19 oct. 2023

PARAPHRENIE (MENACE DANS L'ESPACE) (Challenge Halloween/Jour 18)

 

 

On a souvent tendance à croire que tout ce qui touche au surnaturel est limité aux croyances de l’homme sur Terre. Qu’il faille un environnement stable, du sable, de l’eau, de l’herbe, des villes, du moment que ça se passe sur notre bonne vieille planète. Car tout ce qui déclenche des évènements touchant à l’irréel, que ce soient des créatures monstrueuses, des revenants, le déclenchement de forces liés à la nature, du fait de nœuds telluriques, de failles géologiques libérant des effluves venant du fond des âges doit forcément être rattaché à un astre pour fonctionner, et joue sur le potentiel imaginaire de l’homme pour pouvoir exister. On se dit que hors d’une planète, et en particulier la nôtre, car nombre de personnes pensent que la Terre est un centre névralgique en la matière, le surnaturel, l’irréel, les esprits, et tout le reste ne peut pas avoir d’attaches propre à provoquer les mécanismes de ce qui le compose. Eh bien, je peux vous dire qu’avec l’expérience que j’ai vécue, ces idées reçues sont totalement fausses.

 

Il existe d’autres endroits autre que le sol ou l’atmosphère d’une planète, d’un astre, d’une étoile, où ce qui pourrait sembler impossible de prime abord pour un esprit cartésien, tout comme je l’étais avant de subir tout ça avec mes compagnons, trouve les pleines possibilités de naître et s’étendre. L’espace. On pense à tort que l’espace se limite à une vaste étendue infinie exponentielle, composée de poussières cosmiques, d’astres, de comètes, de météorites, de trous noirs, de nova, de silence et d’obscurité insondable, partout où on regarde. Que rien, en dehors de surfaces solides, gazeuses ou liquides, c’est-à-dire un épicentre à l’origine de manifestations dites surnaturelles, ne peut y exister. Il n’y a que des phénomènes parfaitement explicables. Connus ou inconnus, mais ayant une explication d’ordre scientifique tout à fait palpable, à différentes échelles.

 

Détrompez-vous. L’univers est rempli de mystères autres que ceux reliés aux connaissances astronomiques, métaphysiques et tout ce que l’homme a appris à maîtriser durant toute son évolution, et qu’il continue d’apprendre, au fur et à mesure d’autres découvertes par le biais de sondes spatiales, de télescopes, ou d’immenses paraboles et de satellites chargés « d’écouter » l’espace, même si ce terme peut sembler anachronique dans le sens où le son ne peut se diffuser dans l’espace, car dépourvu de l’atmosphère dont il a besoin pour « naître », mais aussi de voir tout phénomène cosmique à même d’intéresser la communauté scientifique, et approfondir le savoir de l’espèce humaine. En prenant justement l’exemple du son, on peut citer la découverte de ce qui a été désigné comme une sorte de « chant spatial » entre le soleil et la Terre. Un son inaudible pour l’oreille humaine, et qui ne se perçoit qu’une fois arrivé dans l’atmosphère terrestre, et percé le champ magnétique de notre planète.

 

Avant cela, on était persuadé qu’aucun son, quoiqu’il puisse être, ne pouvait naître et se diffuser dans l’espace. C’est la raison tous les films SF où on voit des explosions à grands coups d’effets sonores immenses et dévastateurs, des rayons lasers lancés par des vaisseaux émettre des lignes sonores stridentes en parcourant le vide spatial, ne sont absolument pas possible et crédibles. Mais ça, disons que ça fait partie de la magie du cinéma de créer ce qui ne peut être. Et puis entre nous, voir une planète exploser sans le moindre son, nous qui sommes habitués, sur Terre, à associer toute déflagration visuelle à un bruit perceptible, ça ferait bizarre d’assister à un métrage dépourvu de son lors de batailles spatiales qui nous ont émerveillés étant gosses. Que serait les combats des X-Wings face aux croiseurs de l’empire dans « Star Wars » sans ces créations sonores issues de l’imagination de techniciens sonores, véritables magiciens du son ?

 

Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, et des programmes comme HAARP, qui fait la joie des complotistes de tout autre, surtout depuis l’apparition d’un nuage étrange au-dessus du sol de la Turquie juste avant le séisme ayant fait la une des médias du monde entier, et ravagé le pays, ou les données recueillies par la Station Spatiale Internationale ont permis d’étendre toujours plus nos connaissances sur les secrets de l’univers. Mais tout ne peut pas être perçu par des appareils technologiques hautement sophistiqués, qui ont leurs limites en termes de portée, et ne peuvent pas couvrir l’intégralité de l’immensité galactique. Des phénomènes spatiaux sont encore à découvrir. Il faut rappeler que des théories, qu’on croyait autrefois farfelues, comme les trous de ver ou les dimensions parallèles, sans être totalement officialisées, ont vu passer de la théorie au concret, par le biais, justement, des découvertes de missions spatiales habitées, comme celle dont j’ai fait partie, et a permis de mettre à jour quelque chose qu’on n’aurait jamais imaginé possible. Et encore moins les conséquences et dommages collatéraux que cette découverte a déclenchée au sein de notre équipage.

 

Mais je ne me suis pas présenté : je me nomme Lian Shao-Ji, chef de mission de l’expédition menée conjointement par plusieurs pays, dans le cadre du programme spatial international, sur l’étude de phénomènes spatiaux connus ou encore inconnus. Une forme d’exploration à la « Star Trek » si vous voulez avoir une représentation du concept de cette mission. Vous n’ignorez pas, en cette année 2344 du calendrier terrestre, que les voyages spatiaux sont désormais réguliers depuis déjà près de 100 ans. La base lunaire, autrefois utopique, est devenue une réalité, et la colonisation de mars, par l’installation de structures prévues pour accueillir nombre de « touristes » ne sachant pas comment dépenser leur immense fortune, a débutée depuis 3 ans déjà. Les organisateurs de ce futur « Club Med » martien sont confiants, et espèrent pouvoir lancer les premières invitations pour les usagers « tests » d’ici les 3 prochaines années à venir.

 

Et, alors qu’on envisage de faire de même sur d’autres astres, dans des ambitions moins commerciales celles-là, et appartenant au domaine purement scientifique, des expéditions comme la nôtre ont été pensées, afin, justement, de prévenir de potentiels dangers pouvant menacer la vie et le bon fonctionnement de ces bases et futures colonies, en attendant, une fois ces séjours test effectués, de pouvoir proposer de véritables modes de vie hors de la Terre, pouvant remédier au problème persistant de la surpopulation grandissante. Depuis que la science a réussi à contrer la barrière de l’infertilité de nombreux couples sur Terre, le taux de natalité a atteint des proportions réduisant drastiquement les ressources naturelles. Et bien que nombre de ces ressources ont pu être reproduites aujourd’hui synthétiquement, à partir de cellules souches et de gênes des principales plantes et animaux de la Terre, il reste encore l’écueil des matériaux propres à la construction d’édifices toujours plus élaborés et nécessaires pour la vie humaine.

 

Le champ de force créé en 2256 permet à notre planète de ne plus être en proie aux dangers que représente les corps célestes déambulant dans l’espace, et menaçant la vie humaine par leur chute sur le sol terrestre. Une avancée révolutionnaire. Tout comme l’est l’allongement de la durée de vie de chaque être humain, à la demande des intéressés désireux de voir leur existence prolongée. Même si ce processus s’adresse à des clients fortunés, il y a fort à parier que d’ici quelques centaines d’années, les avancées technologiques et économiques trouveront le moyen de pallier ce fossé entre foyers aisés et modestes, en proposant des alternatives convenant à toutes les bourses. Malgré tout, une telle protection de l’atmosphère terrestre est très coûteuse, et nécessite de longues années de mise en place. Celui de la Terre a demandé 25 années avant d’être opérationnel.

 

Dans cet ordre des choses, faire la même chose sur la Lune et la future station touristique martienne n’est pas à l’ordre du jour, et c’est pourquoi des missions comme la nôtre sont primordiales pour anticiper de menaces cosmiques pouvant annihiler les projets à venir des Terriens pour s’installer sur d’autres planètes que notre planète, et prévoir les structures alternatives à adopter pour parer à ces potentiels dangers, pouvant annihiler les espoirs des instances gouvernementales de chaque pays, dont le Quintus, l’association des 5 plus grandes puissances spatiales de la Terre. USA, Russie, France, Chine et Japon. C’est donc dans cette optique que mon équipage et moi avons été chargés de « fouiller » l’espace, à la recherche de nouveaux astres susceptibles d’accueillir des études de groupes scientifiques sur leur sol, dans le but de prévoir la possibilité d’y établir des villes, pouvant régler l’inquiétude de la surpopulation, comme indiqué précédemment. 

 

L’objectif étant donc dans le même temps de mettre à jour de potentiels phénomènes, les analyser, les étudier en profondeur, et en trouver les failles afin de transmettre le résultat de nos constatations aux dirigeants du Quintus, qui finance la mission. Je suis secondé par mes compagnons dans cette tâche, tous ayant une fonction spécifique dans un domaine scientifique précis : Julius Larker, astrophysicien de génie ; Maria Oriatchov, spécialiste en géologie des corps célestes, et botaniste réputée ; Jun Nishikuri, expert dans l’analyse des sons spatiaux ; et enfin Catherine Matrin, grande dame du fonctionnement des trous noirs, nova et autres phénomènes spatiaux théoriques, comme les trous de vers, auteure de plusieurs ouvrages sur le sujet. Et bien sûr, il y a moi, qui suis un éminent chercheur dans le domaine du temps, et accessoirement anthropologue, ingénieur en mécanique spatiale et réputé pour mes travaux fondés sur l’environnement des astres de diverses galaxies.

 

Comme vous voyez, une équipe hétéroclite. Nous nous connaissions parfaitement depuis de nombreuses années, ayant souvent été amenés à travailler ensemble sur divers projets du Quintus. Raison pour laquelle on a fait appel à nous pour cette mission, du fait justement de nos liens professionnels, mais aussi affectifs, car étant un véritable groupe d’amis soudé, malgré nos nationalités et nos cultures différentes. Nous avons une grande passion commune, si on peut décemment désigner ça comme tel, c’est Halloween et tout ce qui touche de près ou de loin à l’horreur. Bien qu’unanimement cartésien l’un comme l’autre, fidèle à nos statuts de scientifiques chevronnés, nous aimons nous faire peur à travers des histoires lues ou écoutés sur des podcasts dédiés, et avons souvent organisés de véritables fiestas au sein des locaux du Centre du Quintus, où nous travaillions avant cette mission, sur le thème d’Halloween donc. Des festivités appréciées par tout le personnel du centre, y compris des dirigeants supervisant la structure.

 

C’est l’un des rares moments où on les voit sourire et montrer qu’ils ne sont pas que des visages quasi-impassibles et froids lors des conversations, et ne pensant qu’au travail. Mais cette année, certains vont regretter notre absence et notre sens de la fête au Centre en pleine semaine d’Halloween, du fait de notre présence au sein du vaisseau nous servant pour notre exploration de l’univers, depuis notre départ, il y a déjà 4 mois de ça. Pour autant, on n’a pas renoncé pour autant à fêter cet évènement, et on avait déjà prévu au préalable d’apporter tout ce qu’il faut : costumes, cotillons, masques, films et pop-corn. Il y a un petit micro-ondes à l’intérieur du vaisseau, permettant de réchauffer nos rations spatiales. Notre seul regret, c’est de ne pas avoir des boissons pour fêter dignement Halloween, mais tout alcool étant interdit lors des missions, on devait se résoudre à faire sans. En tout cas, c’est ce qu’on pensait.

 

Mais c’était mal connaître cette sournoise de Maria, qui avait emmené en douce des sachets de vodka, dissimulées dans son stock de rations d’eau. La couleur du liquide étant similaire, et les sachets mélangés lors de l’inspection des stocks avant départ, personne ne s’est aperçu de rien. Et elle a poussé le vice jusqu’à ne rien dire à aucun d’entre nous, cachant sa « réserve » pour le Jour-J, afin que tout ne soit pas piqué en douce par un des nôtres, connaissant bien le goût de certains d’entre nous d’avoir recours à l’alcool pour se libérer du stress. Julius et Jun notamment ne sont pas les derniers à y avoir recours. C’est surtout à cause d’eux, je pense, que Maria a pris cette petite « précaution » de masquer la présence de vodka au sein du vaisseau, qu’elle a habilement caché dans sa cabine. Et on a eu une autre surprise : Catherine nous a étonné en apportant, pour pimenter la soirée a-t-elle dit, une planche de ouija. Bien sûr, au même titre que nous tous, elle ne croyait pas aux « pouvoirs » de ce simple morceau de bois, objet commercial largement vendu à l’occasion d’Halloween justement, et ayant déjà fait l’objet de nombre de rumeurs concernant des « incidents » de la part d’utilisateurs qui, comme nous, ne croyaient pas aux histoires colportées sur les dangers que représentaient l’utilisation de cet objet pas si anodin que ça, comme on allait le découvrir par la suite.

 

 Bien qu’on ne soit pas vraiment sûr que la planche ait un quelconque rapport avec ce qui est arrivé ensuite, le fait que les évènements qui ont décimé notre petite équipe de vrais amis sont arrivés juste après qu’on a eu fait une séance, ne sont pas à prendre à la légère. Je vous devine interrogatifs au contenu de ma dernière phrase, et je peux le comprendre. Jusqu’à présent, j’ai fait l’exposé de la situation nous ayant amené à effectuer cette mission, de la complicité me liant moi et mon équipage, mais je n’ai pas fait transparaître que je ne suis que le seul rescapé du cauchemar nous étant tombé dessus, raison pour laquelle je suis l’unique personne à relater notre mésaventure au cours de l’enregistrement que vous êtes en train d’écouter. Car oui, au moment je vous parle, Julius, Maria, Jun et Catherine sont tous morts. Morts à cause de la culpabilité de leurs actions passées. Morts à cause de l’action d’une force surnaturelle qu’on n’aurait jamais imaginé être possible. Surtout ici, au milieu d’un vaisseau spatial naviguant dans l’espace infini…

 

Savez-vous ce qu’est la Paraphrénie ? C’est une forme de délire paranoïde plutôt rare où la personne affectée superpose un monde délirant au réel, et puisant dans sa propre expérience, souvent relié à une culpabilité profonde, des souvenirs marquants de sa vie qu’il pensait avoir réussi à occulter, mais qui ressurgisse suite à un choc traumatique extrême, et souvent extérieur. Une maladie proche de la schizophrénie, mais qui diffère d’elle en ce sens qu’elle a une progression plus lente, et, traditionnellement en tout cas, une occurrence moins élevée. Dans les faits, les personnes atteintes de Paraphrénie gardent un contact social avec les autres, souffrant en silence la plupart du temps, et, bien que sujettes à des « crises » récurrentes suivant les moments de la journée, parviennent à conserver un certain contrôle sur elles, ce qui fait que très peu des patients touchés font appel à des thérapies pour se soigner, persuadés que leurs hallucinations, en grande partie auditive dans un premier temps, avant de bifurquer par des visions, ne sont que la conséquence d’un stress dû à leur travail.

 

Il y a plusieurs formes de paraphrénie, ayant des degrés divers de violence mentale subie. La plus fréquente est la paraphrénie systématique, qui affecte les 5 sens et est chronique ; la paraphrénie expansive, où les affectés, souvent des femmes, ont des illusions de grandeur, de mégalomanie exacerbée ; la paraphrénie confabulatoire, où le cerveau créée des fausses mémoires, usant de personnages historiques fictifs et persuadant le patient de leur véritable existence, tout en gardant la reconnaissance de créations imaginaires, plus ou moins reliées entre elles ; et enfin la paraphrénie fantastique, qui débute par de l’anxiété et une sensation d’hostilité envers son environnement, suivi d’idées mégalomaniaques, devenant, avec le temps, de plus en plus exubérantes et démesurées, le délire subi provoquant une structure excentrique et incohérente. D’autres formes de paraphrénie existent, mais nombre de spécialistes ne tombent pas d’accord sur leur viabilité, et les rattachent aux catégories que je viens de vous citer.

 

Nous avons tous été confrontés à cette maladie nous affectant tous au même moment, suite à la rencontre avec un phénomène spatial qui nous était jusqu’ alors totalement inconnu, et vraisemblablement lié à l’utilisation de la planche ouija apportée par Catherine, bien que je ne pourrais jamais être en mesure de le certifier. Dans notre cas, nous avons subi plusieurs formes de paraphrénie se mélangeant, après avoir découvert cet étrange « nuage » sur notre chemin. C’est difficile de le définir, et je ne suis même pas sûr qu’il était réellement là, à dire la vérité. Je ne suis plus sûr de rien. Mais si ce n’est pas lui la cause, est-ce la planche ouija ? Mais ça ne serait pas cohérent dans le sens où nous avons aperçu ce nuage avant l’utilisation de la planche. C’est d’ailleurs du fait du stress rencontré par la découverte de ce phénomène, le jour- même d’Halloween qui plus est, que Catherine nous a révélé avoir apporté la planche. Juste après que Maria nous a distribué son petit « cadeau », les sachets de vodka qu’elle avait cachée jusque-là, pour nous faire la surprise.

 

L’accumulation de l’alcool pour faire évacuer le stress déjà présent, l’utilisation de la planche qui a pu accentuer l’impression de son « fonctionnement », il y a tellement d’éléments qui se sont confondus que j’ignore ce qui a été ou non. Mais reprenons au commencement. Cela faisait 4 mois que nous étions dans l’espace, vaquant chacun à nos occupations dès lors qu’on croisait un phénomène à même d’être étudié. Rien de bien florissant à vrai dire, car tous étaient des choses connues, et n’ayant pas vraiment révélés de nouveaux éléments sur ce que nous en connaissions déjà. A vrai dire, c’était assez frustrant. 4 mois passés, et rien de véritablement excitant à se mettre sous la dent. Malgré tout, on faisait notre travail, analysant ce qui se montrait à nous, et cherchant un « petit truc » différent dans l’étude du phénomène rencontré. Un champ de météores, une comète, les débris du résultat de l’explosion d’une supernova, ce qui s’est révélé être le plus intéressant de tous en comparaison, et une étoile un peu plus brillante que les autres par moments. Rien que du relativement banal. Et puis, le jour d’Halloween, alors que nous pensions faire une petite pause plus tôt que prévu pour organiser notre petite fête attendue, il est apparu devant nous.

 

Au début, on a pensé à une sorte de flux d’ondes sonores ayant frappé des étoiles rapprochées l’une de l’autre, donnant cette impression de forme nuageuse, ou des poussières cosmiques s’étant agglutinées autour d’un nouveau champ de météores plus petit que ce qu’on avait observé auparavant. Mais en nous rapprochant, on a vite vu que ça n’avait rien à voir avec quelque chose de connu, et notre excitation était à son comble. Enfin on découvrait un phénomène inattendu qu’on pourrait étudier le sourire au ventre. Comment le définir ? ça ressemblait vraiment à un nuage au niveau de son allure générale. On distinguait des extrémités délimitant sa forme de manière assez nette. Une sorte de nuage transparent composé de milliers de petites lumières scintillantes. Ce n’étaient pas des étoiles, mais autre chose. Aujourd’hui encore, je ne sais pas ce qu’étaient véritablement ces lumières. Elles n’étaient pas fixes, elles effectuaient des mouvements coordonnées, suivant des cycles bien définies au cœur de cet ensemble.

 

Les lumières évoluaient à l’intérieur de ce qui pouvait être apparenté à de la vapeur ou quelque chose d’assimilé. Ce qui n’avait aucun sens dans l’espace. Comment une forme d’humidité pouvait avoir pris naissance dans le vide sidéral ? Et ces lumières… on aurait dit qu’elles avaient une vie propre, dessinant ces cycles indépendamment l’un de l’autre, et modifiant leur rotation parfois d’un seul coup, sans aucune logique, et pouvant même échanger leur position avec un autre lumière. C’était comme des sortes de lucioles, si je devais leur donner une image pouvant vous donner une idée de ce qu’on voyait. La « vapeur » elle-même semblait suivre un cycle également, tournant autour de l’amas de « lucioles », et tout l’ensemble avançait dans notre direction lentement. On avait parfois l’impression de milliers d’yeux nous fixant intensément, et je dois avouer que cette sensation insistante avait fini par nous perturber quelque peu, provoquant un stress marquant sur plusieurs d’entre nous. Il n’y avait guère que Jun qui semblait encore plus fasciné que les autres, et ne semblait pas montrer de gêne comme nous le ressentions à ce spectacle surprenant et malaisant dans le même temps.

 

Et puis, il y a eu « l’attaque »… Je crois que je ne peux vraiment pas définir ce qui s’est passé autrement. Le nuage a soudainement modifié son mode de fonctionnement. Les lumières décrivaient des cycles beaucoup plus courts, plus rapides, s’entrechoquant les unes dans les autres, certaines fusionnant même entre elles, pour former des éclats de lumières plus intenses, pendant que le contour de l’amas semblait tournoyer à toute vitesse. C’était comme la formation d’une tornade en devenir, dont l’œil du cyclone était ces lumières à la nature incompréhensibles, et montrant de plus en plus l’impression qu’elles étaient des formes de vie. L’ensemble s’est alors mis à foncer à toute allure vers notre vaisseau, tout en continuant de tournoyer sur lui-même, les lumières se rassemblant les unes après les autres pour ne former qu’une seule et unique luminescence centrale, avant de s’agglutiner autour de notre vaisseau.

 

On a alors ressenti des soubresauts partout, secouant l’appareil dans tous les sens, nous envoyant valdinguer contre les parois. On a dû s’accrocher comme on pouvait à l’intérieur de ce véritable manège spatial. Et puis, le « nuage » s’est infiltré à l’intérieur du vaisseau, libérant des centaines, des milliers de lumières, qui s’étaient séparées à nouveau, formant comme de véritables flèches lumineuses nous frappant tous de plein fouet, l’un après l’autre. On a clairement ressenti des sensations de brûlures sur tout le corps, on avait l’impression d’être au milieu d’un bûcher, mais, pourtant, notre corps restait intact, comme si notre cerveau nous communiquait de fausses informations sur la situation. Je ne saurais pas vraiment dire ce qui s’est passé ensuite. C’était comme si on avait eu une absence prolongée, pendant laquelle tous nos sens ont été endormis d’un coup. Une sorte de léthargie, mais avec nos yeux restants éveillés. Les lumières avaient disparu. Toutes. On a mis du temps à parvenir à se relever, et se remettre de cette expérience très désagréable, se demandant ce qui s’était passé exactement. Nos esprits étaient brouillés.

 

Jun avait été blessé au bras, en ayant été projeté contre le coin d’un appareil de contrôle. Rien de bien méchant, tout au plus une écorchure. Mais dans l’espace, toute blessure, même infime, peut vite se transformer en un problème médical grave s’il n’est pas soigné à temps. Du fait de mes connaissances médicales, faisant office de médecin de bord si nécessaire, je m’occupais d’emmener Jun à l’infirmerie, après m’être renseigné sur l’état de santé des autres, qui souffrait tous de migraines importantes, tout comme moi je le ressentais. Finalement, on s’est tous rendu à l’infirmerie. Pendant que je soignais la blessure de Jun, Maria se chargeait de préparer et fournir des anti-douleurs aux autres, ainsi que de l’aspirine pour les migraines. Bien que peu grave, l’écorchure sur le bras de Jun était étrange. Je ne suis pas sûr de moi à cet instant, et il est possible que ce fût le choc subi par l’attaque du nuage qui ait déjà été en cause de ce que j’ai cru voir. Mais j’ai eu l’impression, l’espace d’un instant, d’apercevoir des luminescences dans le sang, pendant que j’appliquais un anti-coagulant et un désinfectant sur son écorchure.

 

Ça n’a duré que quelques secondes, et ma vue ayant aussi été affecté par ce qu’on venait de subir, je ne saurais vraiment pas affirmer que je n’avais pas déjà subi une hallucination à ce moment. J’ai mis ça sur le coup du choc, et n’y ai plus pensé, m’inquiétant surtout de savoir comment allaient les autres, tous très choqués par notre expérience. C’est après ça que Maria a proposé de nous offrir un petit « remontant » pour nous remettre de nos émotions. On s’est demandé ce qu’elle entendait par « remontant », jusqu’à ce qu’elle revienne avec ses « cadeaux ». Julius fut le premier à esquisser un énorme sourire. Il s’est approché de Maria, l’embrassant sur la joue d’une manière tellement enthousiaste qu’il a fait rougir notre petite russe préférée. Ce que n’a pas manqué de remarquer Catherine, profitant de l’occasion pour demander quand Julius et elle allaient se décider à nous faire part de leur couple. Maria est passé au rouge pivoine à cet instant. C’est Julius qui a finalement dévoilé ce qu’on savait tous depuis déjà un moment, malgré leurs précautions.

 

 -  Ok, Ok. Je vois qu’aucun secret ne peut longtemps rester dans l’ombre dans ce vaisseau… Bon, allez je vais crever l’abcès. Vous avez raison : Maria et moi on est devenu un peu plus que des amis…

 

Jun riait en s’adressant à Julius :

 

 -  Vous êtes pas très discret en même temps. Tu pensais vraiment qu’on n’avait pas remarqués vos petits manèges ? Chaque fois que l’un de vous deux prenait l’excuse d’aller piquer un petit roupillon, comme par hasard l’autre suivait quelques minutes après. Et quand vous daigniez revenir, vous aviez tous les deux de gros sourires…

 

Catherine rajoutait :

 

 -   Et parfois, il y en a un des deux qui n’avait pas bien remis la ceinture de sa tenue..

 

Maria ne savait plus où se mettre, provoquant l’hilarité générale :

 

 -  Oh, mon dieu… Julius, c’est ta faute. Je te demandais pourtant si ma tenue était correcte…

 

 -   Ah parce que c’est ma faute en plus ?

 

 -  C’est toi qui me lançais des signes quand tu avais une « envie » …

 

 -  Et tu n’as jamais refusée, que je sache…

 

Cette fois, c’est moi qui intervenais :

 

 -   C’est mignon les querelles d’amoureux… Allez, faites la paix tous les deux. Même hors du vaisseau, avant qu’on parte pour cette mission, on avait déjà tous deviné que vous étiez ensemble… Bon, et nous ? on peut trinquer aussi ? Du coup, la vodka va avoir double emploi. Ça va nous remettre de cette expérience très désagréable, et en plus on va fêter votre union officiellement.

 

Jun rajoutait :

 

 -  Triple emploi même. C’est Halloween aujourd’hui, n’oubliez pas ! Bon, je vous avoue que je n’ai pas trop le cœur à me déguiser après ça, mais la vodka je suis pour !

 

Catherine reprenait :

 

 -  Je pense qu’on est tous d’accord pour faire une pause prolongée pour aujourd’hui. On discutera de ce qui est arrivé demain. J’ai de quoi faire oublier quelque peu notre mésaventure…

 

Intrigué, je demandais :

 

 -  Tiens donc ? Toi aussi, tu as un cadeau « spécial » comme notre alcoolique notoire ?

 

 -  Eh ! Je suis pas une poivrot, monsieur je sais tout.

 

Jun, riant à nouveau, s’adressait à Maria :

 

 -  C’est vrai que le fait que tu sois la seule à avoir emmené de l’alcool, ça fait de toi quelqu’un de super crédible à ton affirmation…

 

Maria tirait la langue à Jun, et se rapprochait de Julius. Elle ne voulait pas le montrer, mais on sentait qu’elle était plus sereine à l’idée de ne plus avoir à se cacher de sa relation avec Julius. Ils se sont même embrassés à la demande de Catherine, et on a tous renchéri pour avoir droit à une preuve de leur couple. Maria, aussi rouge qu’un feu de signalisation a fini par obtempérer, pour notre plus grand plaisir, pendant que Jun félicitait la « fusion USA-Russie », en soulignant que l’opposition entre les deux nations dans le domaine spatiale était bien loin aujourd’hui, ce qui fit rire tout le monde, et contribua à détendre l’atmosphère quelque peu. On gardait une large part du stress engendré à la suite de ce qui s’était passé, mais on essayait tous de ne pas le montrer, pour ne pas plomber l’atmosphère plus sereine qui s’était installée. Après avoir tous pris notre petite « dose » de vodka en main, on s’est même affairé à disposer quelques décos, histoire de se mettre dans l’ambiance d’Halloween.

 

C’est là que Catherine a amené sa surprise. Une planche de Ouija. Bien que Jun fût un peu réticent, on s’est tous affairé à suivre les instructions de Catherine. De toute façon, on était dans l’espace : aucune chance qu’un esprit ou un démon vienne nous voir. Alors, on s’est installé sur la table de la cambuse, autour de la planche de ouija, et on a formé un cercle autour, comme nous l’indiquait Catherine. Bon, je ne vous cache pas qu’entre les blagues de Julius, moi qui imitais le bruit du vent et Maria qui faisait une voix de sorcière, autant vous dire que la séance a vite tourné à du grand n’importe quoi. Y’avait que Jun qui nous disait d’arrêter de nous moquer. Qu’une planche de Ouija n’était pas un jouet, et qu’on devrait s’excuser de nos blagues envers les esprits si on ne voulait pas les mettre en colère. On oubliait parfois qu'il était issu d’un milieu très croyant, et tout il avait tendance à être très sensible à tout ce qui touchait aux démons, aux esprits et tout ça.

 

Il avait beau dire qu’il était aussi cartésien que nous, très scientifique, par moments, son vrai ressenti sortait naturellement, et il ne pouvait pas cacher ses croyances. Le ouija, je crois que c’était le truc qu’il n’aurait pas fallu faire en sa présence, et ce qui paraissait au départ une bonne idée, Catherine ayant manifestement prévu de s’en servir comme animation, car ne croyant pas, comme la plupart d’entre nous à part Jun, aux histoires qu’on racontait sur les malheureux utilisateurs de cette planche. En plus de ça, on venait de subir l’attaque d’un « démon » de l’espace, on était plus à ça près. D’ailleurs, je pensais à faire subir un examen complet de tout l’équipage le lendemain, une fois mis le souvenir de cette attaque un peu de côté. Juste histoire de vérifier que personne n’avait subi de dommages dans le corps, vu que ce qu’on avait tout ressenti du fait de l’attaque du nuage s’étant infiltré dans le vaisseau, et libérant ses lumières sur nous.

 

Le nuage, les lumières, tout avait disparu dès l’instant qu’on les avait tous pris de plein fouet dans le corps, sans explication. Et pour l’instant, personne n’avait trop envie d’en reparler. Le ouija, c’était un peu pour faire rebaisser la tension, mais Catherine, consciente que nos moqueries avaient blessé Jun, préféra ajourner la « séance », qui s’était soldé par un échec total niveau « manifestations », par respect pour lui. Après qu’on a mis de la musique et sorti tout notre attirail de portions de nourriture spécialement étudiée, et comprenant même quelques sucreries, elle s’est même excusée auprès de Jun. Elle ne pensait pas à mal, étant loin d’imaginer la réaction de notre ami. Il lui a pardonné avec le sourire, en recommandant à Catherine de jeter cette planche, précisant que ce genre d’objet n’attirait que le malheur. Elle lui promit de le faire, et, montrant sa détermination à respecter sa promesse, plaça la planche dans le petit incinérateur dont on disposait dans la cambuse, qui nous servait à se débarrasser des emballages des plats cuisinés.

 

Et… Je ne sais pas comment définir ce qu’on a entendu tous à cet instant. Pendant toute la durée où la planche était atomisée par technologie laser à l’intérieur de l’incinérateur, on a clairement entendu des voix semblant venir à la fois de ce dernier, mais aussi de tout l’intérieur du vaisseau. La séance, selon ce que Jun avait dit, avait été mal « fermée ». En voyant dans quel état nos blagues avait l'avait mis, on s’était tous lâché les mains et levé, interrompant brutalement la session spiritique. Ce qui avait pu entraîner des conséquences. Jun nous disait que, même si aucun ne s’était manifesté de manière physique, le fait de se servir de la planche avait quand même pu ouvrir un portail spirituel, dans lequel un démon s’était engouffré. Les « voix », les plaintes même qu’on entendait étaient peut-être le résultat d’une créature étant passé, et désormais incapable de revenir dans son monde, coincé dans le même plan dimensionnel que nous.  Ce ne fut que le début d’un long cauchemar qui allait détruire l’unité de notre groupe d’amis et de scientifique.

 

Les premiers symptômes de ce mal en nous, qu’il soit du aux lumières du nuage, à la séance Ouija ou la combinaison des deux, se montrèrent progressivement. Jun fut le premier à manifester de la nervosité dans son travail. Il transpirait abondamment, s’emportait dès lors qu’on lui demandait si ça allait, parlait à quelqu’un ou quelque chose qu’il était seul à voir. On a vite compris qu’il s’agissait d’un membre de sa famille, sans savoir qui exactement, qu’il pensait être présent avec nous, s’excusant auprès de lui pour sa faute. Petit à petit au fil des jours, il devenait arrogant, nous prenant de haut, estimant qu’on n’était pas au top de notre forme, nous demandant si on avait vraiment les diplômes de nos catégories scientifiques. Il atteignait un degré de mégalomanie inquiétant, voulant que sa place habituelle à la cambuse, lors de nos repas soit plus « stylée », criant parfois en plein milieu d’une conversation houleuse, alors qu’on tentait de lui rappeler qu’on était tous amis ici, et qu’on ne comprenait pas son comportement. Mais bientôt, la situation devenait incontrôlable.

 

Les autres manifestait eux aussi les mêmes troubles, parlant dans le vide à quelqu’un qu’eux seuls pouvaient voir. Maria pleurait en parlant à son père décédé, qu’elle seule pouvait voir, lui demandant pardon de n’avoir pas respecté sa promesse, poussant des cris comme Jun le faisait de plus en plus régulièrement, et montrant, à son tour des tendances mégalomaniaques, créant des conflits avec Jun sur la place du « meilleur » de l’équipe. Julius et Catherine montrèrent eux aussi les mêmes symptômes. Julius parlait avec sa cousine qui s’était suicidée, considérant que c’était sa faute, car il savait que son petit ami la battait, mais il n’avait rien fait pour la sortir de cette situation, malgré ses appels à l’aide. On a fini par comprendre que Jun s’en voulait d’avoir « volé » le travail que convoitait son frère quand ils étaient adolescents, par pure jalousie de sa réussite. Il avait voulu lui montrer qu’il n’était pas si intelligent que ça. Son frère avait sombré dans la drogue et la déchéance après ça, et est mort dans l’oubli de sa propre famille qui l’avait renié.

 

Pour Maria, elle l’avait dénoncé à la police après avoir découvert qu’il s’adonnait à des escroqueries en tous genres. Il est mort en prison par des détenus en lien avec ses victimes, tué avec un couteau artisanal, fait à partir de morceaux de plastique. Pour Catherine, c’était sa sœur, autiste, dont elle se moquait ouvertement en public, alors qu’elle était censée la protéger des autres, telle la promesse faite à leurs parents, décédés dans un accident d’avion. Elle avait fini par « l’abandonner » dans un centre, véritable mouroir, ou sa sœur, désespérée d’être séparée de sa sœur, qu’elle aimait malgré les moqueries que celle-ci pratiquait sur elle, refusait de se nourrir, sans que ça inquiète le personnel soignant. J’ai moi aussi subi ces hallucinations extrêmement réalistes. Dans mon cas, il s’agissait de mon meilleur ami, qui était devenu paraplégique à la suite d’un accident de voiture. On sortait de boite ce jour-là, j’étais sobre, mais extrêmement fatigué. Mon ami m’avait presque supplié d’appeler un taxi pour qu’on rentre, n’étant pas sûr que je sois en état de prendre la route.

 

Il avait raison. En désespoir de cause, lui qui était auparavant un grand coureur, champion de notre lycée, il a accepté une opération à risque très coûteuses pour retrouver ses jambes, sans m’en parler. Les médecins l’ayant opéré faisaient partie d’un réseau obscur, sans aucune formation et compétences. Il est mort sur la table d’opération. Tous avions en commun un acte dont nous nous sentions coupable, qui rongeait notre mémoire profondément, et qu’on pensait avoir réussi à surmonter. Ça déclenchait des hallucinations semblant de plus en plus réelles, donnant l’impression qu’on pouvait les toucher, et occasionnant des situations violentes, en étant confrontés aux fantômes de nos passés. Pensant s’en prendre à ces hallucinations, on s’agressait les uns les autres, suivant les « recommandations » de voix intérieures de plus en plus présentes, nous emmenant vers un stade de folie dont on ne voyait pas l’issue. Chacun se croyait meilleur que l’autre, des conflits éclataient, de plus en plus violents. Et il y avait ces autres « voix » résonnant chaque jour sur les parois métalliques du vaisseau, nous incitant à des manœuvres dangereuses, à des manipulations pouvant occasionner des dégâts plus que préjudiciables pour le bon suivi de la mission.

 

Chaque jour qui passait, les hallucinations, la mégalomanie de chacun, occasionnant affrontements, insultes, et destruction de matériel s’intensifiait. Je parvenais tant bien que mal à garder une partie du contrôle de mon esprit, d’une manière à priori plus aisé que mes compagnons, qui sombraient de plus en plus dans la folie. Ils tenaient des propos incohérents, prenait des choix allant à l’encontre du bon sens, jusqu’au moment où le pire arrivait. Julius finit par égorger Maria avec le verre d’un écran de contrôle qu’il brisa, la confondant avec sa cousine qu’il accusait d’harceler par ses « visites ». Encore un peu lucide, j’ai tenté de l’arrêter, mais j’ai compris trop tard ce qu’il voulait faire, et le temps que j’arrive à leur niveau, Maria avait déjà la gorge tranchée, et tombait au sol. Jun riait en voyant ça, pendant que je tentais de ramener Julius à la raison, luttant moi-même avec mes démons, que j’avais énormément de mal à contenir.

 

A cause de ça, demandant à mon ami que je voyais en hallucination de me laisser tranquille, Julius en profitait pour s’approcher de Jun, qui s’esclaffait de plus belle. Ce dernier se moquait de Julius, l’appelant par le prénom de son frère, lui avouant pourquoi il lui volé son travail, expliquant les raisons de sa jalousie. Il prit en main un stylo et s’en prit à Julius. J’étais tellement assailli par mes hallucinations et les migraines qui en résultaient que je n’ai pu qu’assister à la fin de mes amis qui entre-tuaient sauvagement. Dans le même temps, alors que j’étais recroquevillé sur le sol, criant à mon fantôme personnel de me laisser, lui hurlant presque que j’étais désolé de ce que je lui avais fait, Catherine s’était figée devant un hublot, et semblait parler à sa sœur.

 

 -  Je t’ai jamais aimée… Papa et maman reportaient toute leur attention sur toi, alors que t’étais une débile. Moi, j’avais des bonnes notes, excellentes même, et ils s’en foutaient. Ils n’y prêtaient pas attention. Y’en avait que pour toi. Je croyais que t’étais morte, mais t’es encore là à me pourrir la vie. Alors je vais te tuer pour de bon…

 

Je n’avais aucun moyen de stopper son geste, bien trop occupé à faire fuir le fantôme de ma culpabilité. Elle se fracassa le crâne, le projetant à plusieurs reprises sur le hublot en face d’elle, jusqu’à ce que son cerveau ne tienne plus le choc. Morts. Ils étaient tous morts. Ils s’étaient entre-tués, battus, fais du mal, à cause de je ne sais quelle force en place. Ils n’étaient pas schizophrènes. Vu tous les examens médicaux que nous passions régulièrement au centre, et qui ont été accentués avant notre départ de mission, ça aurait déjà été décelé depuis longtemps. Même chose pour moi. Il y aurait déjà eu des symptômes bien avant. Non, tout s’était déclenché après qu’on ait croisés le chemin de cette… chose dans l’espace, après qu’elle nous aie attaqués, qu’elle se soit insinuée dans nos corps. Je n’en étais pas sûr, mais je ne croyais pas aux coïncidences. Ce n’était pas le mal de l’espace non plus. Les symptômes n’avaient rien à voir. On aurait eu des nausées, des vomissements. Rien de tout ça ici. Même la « voix » qu’on a tous entendus lorsque la planche de Ouija a été détruite, je me posais la question si on n’a pas ressenti à ce moment le premier stade de ces hallucinations qui nous ont assaillies.

 

La paraphrénie. Ça ne pouvait être que ça. Une forme extrêmement violente de paraphrénie déclenchée par la présence de ce… parasite qui a exploré nos souvenirs, les a transformés en arme contre nous-mêmes. Pourquoi je dis ça ? Parce que dès l’instant où Maria, Julius, Jun et Catherine sont tombés, j’ai vu les lumières quitter leurs corps. C’était très peu perceptible, et, là encore, je ne suis pas sûr de moi car, à ce moment, j’étais en lutte avec ma culpabilité, et parsemé de voix dans ma tête. Les premiers symptômes de la Paraphrénie se caractérisent par l’apparition de « voix » dans la tête, suivie d’hallucinations, des créations issues de nos souvenirs, de nos connaissances, se mélangeant l’une et l’autre, jusqu’à atteindre un paroxysme. La plupart des gens parviennent à contrôler cet état, et peuvent même vivre une vie « normale ». Mais l’action des composants de ce nuage devait déclencher une forme inconnue et aiguë de la maladie. Le stress de l’attaque subie, notre « possession » par cette force, cette forme de vie ou je ne sais quoi qu’elle est, accentué le degré de culpabilité que chacun avions en nous et s’en est servie contre nous.

 

Pour quelle raison s’en est-elle prise à nous ? Je soupçonne que c’est dans un désir de défense de son territoire. Là où nous avons découvert ce nuage cosmique et son étrange composition, nous étions sans doute arrivés sur ce qui constituait la partie de l’univers où il vivait et se déplaçait. Il nous a perçus comme une menace à sa tranquillité, des intrus tentant de pénétrer chez lui, et il a agi en conséquence, comme un chien de garde défend la maison de son maître. Je me dis que ce n’est peut-être que ça. Un gardien de quelque chose de plus terrible encore, vivant au-delà de l’endroit où nous sommes tombés sur cette entité. Plus j’y pensais, plus je devenais convaincu que c’est bien ce qui s’est passé. Le Ouija n’a entraîné aucune conséquence à mon avis. Je me trompe peut-être, et ce dernier a éventuellement libéré quelque chose lui aussi. Le nuage n’a fait que remonter les souvenirs à sa surface, sa manière de se défendre, et l’entité libéré du Ouija a fait le reste, s’engouffrant dans la brèche mentale créée par les lumières du nuage. Je ne le saurais sans doute jamais.

 

Ce qui est sûr, même en occultant le ouija, reste que ce nuage est dangereux pour l’homme. J’ignore s’il se déplace dans tout l’univers ou une partie bien définie de celui-ci, mais s’il venait à se rendre sur la base lunaire, sur la colonie en construction de Mars, ou pire, sur la Terre, les conséquences pour l’humanité seraient désastreuses. Il y a une dernière possibilité : Halloween est censé réduire la frontière entre les mondes, telle que l’indique l’origine de cette fête sur notre planète, venant des traditions Celtes, dont les druides étaient en phases avec d’autres dimensions, d’autres mondes. Mais est-ce que cette « frontière » se réduisant est limitée à la Terre ? Est-ce qu’il n’est pas envisageable de penser, vu qu’il s’agit de dimension, que cela agit également dans l’espace ? Et cette… Chose a donc profité d’une brisure, du fait du jour d’Halloween, pour pénétrer notre espace-temps. Peut-être même qu’elle vient d’un futur de notre univers, ou d’un autre, il y a tant de possibilité.

 

Quoi qu’il en soit, luttant pour enregistrer ce message que je vous envoie à vous, dirigeants du Quintus, il me fallait vous avertir du danger, de la menace grave que peut représenter ce nuage s’il venait à rejoindre la Terre. Je n’ose imaginer les conséquences. Et, comme dit, précédemment, il se peut que ce ne soit qu’une sorte d’éclaireur, chargé de « sonder » les territoires où il voyage, pour le compte de quelque chose d’encore plus dévastateur. Un peu comme le Surfeur d’Argent pour Galactus. Halloween n’est peut-être qu’un hasard, comme il a pu être déterminant. A vous de juger ce qui vous semble le plus vraisemblable, et de déterminer ce qu’il convient de faire pour la suite. Quand vous entendrez ce message, j’aurais sûrement cédé à la folie s’étant insinué en moi, me rongeant heure après heure, minute après minute. Je ne pourrais donc pas voir ce qui arrivera. Et, au vu de ce qui peut arriver, c’est sans doute mieux ainsi, plutôt que d’assister à la fin de l’humanité…


Publié par Fabs

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