10 oct. 2023

PUZZLE (Challenge Halloween/Jour 10)



Quand on est une petite fille de 12 ans, on a souvent des modèles qu’on admire parmi les membres de notre famille. Pas forcément pour des faits glorieux, ou un métier où ils risquent leur vie tous les jours. Que ce soit un policier ou un militaire par exemple. Ou bien parce qu’ils en sauvent, tel un médecin, une infirmière et tout ce qui est lié à la santé. Non : des fois on prend quelqu’un comme modèle parce qu’il a toujours été là pour nous, aussi longtemps que notre mémoire parvient à s’en souvenir. Dans mon cas, c’était mon grand-père. Il a fait la guerre, mais contrairement à nombre d’anciens soldats, il n’aime pas parler de cette période de sa vie. La seule chose dont il aime parler concernant ce passé de militaire, c’est le moment où il rencontré sa future épouse, ma grand-mère.

 

Il peut parler des heures durant de Sonia, celle qui a illuminé sa vie de combattant, lui qui n’a jamais eu les dispositions pour guerroyer, comme il me dit souvent. Il l’a rencontré lors d’une mission, alors qu’il se ravitaillait avec ses compagnons d’armes auprès d’une épicerie. Elle tenait la boutique, et quand il est descendu de la jeep où il se trouvait pour s’y rendre, il est tombé en arrêt devant elle. Sonia avait son âge, et ses cheveux bruns bouclés resplendissait sur son visage. Enfin ça, c’étaient les mots qu’il employait régulièrement pour la désigner. Moi, je suis trop petite pour comprendre ce qu’il a pu ressentir à ce moment-là. Je sais juste que chaque fois qu’il patrouillait aux alentours du petit village où elle vivait, il s’arrangeait toujours avec son officier pour qu’un détour soit fait afin d’aller la voir. Ça faisait rire ses compagnons. Mais en même temps, il trouvait ça beau cet amour naissant en pleine guerre.

 

Ils se sont mariés juste après la fin du conflit de la 2ème guerre mondiale. Maman est née 1 an après. Elle n’a jamais quitté la maison. Quand elle a annoncé à ses parents, mes grands-parents, qu’elle était enceinte de moi, alors que mon courageux papa que je n’ai jamais connu a préféré l’abandonner, ils n’ont pas hésité une seconde à la soutenir dans sa double épreuve. Là où d’autres parents auraient envahi de reproches leur enfant s’étant bêtement fait avoir par un Don Juan de pacotille, selon les mots de maman pour parler de ce jour, eux ne lui ont jamais fait la moindre remarque. Ils étaient bien trop heureux de devenir grands-parents. Hubert, mon grand-père, c’est pour ça que je l’admire. Il a un cœur d’or, toujours prêt à aider les autres, avant même de penser à lui.

 

« Une telle gentillesse, c’est presque surnaturel », c’est de cette manière dont désignent la plupart des gens qui connaissent mon grand-père. Et il a toujours été d’une attention extraordinaire envers moi, me couvant de cadeaux, de belles robes et de plein d’autres choses. Il avait beau se faire gronder à chaque fois qu’il m’offrait quelque chose par ma maman, disant qu’il me gâtait trop, et que ça pouvait me nuire dans l’avenir, me faisant perdre de vue qu’il faut travailler pour obtenir ce qu’on veut, il rétorquait toujours en se mettant près de moi, posant ses doigts sur les cotés de ma bouche, pour esquisser un sourire. Avec toujours cette phrase mythique :

 

 -   Tu veux vraiment m’empêcher de voir ce beau sourire à chacun de mes présents ?

 

Dans ces moments-là, maman elle faisait une grimace avec son visage, elle soufflait un grand coup, et baissait pavillon, comme disait mon grand-père, en lui lançant un :

 

 -  Tu es infernal, papa…

 

Et mon grand-père, mon papi, il s’adressait à moi, dressant ses mains devant lui, et m’invitant à ce que je tape les miennes contre les siennes, tout en disant :

 

 -  On a encore gagné la bataille, jeune demoiselle. L’ennemi a sonné la retraite…

 

 -  Je t’entends, papa…

 

On partait alors dans un éclat de fou rire qui pouvait durer plusieurs minutes. C’était plus qu’un papi pour moi, c’était presque un père. Celui que je n’ai jamais connu. Mais Maman m’a dit que c’était mieux que je ne sache pas qui c’est. Elle n’a jamais voulu me dire son prénom, me disant qu’elle préférait l’oublier. Elle précisait qu’une fois grande, si je voulais essayer de le retrouver, pour lui parler, lui demander pourquoi il m’avait abandonnée avant même que je naisse, elle ne m’en empêcherait pas. Ce serait la meilleure méthode pour que je me rende compte à quel point il était détestable, et ne méritait pas qu’on parle de lui. Ça me faisait de la peine quand elle était comme ça, plongé dans ses souvenir, sans qu’elle veuille en parler. Je ne sais pas si elle a été heureuse ne serait-ce qu’un peu avec mon père.

 

 J’en doute fort à dire la vérité, vu qu’elle détourne toujours la conversation dès lors que des inconnus lance la conversation sur son absence au sein de notre petite famille. Quand on lui demande ça, elle répond que notre foyer a déjà été endeuillé par la perte d’une personne qui lui était chère, et dont elle regrettait l’absence chaque jour. C’était la seule personne qui méritait qu’on parle du manque qu’elle avait provoqué. Ce qui n’était pas le cas du déchet qui l’avait laissé sans même un remords. Sa réponse provoquait toujours un froid, les personnes ayant posé la question se sentant dans une position montrant qu’elle savait avoir gaffé, et ne savait pas comment faire pour s’excuser. En voyant ça, maman les rassurait toujours :

 

 -  Ne culpabilisez pas pour ça. Vous ne pouviez pas savoir. Et puis, je n’aime pas penser à de mauvais souvenirs, quels qu’ils soient. Je préfère ne me souvenir que des bons…

 

Ça donnait toujours le sourire aux gens qui tentaient de se cacher, se sentant mal d’avoir demandé ça à maman, et tout le monde oubliait la gêne occasionnée l’instant d’avant. La personne que maman évoque lors de ces échanges, c’est ma grand-mère. Sonia. Celle dont je vous ai parlé un peu plus tôt. Elle non plus, je ne l’ai jamais connue. Enfin, si. Mais j’étais trop petite pour en avoir des souvenirs précis. Tout juste une silhouette au sourire bienveillant. Elle a disparue alors que je n’avais que 4 ans. J’ai bien dit disparue, et pas décédée. C’est arrivé un jour où maman et moi on était parties au parc, de ce que maman m’a dit. Papi est arrivé un peu plus tard dans l’après-midi. Il était seul, paniqué. Il a demandé à maman si elle avait vu mamie. Mais elle a dit que non. La dernière fois où elle l’avait vue, c’était à la maison.

 

Après ça, maman m’a dit que la police est venue pour relever des indices, questionné les voisins. Un appel à témoins a été lancé dans les journaux, à la télévision et la radio. Mais rien. Personne n’a su ce qui s’était passé. On a même interrogé papi, vu que c’était le dernier à l’avoir vu, ce qui a mis maman en colère. Elle a dit des choses méchantes à la police. Je ne sais pas lequel, parce que maman n’a pas voulu me les dire. Finalement, papi a été innocenté, la police s’est même excusée envers lui et maman, indiquant que ça faisait partie de la procédure. Maman dit que c’est à cause de ça qu’il a redoublé d’affection envers moi. C’est une manière pour lui de combler l’absence de ma grand-mère. 

 

Alors, depuis, je suis les recommandations de maman : je ne parle pas de mamie en présence de mon grand-père, pour pas lui faire de mal en lui rappelant ça. Mais maintenant, je sais plus quoi penser de papi. Je sais qu’il a menti. Je sais qu’il n’a pas tout dit ce qui s’est passé. Je le sais parce que j’ai reçu une visite il y a quelques jours, dans ma chambre, en pleine nuit. Au début, quand elle est venue, ça m’a fait peur. Je me suis cachée sous mes draps. Et puis, elle a commencé à parler, pour me rassurer, me disant qu’elle ne voulait pas me faire de mal, et qu’elle était content de pouvoir me voir à nouveau. Ça faisait tellement longtemps. Je ne comprenais pas. Sa silhouette me disait vaguement quelque chose, mais je n’arrivais pas à me souvenir.

 

 -  Je suis ta grand-mère, Sophie. Tu étais toute petite à l’époque. Tu ne dois pas avoir de souvenirs très net de moi.  Ou alors, juste par des photos. Questionne- moi : dis-moi des choses que toi seule connait. Je pourrais y répondre. Cela fait longtemps que je t’observe, sans pouvoir te contacter. Il m’a fallu un long moment pour savoir comment faire, et cette semaine d’Halloween était l’occasion idéale.

 

C’était vrai qu’on allait bientôt fêter Halloween. C’est un évènement que j’aimais beaucoup. La seule fois de l’année où on avait droit de faire des bêtises. Enfin, pas trop. Quelques-unes. Des toutes petites. Et puis, avec papi et maman, on faisait plein de décorations et je pouvais mettre un costume. Cette année, je serais déguisée en sorcière. Maman a fait elle-même ma tenue. Elle est super belle. Mais je ne comprenais pas bien le rapport entre Halloween et cette apparition. Et surtout le fait qu’elle semblait me connaitre. Elle disait que je la connaissais aussi, mais c’était flou… Mais maintenant qu’elle le disait… C’est vrai que plus je la regardais, plus je reconnaissais le visage vu sur des photos dans des albums. Maman les cachait pour pas que ça lui fasse du mal. Elle ne voulait pas voir son visage sur des cadres dans la maison. Alors, je lui ai demandé plein de questions sur ce que j’aimais, sur là où je cachais mon coffret à trésors, et sur mon carnet intime. C’est un truc que m’a appris ma meilleure amie, Samantha. Un truc de filles. Et le fantôme savait tout ça…

 

 -  Tu vois ? Je ne t’ai pas menti. Je t’avais dit que je te connaissais. Maintenant, je peux te dire qui je suis, Sophie. Je suis Sonia, ta grand-mère.

 

Je n’en revenais pas. Ma… Ma mamie ? Je regardais d’un peu plus près son visage, sortant du lit : je n’avais plus peur d’elle. Elle souriait. Elle avait un très beau sourire, une très belle robe, et j’avais alors quelques images qui commençaient à me revenir en tête. 

 

-  Je vois à ton visage que tu te souviens de moi. Je suis contente. J’aimerais tant te prendre dans mes bras, mais je ne sais pas encore comment faire. Certains des fantômes que je connais, ceux qui m’ont appris ce que je sais, peuvent le faire eux. Ils peuvent manipuler des objets, toucher des gens. Mais ils ont des siècles d’expérience. Alors que moi, ça ne fait que quelques années que j’ai rejoint l’au-delà…

 

Je la regardais, fascinée, buvant ses paroles. En même temps, je me demandais pourquoi elle était venue me voir, et pas papi et maman.

 

 -  Pourquoi c’est moi que tu es venue voir ? Papi et maman seraient heureux de te voir aussi…

 

 -  Je ne préfère pas. Ta maman est très sensible. Me voir ne lui ferait pas peur, au contraire. Mais cela ferait remonter en elle des moments douloureux. Je sais qu’elle a beaucoup souffert de mon absence. Quant à ton papi… Il est la raison de ma présence devant toi…

 

 -  Papi ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il a fait ? Il t’a fait du mal ?

 

Le fantôme ne répondit pas. Son visage était passé de radieux à triste en l’espace d’une seconde.

 

 -  Je ne peux pas te le dire. Pas maintenant. Mais j’ai besoin de toi. J’ai besoin que tu m’aides à rétablir la vérité sur ma disparition. Je n’ai pas vraiment disparu il y a 9 ans de ça. On m’a… comment te dire sans te faire peur… On m’a enlevé la vie… Et c’est ton papi qui en est le responsable…

 

Elle montrait un air encore plus triste. Je voyais des larmes couler de ses yeux, tomber sur le sol. Mais qui disparaissaient immédiatement après. 

 

 -  Je ne peux pas non plus te donner les détails. Ce serait trop dur pour toi, et tu ne comprendrais sans doute pas tout. Mais grâce aux forces favorables aux esprits lors de la semaine d’Halloween, et maintenant que je sais comment apparaitre devant un être humain, avec ton aide, ta maman saura ce qui est arrivé. Acceptes-tu de faire ce que je te demanderais pour que ta maman ne souffre plus, en se demandant ce qui m’est arrivée ?

 

 -  Je vois souvent maman pleurer devant une photo. Elle pense que je ne la vois pas. Elle a un album dans un tiroir de sa chambre. Je l’ai vu qu’une seule fois. C’est là où je t’ai vue. Si je peux faire quelque chose qui permette à maman de ne plus pleurer, je veux bien t’aider. 

 

 -  Je ne te garantis pas que ta maman ne pleurera pas. Au contraire, ce que je vais te demander de faire, risque de la faire pleurer de nouveau. Mais elle a besoin de savoir la vérité. Elle a besoin d’avoir des réponses. 

 

 -  J’aime pas quand maman pleure… Mais si tu me dis qu’après ça, elle ira mieux, alors ça me va. Je dois faire quoi ?

 

Le fantôme m’a alors regardé, retrouvant le sourire qui s’était effacé auparavant. 

 

 -  Je vais t’indiquer des cachettes où se trouve des parties de moi. Des morceaux de mon corps que ton papi a caché à plusieurs endroits de cette maison. C’est comme une chasse au trésor… Ce sera amusant. Ne t’inquiète pas : tu n’auras pas peur. Les morceaux sont mis dans des morceaux de tissu. Mais tu ne dois pas les ouvrir. Et n’en parle pas à ta maman, ou à qui que ce soit, avant d’avoir réuni tous les morceaux. A ce moment-là uniquement, quand toutes les parties de mon corps auront été rassemblées, tu les montreras à ta maman. Cette chasse au trésor, ce sera ta mission pour Halloween…

 

 -  C’est bizarre comme jeu… Je dois pas regarder, c’est bien ça ? 

 

 -  Non, surtout pas. Tu es trop jeune pour comprendre ce qu’il y a dedans. Contente-toi de réunir tous les morceaux, et caches-les quelque part où personne ne pourra les trouver.

 

 -  Je sais où ! Il y a une partie du plancher que je peux enlever. Maman et papi ne le savent pas. Et c’est assez grand pour mettre plein de choses. D’ailleurs, j’y mets déjà mon coffre à trésors…

 

 -  Oui, je vois de quel endroit tu parles. Ce sera parfait comme cachette. Tu acceptes donc cette mission, jeune sorcière ?

 

-  Tu sais pour mon costume ? Tu sais quoi ? je vais le mettre pour chercher les morceaux du puzzle. Ça me fait penser à ça. Je dois mettre ensemble des pièces pour former une image. Sauf que là, ça sera un grand puzzle, avec de grands morceaux. Et ça ne sera pas vraiment une image…

 

 -  C’est tout à fait ça : un grand puzzle en effet. Et ta tenue de sorcière sera parfaite. Tu seras l’enquêtrice sorcière. Mais attention : tu ne devras surtout pas te faire voir de ton papi ou ta maman. Il faudra agir quand ils dorment. Tu devras aller dans des endroits où il n’y a pas beaucoup de lumière. Tu ne crains pas le noir ? 

 

 -  Un peu… Mais si ça peut aider maman, je saurais aller contre ma peur, je te le promets mamie !

 

Le fantôme souriait à nouveau, et c’est ainsi que commença ma « quête », en plein milieu de la semaine d’Halloween. J’ai fait comme mamie m’a dit : j’attendais la nuit, et je restais pieds nus, pour pas faire de bruit. Je ne voulais pas qu’ils m’entendent et me demandent ce que je faisais debout en pleine nuit. Pendant 5 nuits, j’ai suivi les indications de mamie, me rendant dans des endroits pas très rassurants. Comme la cave, la remise dans le jardin, le grenier, l’atelier de papi. 5 endroits qui faisaient vraiment peur, où j’ai dû parfois creuser le sol pour déterrer les morceaux.Ça me faisait penser à un chien qui cherche un os. Et ce n’était pas si loin de ce que mamie m’avait demandé de faire. Le soir d’Halloween, j’avais rassemblé tous les morceaux. Papi n’était pas à la maison. Après m’avoir accompagnée avec maman pour la récolte des bonbons auprès des maisons, sortie qui me fut très fructueuse, il avait averti qu’il avait promis à des amis de se joindre à eux pour une soirée. 

 

Maman lui avait demandé de ne pas trop boire, ce que papi lui promit. Ça m’a fait rire. Des fois, elle le traitait comme si c’était un enfant lui aussi. C’était le moment que j’attendais. Mamie m’avait dit qu’il faudrait que je montre le « puzzle » à maman quand on serait seules toutes les deux. En l’absence de papi. Alors, je lui ai dit que j’avais une surprise à lui montrer, dans ma chambre. Elle était un peu fatiguée, et j’ai dû insister pour qu’elle vienne. Je devais sacrifier ma cachette, mais c’était important. En revanche, j’avais dû mettre mon coffret aux trésors ailleurs. Il me gênait pour mettre tous les morceaux. Maman m’a suivie, et je lui ai montré. Elle m’a demandé ce que c’était au début, vu qu’elle ne voyait que des morceaux de tissu très vieux et très abîmés. Je lui ai dit qu’elle devait ouvrir les « paquets ». Comme pour un anniversaire. Maman a souri, mais pas très longtemps. Quand elle a enlevé le premier tissu, et qu’elle a vu un os humain, celui d’une jambe, elle a reculé en arrière.

 

 -  Sophie ! Que… Qu’est-ce que c’est que ça ? Où… Tu as pris ces… Ces horreurs ? 

 

-  C’est mamie qui m’a dit où les trouver. Elle a dit que ça lui appartenait, et que papi ne devait pas le savoir. Je ne sais pas tous les détails, mais je sais qu’il lui a fait des choses pas bien.

 

Au même moment, le fantôme de mamie est apparu dans la chambre, pour confirmer ce que je venais de dire :

 

 -  Ta fille a dit la vérité. C’est moi qui lui ai demandé de chercher les morceaux que ton père a caché à plusieurs endroits de cette maison. Pour dissimuler son crime. 

 

Maman était à mi-chemin entre la terreur, la tristesse et la joie en voyant mamie devant elle. 

 

 -  Ma… Maman ? C’est… C’est bien toi ? Je… Je ne suis pas en train de rêver ? 

 

 -  Non, ma fille. Je suis bien réelle… Enfin, pas tout à fait. Je suis morte depuis longtemps, comme tu l’as compris. J’ai dû agir discrètement pour que la vérité éclate. Ça ne me plait pas trop d’avoir du utiliser l’innocence de Sophie pour ces recherches macabres, mais si j’avais fait appel à toi, ton père aurait été alerté. Tu ne sais pas cacher tes émotions. Il aurait compris avant même que tu rassembles tous les morceaux, et dieu seul sait ce qu’il aurait été capable de te faire. Il m’a tué. C’est un meurtrier. Je ne suis pas sûr qu’il aurait vraiment eu des remords à faire de même avec toi…

 

Elle s’interrompit un moment, me regardant :

 

 -  Ou même Sophie… Ce que je n’aurais jamais pu me pardonner.

 

Regardant à nouveau maman, elle continua :

 

 -  Sophie était la seule alternative que j’avais pour que tout le squelette soit réuni. Je lui ai donné toutes les indications pour cette chasse au trésor un peu spéciale. Et recommandé de choisir un moment où ton père ne serait pas à la maison pour t’en parler. Tu devais savoir ce qui m’est arrivé. Et Hubert devait être puni. Je ne supportais pas de le voir jouer avec Sophie, rire avec toi, sachant ce qu’il avait fait. On dit que la guerre peut détruire un homme, le changer. Pourtant, c’est lors de cette guerre que je l’ai connu, puis aimé. Jamais je n’aurais imaginé qu’il puisse être ainsi…

 

Là-dessus, mamie employa des mots un peu compliqués, sans doute pour pas que je comprenne tout. Le jour où elle a disparu, elle a eu une dispute avec papi, car elle avait découvert que ses petites sorties entre amis qu’il faisait parfois le soir étaient loin d’être innocentes. Des réunions où lui et ses potes usaient de violence envers des SDF, dans des ruelles isolées. Les frappant à mort, dans le seul but de « s’amuser ». Mamie l’a appris parce qu’un des membres de ces escapades nocturnes ne supportait plus de faire ça. Il n’avait jamais voulu d’ailleurs. Il avait participé uniquement parce qu’il avait peur de papi Il l’avait déjà vu à l’œuvre lors d’autres soirées où des gens sont morts dans des bagarres. Il était toujours parvenu à s’en sortir, s’enfuyant à temps, avant que la police arrive. 

 

Il aimait faire mal, c’était une sorte de pulsion nécessaire qui était en lui. Un besoin de libérer le mal qui l’habitait, et qu’il avait développé pendant la guerre, à force de tuer des ennemis. Il y avait pris plaisir. Quand la guerre s’est finie, et qu’il s’est marié à ma mamie, il pensait que ce goût de tuer cesserait. Mais ça n’a pas été le cas. Il s’en est aperçu lors d’une première rixe, dans un bar, alors qu’il participait à un enterrement de garçon d’un ami. Ça avait fait la une des journaux à l’époque. Deux morts. L’un égorgé par des tessons de bouteille, l’autre d’un coup de canif au foie. La loi du silence a fait que papi a été interrogé par la police, mais aucun témoignage n’a pu établir sa culpabilité.

 

Il y a eu d’autres soirées où il fut mêlé, moins mortelles. Là encore, il était interrogé, puis disculpé de toutes charges. C’était avant la naissance de maman. Ayant connaissance de ces bagarres à répétition, mamie avait réussi à lui faire entendre que soit il arrêtait ces bagarres, soit elle le quittait. Mis au mur, il a effectivement changé de mode de distraction, cessant d’aller en soirée, et profitant de voir grandir leur fille, ma maman. Mais un jour, à la suite d’une réunion d’anciens combattants, il a repris contact avec d’anciens compagnons, ayant le même syndrome, les mêmes envies de libérer leur colère, leur besoin de déchainer leur violence, voire de tuer gratuitement. C’est grâce à celui qui voulait arrêter tout ça qu’elle l’a appris des années plus tard. Il avait commencé ces « virées » alors que maman fréquentait celui qui la mettrait enceinte de moi. Il pensait que maintenant que sa fille avait un homme dans sa vie, et ayant emménagé chez lui, il n’avait plus l’obligation de réfréner son envie de céder à la violence.

 

La réunion d’anciens combattants, point de départ de ce qui suivit, s’est déroulé pile un mois après que maman a annoncé s’installer avec mon futur géniteur. Pour être plus discret, le petit groupe qui s’était constitué agissait dans l’ombre de ruelles, cherchant ceux ou celles qui seraient leurs proies d’un soir. Il était devenu accro : c’était comme une drogue dont il ne pouvait se résoudre de faire cesser. Quand maman est revenu enceinte de moi à la maison, et que papi et mami l’ont accueillie à bras ouverts, acceptant qu’elle s’installe à nouveau chez eux, il a tenté de mettre de la distance à ses sorties. Mais c’était trop tard, la « dépendance » était trop forte. Quand papi a compris que mamie était au courant de tout, sans dire qui l’avait renseignée, pour protéger l’ami de papi ayant confié tout ce qu’il savait sur la vraie personnalité de son époux, il est rentré dans une fureur noire. Mamie a menacé de tout dire à la police s’il ne se faisait pas suivre par un psychiatre, ou débuter un traitement dans un centre pouvant le libérer de son envie de faire du mal.

 

Elle était prête à cacher le fait qu’il avait tué des gens volontairement, par pur plaisir, s’il se résignait à se faire soigner. Au lieu de ça, il n’a pas pu freiner sa colère d’avoir été trahi par un de leur « clan », il en était sûr. Seul l’un d’entre eux avait pu donner autant de renseignements à mamie. Il l’a frappée violemment, ne parvenant pas à s’arrêter, et finissant par la laisser sans vie au sol. Il a alors paniqué, et a mis le corps dans un recoin sombre de la cave. Il savait que maman n’y allait jamais. Ça lui laisserait le temps de savoir quoi faire du corps par la suite. Puis, il a feint de ne pas savoir où était mamie en allant voir maman au parc. Maman se gavait de tranquillisants lors de cette période. Ce qui fait qu’elle ne pourrait pas voir les va-et-vient de papi qui découpa le corps de mamie dans la cave, avant de profiter de la nuit pour dissimuler les parties du corps à plusieurs endroits de la maison, brûlant ses habits imprégnés de sang, afin de ne laisser aucune trace. Il avait disposé des plastiques au sol lors de la découpe également dans cette optique que rien de son crime ne puisse être découvert. Connaissant son passé violent, la police l’a naturellement suspecté, trouvant des incohérences dans l’emploi du temps de papi. Mais comme il avait déjà échappé à la justice plusieurs fois par le passé, sans preuves, il sortit blanchi des interrogatoires.

 

Maman était en larmes en découvrant que son père, celui qu’elle chérissait depuis des années, celui qui l’avait toujours soutenue en tout, celui qui me prenait dans ses bras, n’était qu’un horrible psychopathe ne pouvant se défaire de ses pulsions criminelles. Elle a profité de l’absence de papi, vraisemblablement en pleine nouvelle « chasse », pour prévenir la police qu’elle avait de nouveaux éléments dans la disparition de sa mère, survenue 9 ans plus tôt. Quand papi est revenu à la maison, plusieurs heures plus tard, il fut tout de suite arrêté, menotté et conduit au poste. Devant les preuves accablantes, il a fini par tout avouer, donnant les noms de ses complices de tueries et de violences. Pour ne pas subir le regard des voisins, on a déménagé dans une autre ville après ça. Papi a été emprisonné à perpétuité, sans possibilité de remise de peine.

 

Maintenant, maman et moi on vit une autre vie, loin de tout ça, loin de papi. On n’a plus jamais revu mamie. Je suppose que maintenant que son âme a été libérée, que la vérité a été dite, son âme repose en paix. Maman n’a plus jamais voulu fêter Halloween, car ça lui rappelait trop les monstruosités de papi découverte ce même jour. Je suis un peu déçu bien sûr de ne plus pouvoir profiter de cette fête que j’adorais, mais je comprends que ça fait du mal à maman. Voilà, mon cher journal. Tu sais tout. Maintenant, je dois te laisser : maman m’attends. On doit faire un gros gâteau pour mon anniversaire. J’ai vraiment hâte…

 

Publié par Fabs

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