11 oct. 2023

LE TRAIN DE SHIBUYA (Challenge Halloween/Jour 11)


 

Bonjour, Ha-Joon. Je peux entrer ?

 

 -  Mmmh ? Oui, si vous voulez. De toute façon, vous êtes payée pour ça, non ? Pour écouter mes « délires ». C’est comme ça que vos prédécesseurs appelaient mon histoire. 

 

 -  Je ne suis pas un psychiatre, si c’est ce à quoi tu fais allusion. Je ne suis qu’une connaissance de ton père. Il a fait appel à moi, car il me fait confiance, et ne sais plus quoi faire pour te rendre le sourire…

 

 -  Que vous soyez psy, médecin ou toute autre forme de cette profession, pour moi, c’est du pareil au même. Personne ne me croit à chaque fois que je raconte ce qui s’est passé…

 

 -  Mais moi je ne suis pas les autres, Ha-Joon. Et je n’appartiens pas à une branche de santé. Je suis assistante sociale. J’aide les gens comme toi, je les écoute avec attention, je leur prodigue des conseils, sans aucun préjugé sur ta santé mentale, ni te demander si tu a pris de la drogue. Je suppose qu’on a dû faire allusion à ça. Je t’assure que je veux vraiment t’aider à comprendre ce qui s’est passé. Je ne suis pas ton ennemi. Ton père s’inquiète beaucoup pour toi. 

 

 -  C’est vrai que vous n’avez pas une tenue de psy ou de médecin. Et vos paroles m'ont l'air sincère. J’aimerais vous croire quand vous me dites que vous voulez m’aider. Mais je ne suis pas encore sûr…

 

Même si tu as encore des doutes sur moi, tu voudrais bien me raconter ce qui est arrivé ? Ton père m’a bien indiqué de manière globale ton aventure, et la peine que tu avais eu pour tes amis perdus à cause de ça, raison pour laquelle tu t’enfermes dans ta chambre depuis, refusant de sortir, et acceptant tout juste les plateaux repas que t’apportes ta mère. Mais moi, ce que je veux, c’est ta version à toi, et ne lésine pas sur les détails. S’il y en a dont tu n’as pas parlé aux autres, par crainte qu’on te prenne pour encore plus fou que leur esprit restreint te l’as fait comprendre, tu peux me les confier sans la moindre crainte. Je garderais ça pour moi, si tu veux. Ce sera notre secret à nous deux…

 

 - Vous me jurez que vous ne vous moquerez pas comme les autres ? Que vous ne me direz pas que tout ce que je dis est impossible, que ça ne peut pas exister, et que j’ai tout inventé ?

 

 -  Je te le promets Ha-Joon : aucun préjugé, aucun mensonge, aucun jugement. Je ne ferais que t’écouter, sans interrompre ton récit…

 

 -  Mmmmh… Je ne sais pas trop pourquoi, mais mon instinct me dit que vous pourriez en effet être enfin une personne de confiance. Encore plus que mes parents. Après tout, une fois de plus ou de moins à raconter ce que j’ai vécu moi et mes amis… Mais je préviens : si à un moment ou un autre, je vois dans vos yeux que vous me prenez pour un menteur ou un fou à enfermer, j’arrêterais de parler dans la seconde. 

 

 -  On a un deal, alors. Aucun problème. J’accepte ta proposition, et je me conformerais à ta décision si tu juges que je ne suis pas à la hauteur de la confiance que je te demande d’avoir envers moi. 

 

 -  Très bien. J’ai envie de vous croire. Vous êtes différente de tous les autres. J’ignore pourquoi. Il y a un truc en vous qui me donne vraiment confiance. Alors je prends le risque. Je vais tout vous raconter. Sans omettre le moindre petit détail de ce qui s’est passé…

 

 -  Merci Ha-Joon. Je t’assure que tu ne regretteras pas ta décision…

 

 -  Je l’espère… Bien. Je commence alors…

 

« C’était il y a déjà 3 mois dejà, le soir d’Halloween. Mes potes Masanori, Hideki et Chiyo et moi on venait d’assister à la traditionnelle Halloween Pumpkin Parade dans le quartier d’Harajuku. Le petit frère de Chiyo, Shigeo, s’y trouvait. C’est Chiyo qui avait confectionné son costume d’ailleurs. Elle en était très fière. Près de 3 mois d’efforts quand même qu’elle avait passé dessus, juste pour le plaisir de voir son petit frère parader au milieu des autres. Son costume a fait sensation. On voyait les regards admiratifs des badauds quand il est passé. Je ne sais pas où Chiyo a trouvé les matières premières pour le confectionner, mais il était vraiment magnifique. Il était en Kitsune, l’un des Yokaï les plus connus du folklore fantastique japonais. Même moi qui ne suis pas natif du pays, je connaissais déjà ce personnage, car il y a un équivalent en Corée du Sud où je vivais avant avec mes parents et mon grand frère.

 

C’est en partie à cause de ce dernier qu’on est venu s’installer au Japon. Ma mère souffrait de sentir son absence chaque jour dans notre maison, à Suwon. Mon père avait dû barricader la porte de la chambre pour empêcher qu’elle s’y rende et effectue son petit rituel, qui consistait à défaire et refaire son lit plusieurs fois, avant de prier pendant plusieurs heures devant la fenêtre où elle avait disposé un petit autel et des bâtons d’encens. Sans parler des repas qu’elle préparait spécialement pour lui chaque jour, et interdiction totale d’y toucher. Elle les remplaçait chaque jour, jetant à la poubelle le précédent. Non seulement c’était du gâchis, mais ça influait sur le comportement de ma sœur, qui pensait que notre frère était toujours en vie, mais qu’il ne voulait pas venir manger avec nous. Elle pensait qu’il était fâché avec elle.

 

Chaque fois qu’elle voyait notre mère préparer le repas pour Eun-Woo, le prénom de mon frère, ma sœur pleurait, demandant pourquoi il ne venait pas manger avec nous. La situation étant devenu impossible, même après avoir cloisonné la porte de la chambre de mon frère, pour empêcher ma mère de s’y rendre, mon père a été obligé de demander à son patron s’il était possible d’être muté dans la succursale de l’entreprise située au Japon. Il lui a expliqué que c’était primordial pour la santé mentale de son épouse, et le bien-être du reste de sa famille. Rajoutant que le deuil de son fils, tué par des malfrats en plein rue, et en plein jour, avait déjà marqué durablement notre famille. Voir notre mère sombrer un peu plus dans la folie chaque jour lui était devenu difficile à vivre. Il pensait que changer d’environnement, dans un autre pays, faciliterait son acceptation de la mort d’Eun-Woo. Le supérieur de mon père, comprenant la situation, accéda à sa demande. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés à Tokyo, dans le quartier de Shibuya, où se trouvait le nouveau lieu de travail de mon père, au cœur de la fameuse Tour Shibuya Hikarie. En plus de ça, ma sœur a trouvé un emploi de script girl au sein des studios NHK. Ça a pris un peu de temps, mais ma mère a fini par revenir telle qu’on la connaissait.

 

Cet aparté, c’était pour bien faire comprendre mon propre état psychologique, à la suite de ce changement radical d’environnement et de mode de vie. Je ne vais pas vous apprendre que dans certains lycées, le fait d’être coréen n’est pas toujours bien vu dans un établissement scolaire japonais. Ce n’est pas vraiment du racisme, plus une forme de méfiance. Ça a toujours été comme ça : dans de nombreux domaines, il y a comme une sorte de concurrence naturelle entre japonais et coréens. Les peuples s’apprécient pourtant, mais dès qu’un coréen vient au japon, il est pratiquement montré du doigt, comme s’il était une bête curieuse. En général, le comportement des étudiants ou des collègues de travail se raréfie avec le temps, mais avant que ça arrive, ça n’est pas très agréable à vivre de sentir qu’on est considéré quasiment comme un pestiféré, celui ou celle qui n’a pas sa place ici. Un sentiment qu’on a volé la place, le travail d’un japonais.

 

Tout le monde n’est pas comme ça, et heureusement, mais au lycée où j’ai été affecté, c’était le sentiment que j’avais. Les autres m’évitaient, et les seuls à ne pas m’avoir perçu comme quelqu’un qu’il ne fallait pas m’approcher, c’était les 3 amis que je vous ai évoqués précédemment : Masanori, Hideki et Chiyo. Ils reprenaient toujours les autres quand ces derniers évoquaient mes origines pour se moquer, sous-entendant qu’un coréen n’avait pas sa place au sein du lycée. Et le fait que j’étais apprécié des professeurs, qui, eux, n’avaient pas la même mentalité, et que j’avais de très bonnes notes, ça accentuait cet effet de rejet automatique de leur part me concernant. Une jalousie aux effets néfastes, que mes amis combattaient fermement, montrant une amitié à toute épreuve. 

 

Pour Chiyo, c’était un peu plus que de l’amitié en fait. Il s’était établi une vraie alchimie entre nous. On est très rapidement passé du stade d’ami à celui de confident, de frère et sœur, puis quelque chose de plus intime, même si on n’a jamais pu s’avouer officiellement les sentiments qu’on éprouvait l’un pour l’autre. Une situation dont se servait Masanori et Hideki pour nous lancer des piques, demandant les dates du mariage, ou si on avait choisi un prénom pour notre future enfant, ce genre de petites blagues puériles, mais qui montrait à quel point ils étaient heureux de notre relation, et aimerait qu’on passe le cap de la simple fraternité à celui de couple à part entière. Mais Chiyo et moi, on était vraiment pareils. Niveau timidité, on n’était pas mieux l’un que l’autre, ce qui, je crois, désespérait nos deux chers compagnons inséparables. Ils avaient beau tenter toutes sortes de stratagèmes pour nous laisser en tête à tête, et nous obliger à nous avouer notre attirance l’un pour l’autre, ça se soldait toujours par un retour à la case départ. De vrais agents d’entreprise matrimoniale ces deux-là.

 

Ils nous comparaient à ces héros de manga qui mettent plusieurs saisons avant de s’avouer qu’ils s’aimaient, se fuyant constamment, alors qu’ils se dévorent des yeux à chaque épisode. Je dois avouer que cette image, c’était exactement ça entre Chiyo et moi. Ce n’est pas qu’on n’avait pas envie de passer ce cap en fait. Je pense, au contraire, aussi bien moi qu’elle, qu’on craignait que si ça ne marchait pas, qu’on en vienne à briser notre amitié à cause de ça. Du coup, on n’avançait pas, sentimalement parlant. Pour ne rien arranger, le petit frère de Chiyo m’aimait beaucoup lui aussi, et, à la différence de nos 2 compères habituels, était nettement plus franc dans ses propos. Il n’hésitait pas à demander pourquoi on ne s’embrassait jamais, ou quand je viendrais dormir dans sa maison dans le lit de sa sœur ? Des moments, vous l’imaginez bien, qui nous mettaient dans un état de gêne extrême, et provoquait l’hilarité de Masanori et Hideki, qui entrait dans des fous rires incontrôlés dans ces moments-là.

 

Quand on a décidé de se rendre à l’Halloween Pumpkin Parade, je voyais qu’ils se préparait à une nouvelle séance de phrases leur déclenchant de nouvelles larmes de rire. Limite qu’ils n’ont pas emmenés un gobelet de popcorn pour encore mieux apprécier les nouvelles répliques culte de Shigeo, le frère de Chiyo. Finalement, ils ont été assez déçus de constater que celui-ci s’est tenu tranquille à ce niveau pour une fois. Je soupçonnais que Chiyo lui avait fait la leçon en privé, et lui avait demandé de ne plus la mettre dans l’embarras devant moi, et plus encore en présence de nos deux trublions d’amis. D’autant que les parents de Chiyo et Shigeo étaient là eux aussi. Il était évident qu’elle avait dû renforcer les recommandations de garder ses questions pour lui pour qu’elle n’ait pas la honte de sa vie devant leurs parents.

 

Je commençais à bien connaitre ces derniers, ayant été invité plusieurs fois à dîner, à la demande de la mère de Chiyo. Je savais que ça les amuserait plus qu’autre chose également, et je restais persuadé qu’eux aussi n’attendait que ça qu’on se décide à nous déclarer en couple. Mais aussi bien elle que moi, on ne voulait pas précipiter les étapes, et on préférait y aller doucement. Quoi qu’il en soit, après la fin du défilé, au vu de l’heure tardive, les parents de Chiyo ont emmené le petit Shigeo avec eux, pour le coucher, laissant notre petit groupe profiter des festivités d’Halloween. Il faut savoir qu’au Japon, à l’opposé des autres pays le fêtant, Halloween est pratiquement réservé aux adultes. En dehors de la Pumpkin Parade d’Harajuku, et son défilé de costumes où sont conviés les enfants, tout le reste constituant Halloween a été adapté à la culture japonaise.

 

Le principe du « Trick’R’Treat » par exemple, avec son cortège d’enfants costumés demandant des bonbons en cognant à la porte des maisons pour obtenir des friandises, n’existe pas au Japon. Le peuple du soleil levant est bien trop respectueux de ses voisins, pour perturber la tranquillité des familles dans leurs foyers le soi. Tout ce qui est lié à Halloween est donc l’apanage des adultes. Que ce soit les soirées durant tard dans la nuit, les films d’horreur, les farces macabres, les décorations dans les vitrines des commerces, et même à l’intérieur des bureaux d’entreprise, tout est directement adressé aux adultes. A noter qu’au Japon, les festivités d’Halloween ne se limitent pas au Jour-J. Chaque vendredi et samedi de la fin du mois d’octobre est l’occasion de fêter cet évènement devenu une institution dans le pays, bien qu’elle ne fasse pas partie du patrimoine culturel traditionnel. Les Japonais se sont totalement réapproprié cette fête, en le modelant à sa culture propre. Ce qui en fait un évènement très attendu chaque année, et faisant suite au Festival O-Bon, célébrant les morts au mois d’août dans la péninsule. Un rituel bouddhiste venu de Chine.

 

On dit qu’à cette date les ancêtres reviennent sur Terre pour rendre visite aux vivants. Un peu comme la Fête des Morts au Mexique. La célébration dure plusieurs jours, et se déroule à différentes dates, suivant les régions. La période la plus courante est située du 13 au 15 août. Les familles se rendent dans les temples, et sur les tombes des disparus, pour rendre hommage aux morts. Associer l’O-Bon à Halloween semblait donc tout à fait logique pour les Japonais, avide de fêtes en tout genres chaque année. Au même titre que Noël et la St Valentin. Autres traditions occidentales, qui, là aussi, ont été adaptées à la culture Japonaise, en modifiant ses règles, dans un esprit purement commercial, débarrassé de leur représentation d’origine.

 

Pour en revenir à mon histoire, une fois que les parents de Chiyo soient repartis avec Shigeo, non sans que celui-ci fasse un énorme câlin à sa sœur, et lui demandant de tout lui dire de ce qu’on allait faire le lendemain, promesse que ne manqua pas d’indiquer Chiyo à son petit frère, on s’est concerté pour savoir comment continuer la fête d’Halloween. Masanori a alors parlé d’un circuit en train particulier. La gare de Shibuya était proche, et ayant les horaires du circuit en poche, il nous indiqua qu’on devait se dépêcher pour ne pas manquer le train. Il précisa que ce dernier tournait tout autour de Tokyo toute la nuit jusqu’au petit matin, avec à son bord des dizaines d’animation de toutes sortes pour la fête d’Halloween. L’intérieur du train était décoré pour la circonstance, et les wagons le composant avaient chacun leur particularité.

 

L’un était une buvette constituée de cocktails et boissons personnalisés pour Halloween. 3 autres étaient dédié à la musique : s’y rassemblait des petits groupes et des idoles de la région, peu connus, interprétant des titres dans l’ambiance macabre de la fête. Un autre voyait son intérieur abriter un stand de maquillage, et il y en avait deux qui rassemblaient un concours de cosplay spécial Halloween bien sûr. Un programme alléchant, et tout le monde approuva la proposition de Masanori. On devait se dépêcher pour ne pas louper l’horaire du train. Le temps qu’il fasse le tour de Tokyo, il faudrait attendre plusieurs heures avant son prochain arrêt à la gare de Shibuya. D’autant que, pour maximiser la fête à l’intérieur, les arrêts d’étape étaient très courts. On a couru le plus vite qu’on pouvait en direction de la gare proche, Chiyo m’ayant pris la main en souriant, ce qui m’avait surpris. C’était la première fois qu’elle faisait preuve d’une telle intimité de nos corps.

 

J’y voyais une probable volonté de sa part de vouloir franchir une étape supplémentaire dans notre relation. J’étais heureux comme vous ne pouvez même pas l’imaginer. Cette soirée s’annonçait sous les meilleurs auspices. Ce qu’on n’avait pas prévu, c’était que la gare nageait dans un brouillard assez épais, gênant la vue des trains. La présence de cette brume était assez inhabituelle en ces lieux, mais on s’est dit que ça rentrait bien dans le thème des festivités de ce jour, et que c’était peut-être dû à une machine à fumée à proximité, afin de rajouter à l’ambiance. On a eu un peu de mal à percevoir le train. On était un peu en avance, mais il était déjà à quai. Notre course effrénée avait eu du positif. On était épuisés, mais heureux de n’avoir pas loupé l’étape.

 

On est alors entré dans le train, sans savoir que notre soirée allait se diriger vers toute autre chose que ce à quoi on s’attendait. L’intérieur de ce train, et surtout sa destination, était bien différente de ce qui était prévu, et « vendu » par Masanori. On venait à peine de pénétrer à l’intérieur quand une voix caverneuse annonçait le prochain départ. Jusque-là, rien d’anormal : ça correspondait à l’atmosphère qu’on espérait. Ce sont plus les costumes des personnes présentes qui nous interrogeait. C’était très étrange. Les cosplayeurs présents, les familles étaient visiblement extrêmement doué dans la confection de leurs tenues, au vu de la complexité de ces dernières. Et on avait l’impression qu’un thème précis avait été donné, peut-être une consigne dont Masanori n’avait pas eu connaissance. 

 

On voyait bien que certaines personnes présentes nous regardaient d’un air curieux, des enfants, costumés à la perfection eux aussi, nous pointaient du doigt, avant que leurs parents, leur disant que c’était très impoli de faire ça, les grondait. Pour autant, ils ne nous prêtaient pas plus attention, et on se sentait vraiment à part du lot. A dire vrai, je me suis senti vraiment mal à l’aise à ce moment, et je pense que c’était le cas aussi pour mes amis. Chiyo serrait un peu plus ma main. Elle semblait encore plus angoissée que moi en voyant tous ces costumes étranges à la variété unique. Pour vous donner une idée, c’était un ensemble de masques uniques, aux tailles diverses, avec des excroissances défiant toute logique vestimentaire. J’aurais payé cher pour savoir comment leurs créateurs, leurs créatrices, étaient parvenus à obtenir de tels effets.

 

Des mentons surdimensionnés, des yeux rivalisant de perfection avec des animatroniques parmi les plus réalistes, se trouvant au-dessus de têtes, ou comme « fusionnés » à des bras, des jambes, des torses, des dos. La nature de certains costumes en forme de corps m’intriguait. On n’avait pas l’impression que c’étaient des textures propres au latex, au silicone ou d’autres matières habituellement utilisées pour le cosplay, voire des productions cinématographiques ou télévisées, représentant des monstres aussi improbables que variés. Il y en avait quelques-uns dans le lot que je pensais reconnaitre, appartenant au folklore fantastique japonais traditionnel. Je reconnaissais un Tengu plus vrai que nature, un Kasa-Obake surprenant de réalisme, une tenue parmi celle qui me faisaient me poser le plus d’interrogations sur sa confection, une Rokuro-Kubi dont le cou flexible de façon incroyable était très perturbant, ou encore une Futakochi-Onna, avec sa gueule béante et monstrueuse aux dents acérées me fit me glacer le sang.

 

Tout ce qu’il y avait ici semblait être une véritable démonstration de savoir-faire en matière de cosplay que je n’avais jamais vu avant. Et ce n’était que le début des surprises à l’intérieur de ce train. Dans les autres wagons, on a successivement été témoins de séances de maquillage, en tout cas on supposait que c’en était, très déstabilisantes. Les cosplayeurs retirait leurs yeux censés être factices, sur des tables. Et les effets étaient tels qu’on ne voyait même pas leurs yeux normaux à la place des orbites laissées vides. C’était impressionnant et terriblement effrayant. Et pourtant, j’étais habitué depuis longtemps à toute forme d’art horrifique, sans parler des films, qu’ils soient coréens, japonais ou issus d’autres pays du monde. Ailleurs, les cocktails proposés se composaient de fumées aux couleurs improbables, remplis d’organes semblant beaucoup trop réels pour me donner envie d’y goûter. Que ce soient des doigts, des lobes d’oreilles, des pupilles de yeux, des langues… Il y avait une telle précision dans les détails que je me demandais quelle texture alimentaire les auteurs de ces boissons avaient bien pu utiliser. Quand aux artistes musiciens et interprètes, leurs « prestations » étaient encore plus angoissantes. L’allongement des membres, censées n’être que des morceaux factices, se déplaçaient sur des instruments avec une dextérité que les meilleurs musiciens feraient pâle figure s’ils se trouvaient en compétition avec eux lors d’un concours.

 

On s’est regardés tous les 4, et tous avions la même sensation de se trouver dans un autre monde, tellement ces costumes trop réalistes nous mettaient mal à l’aise, tout comme le reste : les décorations parsemant les murs et le plafond des wagons n’étaient pas en reste, niveau étrangeté et morbide. Sans se parler, rien que par le regard, on exprimait tous l’envie de partir de ce train vraiment trop bizarre. On appréciait Halloween, car ça faisait ressortir la peur des monstres en nous, cette petite adrénaline qui nous excitait en temps que fêtards de première. Mais là, c’était beaucoup trop poussé pour nous donner envie de nous joindre à l’ambiance. D’autant qu’on ressentait bien être observé à chacun de nos pas au sein de ce train terrifiant à plus d’un titre. Aussi bien moi que les autres, on n’attendait qu’une chose : que le train parvienne à une prochaine gare, et qu’on profite de l’arrêt pour en descendre et partir le plus loin possible, afin de trouver un autre moyen de fêter Halloween, plus…Conventionnel.

 

Mais plus le temps passait, moins on avait l’impression que ce train donnait l’impression de vouloir s’arrêter quelque part. Masanori s’inquiétait. On aurait dû stopper depuis déjà 20 bonnes minutes, suivant les horaires du trajet qu’il possédait, et pourtant le train continuait de rouler. Mais il y avait autre chose : le paysage à l’extérieur n’avait aucun sens logique. Plus aucune trace de Tokyo : plus d’immeubles, de rues, de véhicules, de lumières d’enseignes. On était en pleine campagne. On a commencé à avoir très peur à ce moment : où est-ce que ce train se rendait ? Le circuit était censé couvrir le tour de Tokyo. Rien n’était dit concernant un parcours hors de la métropole, et se dirigeant vers la campagne. En plus de ça, Chiyo connaissait bien les alentours de la ville, tout comme Hideki, car ayant de la famille à l’extérieur, au sein de petits villages. Et ils ne reconnaissaient rien de ce qu’était le périmètre direct de Tokyo, quel que soit la direction prise par ce train. Après plus d’une heure, le train s’arrêta enfin. On était tellement en mode panique qu’on n’a pas cherché à savoir où on se trouvait. Du moment qu’on sortait de cet endroit cauchemardesque. On commençait à se demander si les passagers de ce train étaient vraiment des as du cosplay, s’ils n’étaient pas de vrais… Monstres. Dès que les portes se sont ouvertes, on est sortis en trombe, bousculant les autres devant nous, qui ne manifestaient même pas leur colère, ce qui rajoutait encore plus à notre terreur.

 

Mais une fois à l’extérieur, on a cru qu’on allait sombrer dans le désespoir. Rien de ce qu’on voyait autour de nous n’avait de sens. On n’était plus à Tokyo, c’était certain, on n’était même pas dans une région de campagne proche de la ville. En fait, on avait la nette impression d’être dans un autre monde. Derrière nous, les passagers riaient de concert, s’amusant de notre surprise de nous trouver en ces lieux… Devant nous, il y avait une sorte de grandes montagnes aux formes totalement illogiques, dont les cimes partaient dans différentes directions. Vu leur position, une montagne normale se serait écroulée sur place avec fracas. Mais pas celles-là. On voyait un ciel teinté de rouge, de noir et de blanc, sans nuages, et laissant apparaitre des astres insensés par leurs formes. Le sol était parsemé de petites créatures s’avançant vers nous, constitués de boules noires dotées de pieds, sans yeux, s’agglutinant à nos jambes. Chiyo, qui n’avait pas lâché la main une seule fois depuis qu’on était monté dans ce train, hurlait en sentant ces bestioles venant en nombre. Masanori et Hidoki se débattaient pour se débarrasser de cette horde miniature, et me regardaient, l’air plein de peur et de surprise à la fois. Mais en fait, je compris qu’ils craignaient plus le fait qu’aucune des créatures miniatures ne montraient l’intention de s’attaquer à moi. Chiyo et les autres étaient leurs seules cibles. Je n’osais pas bouger tellement j’étais à la fois terrorisé et ne comprenant pas ce qui se passait. 

 

Pourquoi les créatures ne m’attaquaient pas ? Est-ce pour ça qu’aucun de ces passagers, dont j’avais désormais la conviction de leur nature monstrueuse, n’avait manifesté aucuns gestes vindicatifs à notre encontre ? Qu’est-ce que j’avais de plus que Chiyo, Masanori et Hideki n’avaient pas ? Je voyais ces derniers être littéralement emmenés vers ce qui s’apparentaient à des sortes de ruines illuminées de toutes sortes de décorations, sans que je ne puisse rien faire. J’avais bien trop peur pour tenter de bouger le moindre de mes membres. Les rires s’intensifiaient, j’entendais des dizaines de pas passer à côté de moi, sans qu’aucune de ces créatures ne manifestent de signes de violence ou quoi que ce soit d’autre envers moi. Puis, je vis une silhouette au loin s’approcher peu à peu, alors que le cortège de créatures se dirigeait à son tour vers ces curieuses ruines pleines de lumières. Au fur et à mesure de son avancée, la silhouette montrait des traits plus distincts, que je finissais par reconnaitre, pour l’avoir vu dans des livres traitant des Yokaï.

 

Je commençais à comprendre où je me trouvais, et certains des passagers vus dans le train étaient des Yokaï eux aussi. Je ne connaissais pas tout le bestiaire du folklore japonais, mais j’étais désormais certain que l’intégralité des créatures du train étaient de la même nature. Finalement, la créature arrivait à mon niveau, avec son visage aux teintes bleutées, couverts de divers yeux sur toute la surface du visage, ses genoux arqués à l’envers de ceux d’un humain, ses trois doigts de pied aux ongles levant vers le ciel de plusieurs centimètres de long, et ses bras garnis de pointes. Sans oublier ses mains munies de griffes, composées elles aussi de 3 doigts, et une queue qui battait l’air, partant de son dos. Le roi des Yokaï, j’étais sûr de ne pas me tromper…

 

 -  J’ai la nette impression que tu sais qui je suis Ha-Joon. Cela me facilite la tâche. J’ai horreur de toutes ces présentations dont vous êtes friands, vous japonais.

 

Je parvenais à sortir de ma torpeur, afin de répondre au roi :

 

 -  Je… ne suis pas… japonais. Je suis coréen. Et...  Pourquoi sommes-nous ici, mes amis et moi ? Pourquoi je suis le seul à ne pas avoir été entrainé vers ces ruines ? Qu’est-ce que je suis pour vous ?

 

La créature souriait, semblant satisfaite de mes questions :

 

 -  Tu t’interroge sur ton rôle dans tout ça ? C’est légitime. Par quoi puis-je bien commencer ? Voyons… Ta naissance peut-être… Oui, on va commencer par ça. Vois-tu Ha-Joon, tu n’es pas humain. Tu es un hybride. Né de mon amour avec ta mère, il y a bien longtemps. Mais elle n’a jamais su ce que j’étais, je te rassure. Et encore moins qu’elle a trompé son mari. Je vais t’expliquer. J’aime beaucoup le monde des humains. Ça me change des paysages mornes dont je suis le souverain. Tu peux le voir par toi-même : il n’y a rien de bien attrayant dans notre monde. Mis à part nos montagnes peut-être, et les différentes distractions de mon palais, situé à son pied, de l’autre côté des pics que tu vois en ce moment.

 

Le roi s’approchait de moi, caressant mes joues, observant mes yeux…

 

 -  Tu es magnifique. Tu n’as pas encore muté à ce que je vois. L’iris de tes yeux est encore vierge de toute forme de ce qui composera ton corps. Mais ça viendra. Je sens déjà les pupilles qui poussent sous ta peau. Ce ne sont encore que des embryons, mais elles évoluent.

 

Touchant la peau de mes bras, puis mes mains :

 

 -  J’entends le développement de tes pointes également. Elles sont toutes prêtes à montrer leurs cimes très bientôt. Pour tes mains, en revanche, je pense que tu n’auras pas la chance d’avoir les mêmes que ton illustre père, à savoir moi. Dommage. En même temps, mon fils se devait d’être à part. Tu seras le seul de ma race à avoir 5 doigts. 

 

 -  Venez-en au fait… Comment pourrais-je être votre fils ? C’est impossible ! Ma mère se serait rendu compte du subterfuge, elle aurait eu des souvenirs d’avoir couché avec une monstruosité telle que vous !

 

 -  Tu es dur avec ton cher père… Mais je te pardonne. Quand tes attributs se montreront à toi, sans que les autres humains le voit, tu comprendras que tu es bien mon fils. Le mélange d’un Yokaï de haute lignée avec une simple humaine. Mais où en étais-je ? Ah oui, ma rencontre avec ta mère… Vois-tu, je suis assez difficile en matière de femelles. Je ne suis… pas très attiré par les Yokaï pour le sexe. Mis à part quelques exceptions. Et étant roi, je fais un peu ce que je veux. Il n’y a pas de reine attitrée, car je ne suis pas friand de la fidélité. J’aime changer. Et j’adore forniquer avec des humaines. Evidemment, je ne peux pas me monter à elles sous ma vraie forme, pour les raisons que tu devines. Tout comme je masque ma nature aux humains. Toi aussi tu auras cette faculté, comme la plupart des Yokaï d’ailleurs…

 

Il lâchait mes bras, revenait en arrière :

 

-  Quand j’ai vu ta mère, je suis tombé raide dingue d’elle. Rarement vu d’humaine aussi attirante. Je me devais de l’ajouter à mon long tableau de chasse. Mais, crois-moi ou non, parmi toutes les femelles humaines que j’ai prises, ta mère reste l’une de mes préférées, et j’ai pris la place de ton père à de nombreuses reprises.

 

J’écarquillais les yeux, commençant à comprendre.

 

 -  Vu ton regard, tu as deviné, n’est-ce pas ? Oui, j’ai pris l’apparence de ton père, le plongeant lui dans une dimension-prison, un endroit où le temps n’existe pas. Une faculté qui m’est propre. Tu ne pourras pas en bénéficier, désolé. Et j’ai aimé ta mère, Ha-Joon, un grand nombre de fois… Quand les germes de ton être sont nés en elle, je l’ai ressenti immédiatement. Mais il m’était difficile de me montrer à toi sans que tu y sois préparé. D’autant qu’il y a eu un petit souci. Ton frère. J’ignore comment, ni pourquoi, mais il pouvait voir ma vraie apparence. Et un jour, alors qu’une nouvelle fois, j’avais envoyé ton père dans la dimension-prison, et m’apprêtais à honorer ta mère, il a joué les trouble-fête. J’ai dû sévir. Je l’ai tué, et j’ai fait passer sa mort comme le résultat d’un affrontement avec un gang, après avoir transporté son corps dans une petite ruelle.

 

 -  Quoi ? Vous… Vous avez tué mon frère ? Simplement parce qu’il vous voyait ? Alors, la douleur de ma mère, le fait qu’elle a failli sombrer dans la folie, c’est votre faute ? Vous êtes un …

 

 -  Un monstre ? C’est le mot que tu voulais employer ? Mmoui. C’est vrai. Mais je ne suis pas pire que tous les humains tuant pour le plaisir, sans raison aucune. Moi, j’ai fait ça pour protéger mon existence. Et ton frère menaçait tout ça…

 

Le roi se retournait, faisait quelque pas, ses horribles mains dans le dos, avant de se retourner, et se rapprocher à nouveau de moi.

 

 -  Ça, c’est pour ta naissance. Sache que j’ai suivi ton évolution toute ta vie. Je n’en ai pas manqué une miette. Et il y avait un autre problème qui s’annonçait… Tes amis… Quand l’époux de ta mère a décidé de venir au Japon, c’était une bonne chose, ça m’arrangeait. Sachant la réticence de ce peuple envers les coréens. Car on croit que les Yokaï n’officient qu’au Japon, mais c’est une idée reçue. Mes sujets sont partout dans le monde, nous n’avons pas de pays d’attache, mis à part notre monde d’origine, celui que tu vois actuellement.

 

Il stoppait son avancée, se plaçant face à moi.

 

 -  Le fait que tu sois mis à part, ça me laissait le champ libre pour me rapprocher de toi, dès que les signes de ton appartenance aux Yokaï se seraient manifestées. Isolé, il m’était plus aisé de m’incruster dans ta vie, sous une autre apparence, comme je l’ai fait avec ta mère. Ainsi, petit à petit, je t’aurais dit la vérité sur toi, je t’aurais fait accepter ce que tu étais, en te montrant les preuves de ta nature. Mais tu t’es fait des amis. Des amis sincères, et même une petite amie qui se rapprochait de plus en plus de toi. Je ne pouvais pas laisser faire ça…

 

 -  C’est pour ça qu’on est ici ? Pour me séparer de mes amis ? 

 

 -  Tu as tout compris. Un de mes Yokaï s’est arrangé pour que Masanori ait connaissance du circuit du train d’Halloween. Je parle du vrai circuit bien sûr. Un Yokaï qui, lui, peut agir sur les éléments naturels. Il a fait en sorte qu’un coup de vent fasse venir à lui un flyer du circuit, un peu avant Halloween. Je l’avais étudié lui aussi, et je savais qu’il ne manquerait pas d’avoir l’idée de faire le circuit avec ses amis chers. Après ça, il a suffi d’affréter ce train, superbe réplique d’un modèle humain, à la gare de Shibuya. C’était la plus logique, vu que je savais que vous alliez participer à la Halloween Pumpkin Parade d’Harajuku. Le brouillard, il est dû à un autre Yokaï, spécialiste de ce type de phénomène. Il s’en sert pour tuer ses proies, mais bon, ça c’est autre chose…

 

Il se rapprochait à nouveau vers moi, plus près, me fixant dans les yeux :

 

 -  Ainsi, ne voyant pas les détails du train, pas parfait, il faut l’avouer, vous êtes entrés. Autre chose : Halloween est très important pour nous, Yokaï. C’est le jour où nous pouvons rencontrer d’autres créatures d’autres dimensions : les fantômes, les Onryo, les Oni… Et ce jour-là, eh ben on fait la nouba. Comme vous les humains. Sauf que nos festivités sont un peu différentes des vôtres. 

 

 -  On a l’habitude de faire un petit rituel nécessitant de découper des humains. Non-consentants évidemment, sinon c’est moins drôle. Et tes amis vont servir à nous divertir cette année. On les met sur une petite esplanade, et tour à tout, chaque Yokaï, chaque Onryo, chaque Oni s’amuse à prélever un petit morceau d’eux. Bien sûr, il faut faire durer le plaisir. Alors, on commence par des parties non vitales, et on augment progressivement le degré de souffrance de nos « invités ». C’est très distrayant. 

 

 -  Ordure ! Je ne veux pas être comme vous ! Je refuse ! Rendez-moi mes amis !

 

 -  Ah, ça, c’est pas possible. La fête a déjà commencé. Tu n’entends pas ?

 

Et effectivement, j’entendais au loin des cris de terreur. J’entendais la voix de Masanari, d’Hideki… De Chiyo… Et je ne pouvais rien faire, j’étais toujours immobilisé, devant attendre le bon vouloir du roi des Yokaï de me libérer.

 

 -  Bon, c’est pas tout ça, mais ton rôle ici touche à sa fin. Ah, dernier détail : le monde des Yokaï est au cœur d’un immense Kekkai, un champ de force qui ne peut être ouvert que par l’un de nous, ou par l’intermédiaire d’un véhicule. En l’occurrence ce train. Quand il a quitté la gare de Shibuya, il a ouvert le Kekkai, se propulsant très rapidement dans ce monde. Ce que vous avez vu à travers les fenêtres du train en route, mais tu l’avais déjà compris, c’était déjà notre monde. Maintenant, tu vas retourner dans ce train, et le laisser te conduire dans le sens inverse. Tu vas retourner chez toi. Tu peux parler de tout ça si tu veux, aucune importance. Aucun humain ne te croira. Le jour viendra où on se reverra, où tu n’auras pas le choix que d’accepter ce que tu es. Mais en attendant, nous devons nous séparer. Je te dis à très bientôt Ha-Joon…

 

-  Attendez ! Je ferais ce que vous voudrez, mais libérez mes amis ! Libérez Chiyo… Je vous en prie… Ce sont mes seuls amis… Les seuls qui m’ont accepté au Japon… Sans eux, je serais seul…

 

Mais le roi des Yokaï fit mine de ne pas m’entendre, pendant que je voyais les mêmes créatures ayant emmenés mes amis apparaitre, sortant du sol, me soulevant et me faisant me diriger vers le train, où je fus littéralement jeté à l’intérieur. A peine à l’intérieur, les portes se fermèrent, et le train démarra aussitôt. J’étais en larmes, essayant de me persuader que tout ceci n’était qu’un rêve, un cauchemar même, et que j’allais me réveiller dans mon lit, riant d’avoir cru que tout ce que j’avais vécu était réel… Je me suis pincé plusieurs fois, mais je devais me rendre à l’évidence : ce n’était pas un rêve. Rien n’avait changé autour de moi, mis à part l’absence des passagers, ces Yokaï. J’étais le fils du roi… Mais je ne voulais pas de ce rôle… Je voulais que mes amis reviennent…

 

Le voyage du retour a été plus rapide que l’aller, et en un peu moins d’une heure, j’étais de retour à la gare de Shibuya. Je ne voulais pas descendre. Je voulais repartir là-bas, libérer mes amis, même si je ne savais pas comment faire, ni s’ils étaient encore en vie, si ce rituel horrible dont ils étaient le centre d’attractions était achevé, ou s’il était destiné à s’établir des heures durant, augmentant leur souffrance. En fin de compte, leur douleur, c’était à cause de moi qu’ils devaient la supporter. A cause de moi qu’ils sont montés dans ce train, à cause de moi. Parce qu’ils ont commis l’erreur d’être mes amis. J’ai fini par être jeté à l’extérieur. Le plancher s’est mis à s’onduler, se soulever, et me projeter à l’extérieur. L’action d’un autre Yokaï sans doute, chargé de veiller à ce que je quitte le train, et revienne à mon quotidien.

 

Une fois rentré chez moi, je me suis muré dans le silence. Mon père me demanda si ma soirée d’Halloween s’était bien passée, si Chiyo et moi on avait avancé dans notre relation. Je n’ai rien dit. Je suis monté dans ma chambre, je me suis allongé sur mon lit, et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Mon père a tenté d’en savoir la raison, j’ai été odieux avec lui, lui disant de se mêler de ses affaires. Ma mère a voulu prendre la suite, mais j’ai été tout aussi catégorique. Je voulais qu’on me laisse seul. Je me suis calmé peu à peu les jours suivants, conscient que je ne pourrais pas changer les choses. Des policiers sont venus me poser plein de questions sur Masanori, Hideki et Chiyo. Si je savais où ils se trouvaient, ce qu’on avait fait cette nuit-là… J’étais encore sous le choc. Je ne pouvais rien dire. Mes parents ont alors contacté des psychiatres, des médecins, et même un bonze, persuadé que j’avais été possédé par un esprit malin, expliquant mon état et mon comportement. 

 

J’ai fini par expliquer mon histoire. On m’a désigné comme psychologiquement en état de choc. Les corps de mes amis n’avaient pas été retrouvés, et la police pensait qu’ils avaient été enlevés par des fanatiques ayant profité de la nuit d’Halloween pour « faire leurs courses », sacrifiant mes amis au nom d’un culte quelconque, et que, sans qu’ils sachent pourquoi, ils m’avaient épargné. Le traumatisme de voir mes amis sacrifiés sous mes yeux ont causés le délire que j’avais expliqué aux différents médecins m’ayant parlé. J’ai fini par ne plus vouloir rien dire, vu que personne, pas même mes parents, ainsi que ma sœur, ne me croyaient pas, et pensaient que j’étais devenu fou. Ma sœur, qui était amie avec Chiyo, pense même que c’est moi qui l’ai tué, et que j’ai balancé son corps quelque part, avant d’être atteint d’amnésie. Elle pense que mon histoire est un mélange de faits réels auxquels j’ai rajouté des éléments fantastiques pour justifier les meurtres de mes amis. Car je ne parviens plus à faire la distinction entre mon imagination et la réalité. »

 

 -  Voila. Vous savez tout. Je vous ai dit tout ce qui s’est passé. Et j’espère ne plus être obligé de la dire. Je suis fatigué de tout ça… De toute façon, vous pensez sûrement comme les autres… Que je suis un fou, ayant oublié des actes horribles dont je suis peut-être responsable, ou l’ayant laissé faire par des complices. J’ai entendu des tas de théories différentes, j’en ai marre de dire qu’aucune n’est vraie, et que je dis la vérité… »

 

 -  Non, détrompe-toi, Ha-Joon. Je te l’ai dit. Je ne te jugerais pas. Ton histoire, moi j’y crois…

 

 -  Si vous vous moquez de moi, en faisant semblant de me croire, avant de dire à mon père que je devrais être enfermé rapidement, je vous préviens, je suis pas d’humeur…

 

 -  Non, Ha-Joon. Je te promets. Regarde-moi. Regarde mes yeux, et tu sauras que je ne te mens pas… Tu sauras QUI je suis, et pourquoi je te crois. Mais dis-moi, les pointes de tes bras, est-ce que tu veux que je commence à t’enseigner comment t’en servir, ou tu préfères attendre encore un peu ? Mon fils…

 

 

Publié par Fabs

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