13 oct. 2023

LES PAPILLONS DU TREPAS (Challenge Halloween/ Jour 13)


 

Vous connaissez l’adage « on a souvent besoin de plus petit que soi ? ». Eh bien, mon histoire en est le parfait symbole. Et si, au départ, le surnom dont les habitants m’ont affublé sonnait de manière sympathique, il est vite devenu annonciateur de mort et de malheur, que même l’emblème de mon Irlande natale, le trèfle à 4 feuilles, ne peut conjurer. Aujourd’hui, il suffit que je me balade sur un trottoir pour que l’on me fuie comme la peste, et traverse la rue avant de me croiser. Plusieurs magasins refusent de me laisser entrer, par peur de ce que je représente, pouvant faire fuir les clients. Et pas uniquement ça. Ils craignent aussi qu’un mauvais geste d’une personne déambulant dans les rayons, y compris un enfant, ne provoque un drame conduisant à la mort du fautif ou de la fautive. Je suis obligé de tout commander à distance pour ne faire de tort à personne. Quand les livreurs viennent pour m’apporter le matériel ou la nourriture achetés en ligne, ils laissent les colis devant ma porte, avant de repartir plus vite qu’ils ne sont venus, car connaissant ma réputation.

 

Mes amis m’ont abandonné l’un après l’autre, et si nombre de mes clients continuent de se fournir chez moi, c’est uniquement par crainte de me vexer, de me mettre en colère, et que cela ai pour conséquence de recevoir la visite d’un être venu des enfers ou d’ailleurs, ayant pénétré dans notre monde par l’intermédiaire de ce qui est la cause directe de la peur extrême que mes déplacements provoquent. Pourtant, en apparence en tout cas, la raison de tout ceci, cette crainte à mon encontre ayant fait de moi un symbole de mort, elle vient d’un petit insecte qui a la réputation d’être inoffensif, et parmi les s les plus connus dans le monde, appartenant à une espèce réputée pour ses migrations qui faisaient auparavant, chaque année, l’admiration de milliers d’observateurs lors de leur périple.

 

Aujourd’hui, même hors de mon pays, dès lors que mon histoire et mon rapport avec ce petit animal ont fini par être célèbre, du fait du bouche à oreille et des médias, chaque migration est l’objet d’angoisse pour nombre de personnes, de façon injustifiée. Pour la bonne et simple raison que seuls les représentants de l’espèce m’accompagnant en permanence sont dotés des particularités à l’origine de la terreur envers l’ensemble des différentes branches de cet insecte nécessaire pour la survie des plantes. Ce qui est assez paradoxal quand on y pense. C’est grâce aux actions de cet insecte que les champs de fleur ont cet éclat, que les plantes nous faisant vivre chaque jour, pour divers domaines, et pas seulement le secteur alimentaire, parviennent à se multiplier, assurant notre existence. Mais je vous vois interrogatif. Vous vous demandez quel peut-bien être cet insecte primordial à la nature dont je vous parle depuis le début, n’est-ce-pas ? Je vous ai assez fait patienter pour vous expliquer pourquoi je me suis senti obligé de raconter comment tout a débuté, et préciser que je suis aussi victime que tout ceux ayant subi les assauts de mes « protecteurs ».

 

Cet insecte dont il est question, et faisant la joie des enfants par leur couleurs, leurs formes, leurs vols, ce n’est pas l’abeille, comme beaucoup parmi vous ont dû le supposer, dès lors que j’ai parlé de survie des plantes grâce à leurs actions quotidiennes. Une erreur compréhensible, car quand on parle de pollinisation, c’est le premier nom qui vient à l’esprit. Pourtant, les abeilles sont loin d’être les seuls insectes capables de permettre la reproduction à grande échelle de diverses plantes à fleurs. Il y a aussi les papillons. Oui, cet insecte à qui je fais référence depuis que j’ai débuté mon récit, c’est bien le papillon. Au même titre que les abeilles, ce petit animal permet à l’être humain de bénéficier des bienfaits de la nature, car lui aussi, en se nourrissant du nectar des fleurs, et transportant involontairement le pollen de ces dernières sur son corps poilu, favorise la pollinisation indispensable à la pérennité des diverses plantes du monde entier.

 

En ce qui concerne l’espèce à laquelle je suis rattaché, il s’agit, plus précisément, du papillon Monarque. Le champion toutes catégories des migrations, parcourant chaque année près de 4000 kilomètres de distance pour se rendre dans le Sud, allant de la Californie jusqu’au Mexique. Un périple durant lequel ils se reproduisent, ce qui fait que ce sont leurs descendants qui retournent au printemps suivant dans le Nord. Ce sont ces mêmes papillons Monarques qui sont menacés d’extinction dans leur région phare, la Californie. Ils sont passés de 4 millions et demi d’individus dans les années 80 à seulement 29.000 en 2020. Ce qui inquiète nombre d’entomologistes du monde entier, d’autant que nombre d’autres espèces de papillon sont également menacés de disparaitre de la surface du globe. Doit-on voir dans cette fin à venir de l’espèce un rapport avec ce qui m’est arrivé ? C’est un pas que je n’ose franchir. Pourtant, je me pose la question chaque jour depuis que je vois les ravages causés par la colonie qui s’est mis en tête de me servir de gardien rapproché.

 

Oui, je sais : vous vous dites « mais comment de simples papillons, qui plus est d’une espèce en voie de disparition, et en plus dans un pays à l’opposé de leur habitat naturel, a pu devenir l’objet d’une telle peur en étant associé à moi ? ». Tout simplement parce que ces papillons Monarque-là, cette colonie particulière, je pense qu’ils n’ont rien à voir avec leurs homologues Californiens. Je suis désormais persuadé qu’ils n’appartiennent pas à notre monde d’ailleurs. S’ils ont l’apparence du papillon Monarque en tout point, je doute fortement qu’ils viennent des USA, car l’Irlande ne fait pas partie de leur zone de migration, et même en supposant que l’espèce ait été introduite dans le pays, par quelque manière que ce soit, le climat du pays est très différent de la Californie. Aucun papillon Monarque n’aurait pu survivre en Irlande sur une longue durée. En tout cas, aucun représentant normal de cette espèce.

 

Vous connaissez la symbolique du papillon servant de « passeur » entre les mondes ? Ce n’est pas qu’une simple histoire, et je suis bien placé pour savoir que les papillons servent effectivement de transition pour permettre à des créatures d’autres dimensions de pénétrer dans le nôtre. C’est ce que ceux de la colonie m’étant rattachée ont faits, à plusieurs reprises, causant drames en série dans ma ville, et m’ayant fait ma réputation « d’homme par qui le malheur arrive ». Un terme qui a succédé à celui, plus gentillet et poétique, d’« Homme aux Papillons ». Et tout ça est arrivé à cause d’un geste anodin de ma part, en tant que simple défenseur d’un insecte en danger, de mon point de vue en tout cas.

 

Si aujourd’hui, le monde craint désormais les papillons, par effet boule de neige, du fait des actions provoquées par mes « protecteurs » particuliers, c’est parce que j’ai sauvé des griffes d’une araignée l’un des représentants de cette colonie très à part. Comme j’allais m’en rendre compte par la suite. En libérant ce papillon de la toile où il était pris, j’ai été l’épicentre d’une future série de morts horribles, provoquant la fin de vie de personnes ayant fait l’erreur d’être mauvaises avec moi, et déclenchant une vague de terreur sans précédent dans ma petite ville, causant une paranoïa dévastatrice dans le monde envers toutes les diverses espèces de papillons, et pouvant, à plus ou moins long terme, être le point de départ de l’annihilation d’une catégorie animale primordiale pour l’homme. Car l’homme est ainsi fait : par peur de l’inconnu, du danger, il élimine sans vergogne ce qui peut représenter une menace, sans prendre la peine d’analyser en profondeur comment y remédier, sans utiliser la violence.

 

Je crains, au train où vont les choses, que d’ici quelques années, la population de papillons dans le monde, toutes espèces confondues, se réduise à peau de chagrin, malgré les protestations des entomologistes, tentant de tuer dans l’œuf la folie à venir. Si les papillons venaient à disparaitre, ce sont des centaines d’écosystème qui seraient touché par les conséquences en résultant. Nombre de régions verrait leur flore dépérir, année après année, car c’est l’action de toutes les espèces pollinisatrices qui permet aux plantes de se renouveler, et assurer une profusion de produits nécessaires à l’homme. Si une catégorie d’insectes pollinisateurs n’était plus là, le travail des autres espèces subirait un déséquilibre, amenant à une baisse de production naturelle, et pouvant déclencher, dans un proche avenir, la mort lente et inexorable de notre propre espèce, car n’ayant plus de ressources naturelles alimentaire pour assurer notre survie. Scénario catastrophe peu probable me direz-vous ? Je vous répondrais qu’en ce cas, vous sous-estimez l’importance d’une espèce aussi importante pour l’homme que le papillon. Je ne serais sans doute plus là pour le voir, mais tel que c’est parti, au vu de la paranoïa grandissante à cause de mes protecteurs, c’est une éventualité à ne pas négliger.

 

Et je n’ose imaginer la réaction de la colonie s’étant auto-adjugé la fonction de garde du corps de ma personne si je venais à mourir, de manière tout à fait naturelle. Les papillons pourraient croire que j’ai fini de vivre à cause des habitants de ma ville, ayant sournoisement provoqué ma mort, sans qu’ils s’en aperçoivent. Vous imaginez bien ce que cette constatation, le fait de croire cela, peut déclencher comme dégâts et comme morts à venir, encore plus terrible que tout ce qu’ils ont commis jusqu’à présent. Mais pour mieux comprendre comment cette catastrophe peut devenir une réalité dans les années futures, je me dois d’expliquer la genèse de tout ceci. Comment cette vague de peur et de morts a débuté par ma faute involontaire, juste pour avoir suivi mon instinct en libérant un petit papillon d’une toile d’araignée. Il est donc temps de vous révéler le point de départ de toute cette folie qui me dépasse encore maintenant par l’ampleur qu’elle a prise, sans que je puisse la stopper.

 

C’était cet été. Je venais d’emménager dans la région de l’Ulster, près de Monaghan. Un petit cottage que j’avais hérité de mon oncle, étant son seul héritier, par le testament qu’il avait rédigé, et me léguant l’intégralité de ses biens. Ce qui a causé pas mal de remous au sein de mes proches, ayant du mal à accepter cette décision de la part de la personne la plus riche de notre famille. L’oncle Connor était considéré comme un excentrique, doublé d’un lunatique notoire, et un radin invétéré. Tout pour plaire à un grand nombre. Il refusait qu’on vienne le voir, disant que de toute façon, seul son argent intéressait ceux se prétendant de sa famille, et qui n’était que des requins en puissance. Une colère envers les membres de ma famille qui se justifiait par une vieille histoire, datant de plusieurs années, alors qu’il n’avait que 20 ans, et causé par son amourette avec une jeune paysanne, ce qui avait déplu à ses parents, s’étant arrangé pour éloigner la jeune fille de leur fils. L’oncle Connor n’a pas accepté cette décision, approuvé par l’ensemble de la famille très terre à terre sur les « conventions », arguant qu’une fille « simple » n’avait pas sa place chez eux, et que cela ternirait le prestige de leur nom. En a résulté une véritable guerre ouverte entre lui et le reste de sa famille, qu’il a renié. Quand il a fait fortune dans le textile, ses parents, ses frères, ses sœurs, ses cousins, ont tenté de profiter de ses largesses, mais il n’avait pas oublié leur mesquinerie, et leur a clairement fait comprendre qu’il ne voulait plus jamais avoir affaire à eux, quel qu’en soit la raison. Quand ses parents sont décédés, l’un après l’autre, il ne s’est pas rendu à leur enterrement, rajoutant à la brouille familiale.

 

Curieusement, j’avais de très bons rapports avec lui. En fait, c’est arrivé par hasard. J’ignorais qui il était, n’ayant jamais vu une photo de lui, et mon père, le frère de Connor donc, évitait d’en parler lors de nos conversations familiales. A cette époque, l’oncle Connor avait cessé de s’occuper personnellement de ses entreprises florissantes en Irlande, et même dans d’autres pays, laissant gérer des personnes de confiance à sa place, ce qui lui permettait de profiter d’une retraite bien méritée au sein de la petite ville de Dirgram. Ne voulant pas rester inactif malgré tout, il tenait une petite boutique de vêtements traditionnels irlandais, venant de ses sociétés. Une manière pour lui de participer à la continuité de ce qu’il avait créé, tout en étant au repos. C’est en venant acheter un lot d’habits, étant de passage dans la région, et attiré par la splendeur des articles en vitrine de sa boutique, que j’ai été amené à discuter avec lui, sans savoir qu’il était mon oncle.

 

 A force de discussion et de soirées arrosées au pub local, nous sommes devenus de très grands amis, malgré la différence d’âge nous séparant. C’est à la suite d’une photo de mes parents que je lui ai montrés, qu’il a compris qui j’étais. Il s’est un peu fermé au départ, pensant que j’avais été envoyé par son frère pour lui soutirer de l’argent, en jouant sur l’amitié. On a pas mal discuté, et je lui ai affirmé que mes rapports avec mes parents étant assez tendus, et ignorant son apparence, je ne pouvais pas être un « espion ». Cela a pris un peu de temps, mais il a fini par comprendre que j’étais un « bon garçon », comme il m’appelait souvent. Par la suite, je suis revenu souvent à Dirgram, parfois à sa demande. Il me considérait pratiquement comme un fils, plus qu’un neveu. Aussi, quand j’ai appris son décès, à près de 91 ans, j’ai été très peiné. Surtout de la manière dont mon père m’a appris la nouvelle, de manière très déplaisante, montrant clairement sa vue sur l’héritage dont il profiterait, étant son plus proche parent.

 

Je vous laisse imaginer la déception quand il a découvert que son frère avait fait un testament à mon avantage, ne lui laissant qu’un petit euro, juste histoire qu’il ne puisse pas contester le testament, en arguant de l’illégalité d’être déshérité. L’oncle Connor connaissait parfaitement les lois en matière d’héritage, et s’en était servi pour que je puisse en profiter à sa mort, sans qu’aucun autre membre de la famille en bénéficie. C’est ainsi donc que j’ai hérité de cette maison et son petit commerce, que j’ai repris, en mémoire de mon cher oncle. Un jour que je me baladais dans la petite forêt avoisinante, j’ai aperçu près d’une petite grotte un papillon. Un papillon magnifique, mais qui m’intriguait. Je reconnaissais un Monarque, ce qui était étrange. Comment un papillon de cette espèce s’était retrouvé en Irlande ? Au début, je pensais qu’il s’était peut-être échappé de chez un particulier. Je savais qu’il existait des amoureux des papillons pratiquant des sortes « d’élevage », qui les revendait à certains propriétaires de parcs privés, pour assurer la bonne tenue de leurs parterres de fleurs.

 

Mais en y regardant de plus près, ce Monarque était singulier. La couleur orangée, bordée de traits noirs, propre à l’espèce, était bien plus sombre. Le papillon se débattait sur une toile où il s’était collé, et la « propriétaire » de la toile se rapprochait de sa victime. Comme je vous l’ai dit plus haut, j’ai agi par instinct, prenant pitié de ce pauvre papillon à l’aspect inhabituel pour son espèce. Je me suis servi d’un bâton pour le libérer de la toile, faisant fuir l’araignée, en prenant soin de passer mon outil sous l’insecte, tout en brisant les fils de son piège délicatement, pour lui laisser le moins de toile fixé à ses pattes. Le papillon est parvenu à s’envoler, et s’est placé de longues secondes devant mon visage. C’était curieux. J’avais l’impression qu’il me regardait, me remerciait même de mon geste. Puis, je l’ai vu se faufiler dans un trou dans le sol que je n’avais pas remarqué en venant. Une sorte de petite crevasse située devant la grotte.

 

Je me débarrassais des fragments de toile qui s’était collés à me doigts, quand j’assistais à un spectacle incroyable. Des centaines de Monarque, comme celui que je venais de sauver d’une mort imminente, sortaient de la crevasse, dans un ballet de toute beauté. Ils se sont mis à voleter autour de moi, certains se posant même sur mes épaules. J’étais admiratif de cette scène, n’osant pas partir. Ça peut paraitre stupide, mais j’ai vraiment ressenti leur présence comme un acte de reconnaissance de leur part, pour avoir sauvé l’un des leurs. Je supposais que le papillon se rendait vers la crevasse quand il s’est retrouvé pris au piège de la toile. Ce petit manège durant, j’ai pris la résolution de continuer ma balade, pensant que les papillons, lassés, finiraient par partir. Ce ne fut pas le cas, débutant le cauchemar qui suivrait…

 

Les papillons restaient autour de moi. Ils s’étaient un peu écartés, pour me laisser plus libre de mes mouvements, mais ils restaient postés derrière moi, comme une ombre volante. Je me retournais de temps à autre, et ils ne me lâchaient pas d’une semelle. Je me posais la question sur la raison les poussant à me suivre, me demandant si c’était vraiment parce que j’avais sauvé l’un des leurs que je bénéficiais de cet accompagnement. Ça ne ressemblait pas à l’attitude classique d’un papillon, et je repensais au fait qu’ils étaient sortis de cette crevasse. Est-ce que c’était leur lieu de vie ? ça aussi, c’était curieux. Je savais que ces insectes trouvaient parfois refuge dans des maisons, comme des greniers, des hangars, voire des cabanes de jardin. Mais la plupart du temps, leur habitat se compose plutôt de cavités dans les arbres, le dessous de feuilles, plus rarement aux abords de grottes, sans pour autant que ça soit à l’intérieur de celles-ci. En tout cas, à ma connaissance, n’étant pas expert du mode de vie de ces insectes. Alors, imaginer que toute une colonie, tel un véritable essaim, vive dans une crevasse menant je ne savais où, c’était plus qu’inhabituel pour des papillons. J’ai fait sensation en revenant en ville, avec mon cortège de papillons me suivant en cadence. Je voyais des sourires sur les visages des enfants, montrant les papillons à leurs parents, eux-mêmes admirant le spectacle que je proposais, en se demandant probablement comment j’étais arrivé à faire en sorte qu’une telle quantité de papillons me suivent comme des toutous dressés.

 

Je faisais mine de ne pas remarquer les visages radieux des personnes que je croisais, étant en fait plus gêné d’attirer l’attention de cette manière, que de ressentir une certaine fierté de mon succès. Même en me rendant à l’intérieur de ma maison, les papillons continuaient à me coller, sans éprouver la moindre fatigue dû à leur vol. Leur résistance, en ce sens, était anormale, et je me posais de plus en plus de questions sur leur comportement. Il n’y avait qu’au moment de me coucher que mes petits compagnons imprévus daignaient s’éloigner de moi, sans que je sache où ils se nichaient dans la maison. Je ne le sais toujours pas d’ailleurs à ce jour, vu qu’ils volent toute la journée autour de moi, ne s’arrêtant que la nuit. D’où venaient-t-ils ? Aucun papillon n’était capable de voler aussi longtemps sans montrer de fatigue apparente. Si la situation m’amusait un peu dans les débuts, en voyant les visages souriants toujours plus nombreux, me valant mon 1er surnom de « L’Homme aux Papillons », l’évolution de cette « relation » changea radicalement, dès lors que je comprenais un peu mieux l’éventuelle origine de ces papillons.

 

Cela faisait une semaine que mes compagnons volant me suivaient partout, et contribuaient à attirer non seulement les regards, mais également les clients dans ma boutique. Une conséquence de mon succès en tant qu’ « Homme aux Papillons », faisant fructifier mes affaires. Bien que je continuasse ce commerce principalement en mémoire de mon oncle Connor, pas par nécessité financière, car ayant un compte en banque bien rempli grâce à l’héritage. En plus de ça, on était entré dans la semaine d’Halloween. Une période faste pour les commerces, surtout en Irlande, l’une des patries phares des Celtes, à l’origine de la fête. J’avais même fait une « ligne » spéciale Halloween pour l’occasion, décoré la vitrine et le magasin en conséquence. A dire vrai, c’était un peu déstabilisant de me dire que ce commerce perdurait, du fait de petits insectes volants s’étant amourachés de moi. Je ne le montrais pas, ni aux clients, ni aux habitants, mais je dis avouer que la présence continuelle de ces papillons autour de moi était très stressante. J’ai tenté de les faire partir, de leur faire comprendre que je désirais être tranquille maintenant, que mon sauvetage d’un des leurs ne méritait pas une attention envers moi aussi « pesante », par des gestes vifs.

 

Mais ça ne servait à rien. A chaque fois, ils s’écartaient effectivement, mais revenaient toujours. J’avais l’impression que quelle que soit mon attitude, quelle que soit la méthode utilisée pour les chasser, ils restaient. Je n’en suis pas fier, surtout de la part de quelqu’un comme moi qui n’aime pas faire du mal aux bêtes de toutes sortes, insectes compris, mais j’ai même usé de bombes d’insecticides pour les faire partir. Non seulement ça ne leur a rien fait, à se demander en quoi ces papillons étaient faits pour résister autant, mais ils ne m’en ont même pas voulu de tenter de les tuer, bien au contraire. C’était incompréhensible. Malheureusement, il n’en était pas de même envers les personnes qui avait le malheur de s’en prendre à moi physiquement ou psychologiquement…

 

 Je ne saurais pas en être sûr, mais j’avais l’impression que ces papillons étaient capables de ressentir quand j’étais en danger, que j’avais de la peine à cause de quelqu’un, que je montrais de la peur par mes attitudes. Et dans ces moments-là, ils réagissaient immédiatement, avec une violence extrêmement perturbante, surtout pour une espèce censée être aussi pacifique que le sont les papillons. Si on excepte le papillon cendre de Guyane, capable de provoquer des démangeaisons et des éruptions cutanées sur la peau, voire des œdèmes, par le jet de microscopiques fléchettes urticantes. Réaction dû à leur désir de protéger leurs œufs des prédateurs si on s’approche trop près de leurs nids, situés dans les Mangroves. Mais ça reste une exception chez ce type d’insectes, et surtout les papillons cendres n’occasionnent pas de danger véritable pour la santé. En revanche, les Monarques m’ayant choisi comme « ami humain », eux, se sont révélés bien plus mortels. Ça a commencé avec un homme qui s’était mis en tête de me braquer, le jour d’Halloween, profitant de la présence des clients grimés en boutique ce jour-là, mon commerce et ma réputation du aux papillons attirant nombre de personnes venant d’autres villes. M’inquiétant surtout pour la vie des personnes présentes, je ne cherchais pas le conflit ou même un semblant de résistance à l’homme s’étant caché le visage sous une cagoule, et m’affairais à lui donner la recette du jour. Comme je vous l’ai déjà dit, ce commerce ne m’était pas nécessaire, vu la fortune que j’avais héritée de mon oncle. Néanmoins, je ne pouvais pas cacher ma peur pour ma propre vie, et ça, les papillons l’ont senti…

 

Ils ont compris que je n’avais pas la même réaction habituelle face à d’autres humains, et ont agi en conséquence. Ils se sont rués et agglutinés autour de l’homme. Celui-ci se mit vite à hurler. Comme tout le monde, je pensais d’abord que ces cris étaient à cause de la panique engendrée par la présence de ces centaines de papillons autour de lui, ce qui était compréhensible. Mais en voyant les gouttes de sang, les morceaux de chair tombant sur le sol, j’ai très vite compris que les cris étaient des cris de douleur. L’homme se recroquevilla au sol, hurlant qu’on lui enlève ces papillons de lui, qu’ils étaient en train de le dévorer vivant. Les autres clients ont profité que l’homme était en proie à la panique pour sortir de la boutique.

 

 J’ai essayé de faire fuir les papillons, mais, exactement comme ils faisaient avec moi quand je tentais de les faire s’éloigner de moi, ils revenaient toujours vers l’homme, se positionnant sur ses bras, ses jambes, sa tête, le faisant hurler de plus belle. Bientôt, je comprenais que les allusions de l’homme sur le fait qu’ils le dévoraient n’étaient pas dû à une réaction urticante, comme d’abord cru, au même titre que le papillon Cendre de Guyane. Il était VRAIMENT en train de se faire dévorer, aussi impossible que ça paraissait. Je voyais ses jambes se parer de blessures de plus en plus profondes, laissant apparaitre ses os, déchirant ses habits. Même chose pour ses bras dont il se servait pour protéger son visage, systématiquement attaqué, suintant de sang, sa chair à vif immédiatement ingurgité par ces papillons monstrueux. J’étais tétanisé par ce que je voyais. Cet homme était en train de se faire manger par… des papillons !

 

 Ce spectacle horrible dura près d’une heure, ne laissant que très peu de chair visible sur l’homme, pratiquement réduit à l’état d’un squelette tels qu’on en voit dans les salles de sciences humaines à l’Université. Au bout d’un moment, les papillons ayant fini leur « repas », je pouvais voir plus en détail le carnage dont ils étaient les responsables. Je ne peux même pas décrire à quel point ce malheureux avait été dévoré de toute parts. Même le sang qui avait coulé sur le sol n’était plus là, sans doute « léché » par les papillons, qui s’étaient réunis à nouveau derrière moi. Malgré ma peur, j’ai réussi à téléphoner à la police, leur disant ce qui s’était passé. A l’autre bout du fil, l’agent me répondant m’a demandé si j’avais fumé ou bu en m’entendant dire qu’un homme venait de se faire dévorer vivant par des papillons. Il m’a raccroché au nez. Mais finalement, une patrouille est venue au magasin quelques minutes plus tard, après avoir été appelés par les 1ers témoins de l’attaque, les clients qui avaient assistés à l’action des papillons, avant de s’enfuir.

 

J’ai pu observer la mine déconfite des policiers en voyant l’état du corps, mangé de toute parts. Bien qu’incrédule que des papillons soient en cause, pensant plutôt à l’action d’un acide très corrosif jeté par moi, le légiste qui vint plus tard confirma que la mort de l’homme était dû à des centaines de minuscules morsures lui ayant dévoré la chair jusqu’aux os. Les policiers devinrent blêmes devant l’évidence, m’observant en restant à distance, car voyant les papillons voler derrière moi, comme des gardiens prêts à attaquer à nouveau, s’ils sentaient que leur « ami », en l’occurrence moi, était encore en danger. Je ne peux utiliser le terme de « maitre » pour définir la relation entre mes protecteurs et moi, car je n’ai aucun contrôle sur eux. Et cet homme ne fut que le premier d’une longue liste. Plusieurs autres hommes, femmes et enfants subirent la colère de ces papillons agissant tels une bande de piranhas, ne laissant que des squelettes débarrassés de pratiquement toute chair derrière eux.

 

Le fait que le 1er crime du aux papillons se soit déroulé le jour d’Halloween, a exacerbé l’imagination de religieux et fanatiques en tout genres, y voyant là la raison de la présence des tueurs volants. Selon eux, j’avais ouvert une brèche volontairement dans le sol, usant de magie noire, appelant à moi ces papillons. C’était n’importe quoi : je n’ai jamais ouvert un seul livre de sorcellerie, de magie ou quoi que ce soit en rapport avec l’ésotérisme. Si quelqu’un avait effectivement ouvert cette brèche, cette crevasse, je n’en étais pas responsable ! Mais allez dire ça à des illuminés qui cherchent un prétexte pour me faire porter le chapeau, alors que je suis aussi victime d’eux de tout ça.  Mais non : toujours selon eux, si j’accepte la présence de ces papillons autour de moi, c’est parce que je suis complice, je suis le déclencheur, le vecteur. Et j’avais choisi le jour d’Halloween, date où la frontière entre les mondes était la plus mince, pour signifier l’arrivée de la future apocalypse, ou un truc du genre. Il y a bien eux des scientifiques qui ont tenté de comprendre le phénomène et d’où venaient ces papillons. Je leur ai parlé de la crevasse, près de la grotte. Mais celle-ci était tellement profonde qu’il leur a été impossible de déterminer ce qui pouvait avoir modifié ces papillons au point d’en faire des tueurs, capables de rendre à l’état de tas d’os des êtres humains. L’un d’entre eux a même tenté d’user de produits pour tuer les papillons. Il est devenu une autre victime de ces monstres volants. Un martyre, comme je l’ai lu dans les médias.

 

Par la suite, ne trouvant pas de solution au phénomène et craignant de se rajouter à la liste des proies des papillons, plus personne n’osait tenter quoi que ce soit envers eux. Ni même de s’approcher de moi. La nouvelle des papillons tueurs se répandit rapidement à travers le pays, puis au niveau mondial, générant des réactions stupides de personnes tuant sans vergogne chaque papillon vu dans la nature, car pensant qu’eux aussi avaient les mêmes possibilités de tuer des êtres humains. Les enfants, étant les plus sensibles à ce sujet, et ayant déjà, pour un grand nombre d’entre eux, ce que je pourrais qualifier de prédispositions à faire du mal aux insectes de toutes sortes, furent les plus virulents à massacrer tout papillon rencontré dans la nature.

 

Les adultes ne furent pas en reste, et à l’heure actuelle, je sais que nombre de populations de papillons sont exterminés. Les zoos accueillant des ailes avec des papillons ont été sommés par les autorités de villes, de gouvernements, à détruire tous les papillons qu’ils avaient au sein de leurs structures. Une paranoïa collective s’est mise en place, malgré les déclarations télévisées, ou par journaux interposés, que seuls MES papillons étaient reconnus disposer de ces capacités effrayantes à plus d’un titre. Il y a déjà des pays où plusieurs espèces sont éteintes du fait de l’homme au moment où je vous parle, et ce n’est sans doute qu’un début, menaçant de faire chuter des écosystèmes entiers, comme je vous l’ai évoqué plus en amont de mon récit. Contrairement aux papillons qui me protègent, les autres espèces sont fragiles et peu résistantes. Les miens, je ne sais pas d’où ils viennent. Sans doute des enfers. C’est l’idée principale qu’on voit dans les médias, ou sur Internet. Que ce soient les sites spécialisés ou les Réseaux sociaux. Quant à moi, je suis devenu l’équivalent d’un des 4 cavaliers de l’Apocalypse, celui de la Mort. Je suis le messager des Enfers. Celui qui s’est servi du jour d’Halloween pour lancer les hostilités. J’ai même entendu des gens autour de moi psalmodier le début du verset 8 du Chapitre 6 de L’Apocalypse biblique :

 

 « Et je regardais, et je vis paraître un cheval de couleur pâle ; et celui qui était monté dessus se nommait la Mort, et l’enfer le suivait ».

 

C’est ridicule : je n’ai même pas de cheval. Je n’ai que des papillons. Mais à eux seuls, ils remplacent n’importe quel Cavalier, n’importe quelle arme, n’importe quel fléau. Mais il y a pire encore : je pensais être le seul à être porteur de mal volant autour de moi. Le seul à avoir découvert ces papillons Monarque particuliers, venant directement des profondeurs de la Terre. Mais à travers le monde, j’ai pu lire que d’autres crevasses du même type que celle d’où sont sortis « mes » papillons, avaient été découvertes. Et d’autres papillons, des Monarques également en sont sortis. A une différence près. Aucun des papillons sortant de ces crevasses ne se sont lié « d’amitié », ou n’ont choisi de protéger un autre humain que moi. Ce qui conforte ces foutus fanatiques dans le fait que je suis la réincarnation du Cavalier de la Mort. Et comme ma boutique propose nombre d’habits aux teintes vertes, en référence à l’emblème de l’Irlande, le trèfle à 4 feuilles, forcément, ces abrutis y ont vu, eux, un symbole de la couleur verte propre au même Cavalier, tel que décrit dans la Bible.

 

Je n’ai pas cherché à répondre à ces imbéciles : ça n’aurait fait qu’alimenter leur délire, et c’est ce qu’ils cherchent. On recense d’autres attaques du aux autres colonies découvertes de ces papillons mortels, principalement à cause de la tentative de la population locale de les détruire, alors qu’ils n’avaient pas manifestés d’intentions belliqueuses à leur « sortie ». Pour autant, les papillons, au contraire des miens, restent dans l’environnement autour des crevasses d’où ils sont issus. Ils ne manifestent pas d’intentions de se déplacer. Les seules victimes à déplorer sont celles qui s’en prennent aux colonies directement et en paient le prix.

 

Au vu de ce qui se passe dans le monde, avec tous ces idiots s’étant mis en tête d’annihiler les papillons du monde, bientôt ces « Hell Butterfies », le nom donné à cette espèce, seront les seuls représentants sur Terre. L’excuse d’Halloween est toujours tenace, nombre de personnes étant persuadées que les crevasses se sont ouvertes à cause de la proximité des festivités de cette date. De ce que j’ai pu constater, tant que personne ne montre d’hostilité envers moi, les papillons n’attaquent pas. J’ai envie de dire qu’ils restent pacifiques, quoi qu’on pense d’eux. Les victimes dont ils sont la cause, ça n’est dû qu’au fait qu’ils me protègent des autres. Toute relation sociale m’est désormais impossible. Moi qui pensais trouver l’amour un jour, je sais désormais que ce n’est plus qu’un doux rêve. Je ne pense pas que les papillons me quitteront un jour, je dois me faire à cette idée, aussi pénible soit-elle. Ils m’ont choisi. C’est un peu comme s’ils me considéraient comme un des leurs, comme un membre de leur famille.

 

Je sais : dit de cette manière, ça fait bizarre. Mais c’est pourtant la dure réalité. Tout ça parce que ma sensibilité extrême m’a fait sauver ce qu’il ne fallait pas. Si j’avais laissé cette araignée manger ce papillon, rien de tout ça ne serait arrivé. La colonie se serait comporté comme les autres : elle serait restée dans l’environnement proche de la crevasse sans faire d’autres dégâts. Peut-être même que personne ne se serait rendu compte de leur existence. Quelle que soit la cause de la présence de ces ouvertures vers je ne sais quel monde, vers l’enfer comme disent certains, je doute que ce soit d’origine surnaturelle. Je pense plutôt que cette espèce vit sur Terre depuis ses origines, et qu’elle a toujours vécu dans ses entrailles, peut-être près du noyau terrestre. Ce qui expliques leurs couleurs sombres. Il a suffi sans doute d’une secousse sismique pour créer cette crevasse. Attiré par cette lumière inconnue pour eux, les papillons ont voulu explorer notre monde, sans vouloir nuire.

 

J’ignore quelles étaient leurs proies habituelles là où ils vivaient, et je préfère ne pas savoir en fait. Qui sait quelles autres créatures vivent en-dessous de nous ? Des plus grosses, plus belliqueuses que ne le sont ces papillons. Il faut juste espérer, qu’au contraire de mes désormais protecteurs indissociables de moi, elles ne décident pas de voir ce qui se passe à la surface, loin de leur monde, attiré par la lumière, comme des insectes envers une lampe. Surtout si c’est le jour d’Halloween…

 

Publié par Fabs

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire