croit savoir parfois le moindre détail de leur vie, et on se demande si c’est la même chose de leur côté nous concernant. Il y a ceux qui nous jugent sans savoir, ceux qui nous invitent chez eux à la moindre occasion, ceux qui passent le plus clair de leur temps à nous nuire, ceux qui vous considèrent comme un membre de leur famille à part entière… Il serait fastidieux d’énumérer tous les traits de caractère que l’on peut rencontrer. Ils sont tous différents, chacun vit sa vie à sa manière, et jamais on n’imaginerait que sous ces vies bien rangées peut se cacher quelque chose d’inavouable, dont on ne peut imaginer la teneur. Et pourtant…

 

Je me nomme alexis. Je vis dans une petite ville du Sussex, dans le Sud-Est de l’Angleterre, non-loin de Lewes. Une petite bourgade tranquille où il se passe rarement quelque chose, si ce n’est les bêtises de gosses lors d’Halloween, comme c’est le cas dans diverses villes du pays. Si je vous parle de cette fête, ce n’est pas pour rien, car elle est la cause directe de mon témoignage de ce jour. C’est du fait d’Halloween que je ne suis désormais plus comme avant, plus comme vous l’êtes en tout cas. Car Forgray, ma ville, n’est pas comme les autres. Pas du tout. Et la manière dont je l’ai découvert, je vais vous le raconter dans les lignes qui vont suivre.

 

Tout d’abord, vous devez savoir que Forgray est en quelque sorte la capitale des matières premières permettant la création de la plupart des costumes qu’on trouve dans les boutiques britanniques pour Halloween. Et en particulier, ceux représentant des créatures pourvues de poils. Cela vient de l’élevage de moutons qui est la base de l'économie de notre ville. Que ce soit la laine, la graisse, la panse, ou encore les cornes véritables utilisés comme des artefacts ou des décorations murales, il y a énormément de choses qui viennent des moutons de Forgray. 

 

La viande des bêtes tuées chaque mois pour ce commerce offrant la prospérité aux habitants, elle, hormis certains organes vendus en dehors du comté, est traitée dans un bâtiment servant à l’abattage traditionnel, à la sortie de la ville, et se retrouve sur les étals de l’unique boucher de notre petite cité. Ça peut vous sembler curieux, mais on ne mange aucune autre viande que celle venant de l’abattoir. Seule la viande de mouton est tolérée, et si quelqu’un a le malheur de commander autre chose auprès de commerces des villes les plus proches, cela se sait rapidement, et le contrevenant est passible de sanctions sévères.

 

Ça peut sembler excessif dit comme ça, mais depuis la crise du COVID et d’autres maladies touchant le bétail, les autorités de Forgray sont devenues très méfiants, et ont renforcé les règles sanitaires. Ce qui inclut l’interdiction de recourir à d’autres viandes que celle venant des nombreux cheptels de moutons autour de la ville. J’ai toujours trouvé étonnant la quantité massive de ces derniers étant enfant. Mais vu que l’on ne mange que ça comme viande, en grandissant, j’ai compris le pourquoi de ces mesures imposées par la mairie de la ville. D’ailleurs, c’est à cause de ces règles étranges que les changements en moi ont débutés. Ah oui, c’est vrai, je ne vous ai pas dit. J’ai 16 ans. Un âge charnière à Forgray. Chaque jeune atteignant cet âge subit une sorte de rituel d’initiation à Halloween.

 

Ah oui, autre chose qui fait la particularité de notre ville. Bien que fournisseur de matières premières propres à la confection de masques, costumes et autres éléments d’Halloween, cet évènement n’est pas fêté de la même manière ici. Dans toutes les autres villes, en règle générale, il n’y a pas vraiment d’heure limite pour faire la fête dans les rues, sous les lampions, les citrouilles découpées et au son de la musique bien creepy. Mais à Forgray, chacun doit être rentré avant minuit ce soir-là. Et gare à ceux et celles qui voudraient jouer les rebelles : une patrouille veille au grain afin de vérifier au respect de cette règle immuable dans notre ville. Et en particulier si l’un de nous a atteint les 18 ans, et doit donc pratiquer ce fameux rituel au sein de sa famille.

 

En tout cas, c’est comme ça qu’on me l’a toujours indiqué. Mais à la vérité, quand je demandais à mes aînés, plus âgés que moi, comment s’était déroulé cette « cérémonie de passage », il ne disait rien, prenant l’excuse que ça ne se disait pas, que c’était propre à chaque famille. Aucune ne le faisait de la même manière, et me disant que je saurais ce qui en est quand ce serait mon tour à moi aussi. Des paroles qui ne faisaient que m’interroger encore plus. J’aurais aimé savoir ce qui se passait cette nuit-là pour ces initiés arborant un tatouage comme seul signe distinct de leur passage à l’âge adulte. Je devrais plutôt dire une marque. Oui, vous avez bien entendu. Ils sont marqués comme on marque le bétail des troupeaux autour de la ville. Un dessin curieux, représentant un cercle au centre duquel se trouve un trait horizontal, et deux séries de traits se joignant et touchant un autre trait horizontal, plus petit que celui du haut.

 

C’était deux triangles partant d’une grande ligne pour rejoindre une autre ligne pour résumer. Et sous la ligne du bas, il y avait un autre signe. J’ai cru comprendre que c’était un signe grec. Il était différent suivant les personnes. Tous les adultes portaient la même marque en fait, dès lors qu’ils avaient atteint l’âge de 18 ans. Mais suivant leur mois de naissance les séparant du mois d’Halloween, il comportait un ou plusieurs traits supplémentaires à côté de ce signe. C’était très complexe en fait. Je me demandais comment serait le mien. Car j’avais une particularité qui me différenciait des autres. Mon anniversaire se trouvait être le même qu’Halloween. Le 31 octobre. Mes parents me disent toujours que ça fait de moi un être à part, et que nombre de personnes de la ville attendent avec impatience mon rite d’initiation. Car c’est quelque chose qu’ils attendaient depuis des années.

 

A la vérité, quand ils me disaient ça, c’était un peu effrayant. J’avais l’impression d’être une bête de foire ou un truc du genre. Et depuis que le mois d’Octobre avait commencé, j’ai senti que le regard des autres sur moi était différent de d’habitude. Les filles surtout. Toutes celles ayant 18 ans ou plus. Alors qu’en temps normal, je n’existais quasiment pas, dès lors que les jours me rapprochant de la date fatidique se réduisait, elle me fixait plus intensément. Je les voyais parler entre elles en me désignant, avec des sourires et des expressions qui me donnaient l’impression d’être la friandise du mois. Et quand je prenais le courage de leur demander pourquoi elles avaient cette expression en me regardant, elles se muraient dans le silence, se contentant de me dire :

 

 -  Tu le sauras très vite. Et ce jour-là, j’espère que tu sauras faire le bon choix pour celle qui aura l’honneur d’être à tes côtés… Futur Grand Alpha…

 

Elles ricanaient après ça, et se dirigeaient ailleurs, me laissant à mes interrogations. Alpha. Ce mot m’intriguait. Ça me faisait penser au signe grec sur les « marques » sur les bras ou les jambes des adultes. La disposition de cette marque d’ailleurs devait avoir une signification. Mon père, par exemple, avait sa marque sur la poitrine. Tout comme le Maire. J’avais vu sa marque un jour de grande chaleur, lors d’un barbecue organisé chez lui, lors d’un été particulièrement chaud. J’ai remarqué qu’il y avait 4 signes distincts sur les marques, dont 3 correspondait à des signes grecs. Alpha, Bêta, et Omega. Le 4ème signe, lui, était une spirale. D’ailleurs, c’était le signe le plus courant sur les tatouages. Les autres étaient plus rares. Les marques Omega étaient disposées sur le bras, droit ou gauche. Les Bêtas sur le dessus de la main. Les Alpha, comme mon père donc, sur la poitrine. Et les spirales sur la jambe, juste au-dessus du pied. Je me demandais la signification exacte de ce qui me semblait être une sorte de hiérarchie.

 

Et puis, j’ai commencé à développer des douleurs physiques dans le dos, les bras et les jambes, très intenses, souvent la nuit. Je commençais à entendre des sons à une distance anormale pour un être humain. Ma vue s’était également amplifiée, tout comme mes réflexes. J’étais obligé de me raser chaque matin, car mes poils de barbe naissante se montraient de plus en plus persistants, poussant bien plus rapidement qu’auparavant. Et ce n’était pas le seul endroit où une pilosité abondante se montrait. La poitrine et l’entrejambe aussi. Je me disais que tout ces changements étaient sans doute le résultat d’une poussée fulgurante de ma puberté, rien d’inquiétant. Mais il y eut d’autres éléments bien plus intrigants qui se déclenchèrent par la suite.

 

Plusieurs fois, j’ai retrouvé mes pieds remplis de terre. Comme si je m’étais rendu au-dehors sans chaussures aux pieds, et sans que j’en ai le moindre souvenir. J’avais un goût de sang dans la bouche, mes ongles devenaient plus durs à couper, et montraient une vitesse de pousse déstabilisante. Sans compter leur longueur. Je parlais de ces modifications de mon corps à mes parents, mais ils me rassuraient, me disaient que ce n’était pas grave, que c’était la preuve que je m’approchais du Grand Changement. Le Grand Changement. C’était la première fois qu’ils employaient ce mot. Ils ne voulurent pas m’en dire plus. Je sentais qu’ils me cachaient des choses. Ça me rendait agressif, je répondais mal aux professeurs, et ceux-ci ne disaient rien. Ils souriaient même. Je ne comprenais rien de ce qui se passait.

 

Qu’est-ce qui m’arrivait ? Pourquoi ils avaient tous cette attitude mielleuse et curieuse envers moi ? Et vint cette fameuse nuit du 30 octobre où tout bascula. Depuis la moitié du mois, un couple de touristes s’était installé à la seule chambre d’hôtes de Forgray. Des gens charmants que j’avais rencontré alors qu’ils admiraient un de nos troupeaux de moutons, vers la fin octobre. Ce jour-là, j’avais séché les cours. De toute façon, je savais qu’on ne me dirait rien, si je me fiais à l’attitude des professeurs et des élèves envers moi. J’ai pas mal sympathisé avec eux. Ils étaient là car ils préparaient un petit film sur Forgray, pour leur vlog. Ils étaient très intrigués d’apprendre qu’on ne mangeait que de la viande des moutons venant de nos élevages. J’ai eu une sensation étrange à leur contact. Mon cœur battait plus vite, je sentais que je transpirais fortement sous mes habits, des frissons me parcouraient le corps. Et ce n’était pas tout.

 

J’entendais les pulsations de leur cœur, je sentais leur odeur. Elle était différente pour l’homme et la femme. Ce n’était pas du parfum ou une lotion. C’était bien une odeur corporelle. Je sentais une envie irrépressible qui m’attirait vers leur peau. C’était comme un appel que j’avais beaucoup de mal à réfréner, une petite voix qui me disait « Vas-y : mords-les ! » J’avais vraiment ce désir de plonger mes dents dans leur chair, sans que je comprenne pourquoi je pensais à une telle chose insensée. Je sais qu’ils n’ont pas dû comprendre, mais quand la femme a posé sa main sur mon bras, me demandant si j’allais bien, car voyant que je transpirais de plus en plus, cette envie de la mordre s’est intensifié. 

 

J’entrouvrais la bouche, passant ma langue sur mes dents, découvrant au passage que certaines d’entre elles semblaient plus pointues que d’habitude. Encore un changement majeur de mon corps. J’ai pris peur, écarté sa main de mon bras, et je me suis enfui dans les collines toutes proches, laissant le couple dans l’incompréhension. Plus loin, je me suis agenouillé, prenant ma tête entre mes mains, j’avais la sensation d’avoir un marteau-piqueur dans mon crâne, et toujours cette petite voix qui m’indiquait de revenir vers le couple et de les mordre. J’ai crié, espérant que cela ferait partir ces idées folles, avant de m’écrouler, et me recroqueviller sur l’herbe. J’ai dû m’évanouir à cet instant, car je ne sais pas ce que j’ai fait après. J’avais repris mon calme, mon cœur battait de nouveau normalement. Mais j’étais trempé tellement j’avais transpiré. Je suis revenu avec prudence vers le troupeau où se trouvait le couple avant que je m’éloigne d’eux. Il n’était plus là. Cela me rassurait. Je craignais que tout ça recommence si je m’approchais d’eux à nouveau.

 

Je ne comprenais pas. Jamais je n’avais senti de telles choses en présence de n’importe qui, que ce soit au lycée, ou dans les rues, en présence de quelqu’un. Qu’est-ce que ce couple pouvait avoir de particulier pour déclencher ça en moi ? Les autres jours, quand je voyais l’homme et la femme déambuler dans la rue, prenant des photos de tout et n’importe quoi, s’extasiant devant les vieilles maisons datant des fondations de la ville, je tournais la tête, en espérant qu’ils ne m’aient pas vu, et je changeais de direction pour éviter de les croiser. Je ne savais pas ce qui avait provoqué mon état en leur présence, mais je préférais éviter de renouveler l’expérience. Au bout de quelques jours, je ne les voyais plus en ville. Je pensais qu’ils étaient partis, qu’ils avaient toutes les images nécessaires pour leur petit film. Ça me rassurait. Je n’aurais plus à ressentir ce que j’avais eu s’ils se retrouvaient à nouveau près de moi.

 

Mais le 30 octobre au soir, alors que je revenais d’une nouvelle balade dans les collines pour me remettre des milliers de questions que j’avais en tête sur mon comportement et celui des autres envers moi, je suis tombé sur Davy et son ami Beverly. Des gamins d’une dizaine d’années insupportables, qui passaient leur temps à se moquer de moi chaque fois qu’ils me voyaient. Je n’ai jamais trop su pour quelle raison ils m’avaient pris comme tête de turc pour leurs gamineries. En temps normal, je les ignorais. Après tout, c’étaient juste des gosses. Des petits cons, mais des gosses. Je n’allais quand même pas m’énerver sur eux. Mais cette fois-là, j’ai craqué. J’ai soulevé Davy par la gorge, jusqu’à hauteur de mon visage, le fixant dans les yeux. Beverly, terrifiée, était partie en courant et en hurlant. Moi, je me concentrais sur cette petite raclure, me disant que c’était la dernière fois qu’il se foutrait de ma gueule. J’ai senti son cœur à lui aussi, mais pas comme pour les touristes. Je n’avais pas cette envie de le mordre. Je ne transpirais pas. J’avais juste envie qu’il arrête de me faire chier à l’avenir. Je devais lui donner une leçon. Je continuais à serrer sa gorge, souriant, pendant que son visage devenait blême. Il ne parvenait même plus à se débattre. C’était à moi de rire de lui :

 

 -  Alors, petit con… Tu dis plus rien là hein… T’as vu comme je suis fort ? Je pourrais t’écraser comme une pomme trop mûre d’un seul geste ? T’en dis quoi ? Je le fais ou pas ?

 

C’est là que j’ai entendu une voix familière derrière moi. Harvey, le sheriff, un vieil ami de mon père lui aussi, comme le maire. 

 

 -  Arrête Alexis ! Lâche ce gosse ! Je sais qu’il peut être pénible, mais tu vas le tuer là ! Calme-toi et suis-moi… On va discuter…

 

 -  Discuter de quoi ? De ce qui m’arrive depuis plusieurs jours ? De votre attitude bizarre à vous tous ? De la terre que je retrouve sous mes pieds ? Il y a deux jours, j’ai même retrouvé un cadavre de lapin sous mon lit ? ça aussi, vous allez me l’expliquer ? Mes parents se sont contentés de jeter la bestiole, en me disant que c’était rien, que j’étais somnambule. Mais je sais bien que c’est pas ça. Je sais que vous tous qui êtes là, à vous demander si je vais étrangler ce petit con, vous me cachez, vous aussi, la vérité ! Qu’est-ce que j’ai ? Répondez-moi !!

 

J’ai bien senti son odeur mais je n’ai pas pu réagir à temps. L’adjoint du shérif m’a flanqué une décharge de taser dans le dos. J’ai senti mon cœur s’arrêter de battre, ou une sensation proche, pendant que je m’affalais sur le bitume, lâchant Davy, qui a dû rouler quelques mètres plus loin, étant sans doute pris en charge par une des personnes de la foule qui s’était agglutinée autour de moi… Après, mes yeux se sont fermés tout seul. Je me suis réveillé quelques heures plus tard, installé dans une cellule de la prison, les bras et les pieds attachés à des chaînes au mur. Il n’y avait pas de lumière, mais un peu de lumière filtrait du haut. Sans doute passant par un soupirail situé en haut de la pièce. J’étais dans l’obscurité totale. Du fait de mes facultés s’étant éveillées depuis le début d’octobre, à la faveur du mois d’Halloween tellement important pour certains à Forgray, j’ai perçu la conversation du shérif avec quelqu’un dont je reconnaissais la voix. Mon père.

 

 -  Désolé, Jim, mais je prendrais pas le risque de le libérer. Il a agressé un gosse ! Il doit subir le Grand Changement demain. Il n’en a plus pour longtemps à attendre. Après ça, il sera comme nous, et on pourra tout lui expliquer.

 

 -  Je comprends, je t’assure. Mais Mona s’inquiète de le savoir ici, enchaîné comme un criminel. Nous avions tout prévu pour le rituel. Ça devait se faire en douceur.

 

-  Ecoute, je suis père moi aussi. Alors, s’il y a bien quelqu’un qui comprend ce que vous ressentez, toi et Mona, c’est bien moi. Mais dans l’état d’égarement dans lequel il est, il peut très bien s’en prendre à quelqu’un d’autre d’ici demain s’il est dehors. Et cette fois, celui qui devra faire face à sa fureur ne s’en sortira peut-être pas aussi bien que Davy…

 

 -  Oui, je sais bien. Je vais essayer de calmer Mona. Elle est dans tout ses états elle aussi. 

 

 -  C’est un Alpha Supérieur qui est en phase d’arriver. Faut pas l’oublier. La dernière fois qu’il y en a eu un dans notre ville, ça remonte à plus de 100 ans. Et les archives que j’ai lues m’ont appris que ça avait causé des dégâts quand il a muté. Il y a eu des morts. Ce n’est pas n’importe lequel de nous. C’est la première fois que toi et moi on va voir une pleine lune le soir d’Halloween, pour un natif du même jour ! C’est un miracle ce petit, j’en suis conscient. C’est celui qui mènera la meute à se révéler enfin. Comme l’indique la prophétie. On ne peut pas prendre le risque qu’il libère sa fureur avant le jour-J. Crois-moi : il est mieux là pour l’instant. 

 

 -  Ok, ok. Je n’insiste pas. Je sais que tu fais au mieux. Tant pis : pas de rituel pour lui. Il subira le Grand Changement ici. Je m’occupe de tout préparer pour demain soir. Le cadeau est prêt ? 

 

 -  Ouais, t’inquiète. Il attend patiemment dans un endroit sûr. Ton fils va adorer, j’en suis sûr. Un mets de choix pour un Alpha de grande valeur. On le gâte…

 

Là-dessus, mon père a remercié Jim, et je l’ai entendu repartir. Je ne comprenais rien à ce qui s’était dit. Alpha Supérieur ? Pleine Lune ? Cadeau ? Qu’est-ce que c’était que tout ce charabia venu tout droit d’un mauvais scénario. Et c’était de moi qu’ils parlaient… J’avais quoi de spécial bordel ?!! J’ai passé la nuit à me ressasser ça, sans trouver de réponse qui puisse me convenir. Pendant 24 heures, je suis resté dans cette cellule, enchaîné, sans recevoir de visite, ni de nourriture. Ok, j’avais merdé avec le gosse. Mais de là à me priver de nourriture, ils abusaient non ? Et mon paternel qui était d’accord avec ça ? J’étais dans une colère difficilement imaginable à ce moment. J’en voulais à tout le monde. Ils étaient tous complices. Je ne sais pas si j’étais cet « alpha Supérieur » dont ils parlaient ou quoi que ce soit d’autre, mais ce que je savais, c’était qu’à Minuit, le soir d’Halloween, je subirais le « Grand Changement ».

 

Je ne savais pas encore en quoi ça consistait, mais ça serait peut-être l’occasion de sortir d’ici et de me venger de tous ces faux-frères, ces traîtres qui refusaient de me dire ce qui m’arrivais. En tout cas, c’était vraiment ce que j’avais en tête à ce moment. La suite des évènements fut un peu différente de ce que j’avais prévu. J’entendais les préparatifs pour Halloween toute la journée grâce à mon ouïe surdéveloppée. Les cris de joie des enfants, la musique, le son des papiers frottant sur les fils de fer disposés au-dessus des rues. C’était comme si j’étais à côté. Le soir, les sons se firent plus fort, plus assourdissants. J’avais mal aux oreilles à force. Et puis, au bout d’un moment, la fête a laissé place au silence peu à peu. Plus aucun son dans les rues. J’avais tenté de me libérer des chaînes, mais elles étaient trop solides. Je m’étais fatigué pour rien, malgré ma force nouvelle. C’est à ce moment que je compris ce qu’ils appelaient le Grand Changement…

 

La lumière de la lune passait à travers le soupirail en haut, et se reflétait sur le sol de ma cellule. Ronde, pleine, d’une lueur presque irréelle. Je ne saurais pas l’expliquer, mais j’ai eu comme un instinct, un réflexe. J’ai penché ma tête devant, de manière à être touché par la clarté de la lune, et j’ai eu comme un grand choc qui s’est déclenché en moi. Un battement de cœur qui s’est accéléré d’un coup, mes muscles devenaient saillants, mes veines ressortaient sur mes bras et mes mains. Je sentais mes os se tordre dans tout mon corps. La douleur était atroce, plus encore que ce que j’avais subi ultérieurement les autres jours. J’avais l’impression de devenir fou : des poils poussaient à vue d’œil le long de mes bras, mes ongles s’allongeaient, tout comme mes mains, devenant plus grosses, se parant d’une peau granuleuse, marron, parsemé de taches blanches par endroit. Je voyais mon nez, mon menton et tout l’avant de mon visage prendre la forme d’un museau animal. Mes habits se déchiraient alors que mes jambes et mes pieds gonflaient, tout comme le reste de mon corps. Je sentais mes yeux changer aussi, et une immense force se fit sentir en moi.

 

Les chaînes qui me retenaient se brisèrent sous l’effet de mes bras et de mes pieds triplant de volume, j’avais des crocs immenses à la place des dents, mes oreilles s’allongeaient à leur tour. Je n’étais plus humain, c’était certain. C’était ça le Grand Changement dont il parlait. Tout me revenait en tête alors : cette faim dévorante envers le couple, le décuplement de mes sens, la terre sous mes pieds, le goût de sang dans ma bouche, le cadavre de lapin… Et plus encore l’attitude de tous envers moi. Ils savaient. Ils savaient tous ce que j’allais devenir. L’Alpha Supérieur dont parlait mon père et Jim. Celui qu’ils attendaient, annoncé par je ne sais quelle prophétie. D’un coup, ma colère envers eux se tassait, je ne ressentais plus vraiment l’envie de leur faire payer. Je comprenais la prudence de Jim de m’enfermer par suite de mon acte envers Davy que j’avais failli tuer de sang-froid. Je comprenais pourquoi tous se taisaient, y compris mes parents qui voulaient me préserver.

 

S’ils m’avaient avant parlé de loup-garou, j’aurais ri aux éclats c’est certain. Jamais je ne les aurais cru. Mais maintenant, il n’y avait aucun doute en voyant mon aspect. J’étais un lycanthrope, et de ce que j’avais compris, pas n’importe lequel. Un Alpha Supérieur. Celui qui amènerait à se révéler aux humains. C’était le mot qu’ils avaient employé. J’avais tant à apprendre encore sur ma nouvelle condition, tant à comprendre. Mais pour ça, il me fallait sortir d’ici. J’imaginais que si personne n’était venu me sortir d’ici, c’était pour faciliter ma métamorphose, et servir de test, en voyant ce dont j’étais capable. Ma capacité de destruction, mon degré de fureur. Je me souvenais aussi qu’ils avaient parlé de cadeau à mon intention, préparé à mon intention pour ce jour. Ils devaient donc m’attendre dehors pour me l’offrir. Je ne pouvais donc pas les décevoir.

 

Je me suis levé, et sans le moindre effort, j’ai arraché la porte métallique de ma cellule, la jetant derrière moi dans un fracas terrible. J’ai progressé dans le couloir, je sentais plusieurs odeurs, des centaines, je pouvais les différencier. Toutes. J’entendais leurs grognements. Eux aussi avaient revêtus leur forme lycanthrope pour m’accueillir comme il se doit. Alors, j’ai continué à marcher, monté les escaliers qui se montraient devant moi. Une fois en haut, j’ai défoncé la porte d’acier comme on perce une feuille de papier, arrachant chaque morceau un à un, jusqu’à avoir un passage suffisant pour que je puisse aller de l’autre côté. 

 

J’ai traversé le bureau jusqu’à la porte d’entrée. Je devais faire sensation, préparer mon entrée pour le public qui m’attendait au-dehors, je le sentais. J’ai donc passé à travers la porte avec toute ma puissance, éparpillant les morceaux partout à l’extérieur. Et là, comme je le pressentais, ils étaient tous là. Tous les habitants de la ville de plus de 18 ans. Seuls le plus jeunes étaient absents, ceux qui devraient encore attendre quelques années avant de savoir ce que j’avais appris ce soir, avant de subir à leur tour le Grand Changement. Ils n’étaient pas seuls. Le « cadeau » était devant toute la meute. Ma meute désormais, je le savais. Je devenais leur chef, l’Alpha Supérieur. Celui né un jour d’Halloween, devenu loup à la pleine lune du même jour. Et pour fêter mon arrivée, ils m’offraient les deux touristes qui m’avaient fait sentir la faim dévorante d’humains qui se manifestait en moi. Ils étaient bâillonnés, accroupis, tremblant de peur, tentant de crier à travers le tissu couvrant leur bouche.

 

Je ne disais rien. Je regardais tour à tout chacun des membres de ma meute présent, grognant naturellement, avant de hurler à la lune qui m’avait fait naître ce soir. Ils ont tous hurlé à leur tour, heureux que j’acceptais leur cadeau, heureux que j’acceptais d’être leur chef, celui qui les guiderait vers la révélation. Après ça, je me suis avancé vers mon cadeau, et ai croqué l’un et l’autre avec délectation. Leur chair était tendre, un régal pour mes papilles, et j’ai pris mon temps pour les dévorer. J’ai malgré tout eu la délicatesse de ne pas tout manger. J’en ai laissé suffisamment pour que chacun puisse en avoir un morceau. C’est l’apanage des grands chefs de meute de faire preuve de reconnaissance envers sa troupe. Je reconnaissais à leur odeur Jim et mon père, pour l’avoir senti précédemment. Je m’avançais, ma mère était là aussi. Ils se sont agenouillés devant moi en signe de soumission. J’ai caressé leur tête, leur montrant de se relever.

 

Depuis lors, je ne suis plus le Alexis d’avant. Je suis le Grand Alpha Supérieur de la meute de Forgray. Je n’ai pas encore choisi la femelle qui sera à mes côtés. Mon père m’a précisé qu’en tant que chef, je pouvais prétendre à toutes les satisfaire, autant de fois que je le désirais, mais une seule serait celle qui serait désignée comme ma compagne, selon mon choix. Mais je veux prendre mon temps, je dois encore m’habituer à plusieurs choses avant de décider de ce qui sera l’avenir de ma meute. 

 

Le lendemain, sous ma forme humaine, mon père m’a apposé ma marque sur la poitrine. Je sais ce qu’elle signifie désormais. Le trait horizontal du haut avec les triangles représentent la gueule d’un lycanthrope. Le trait du dessous, la race humaine. Pour le reste, j’avais déjà compris ce qu’ils étayent. Ma marque à moi ne comporte pas de trait à coté du signe Alpha, mais un rond. Symbole de la pleine lune. Et le signe Alpha est agrémenté d’un + sur le haut. Jim m’entraîne à m’habituer à prendre ma forme lycanthrope quand je le désire. Nous ne sommes pas régis par la lune à ce sujet. Seulement lorsqu’il y a le Grand Changement qui s’opère en nous. Mais une fois la mutation accomplie, nous pouvons contrôler nos transformations. De jour comme de nuit. Pour ne pas effrayer les jeunes de moins de 18 ans, nous nous conformons malgré tout à des règles, afin qu’ils puissent profiter de leur vie, en attendant de savoir ce qu’ils sont amenés à devenir. Ainsi, nous ne nous transformons que la nuit pour l’instant, afin de chasser en dehors de la ville, quand la viande de mouton ne permet plus de combler la faim dévorante en nous. Une faim d’autres gibiers plus gros, et aussi pour satisfaire nos besoins naturels de traquer et courir, tout simplement.

 

Mais il viendra un jour où nous n’aurons plus besoin de ça, où nos jeunes sauront leur nature dès leur plus jeune âge, ce qui les renforcera mentalement. Quand j’aurais choisi ma femelle officielle, ce jour sonnera le glas de la race humaine dont nous nous sommes cachés depuis bien trop longtemps. En attendant, je relate mon histoire à travers ces lignes, afin de ne pas oublier qui j’ai été, et comment je suis devenu le Grand Alpha Supérieur. Une forme de mémoire pour les générations futures, pour ma descendance à venir, et aussi pour que les hommes sachent qu’il y a déjà bien longtemps qu’ils ne sont pas la race supérieure qu’ils pensent être. Nous sommes le futur de cette planète, nous sommes vos futurs maîtres, nous sommes les fils de la Pleine Lune…

 

Publié par Fabs

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