12 oct. 2023

PLUIE ROUGE (Challenge Halloween/Jour 12)



J’ai souvent été l’objet de nombre d’attaques verbales de la part de personnes étant opposées à mes travaux, pas forcément pour les bonnes raisons. Si j’étais leur cible de choix, c’était avant tout parce que j’étais un scientifique, et que mon domaine de prédilection était l’étude animale. Mais attention : pas comme ces prétendus donneurs de leçons disant qu’ils œuvrent pour l’avancée de l’humanité, pour justifier d’expériences injustifiées et immorales sur des spécimens maltraités, et aboutissant à des aberrations monstrueuses. Non, cette catégorie-là, ces pseudos-dieux de pacotille qui se servent de la science pour mettre en pratique leurs idées saugrenues sorties de leur cerveau malades, n’ont pas le droit d’être considérés comme des scientifiques. Ce ne sont que des bouchers prenant plaisir à martyriser des pauvres bêtes pour voir se concrétiser des fantasmes dignes des méthodes de l’Inquisition.

 

Le problème, c’est que l’esprit fermé de ces personnes ne font pas la distinction entre ces dérangés du bistouri, véritables psychopathes cachés sous une blouse médicale, et moi, dont les travaux ne comprennent aucune expérimentation directe, et s’axant principalement sur l’étude de comportement et les gênes animales, leurs capacités, leur mécanisme génétique, et surtout déterminer comment adapter ces propriétés à une utilisation propre à aider l’être humain dans son quotidien. Que ce soit dans d’autres domaines scientifiques comme l’aéronautique, la biologie, la recherche industrielle ou le développement d’autres sources d’énergie, afin de limiter l’exploitation de ressources naturelles pouvant, à plus ou moins long terme, finir par assécher les possibilités terrestres, et conduire à un désastre écologique. Voire mener l’humanité à une mort imminente dans les siècles à venir, car n’ayant plus de quoi subvenir à ses besoins nutritionnels, par la destruction d’écosystèmes entiers.

 

Vous allez me dire : ça c’est le discours habituel de tous les scientifiques. Nier en bloc les accusations des non-scientifiques, ignorant les processus, les protocoles auxquels nous sommes confrontés régulièrement, sur nos méthodes de travail, et refuser d’admettre nos erreurs, surtout en matière de souffrance animale. Je reconnais que nombre de mes collègues, bien que s’écartant du stéréotype du savant fou des BD, se défendant d’avoir la même idéologie que ces monstres disséquant des singes, des rats, des chats, des chiens, leur greffant tout et n’importe quoi, dans le seul but d’assouvir leur égo ou leurs ambitions de notoriété en affichant le résultat de leurs « travaux » à travers des magazines complices de leurs actes de barbarie, ces mêmes collègues disais-je se pensant blancs comme neige, sont bien loin d’être aussi innocents qu’ils le déclarent lors de conférences de presse qui ne laissent dupes que les plus naïfs.

 

J’ai déjà eu l’occasion de voir de mes yeux les ailes secrètes de leurs laboratoires, où se trouvaient enfermés plusieurs animaux à qui on avait sectionné une patte pour analyser la rétractilité de leurs griffes ; écorché la fourrure et la peau pour mieux observer les mouvements de l’ossature d’une queue ; ou encore boucher leurs narines dans l’unique but d’assister, sans émotion aucune, à l’agonie de l’animal, juste pour savoir le temps qu’il fallait avant que leur cobaye finisse par mourir asphyxié. Ces collègues, une fois découvert la vraie nature de leurs travaux, je les ai rejetés, n’hésitant pas à révéler au public leur personnalité qu’ils dissimulaient derrière un masque de sensibles docteurs en génétique, ouverts à toutes les propositions pour faire réduire l’utilisation d’animaux pour les recherches liées aux cosmétiques, à l’agro-alimentaire ou d’autres secteurs tous aussi controversés les uns que les autres par leur recours à la science, dans un seul but de marketing et de rentabilité.

 

Des actions considérées comme des trahisons par une grande partie de la communauté scientifique, me voyant comme un dérivé de vigilante spécialisé dans la défense animale, et arguant que je me mentais à moi-même, en me considérant comme différent d’eux. Pour les grandes pontes du domaine de la science, dont j’ai de plus en plus honte parfois d’appartenir, au vu des mensonges éhontés que j’ai pu constater dans ma longue carrière, sans le moindre remords de la part de leurs initiateurs, je ne suis qu’un opportuniste, cherchant à se faire un nom en vilipendant ses collègues et amis, alors que je suis de la même nature qu’eux, car usant d’animaux pour mes propres études. Des propos qui me font hurler intérieurement, mais auquel je préfère ne pas répondre, publiquement en tout cas, afin de ne pas alimenter la polémique, et risquer de discréditer mes travaux bien plus nobles que tout ce que ces parjurés osent pratiquer au grand jour, sans même chercher à s’en cacher, et défendant ceux qui se dissimulent dans l’ombre de gouvernements ou de groupuscules pharmaceutiques pour faire « avancer la science ».

 

A cause de ça, je suis devenu une sorte de paria, car ne m’établissant pas dans un « moule » préfabriqué, sortant du carcan dans lequel les « cerveaux » les plus éminents de la communauté scientifique tentent d’insérer chaque petit nouveau, dès lors qu’ils sortent des prestigieuses universités ou écoles spécialisés. C’est pourquoi j’ai choisi de m’établir dans une région où je ne subirais pas les foudres du public m’associant à ceux que j’ai appris à détester, et le mépris de ces mêmes soi-disant « collègues », alors qu’ils sont l’origine du fourvoiement de la science ayant conduit à cette méfiance de nombre de gens à travers la planète, prenant fait et cause pour le respect de la vie animale. J’ai migré près de la ville d’Alice Springs en Australie, sur les bords de l’Outback, en faisant construire mon centre d’études et le laboratoire s’y rattachant sur les hauteurs des Monts McDonnell.

 

Un édifice qui a été financé par des mécènes qui font partie des rares à me soutenir depuis des années, et approuvant mon combat continuel contre ceux se prétendant être des scientifiques libérés de toute ambition, alors qu’ils visent avant tout le prestige d’avoir leur nom inscrit dans les livres pour la postérité. Je ne suis pas comme ça. Je me moque bien qu’on se souvienne de moi ou non, et ça, ceux ayant permis l’existence de ce centre, le savent bien. Ça fait partie des raisons pour lesquels ils sont derrière moi et mes projets à 200 %. Ils aiment ma liberté, mon côté « ermite scientifique », car ne voulant pas être considéré comme l’égal de mes collègues qui m’ont adjugé le rôle de brebis galeuse de la communauté. L’une des exceptions osant contredire le système hiérarchique et procédurier de l’Ordre scientifique mondial. Je n’irais pas jusqu’à dire que ces mécènes sont des amis, mais en tout cas, je les respecte bien plus que le reste des scientifiques.

 

J’ai oublié de préciser ma spécialité : l’entomologie. J’étudie les insectes, mais, comme je vous l’ai indiqué précédemment, en me contentant de les observer, sans attenter à leur vie, et évitant de leur imposer le plus possible une privation de liberté. La plupart du temps, je pratique mes observations par le biais de centaines de caméras disposées un peu partout sur les Monts, et dans l’Outback. Des caméras utilisant les liaisons satellites, dans un but de confort et de qualité d’images vidéo. Cela représente près de 60 % de mes études, et m’évite d’avoir à embaucher une équipe coûteuse et dans laquelle je ne cesserais de me demander si elle est composée d’un « infiltré », payé dans l’ombre par ceux avec qui je suis opposé. En agissant seul, je suis certain de ne pas voir une fuite de données de mes travaux étaler dans les magazines, au bénéfice d’un autre, profitant de mon étude. 

 

Je n’ai pas choisi l’Australie par hasard. Je pense que beaucoup le savent déjà, mais ce pays abrite la plus grande population d’animaux aux tailles surdimensionnées, si on se réfère à la moyenne dans d’autres pays. Ça a toujours été compliqué de savoir la cause de ce gigantisme manifeste, frappant plusieurs espèces. Et ça ne se limite pas aux animaux d’ailleurs. La flore est également capable de créer des produits qui pourrait tuer un homme d’un coup, en s’abattant sur le crâne d’un promeneur imprudent. Il y a déjà eu de nombreux incidents de touristes d’ailleurs, ayant été victime de facéties de la nature, pour avoir dédaigné les avertissements de la population locale de certaines régions. Les aborigènes, notamment, savent bien les dangers que représentent certaines parties de leur territoire, et nombre d’entre eux sont une source inépuisable d’informations sur la prudence à apporter lorsque l’on se rend à des endroits bien précis. Que ce soit à cause de la faune dite « classique », c’est-à-dire sans attribut de gigantisme, mais tout aussi dangereuse, et les phénomènes qui effraient tant ceux n’étant pas habitué à la vie sauvage et domestique australienne. Je suis certain que beaucoup d’entre vous ont vu des photos sur le Net d’araignées, de scolopendres, de lézards, de serpents, de chauve-souris… Tous ayant des dimensions démesurées.

 

Comme, par exemple, la découverte en janvier 2023 d’un crapaud buffle de 2, 7 Kg, ou plus récemment une araignée-trappe atteignant 5 cm, ce qui est énorme pour cette espèce. Vous imaginez bien l’horreur ressentie par un européen se trouvant nez à nez avec une tégénaire de près de 20 cm se baladant sur un mur, ou un varan ayant pris le mur de la maison qu’il a loué pour les vacances pour un terrain de jeu. Pour autant, les australiens, eux, ont l’habitude de la proximité de cette faune inhabituelle pour d’autres pays. Même si chaque région du monde a son exception, comme en Afrique ou en Amérique du Sud. Mais ça se limite à quelques espèces, et généralement dans la jungle, dans des régions rarement habitées par l’homme. En Australie, le gigantisme est devenu une norme qui ne surprend plus vraiment. 

 

En fait, il y a même eu d’autres espèces encore plus impressionnantes ayant habité le pays, aujourd’hui disparue du fait de la présence de l’homme. Ce qu’on appelle communément la « Méga Faune Australienne ». Des bêtes de cauchemar qui ont terrorisé les premiers habitants du pays. Comme le Wombat géant et ses 3 mètres de long pour un poids allant de 2 à 3 tonnes ; le Kangourou géant, ou Procoptodon Goliath : 3 mètres de haut, soit le triple des kangourous actuels, pour un poids de 230 Kilos ; Le Genyornis, un cousin de l’Emeu, 2 mètres de haut pour 200 Kilos ; ou encore le varan géant, dont les plus grands spécimens connus atteignaient 5 mètres de long pour une tonne de poids. De nombreux fossiles, des coquilles d’œufs, et bien d’autres vestiges ont établi la preuve de l’existence de ces monstres de grandeur, ayant cohabités avec les 1ers aborigènes.

 

Vous l’aurez compris, ce gigantisme, c’est ce qui m’a attiré en premier lieu à m’installer ici, faire construire mon centre et mon labo, et étudier, observer, prélever des gênes. Je ne le cache pas : bien que privilégiant au maximum l’observation à l’extérieur via mes écrans, pour approfondir mes connaissances, il me fallait des cellules propres à développer mon projet. Alors, oui, il arrive que j’aie dans mon centre des spécimens, mais sur des périodes très courtes, et en me limitant à une espèce en particulier à chaque fois, et un seul. Ça se limite uniquement à des prélèvements, et rien d’autre. Et une fois obtenu ce dont j’avais besoin, je relâche immédiatement les spécimens là où je les ai capturés. Mais vous connaissez la bêtise humaine, je ne vous apprends rien. Rien que de savoir qu’il m’arrive d’avoir des animaux sur place, même sachant qu’il ne s’agit que d’insectes, nombre d’associations écologiques m’ont accusé de me livrer à des expériences intolérables, alors même qu’ils n’avaient jamais mis les pieds dans mon labo pour en juger.

 

Quand j’ai eu connaissance de ces accusations injustes, j’ai même invité les représentants de ces associations à venir sur place, afin de voir par eux-mêmes que leurs attaques via les médias n’avaient pas lieu d’être, et que je mettais un point d’honneur à respecter les spécimens que j’observais. Mais ils ont toujours refusé, prétextant qu’ils n’avaient pas besoin de venir pour savoir ce que je faisais. Le dialogue était impossible avec de tels esprits bornés, se basant sur des rumeurs sans aucun fondements. J’étais mis dans le même panier que ceux à qui je m’étais toujours opposé dans ma carrière, et cela me faisait mal, moralement parlant. J’ai même dû subir plusieurs fois la destruction de caméras, parmi celles disposées un peu partout à l’extérieur. J’ai cru comprendre que ce sont justement ces caméras qui ont été à l’origine des rumeurs infondés de mes prétendues « expériences immorales ». 

 

Des rumeurs dues à des tribus aborigènes voyant d’un mauvais œil l’intrusion de technologie sur leur territoire. Et pourtant, la mise en place de ces appareils avait été le fruit de multiples discussions avec les chefs de ces tribus, et se terminant par un accord, tant que ça se limitait à ces caméras. J’ai même accepté de les disposer à des endroits précis afin de ne pas perturber les chasses des guerriers, qui pourraient être préjudiciables pour le résultat de ces mêmes chasses. Mais il suffisait de la mort d’un chef avec qui j’avais eu un accord, remplacé par un nouveau dirigeant plus jeune, et influencé par des représentants des mêmes associations ayant entendu parler de mes caméras, pour leur faire « casser » le deal précédemment établi. Ce qui me causait problème, car l’emplacement de ces caméras étaient définis et primordiales pour le bon déroulement de mes études.

 

Dans ces cas-là, j’avoue avoir un peu triché, car mon esprit rebelle, celui m’ayant fait devenir un paria s’étant exilé dans ce pays, acceptait mal ces changements de mentalité, à cause de mes opposants non-aborigène. Donc, je faisais bonne figure devant ces chefs réfractaires, en enlevant les caméras devant eux, mais je revenais discrètement en pleine nuit pour en disposer d’autres, de manière beaucoup plus discrète, de façon à ce qu’elles ne soient pas repérées, afin de ne pas être lésé et manquer des informations d’observation utiles. Ce n’était pas très fin, je dois bien l’avouer, et je me révulsais moi-même d’avoir eu recours à ce type de mensonge, mais la réussite de mon projet était bien trop importante pour que je me fasse bloquer par d’autres oppositions à mon travail. Dans les faits, mon objectif, en analysant toutes ces données, et ces prélèvements, c’était de développer un gène artificiel, à même de provoquer un accroissement de taille sur des espèces dite normales, dans un but d’amélioration de l’alimentation mondiale. Augmenter la taille d’un poulet, d’un cochon, d’une brebis, ou pour d’autres contrées, avides de repas qui peuvent passer pour singuliers dans différents pays ne comprenant pas ces cultures alimentaires, ça pourrait permettre de contrer le problème de la faim à grande échelle. 

 

Une plus grosse poule, ça donnerait de plus gros œufs. Un plus gros bœuf, ça amènerait à plus de viande à disposition. Et idem pour les insectes qui me servait de base d’études. Vous n’êtes sans doute pas sans savoir que nombre d’insectes sont vitaux à la vie sur Terre, et certaines espèces, encore une fois à cause de l’homme, voient même leur population décroitre chaque année. Si un jour les abeilles disparaissent, je vous laisse imaginer les conséquences que cela peut engendrer à plus ou moins longs termes. Alors que si une reine est plus grande, dans des ruches adaptées, elle pourra pondre plus d’œufs, la pollinisation sera plus importante, permettant de plus grandes ressources à venir pour l’homme. Et ce n’est qu’une des multiples possibilités pouvant découler de mes travaux. J’étais confiant dans tout ça. Je prévoyais non pas de concevoir un vaccin, car vous imaginez bien que l’inoculer à chaque animal visé pour bénéficier de ces nouvelles facultés serait du domaine de l’impossible. C’est pourquoi je me dirigeais vers l’élaboration d’un gaz qui serait respiré par les animaux visés, au sein d’une structure contrôlée. C’est-à-dire sans risque que le gaz s’échappe au-dehors, et ne touche des espèces qui n’aurait pas vraiment besoin qu’elles grossissent de manière démesurée.

 

Vous vous doutez bien que le but de mes recherches n’est pas de faire n’importe quoi et rendre géants toute la faune terrestre, avec les conséquences pour l’homme pouvant en résulter. Ce serait catastrophique. L’utilisation de ce futur gaz « grandissant », devrait être supervisé de manière très pointue au cœur de lieux sécurisés, pour ne pas tenter la perfidie d’industriels trop gourmands voulant l’appliquer à des domaines à-même d’augmenter leurs revenus. Je pense principalement aux trafiquants liés la vie animale, comme ceux d’ivoire par exemple, les chasseurs de baleine, de phoques, ou autres. Bien que protégées, ces espèces sont la cible régulière de ces trafiquants capables de tous les stratagèmes pour leur « commerce ». Si ce gaz tombait aux mains de telles personnes, ça engendrerait des situations préjudiciables aux écosystèmes, car il est évident que les dirigeants de ces malfrats ne prendraient aucune précaution pour l’exécution de leurs plans, et disséminerait le gaz n’importe comment, créant le chaos là où ils opèreraient. Non, je devais être prudent sur plusieurs tableaux. Comme souvent, entre de mauvaises mains, ma création pourrait se transformer même en armes de guerre pour des gouvernements y voyant l’occasion de se servir d’animaux géants pour écraser leurs ennemis lors de combats sanglants, ne voyant en eux que des machines, des outils pour remporter la victoire.

 

 Je ne voulais pas d’une telle situation. Avant de parler de mon gaz, je devais m’assurer que les dispositions pour qu’il soit exploité de manière surveillée soient idéales et permettent d’éviter tout problème écologique désastreux. Aussi bien pour le règne animal que pour l’homme. Malheureusement, on ne contrôle pas le destin et les stupidités de certains. Si j’ai fini, après plusieurs années de travail, à mettre au point un premier « jet » de mon gaz, il était encore instable, et demandait encore plusieurs perfectionnements. Je ne pouvais pas me permettre de proposer un produit imparfait qui pourrait causer des dégâts considérables. Je devais stabiliser la composition de ma création. Je vous ai dit plus haut qu’on ne contrôle pas le destin. Si j’ai dit ça, c’est parce que ce que je craignais par-dessus tout a fini par arriver, sans que j’aie pu l’anticiper. Je ne pensais pas que les plans de mes opposants iraient aussi loin dans l’imprudence, la vilénie et la bêtise pure…

 

Je ne sais pas si c’était voulu, ou une simple coïncidence de la part de ceux qui ont déclenché la catastrophe, mais on était le soir d’Halloween, période propice à la fête et aux animations en tout genre, dédié aux esprits, aux monstres et aux démons. Comment j’aurais pu imaginer que ce jour serait celui qui provoquerait le glas de l’humanité, se conformant aux légendes autour d’Halloween ? Celles parlant de la brèche entre les mondes, de l’arrivée de l’apocalypse par le biais de créatures infernales venant décimer l’homme et ce qu’il avait mis des siècles à construire, par pur plaisir de détruire. Comment imaginer que je serais le vecteur de la mise en abîme de l’ensemble des pays du monde, à cause de ma création, et de l’action irréfléchie d’un groupe appartenant à l’une des associations convaincues que j’étais une sorte de nouveau Dr. Frankenstein ?

 

Et pourtant… Maintenant que j’y repense, je me dis que j’aurais dû m’abstenir de créer ce gaz hautement dangereux en étant mal utilisé. D’autant que je ne lui avais pas fait atteindre la perfection voulue au moment des faits. Mais on n’avance pas dans la vie et ses objectifs avec des « si ». La faute ne vient pas de moi, j’avais des intentions nobles. Comme nombre de créateurs d’armes de destruction massive me direz-vous, voulant arrêter les guerres, en jouant sur l’effet de l’intimidation. Je ne peux pas vous en vouloir de me comparer à ces personnes, qui sont aussi des scientifiques. Mais le véritable problème dans mon cas, c’était la détermination de me nuire de ce groupe ayant décidé que j’étais un ennemi de leurs convictions profondes concernant le règne animal. Je m’étais défendu à leurs accusations, mais c’était comme parler à un mur. A leurs yeux, je n’étais qu’un scientifique comme les autres, se moquant des conséquences de leurs actes, pensant que je n’avais aucune conscience de la souffrance animale. A aucun moment, ils n’ont voulu écouter ma position sur ceux que je considérais, au même titre qu’eux, comme des ennemis également. Non, pour eux, je n’avais même pas droit à la parole : j’étais coupable. Et c’est ce qui les a motivés à mettre au point leur expédition, déclenchant la pire catastrophe qu’ai connu l’humanité. Pire que les 6 extinctions qu’a connu notre monde. Pire que les vagues épidémiques de l’histoire humaine : le choléra, la peste noire, la fièvre jaune, le SRAS et le COVID…

 

Ce qui s’est passé, je ne pourrais pas l’oublier, car c’est ancré à jamais dans ma mémoire. On était donc le soir d’Halloween, le 31 octobre. Bien qu’éloigné de la ville d’Alice Springs, les échos des festivités, relayés par les roches des Monts McDonnell où se situait mon centre et mon laboratoire, parvenaient jusqu’à moi. Une petite chose que je me dois de préciser, car c’est sans doute ce qui a précipité les évènements. Si j’avais eu recours à une protection pour sécuriser les lieux, tout ce qui a suivi ne serait jamais arrivé. C’est pourquoi je ne peux m’empêcher de culpabiliser toujours aujourd’hui, malgré les messages de soutien de la part de mes mécènes, alors que je suis devenu l’homme le plus détesté de la surface du globe. Celui qui a causé l’Ultime Catastrophe. Mais j’anticipe. Revenons à ce fameux soir. Ma nature confiante a fait que je n’ai pas jugé utile de munir les entrées du centre de signal d’alarme. Enfin, si : il y en a bien un, mais uniquement pour protéger l’accès au laboratoire où se déroule l’essentiel de mes travaux. Les autres ailes du centre, comme la salle de contrôle où j’observe la vie quotidienne des insectes filmés par mes caméras, ou bien l’atelier où je confectionne nombre d’éléments indispensables pour mes travaux, ne disposent pas de cette protection. Mes mécènes étaient pourtant prêts à investir pour en faire installer pour l’ensemble des portes d’accès du centre, mais j’ai refusé.

 

Ils avaient déjà beaucoup dépensé, et à mes yeux, du moment que le labo était sécurisé, le reste n’avait pas la même valeur à mes yeux. Tout ce qui était important était dans le laboratoire. Je ne voulais pas qu’ils gâchent plus de leur argent dans ce qui représentait déjà un investissement colossal. D’autant que je savais que certains d’entre eux s’étaient saigné, financièrement parlant, allant jusqu’à hypothéquer leur maison pour que mon projet aboutisse. Je m’étais insurgé qu’ils mettent ainsi en péril leur propre confort financier pour mon projet. J’aurais très bien pu faire différemment, cela m’aurait pris plus d’années, c’était tout. Mais ils n’en démordaient pas, et voulait justement que le projet aboutisse le plus tôt possible. Ils étaient très enthousiastes sur lui, et voulaient me donner toutes les chances de le voir achever rapidement, en limitant les années de développement.

 

Il a fallu 2 années entières pour la construction du centre et son labo. 2 années durant lesquelles j’ai supervisé chaque étape, chaque pierre posée, dormant dans un petit hôtel minable, car ne voulant pas que mes mécènes dépensent pour mon confort. J’ai apprécié chaque moment de ce temps, souriant en voyant l’édifice prendre forme, jour après jour, mois après mois. Et ce soir-là, j’ai vu toutes ces années de patience anéanties par la faute de ces petites merdes qui ont déboulées sans crier gare, profitant que les entrées n’étaient pas protégées de façon électronique. C’étaient juste des portes classiques, comme on en voit dans des bâtiments administratifs. La seule protection qu’il y avait, consistait en des portes métalliques, mais non blindées. Aucun système d’alarme rattaché pour prévenir de l’irruption d’intrus, et encore moins prévoir la méthode qu’ils allaient utiliser…

 

A ce moment, j’étais dans le labo. Pour être dans l’ambiance d’Halloween, je m’étais fait une petite déco rapide sur les murs, et un repas de circonstance. Bon, je n’ai pas poussé le vice à me déguiser, ni à prévoir des bonbons pour des enfants qui ne viendraient évidemment pas dans un tel endroit. Surtout avec la réputation acquise par mes futurs envahisseurs. Du fait de l’épaisseur du mur séparant le labo des autres ailes du centre, je n’ai pas entendu que le petit groupe était en train de défoncer la porte principale à l’aide d’un bélier fabriqué de manière artisanale, à partir d’un pilier en bêton fixé sur le capot d’un 4x4. Dit comme ça, on pourrait croire que c’était plus que bancal comme disposition, mais ça a été diablement efficace : la porte a cédé très facilement, comme j’ai pu le constater par la suite.

 

 Je n’ai rien entendu quand ils ont pénétré dans le centre, mettant à sac tout ce qui se trouvait sur leur chemin. Ils ont ravagé chaque pièce, détruit chaque écran, ordinateur, renversé chaque meubles, brisant chaque élément informatique : clé USB, CD-ROM, Disque durs externes… Tout. Avec une hargne difficilement descriptible. Ça aussi, j’ai pu le constater après la catastrophe. En dehors du labo, il y avait une petite cuisine. C’est là que j’avais confectionné mon repas, que j’ai rapatrié dans le labo. Je m’étais aperçu que j’avais oublié mon dessert, une petite distraction que j’ai payé le prix fort. Sans cet oubli, je ne serais pas sorti du labo, et vu la protection renforcée de la porte de celui-ci, très nettement supérieur à la porte d’entrée du centre, ils n’auraient pas pu y pénétrer.

 

Mais je suis sorti. J’ai immédiatement entendu les fracas venant de partout, des feuilles étalées dans les couloirs, et j’ai eu la stupidité de croire que je pourrais être suffisamment intimidant pour les obliger à repartir d’où ils venaient. Ils étaient 7. A croire qu’ils avaient voulu faire un remake des 7 mercenaires, mais sans Yul Brynner à la tête du groupe, et aux intentions bien moins louables surtout. Ils ont ri comme jamais quand j’ai menacé d’avertir la police, sachant pertinemment que même si je parvenais à la contacter, après leur avoir échappé, ce qui était hautement improbable, elle ne pourrait pas venir avant au moins une bonne heure. Entretemps, selon leurs déclarations, ils se seraient occupés d’achever leur « mission ».

 

J’ai été vite maitrisé, on m’a attaché les mains, pour ne pas les « gêner », selon la déclaration du chef de ce groupe qui avait plus d’un chef de gang que du dirigeant d’une association écologique, qui avait le culot d’affirmer mener des actions « pacifiques ». On n’avait pas la même notion du terme, au vu de leurs actes. Dans le labo, j’ai tenté de me débattre quand je les ai vu se diriger vers la réserve où se trouvait les multiples bonbonnes où était stocké le gaz, résultat de mes divers essais. Je ne savais pas encore comment me débarrasser, en toute sécurité pour l’environnement et la faune, de ces essais infructueux et hautement instables. J’ai crié, j’ai hurlé, indiquant de ne surtout pas toucher aux bonbonnes, mais ils ont fait comme si je n’existais pas, s’acharnant à taper à coups de battes de base-ball les 10 bonbonnes disposées dans la remise du labo.

 

 A vrai dire, le gaz n’avait aucun effet sur les êtres humains, il n’agissait que sur l’ADN des animaux. En tout cas, je l’avais conçu de cette manière, mais ne l’ayant jamais testé, je n’étais pas non plus sûr de ça. Malgré la peur de voir le gaz s’échapper des bonbonnes, suite à leur destruction par le groupe, le fait qu’il reste à l’intérieur du labo, il y avait une chance qu’il finisse par se dissiper, et ne provoque pas de dommages collatéraux. Mais j’étais bien trop confiant, et ignorant de la bêtise extrême du groupe, et surtout de leur chef, dont le cerveau ne devait pas dépasser celui d’un moineau en termes d’intelligence. Il a ouvert les fenêtres, malgré mes cris insistants. A sa demande, l’un des membres, celui qui me tenait depuis le début de leur irruption, m’a bâillonné, pour « ne plus leur casser les oreilles ». J’étais désespéré. Le gaz s’enfuyait de la pièce, happé par le courant d’air provoqué par l’ouverture des 4 fenêtres du labo. Le chef riait. Il ne semblait pas affecté par le gaz. Au moins, j’avais réussi cette partie de ma création. Après avoir ravagé le reste du labo tel des Gremlins, et je vous assure que, vu leurs coiffures et leurs tenues vestimentaires, la comparaison était on ne peut plus justifiée, ils m’ont détaché, me laissant à mon désespoir, avant de partir, toujours en riant. Après leur départ, j’ai pleuré. Pas pour les dégâts. Je savais que, même si ça me révulsait de leur demander, mes mécènes pourrait tout financer pour les réparations. Non, je pleurais car je craignais les répercussions du gaz que ces imbéciles avaient laissé se disperser dans l’air.

 

Je me suis approché d’une des fenêtres, craignant de voir ce qui se passerait. Ça ne s’est pas déclenché tout de suite. Plus de ¾ d’heures se sont écoulées entretemps. ¾ d’heures durant lesquelles j’ai prié, bien qu’athéiste, pour que rien ne se passe. Mais c’était peine perdue. Bientôt, un orage éclata. Un orage versant une pluie anormale. Elle était rouge. Le gaz, en s’élevant dans l’air, s’était mélangé aux cumulo-nimbus, avec le même effet qu’un ensemencement, cette technique qu’on utilise pour provoquer des pluies. Et l’association des deux, le gaz et les nuages, avaient provoqué cette pluie rouge. Mais l’action du gaz ne s’est pas limitée à l’Australie. Il s’est intégré à l’atmosphère, voyageant, agissant sur tout ce qui se trouvait sur sa route, déclenchant d’autres orages dans divers lieux de la planète, heure après heure. Et les conséquences furent catastrophiques.

 

L’opération « casse » avait épargné un petit poste de télévision, dissimulé dans une petite armoire. Celle-ci avait été renversée, mais le poste étant protégé dans une boite à cet effet, il n’avait pas été cassé. Je m’en suis souvenu, bien que je m’en servais rarement. Je suis parvenu à retourner l’armoire, heureusement assez légère, car ne comportant que peu de matériel à l’intérieur. J’ai branché la TV, et j’ai pu constater les dégâts qui se sont fait connaitre heure après heure, à travers la planète. Les premiers faits ont eu lieu dans les alentours directs, étant le premier endroit touché. Les journaux relayaient des attaques d’animaux aux tailles gigantesques : kangourou, koala, wombats, varans. Même les plus petits animaux de la faune australienne, comme les vers de terre, les araignées, déjà conséquentes en taille dans le pays, les grenouilles, les lapins, tous les animaux avaient vus leur taille décuplée, quadruplant, voir quintuplant leurs dimensions d’origine.

 

Même chose pour les animaux aquatiques, et le phénomène prenait une ampleur inimaginable dans le monde. Des bateaux étaient coulés par des bancs de thons rouges, des villes entières étaient la proie d’oiseaux de toutes espèces, des villages étaient décimés par des tigres, des chiens, des panthères, des singes, … Je ne trouve pas les mots pour décrire la situation qui englobait toute la planète, causant le chaos sur tous les continents, au fur et à mesure que les orages déclenchés par le gaz, déversaient cette pluie rouge. Chaque animal touché par elle, mutait en quelques minutes, dépassant mes espérances en matière d’efficacité. Mais à vrai dire, j’aurais préféré que ça ne soit pas aussi rapide et efficace. En voyant ça, j’aurais vraiment aimé que ça ne fonctionne pas du tout d’ailleurs, que je me sois trompé dans mes calculs.

 

 Pour une fois, je me maudissais d’avoir réussi ce gaz, bien qu’imparfait. De plus, en voyant l’agressivité de certaines espèces normalement inoffensives, comme des antilopes, des vaches, des moutons, et d’innombrables insectes et reptiles aux tempéraments calmes et fuyant l’homme habituellement, je croyais vivre le pire des cauchemars. Ce que j’avais déclenché malgré moi, c’était une véritable apocalypse, une révolte animale à un niveau de gravité jamais vu sur terre. J’étais responsable de cette folie, de cette vague de terreur qui envahissait tous les pays, accumulant les victimes. Les journaux montraient des maisons attaquées, des entreprises subissant l’assaut de divers animaux. Des commerces, des hôpitaux, des écoles, des centres commerciaux devenaient le terrain de massacres à grande échelle perpétrés par des hordes d’animaux furieux.

 

Les rues se jonchaient de cadavres de tous âges, les animaux ne faisant aucune distinction entre adultes et jeunes, y compris les bébés, dont un grand nombre finissaient sous les dents de bêtes donnant l’impression d’être possédés par des démons, au vu de leurs actes qui n’auraient jamais dû être si je n’avais pas créé ce gaz. Beaucoup évoquèrent Halloween, la faille entre les mondes, pour expliquer ce qui arrivait dans le monde entier. Des religieux de tout ordre, se cachant dans des maisons calfeutrées, créaient des cultes incitant les gens à accepter la « colère divine ». Seuls eux devaient être épargnés pour préparer la genèse de la « nouvelle terre » qui suivrait l’apocalypse. C’était démentiel. Partout où je regardais, sur n’importe quelle chaine, la folie des animaux ravageait tout : dévorant, griffant, mordant, piétinant, tuant…

 

J’ai mis de longues heures à me remettre de tout ça, avant de me décider à faire cet enregistrement, pour laisser une trace aux rescapés de ce cataclysme mortel. C’est sans doute dérisoire, dans la mesure où il y a peu de chance que quelqu’un voie cet enregistrement, mais j’avais besoin de le faire. Au moins pour soulager ma propre conscience. Si quelqu’un voit malgré tout cette vidéo, publiée sur mes divers réseaux, si quelqu’un a réussi à survivre et à échapper à cette menace qu’est cette apocalypse animale, je vous demande pardon. Pardon d’avoir été présomptueux en pensant créer quelque chose qui changerait le monde. Pardon d’avoir été négligent en ne sécurisant pas ce centre qui sera bientôt mon tombeau, ma dernière demeure. Pardon pour tout. Moi qui étais fier d’être différent de mes collègues scientifiques, fier d’avoir une mentalité différente, en ne faisant pas n’importe quoi, je me sens ridicule aujourd’hui, car je suis devenu comme eux.

 

Je n’ai pas la possibilité de chercher un antidote au mal que j’ai créé, je n’en ai pas la force mentale. J’ai trop honte de moi, je suis épuisé, je suis désespéré. Peut-être que si quelqu’un vient à trouver ce labo, et qu’il est en mesure de trouver quelque chose qui n’a pas été détruit par le groupe responsable de cette folie, cela lui servira de base à trouver le remède pour guérir ce véritable virus animal. Halloween ne sera plus jamais pareil, à cause de moi. Je ne suis même pas sûr qu’après ça, les gens voudront toujours le fêter. Car pour un grand nombre, Halloween sera associé au désastre du gaz que j’ai créé. Pardon pour ça aussi. Et adieu…

 

Publié par Fabs

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