6 oct. 2023

DANS LA TETE D'UNE TUEUSE (Challenge Halloween/Jour 6)

 

 


La curiosité, le désir de vouloir être au plus près de la vérité, d’en connaître les moindres détails, afin de la disséquer, l’analyser et la diffuser au travers d’une vidéo qu’on espère faire le plus de buzz possible, c’est l’apanage de n’importe quel créateur de contenu spécialisé dans le TrueCrime. Et avoir l’occasion de vivre de l’intérieur, et ce mot n’est pas utilisé au hasard, le mode opératoire d’un tueur, comprendre sa méthode de « travail », sa psychologie, ses rituels, c’est ça qui fait partie du quotidien de cette catégorie de Youtubeurs dont je fais partie. Enfin, je devrais dire dont je FAISAIS partie. Car à l’heure où vous verrez cet ultime vidéo de ma part sur ma chaine, dès l’instant que vous verrez les dernières secondes, que vous vous enflammerez pour mon destin futur, et, là encore, j’use de cette image dans un but bien précis que vous serez à même de comprendre par la suite, je ne serais plus là.

 

J’aurais sans doute atteint mon objectif premier, celui d’obtenir une consécration pour ma chaîne, un pic d’audience que je pensais inaccessible, car étant ancrée dans un créneau où la concurrence fait rage, et où il est difficile de se démarquer, mais je ne pourrais pas profiter de cette notoriété soudaine. Ce ne sera pas du fait d’un caprice car je viserais d’autres horizons plus prestigieux encore que la simple lucarne d’un téléphone, d’une tablette ou d’un PC. Non, rien de tel, même si j’aurais aimée goûter à cette gloire. Mais parce qu’il m’était impossible de continuer après la découverte que j’ai faite. Je m’excuse par avance pour tous ceux et celles qui m’ont suivies jusque-là : mes abonnés, mes fans les plus fidèles, mes amis, mes proches. Je sais que beaucoup d’entre vous ne comprendront peut-être pas mon geste une fois que vous vu la fin de cette vidéo. Vous pleurerez certainement, et j’en suis désolé, mais je ne voyais pas d’autre solution pour mettre fin au cauchemar que j’ai provoquée…

 

Nombre d’entre vous me connaissent depuis de longues années, parfois intimement, ou de manière plus discrète, par le biais de mails ou d’échanges écrits à travers les réseaux sociaux. Pour tous les autres qui me découvrez avec cette vidéo parce qu’elle vous aura été partagée, je me présente : je me nomme Audrey Darshold, et ceci est mon histoire. La vidéo et le témoignage qui vont suivre, ce n’est pas un « coup » marketing pour profiter de cette semaine d’Halloween, être dans « l’ambiance » ou toute autre pensée que vous pourriez penser, une fois visionné le contenu. Ceux et celles qui savent comment je fonctionne, qui ont l’habitude de mon mode de pensée sauront affirmer que ce n'est pas mon style. Oui, je cherche à percer à tout prix, comme n’importe quel vidéaste, mais jouer sur le côté commercial d’une fête populaire pour installer mon empreinte, ça ne m’a jamais intéressée.

 

Moi, ce que je cherchais avant tout, et ce depuis mes débuts, c’est briller par ma capacité à attirer les auditeurs par la crédibilité, la qualité, le soin apporté aux vidéos de ma chaine avant toute chose. Je laissais aux autres adeptes habituels l’utilisation de ces périodes fastes pour se faire voir. Non, si cette vidéo tombe sur la semaine d’Halloween, c’est un pur hasard et rien d’autre. Et aussi parce qu’une expérience singulière de ma part a fait que le sujet que je traitais concernait une criminelle ayant la particularité de tuer cette même semaine en laissant une carte de visite estampillée aux couleurs de cette fête. Mais entrons dans le cœur du sujet. Ma chaine YouTube a été créée en 2015. Très vite, la rigueur des mes vidéos sur le thème du TrueCrime a été hautement apprécié, et je recevais souvent des sponsorings venant de chaines de télévision, de radio ou d’auteurs spécialisés dans les faits divers criminels. Une gloire montante qui me donnait l’obligation de me dépasser chaque fois un peu plus, voulant pousser toujours plus loin la précision dans les détails sordides, ou des indices ayant échappés aux enquêteurs les plus aguerris. D’ailleurs, certaines de mes vidéos, sur lesquelles je m’interrogeais de l’absence de prise en compte d’éléments qui aurait pu tout changer dans le déroulement d’affaires, ont permis de relancer des procès, en m’invitant à témoigner sur ce que j’avais découvert.

 

Une notoriété grandissante me dépassant parfois, et mon petit appartement à Chicago est vite devenu trop petit pour pouvoir exercer ce que je considérais comme un travail à part entière, même si ce n’était pas l’avis de mes parents, voyant d’un mauvais œil le plaisir coupable de parler de meurtres tous plus horribles les uns que les autres. J’avais besoin de plus d’espace, disposer d’une chambre noire, d’une pièce entièrement dédiée à mes bases de recherches : livres, vidéos, preuves récoltées ça et là par des témoins « oubliés » par les enquêtes officielles de faits célèbres ou moins connus. C’était devenu une nécessité pour pouvoir bénéficier d’un vrai confort en termes de travail. Ainsi qu’un vrai bureau pour mon ordinateur et mes différents supports informatiques utiles à ce que je considérais comme un art à part entière. J’ai donc épluché une à une les petites annonces, et j’ai fini par dégotter la perle rare. Une maison au cœur de Detroit dans le Michigan.

 

Cela me faisait quitter mon Illinois natal, mais cela en valait la peine si je voulais continuer de monter et offrir toujours plus de qualité pour mes investigations, car je mettais un point d’honneur à voyager et me rendre sur les lieux des faits que je traitais lorsque cela s’imposait, et c’est cette maniaquerie que mes abonnés et mes followers appréciait hautement. La maison ne payait pas de mine vue de l’extérieur, mais ce n’était pas ce qui m’avait intéressé dans l’annonce du journal où elle était présentée. L’intérieur était très spacieux, et surtout, la demeure avait un style ancien qui m’avait tout de suite fait flasher. Quand j’ai rencontré l’agent immobilier chargé de me faire visiter, il a été très franc sur le passé sombre de ma future acquisition, ce que j’ai beaucoup appréciée. Un passé qui m’a encore plus incitée à l’acheter et en faire mon nouveau terrain de travail. Bien que rénovée au fil des années, évoluant et se bonifiant, la maison datait du siècle dernier, plus précisément de 1936, et avait abrité une femme qui avait été soupçonné de plusieurs meurtres d’enfant, sans qu’aucune preuve n’ai pu la faire accuser et envoyée devant un tribunal. Durant 4 ans, de nombreux meurtres d’enfants ont eu lieu dans le périmètre de cette maison, et plusieurs témoins affirmèrent avoir vu cette femme, April Northburn, avoir été en contact avec les futures petites victimes.

 

 Leur parlant, leur offrant des bonbons, au sein du parc public proche, avant que les parents constatent la disparition soudaine de leurs bambins, sans pour autant que quelqu’un ait pu voir April emmener avec elle les enfants. Des perquisitions ont été faites chez elles, mais aucun élément pouvant indiquer qu’elle ait pu avoir un rapport avec les meurtres n’a pu être établi. Les enfants avaient été découverts dans des lieux divers et peu fréquentés de l’immense parc, le corps éviscéré, les poumons retirés et disposés dans les mains, la paume ouverte, une pièce de 25 cents disposés sur chaque œil, et une carte de visite comportant une citrouille noire et orange sur le dessus du corps. Il n’y avait pas de traces d’empreintes digitales sur les victimes. Ni sur les cadavres, ni sur les éléments de ce qui semblait manifestement être un rituel : les pièces et la carte de visite.

 

 La police devait faire face à un dilemme : satisfaire la population désireuse d’avoir un coupable, qui demeurait insaisissable, tout en ne s’attirant pas les foudres de la haute société dont faisait partie April Northburn, et qui s’offusquait qu’on puisse croire à sa culpabilité. La jeune femme était très estimée, et apportait son aide financière à de nombreuses œuvres de charité en plus de cela, et était une amie proche du maire de la ville. L’accuser à tort, sans la moindre preuve, c’était se risquer à un scandale politique et économique de grande ampleur, pouvant faire couper les subventions de la police distribué par la mairie. Un risque que le Chef des forces de l’ordre de la ville n’était pas prêt à prendre. Pour montrer sa bonne foi, il avait accédé à la requête des familles d’opérer à deux perquisitions, à deux années d’intervalle, mais avais refusé d’en faire d’autres, malgré les demandes insistantes des pères ou des mères endeuillées, persuadés qu’April était en cause. Le maire fut même accusé de complaisance envers une meurtrière, et il dut intervenir en personne à la radio et à la télévision pour faire taire les rumeurs, et demander à ce qu’on laisse April tranquille, se montrant outré qu’on continue à ternir la réputation et l’honneur d’une amie de son épouse, et qui plus est, une philanthrope de renom envers les nécessiteux.

 

Finalement, bien que le nom d’April Northburn continuât d’alimenter en secret les conversations, celle-ci ne fut plus inquiétée, et les meurtres cessèrent lors de la fin de la semaine d’Halloween 1941, après 4 ans de crimes monstrueux sur des enfants de toutes classes sociales, perpétrées uniquement lors des 6 jours précédant la fête d’Halloween. Je trouvais l’histoire d’April fascinante. Aussi bien pour la personnalité de cette dernière, et son caractère intouchable du fait de la protection dont elle bénéficiait par le maire de l’époque, que par le côté troublant de sa présence auprès des futures victimes les instants précédents la découverte des meurtres, très souvent par les parents eux-mêmes. J’espérais que l’aura d’April au sein de cette maison m’apporterait toute l’ambiance dont j’avais besoin pour trouver l’inspiration pour les recherches de mes futurs sujets d’enquêtes. J’ai donc acheté la maison sans hésiter, et je savais déjà sur qui porterait ma prochaine vidéo. April Northburn bien sûr, et le secret, la suspicion qu’il y avait autour d’elle en tant que « Sorcière tueuse d’Halloween », le nom donné par la presse, relayant la conviction des familles qu’April était la meurtrière, et qu’elle usait de maléfices pour ensorceler ceux qui la défendait, pour masquer ses crimes.

 

Plusieurs fois, le maire avait demandé que la Presse change le nom du meurtrier d’enfants, y voyant une allusion directe à l’amie de sa femme, mais il n’avait pas le pouvoir de changer une opinion partagée par nombre de lecteurs et de familles. Une fois installée et rapatriées toutes mes petites affaires de mon ancien appartement de Chicago, j’ai commencé à éplucher soigneusement tout ce qui concernait April, méticuleusement. J’ai même été à la Bibliothèque de la ville pour consulter les archives ayant relayé l’affaire durant les 4 ans, ainsi que les rapports de police d’époque, usant de mes relations auprès de la police de Chicago, qui s’arrangea pour persuader leurs collègues de Detroit de me laisser accès à ces documents. Je pus donc les consulter sur place, sous surveillance d’un agent. Je ne pouvais pas les photographier, ni en faire des photocopies, ce que je comprenais. Je devais donc profiter de ces séances autorisées pour rédiger mes articles sur papier. Seul matériel que je pouvais utiliser. Mon portable et mon dictaphone m’étaient confisquées avant toute entrée dans la salle qui m’avait été allouée pour lire les rapports, puis rendus en sortant.

 

Le reste du temps, j’effectuais mes recherches sur place dans mon bureau, commandant des livres ayant parlé de l’affaire, ou d’autres documents, même ceux n’ayant qu’évoqué les meurtres ou April Northburn. Je me rendais compte que je devenais obsédé par April, et plus je récoltais des bribes d’information, plus je voulais obtenir des informations sur ses habitudes, ses relations, n’importe quel détail pouvant m’aiguiller sur le fait qu’elle était bien la « Sorcière Tueuse d’Halloween ». Je ne croyais pas aux maléfices dont on l’accusait, mais restait persuadée que c’était une très habile manipulatrice d’esprits, pour avoir pu mettre dans sa poche autant de personnalités de la ville. Je m’interrogeais cependant sur la méthode qu’elle avait pu employer pour entraîner les enfants à l’écart de leurs parents sans que ceux-ci s’en aperçoivent, et les tuer sans qu’un seul cri n’ait été poussé de leur part, qui aurait pu dévoiler sa culpabilité. Et tout ça sans un seul témoin imprévu ne serait-ce qu’une fois. Un élément qui aurait pu la faire basculer. C’était très intriguant.

 

Au cours de mes recherches, j’ai découvert qu’April avait quitté Detroit et sa maison subitement, en janvier 1942. Elle est décédée en avril 1943 d’une pneumonie. Chose curieuse : la bague qu’elle arborait continuellement à son majeur semble avoir disparu dès lors qu’elle a quitté Detroit et sa demeure. Mon intuition me disait que cette bague avait sans doute un rapport avec sa possible faculté de manipuler les esprits au même titre qu’un mentaliste moderne, et peut-être un semblant d’explication sur le fait qu’elle jouait un rôle sur les meurtres. Je ne croyais pas au surnaturel, mais néanmoins je me demandais s’il serait possible que cette bague fût capable de peut-être masquer ses actions quand elle tuait les enfants. Quand au fait que les enfants la suivaient à l’insu de leurs parents, elle devait user de la même méthode que pour le maire, son épouse et toutes les personnes l’ayant toujours défendu. Trouver cette bague m’apporterait sans doute des réponses.

 

Je me suis mise à fouiller la maison de fond en comble, ce que je n’avais pas vraiment pris le temps de faire jusqu’à présent. Cela m’a pris du temps, mais je suis finalement tombé sur une pièce qui m’avait échappé, située entre le grand salon et la chambre, dont l’entrée n’était accessible que par la chambre. Une sorte d’espace caché, expliquant le grand écart des portes dans le couloir entre les deux pièces qui m’avait un peu intriguée, je dois l’avouer, mais sans que j’y prête plus attention. C’est d’ailleurs par hasard que j’ai trouvé l’entrée, en appuyant la main sur une des lampes au mur, ce qui a déclenché l’ouverture de cette porte secrète. A l’intérieur, je me retrouvais dans une sorte de long couloir, composé d’un petit meuble à l’une des extrémités, et de tableaux exposés sur les murs, des enfants… J’avais lu qu’April était également une passionnée de peinture. Ce qui voulait dire qu’il y avait de grandes chances que c’était elle qui avait peint ces œuvres. Et l’idée qu’elle avait immortalisée les visages et les corps de ses victimes m’est immédiatement venu en tête…

 

On dénombrait 16 victimes des supposés meurtres de la « Sorcière Tueuse d’Halloween ». Le même nombre de tableaux figuraient de part et d’autre sur les murs. Sur une petite étagère sur le mur, je trouvais un coffret rempli de pièces de 25 cents, et sur le meuble du fond, il y avait plusieurs cartes de visite comportant la fameuse citrouille noire et orange. La « marque de passage » de la meurtrière, tel que c’était révélé sur les rapports de police et les coupures de presse que j’avais lu. Il n’y avait plus aucun doute : cet « antre », bien que réduit, c’était la preuve qu’April Northburn était bien la tueuse que nombre de familles soupçonnait. Et il y avait autre chose : dans un petit tiroir du meuble se trouvait la fameuse bague… Une bague fascinante. Intégralement en fer forgé, sertie de pierres vertes et mauves autour d’un joyau central. En l’examinant, je constatais que ce dernier s’ouvrait, et cachait un petit mécanisme où figurait de minuscules aiguilles, sortant par des orifices situés sur le côté du joyau.

 

April n’était sans doute pas une sorcière, mais une créatrice de génie, c’était certain. Je supposais que les aiguilles, trempées dans un quelconque produit permettant de droguer ses cibles, lui donnait le pouvoir de les manipuler ensuite facilement. Ce qui confortait l’idée qu’elle était une sorte de mentaliste, bien avant que ce terme désigne cette catégorie de personnes. Le maire, son épouse, les enfants, tout ceux l’ayant défendu bec et ongles, tous avaient dû avoir droit à ce traitement. Je ne trouvais pas de trace de la drogue lui ayant servi, ce qui pouvait être l’explication de l’arrêt de ses activités. Il y avait un petit récipient dans un autre tiroir. Il était vide, mais je supposais que c’est là que se trouvait la drogue auparavant. April devait fabriquer cette drogue à partir de plantes vraisemblablement. La présence également d’un petit appareillage pour écraser tel qu’en utilise les herboristes se trouvait dans une petite niche au-dessus du meuble. A partir de tous ces éléments, il était aisé de deviner qu’à cours de matière première pour fabriquer sa drogue, et n’ayant plus de possibilité de pouvoir contrôler ses « marionnettes », April a eu peur que ces dernières finissent par comprendre qu’elles avaient été manipulées, pouvant mettre fin à son activité de meurtrière.

 

Ça expliquait son départ soudain de Detroit, et le fait qu’elle ait laissé la bague ici. Je ne sais pas trop la raison, mais après avoir refermé le joyau du centre de la bague, j’ai eu l’envie de mettre le bijou au doigt. Juste pour me sentir plus proche d’April, ou peut-être ressentir son aura, je ne saurais dire exactement. J’ai tenté de résister à cette tentation, mais ce fut plus fort que moi. C’était comme si une petite voix m’incitait à le faire. Alors je l’ai placé à mon majeur droit, au même endroit qu’April la mettait, et c’est véritablement là que tout a commencé. A peine avais-je mis la bague au doigt, que je fus pris de vertige, mes yeux se fermaient, et j’avais du mal à tenir debout. En quelques secondes, je m’agenouillais, avant de m’évanouir au sol. C’est difficile d’exprimer ce qui s’est passé ensuite, mais j’avais l’impression d’être dans une sorte de rêve. Je n’étais plus dans la pièce, mais dans une sorte de couloir étrange.

 

Les murs ressemblaient à de la peau humaine. Je sais que ça peut paraitre aberrant, mais en les touchant, ma première impression visuelle se confirma. Le sol lui-même était flasque et rugueux en même temps. Comme l’aspérité d’une langue humaine, aussi fantastique que puisse être cette idée. Et devant moi, je voyais deux grands orifices ronds. Poussée par la curiosité, je m’en suis approchée, et regardé à travers ce qui me faisait penser à des sortes de miroirs faits d’une matière étrange. On aurait dit la même substance composant l’iris d’un œil. Mais le plus délirant fut quand je regardais à travers ces curieux miroirs, et qui me terrifia la première fois. Je voyais deux mains, dont l’une était recouverte de la même bague que j’avais enfilé, et m’avais valu de faire ce rêve bizarre. Les bras étaient recouverts de manches d’une étoffe ressemblant à celles utilisées pour les habits des années 30. Aussi aberrant que ça pouvait être, je craignais de comprendre. Ces mains… C’étaient celles d’April, j’en étais sûre !

 

Ce qui voulait dire que l’endroit où je me trouvais, cet environnement très étrange… J’étais… J’étais dans la tête d’April Northburn !  Je voulais me persuader que ce rêve était le résultat de l’absorption d’un résidu de drogue emplissant l’air de la pièce où j’avais trouvé tout le matériel d’April. Mais je savais que ce n’en était rien. Et ce qui suivit me convainquit que ce que je vivais était bien plus réel que je ne voulais le croire. Les mains tenaient au sol le corps d’un enfant. Je reconnaissais son visage, pour l’avoir vu sur un des tableaux de la pièce secrète. C’était l’un des enfants victime d’April. Il avait les yeux ouverts et j’entendais une voix doucereuse :

 

 -  N’aie pas peur. Tu vas juste voyager dans un monde merveilleux où tu ne connaitras plus la peur. Tu ne subiras plus de reproches de la part de tes parents tentant de briser tes rêves. Tu seras libre. Et là où je t’emmène, tu pourras vivre intensément toutes tes passions d’enfants. Même les plus folles. Fais-moi confiance : je vais faire de toi un ange débarrassé de toutes tes interrogations humaines, et de ce qui fais de toi une vile créature terrestre….

 

L’instant d’après, je voyais l’une des mains disparaitre de ma vue, avant de ressortir avec un couteau ressemblant à celui que les bouchers utilisent pour désosser la viande. La lame se planta délicatement dans le corps du petit, l’ouvrant, sortant ses poumons. Je criais :

 

 -  Arrêtez ! Laissez cet enfant !

 

April s’arrêta un instant, comme si elle avait entendu mes cris. Me rendant compte de mon erreur, je mettais mes mains sur ma bouche. Je ne pouvais pas la voir, mais je devinais le sourire d’April.

 

 -  Tiens donc… Quelqu’un a mis ma bague à une autre époque que la mienne j’ai l’impression… Qui que tu sois dans ma tête, tu sais donc ce que j’ai fait… Nous sommes désormais liées par cette bague… Tu pourras assister aux libérations de ces petits êtres… Car oui, je les libère de cette vie imposée par leurs parents… Comme moi je l’ai vécue… Tu dois connaitre mon histoire, vu que tu te trouve chez moi en cet instant. Tu crois que j’ai toujours voulu cette vie de privilège ? Détrompe-toi : je n’en ai jamais voulu. On me l’a imposée, et je l’ai toujours détestée. Mes parents ont cru me sauver en me vendant à un couple riche qui ne pouvait avoir d’enfants. J’ai souffert d’une éducation stricte, j’étais battue quand je ne faisais pas les choses comme il fallait. Tout ça à cause de mes parents qui m’ont abandonné aux mains de ces bourreaux qu’on appelle riches. J’ai juré de libérer tout ceux qui subiraient la même chose. Ces enfants qui n’ont pas demandé à ce qu’on brise leur enfance en leur imposant des cours de piano, de maintien, de mathématiques compliquées. Je suis leur ange libérateur…

 

Elle continuait à parler en même temps qu’elle découpait ce pauvre gosse, plaçant ses poumons sortis de son corps dans la paume des mains. Sa main se déroba à nouveau à mes yeux, et revenait avec deux pièces de 25 cents, qu’elle posait sur les yeux…

 

 -  Tu te demandes pourquoi ce rituel, je parie, toi l’inconnue dans ma tête ? Je vais t’expliquer. Les pièces de 25 cents, c’est parce que c’est avec ce type de récompenses que j’ai été vendue par mes parents. Autant de pièces qu’il en faut pour couvrir les poumons. Ces mêmes poumons qui remplissent le rôle de permettre de respirer. En les enlevant, en les posant sur les mains, je permets à cet air de devenir des ailes pour que les enfants s’envolent vers les cieux, et devenir des anges. Je cache leurs yeux pour qu’ils ne soient pas tentés de revoir le sol terrestre lors de leur envol. Poétique non ?

 

J’étais horrifiée. Je ne trouvais même pas les mots pour dire quoi que ce soit. Maintenant mes mains sur ma bouche, je me retournais, et fuyait dans la direction opposée des miroirs, enfin des yeux. Retournant de là d’où je venais. Tout en courant, j’entendais la voix d’April derrière moi :

 

 -  Ha, HA, Ha ! Tu fuis ? Tu t’habitueras à ce que tu viens de voir. Tu voudras en voir plus pour comprendre mieux. Je sais que tu reviendras. Et je me réjouis d’avoir une spectatrice privilégiée. Je sais que tu es une femme. Je l’ai entendu à ta voix, et ça me plait. Qui sait ? Peut-être que tu aimeras tellement ça que tu en viendras à vouloir essayer à ton tour, à ton époque…

 

J’enlevais mes mains de ma bouche, et les mettais sur mes oreilles. Je ne voulais plus entendre sa voix. Je fermais les yeux, et l’instant d’après, je me réveillais dans la pièce. J’avais du mal à croire ce à quoi je venais d’assister. C’était tellement… Horrible. Comment une telle chose pouvait se produire ? Impossible que les vapeurs d’une drogue, quelle qu’elle soit, ait pu provoquer un tel réalisme. J’ai senti l’odeur émanant du corps de l’enfant, l’odeur de son sang, et celle du parfum d’April. Je ne pouvais plus m’enlever ces images de la tête. Je quittais la pièce en courant, refermais derrière moi et me jetais littéralement sur le lit, face contre les draps, mettant l’oreiller sur mon crâne, espérant que cela ferait fuir ces horribles visions. C’est là que j’ai eu l’idée d’enlever la bague. C’est quand je l’ai mis à mon doigt que je me suis retrouvé dans la tête d’April. De plus, cette dernière a clairement évoqué le fait que nous étions liées par cette bague. C’était la clé.

 

Les jours suivants, bien qu’ayant enlevé cette bague et ne voyant plus ces visions en moi, je ne pouvais m’empêcher de penser au pouvoir de cette bague, de ce lien unique avec une vraie meurtrière. Cela me révulsait, mais en même temps m’attirait. Jamais je n’aurais de meilleure occasion de récolter des informations d’une vraie tueuse, dont la culpabilité n’a jamais pu être prouvé qui plus est. Ce serait un coup de pub énorme pour ma chaine. J’étais partagée entre ce désir d’offrir à mes abonnés la possibilité de renseignements que j’étais la seule à avoir les preuves qu’April Northburn était bel et bien la « Sorcière Tueuse d’Halloween ». Je pourrais donner des détails sur sa manière d’opérer, étape après étape. Je me répugnais moi-même d’avoir cette idée, mais très vite mon cœur de passionnée des mystères de crimes irrésolus fut plus fort que celui de femme révoltée par ce que j’avais vue.

 

La passion morbide développée ces dernières semaines pour April Northburn, cette malaisance à vouloir en savoir plus sur ces meurtres de plus près que n’importe quel enquêteur n’en aurait jamais, c’était trop tentant pour la conteuse de TrueCrime que j’étais. Je sais que la raison aurait voulu que je jette cette bague à ce moment-là. J’aurais dû m’en tenir aux autres preuves de la pièce secrète. Le récipient ayant contenu le poison, les tableaux, et des photos extérieures et intérieures de la fameuse bague. Mais c’était plus fort que moi : je devais obtenir d’autres confidences d’April. Je savais qu’elle serait ravie de m’en dire plus sur son histoire. Mais pour ça, je savais qu’il y aurait un prix. Je devinais qu’elle m’imposerait d’assister à d’autres meurtres, à chaque fois que j’enfilerais cette bague et me retrouverais donc ainsi dans sa tête, si je voulais avoir des infos plus précises sur elle. J’ai cogité plusieurs jours, et finalement, je me suis décidée. Un soir, je pris la peine de m’installer confortablement, allongée sur le lit, et j’ai enfilé la bague… J’ai arpenté à nouveau ce long couloir qui constituait l’intérieur de la tête d’April, jusqu’à arriver à ses yeux. Elle a immédiatement su que j’étais là…

 

-  Mais qui voilà… Ma petite spectatrice… Je t’avais bien dit que tu reviendrais…

 

 -  Ne vous faites pas d’illusion : si je suis à nouveau là, c’est pour avoir plus d’informations sur vous, votre histoire, ce que vous avez vécu, votre manière de contrôler les gens grâce à votre drogue… Voir les meurtres en direct ne m’intéressent pas…

 

 -  Tiens donc… Tu sais donc pour la drogue ? Bien… Je vois que j’ai affaire à une experte… Tu me plais de plus en plus… Je suis sûre qu’on va finir par bien s’entendre toutes les deux. Mais dis-moi : comment t’appelles-tu ? Toi, tu me connais, mais je ne sais rien de toi. Faisons un deal : je t’en dis plus sur moi, mais tu seras obligée d’assister aux meurtres, afin de te faire une meilleure idée. Et toi, tu fais de même avec moi : je veux tout savoir de toi et de ton époque…

 

Je m’attendais à ce qu’elle me demande d’assister aux meurtres, je m’y étais préparée. En revanche, parler de moi, discuter avec elle comme si c’était une confidente, une amie… Mais je savais que je n’aurais pas le choix si je voulais pouvoir offrir une vidéo exceptionnelle à mes abonnés. « Tout ce que vous vouliez savoir sur la Sorcière Tueuse d’Halloween ». J’étais revenue de mon plein gré dans sa tête. Je ne pouvais plus me défiler dorénavant. April avait raison : je voulais en savoir plus, beaucoup plus. Si pour cela je devais me mettre à nu, je me devais de l’accepter, quoi qu’il m’en coûte. Après tout, ça resterait entre elle et moi. Personne ne saurait que j’ai conversé directement avec April Northburn. De toute façon, personne ne croirait un truc aussi invraisemblable en dehors de moi qui le vivait…

 

 -  Très bien. J’accepte le deal. Je m’appelle Audrey. Audrey Darshold…

 

 -  Enchantée, Audrey… Eh bien pourquoi attendre ? Commençons par un petit meurtre pour nous mettre en bouche. Ensuite tu me parleras de toi et de comment tu vis dans ton époque. Après seulement, je te donnerais d’autres détails sur mon enfance, et comment j’en suis arrivé à transformer en ange des enfants…

 

Je me détestais à cet instant, mais j’ai pris une grande respiration, donné mon accord, et ainsi commençait notre « collaboration ». S’ensuivit plusieurs soirées lors de ce mois d’Halloween où j’entrais dans la tête d’April, discutant avec elle en même temps qu’elle en découvrait plus sur moi et ce qui constituait notre époque, tout en assistant à ses meurtres. Comme je n’avais pas de carnet de notes ou de dictaphone à disposition dans ce « monde », je devais faire confiance à ma mémoire pour tout enregistrer mentalement, pour tout retranscrire une fois réveillée, après m’être redirigée à l’opposé des yeux d’April et refermé les yeux. Un rituel devenu habituel pour me retrouver sur mon lit, au présent. Je pense que le fait de m’imprégner mentalement, en retenant de mémoire tout ce que me disait April sur elle, c’est ça qui été le déclencheur de la suite.

 

Cette dernière prenait un malin plaisir à ne m’épargner aucun détail, s’appliquant à être d’une précision diabolique, aussi bien dans sa vie, que pour les meurtres. J’avais lu déjà les éléments des rapports de police venant des archives, et je m’aperçus vite qu’April, profitant d’avoir la spectatrice que j’étais, rajoutais du « nouveau » rien que pour moi, rien que pour m’offrir de l’inédit. Elle ne se contentait plus de placer les poumons dans les mains des enfants. Elle creusait les avant-bras, pour y insérer l’extrémité des organes. Idem pour les yeux. La méthode de la Sorcière Tueuse d’Halloween était de juste disposer les pièces de 25 cents sur les yeux. Elle se mit à énucléer les enfants et enfoncer les pièces dans les orifices. Parfois, elle s’affairait aux yeux en premier, alors que l’enfant était encore en vie à ce moment, et s’occupant du reste après…

 

Mais ce n’était pas ce qui m’horrifiait le plus : je m’habituais à cette farandole de morts toutes aussi horribles et sanglantes les unes que les autres. Je ne dirais pas que j’y prenais plaisir, loin de là, mais je ne ressentais plus d’émotion à leurs visions. C’était comme si je regardais un épisode de « Nip/Tuck » sans trucages, ni maquillages. A dire vrai, cela me terrifiait encore plus que les révélations d’April sur ses méthodes et les détails de son enfance. En fait, elle n’avait rien d’une sorcière. C’était juste une tueuse monstrueusement précise et diabolique, ne laissant rien au hasard. Que ce soit sa technique pour attirer les enfants, après les avoir « appâtés » à coup de friandises, jusqu’aux endroits bien spécifiques où elle savait que personne ne venait. 

 

Et si elle sentait la venue de quelqu’un pouvant la surprendre, jouant sur son ouïe très développée, elle changeait immédiatement d’endroit pour emmener sa jeune victime dans un autre lieu « sécurisé », ou masquer sa présence avec le corps en usant de branchages préalablement disposés à cet usage sur ses différents théâtres de meurtres du parc. Ce n’était pas une tueuse ordinaire : c’était une stratège. Mais un jour, j’ai senti que les petits changements dont elle me faisait « honneur » avait atteint un autre stade. Elle a attiré un enfant qui ne figurait pas sur ses tableaux. Il ne faisait pas partie des 16 victimes répertoriées par la police. J’ai tenté d’empêcher April, mais ma position faisait que je ne pouvais pas crier pour avertir quelqu’un. Je n’étais qu’une « voix » pour April, une spectatrice sans pouvoir sur ses actions. Et ma présence, je le découvrais, était en train de modifier le passé tel qu’il était relaté dans les livres et les rapports de police de notre époque.

 

Quand elle a commencé à ouvrir le ventre de cette nouvelle victime, une petite fille de 9 ans, j’ai compris que je ne pourrais pas l’arrêter, et j’ai entrepris le rituel de « sortie », espérant que cela suffirait à ce que le meurtre n’ait pas lieu. Mais quand je me suis réveillé dans notre époque, j’ai compris que j’avais échoué : les livres parlant de la Sorcière tueuse d’Halloween relatait un 17ème meurtre… J’étais anéantie, j’ai hurlé de désespoir. Folle de rage, j’ai enlevé la bague, me suis rendu dans la cuisine, et j’ai entrepris de détruire la bague avec tout ce que je pouvais trouver sur place pour l’écrabouiller. Je n’étais pas sûr de pouvoir le faire, ne connaissant pas l’origine de cette bague, comment April l’avait obtenue, et pourquoi elle permettait ce lien entre nous une fois mise à mon doigt. C’est la seule chose sur laquelle elle n’a jamais voulu révéler quoi que ce soit. Mais finalement, ce n’était qu’une bague comme les autres. J’en venais à me demander si j’avais vraiment vécu tout ça. Si toutes ces journées où je me baladais dans la tête d’April n’avaient pas été créées de toute pièces par mon cerveau, à force de lire des précisions sur les meurtres des enfants. Cela me faisait peur, car si mes conversations avec April étaient issues de mon imagination morbide, comment pouvais-je être au courant de certains détails que je n’avais vu nulle part sur les rapports de police ?

 

On était 10 jours avant Halloween. Je n’étais même plus sûr de vouloir faire cette vidéo sur April, tellement tout ça m’avait retourné le cerveau. J’ai passé plusieurs jours à ne plus trop savoir quoi faire de mes journées. Je passais le plus clair de mon temps à me gaver de tranquillisants pour calmer mes angoisses. Surdosant les posologies de base, pensant que cela me ferait fuir les souvenirs des meurtres qui ne me quittaient pas. C’était un autre élément consécutif au lien avec April. Auparavant, le fait de quitter la bague, je me rappelais des conversations, mais les images des meurtres s’effaçaient de ma mémoire au bout d’une ou deux heures, sans que j’en sache là aussi la raison. Mais tout ceci était tellement fantastique dès le départ, que ça ou autre chose, je n’étais plus vraiment surprise de rien. Mais depuis que j’avais détruit la bague, les images me restaient en tête, refusant de partir.

 

J’avais beau doubler les doses de tranquillisants, rajoutant parfois d’autres médicaments, me comportant comme une vraie droguée, je continuais de voir les corps éventrés des enfants, leurs organes à l’air, les yeux énucléés qu’April mettait ensuite dans sa poche. Ça ne me quittait plus. Autre chose se déclencha ensuite : plusieurs fois, j’ai aperçu une silhouette sombre passer dans le couloir lorsque je m’allongeais dans ma chambre, ou quand j’étais dans un état second dans la cuisine, dans mon bureau ou d’autres pièces. J’entendais un rire aussi. Un rire moqueur, semblant s’adresser à moi, me narguant. Je n’ai pas immédiatement pensé à April. Je pensais tout simplement qu’un intrus s’était faufilé chez moi, et, pour une raison que j’ignorais, s’amusait à me faire peur. J’ai contacté la police à deux reprises après avoir constaté cette « présence ». Mais les agents n’ont rien trouvé. Et surtout, à la deuxième visite de leur part, l’un d’eux a vu les boites de tranquillisants en grande quantité, vides pour la plupart, étalées sur la table de la cuisine. J’ai vu le regard du policier, et je m’attendais presque à ce qu’il me dise de le suivre au poste, ou pour m’emmener directement dans un centre de désintoxication. Mais il s’est contenté de dire :

 

 -  Ne nous contactez plus mademoiselle. Si je peux vous donner un conseil, vous devriez prendre rendez-vous rapidement avec un médecin ou un psychiatre. Ils seront plus compétents pour traiter vos « intrus » …

 

Je n’ai rien dit, hochant la tête. J’avais compris le message. Ils me prenaient pour une junkie qui leur faisait perdre leur temps, et qui aurait plus sa place auprès de blouses blanches. Je ne les ai jamais rappelés. La police partie, j’avais besoin de me détendre absolument. J’ai allumé la télévision, zappant entre les programmes pour trouver un truc drôle qui me ferait mettre de côté toute cette folie s’étant emparé de moi, quand je suis tombé sur un reportage parlant d’un meurtre d’enfant découvert dans le parc d’à côté. Le même parc où April Northburn officiait de 1938 à 1941, laissant sur place ses victimes, et faisant plonger dans le désespoir leurs parents. J’ai cru que j’allais péter un plomb. Voulant vérifier que ce n’était pas encore un coup de mon cerveau en quasi-décomposition, je suis allé sur d’autres chaines d’info. Et elles parlaient toutes du même meurtre qui secouait la ville, tellement la barbarie sur la victime avait choqué tout le monde. Que ce soient les parents l’ayant découverts, ou bien les médecins légistes, pourtant habitués à d’autres horreurs. Mais sur des adultes, pas sur des enfants. En tout cas, pas de cet ordre de sauvagerie.

 

Des journalistes ont évoqué un copycat d’April Northburn, car utilisant le même rituel que les meurtres dont on l’accusait, bien qu’on n’ait jamais pu prouver qu’elle en était l’instigatrice. Après que celle-ci soit partie de Détroit précipitamment, et que ses « marionnettes », privées de leur drogue, ont commencés à se rappeler certains détails, parlant de boissons au goût un peu curieux, offerts régulièrement par April, les soupçons sur la culpabilité de cette dernière ont repris de plus belle. Ses anciens défenseurs, retrouvant tous peu à peu leur lucidité, ont tenu le même langage. Le maire lui-même a demandé à ce qu’on interroge à nouveau April, mais celle-ci demeurait introuvable, malgré les avis de recherche. Elle fut finalement retrouvée et identifiée des mois plus tard, sous une fausse identité, mais la maladie l’avait déjà emportée. Et l’affaire n’a donc jamais pu trouver de conclusion. Cependant, pour beaucoup, la fuite d’April était déjà en soi un aveu de sa culpabilité.

 

Et là, les souvenirs de cette époque de triste mémoire revenaient en surface. Je repensais à cette ombre, cette silhouette que j’avais vue chez moi. Aux images des meurtres qui ne voulaient plus s’enlever de ma tête, malgré tous mes efforts. Et une idée, qui ne me semblait pas plus dingue que ce que j’avais déjà vécue, commençait à germer en moi : était-il possible que le lien que j’avais avec April ait ouvert une sorte de passage entre les deux époques. Se pouvait-il que, quand je suis parti la dernière fois, l’esprit d’April ait pu me suivre en empruntant le passage présent dans sa propre tête ? Oui, je sais : dit comme ça, ça ressemble au discours d’un névrosé complet, ou d’un complotiste, d’un paranoïaque, se servant du surnaturel pour expliquer les actions illogiques de son voisin, simplement parce qu’il arrose son jardin en plein hiver.

 

A cause de moi, une abominable tueuse d’enfants était revenue « à la vie », à notre époque, et perpétuait sa série de crimes. Ça ne s’arrêta pas à ce meurtre. D’autres suivirent les autres jours, durant la journée. Cependant, il y avait une différence avec les actes d’April. Plusieurs témoins donnèrent une description d’une silhouette s’enfuyant de l’endroit où les corps des victimes avaient été découvertes. April était vu offrant des friandises aux enfants, mais personne ne l’avait jamais vu sur les lieux des crimes, ni même vu une silhouette sur les lieux. C’est ce qui avait permis de disculper à chaque fois April des accusations proférées contre elle. Cela étant, je me disais que sa forme dans notre monde ne lui permettait peut-être pas d’avoir les mêmes dispositions qu’à son époque, et que sa discrétion légendaire ne pouvait pas fonctionner ici. Je n’étais d’ailleurs même pas sûre qu’elle ait une forme physique. L’ombre aperçu chez moi m’interrogeait à ce sujet.

 

Mais si elle revêtait désormais une apparence spectrale, mais pouvant agir quand même sur les humains, que pourrais-je faire contre elle ? Quant à en parler aux autorités, vu l’énorme impression que j’avais donné aux policiers venus chez moi, je devais rejeter cette idée. J’étais dans l’impasse, et je me plongeais encore plus dans mes ténèbres. L’alcool se rajoutait aux médicaments, ce qui accentuait mes « visions » de cette ombre semblant s’échapper de chez moi. J’ai presque réussi à la suivre une fois, mais une fois dehors, plus aucune trace d’elle. On était à la veille d’Halloween, et jamais je ne m’étais sentie aussi proche d’une loque humaine. J’étais responsable de ces morts, je ne pouvais rien dire sous peine de passer pour une folle, et j’avais toujours ces visions d’enfants tués en moi. Pire : je voyais même les meurtres récents, se substituant à mes anciennes visions, et de façon encore plus nette. Comme quand j’assistais aux morts en « direct » en étant dans la tête d’April.

 

Ce soir-là, j’ai doublé la dose de médicaments habituel. Je pense que ça m’a déclenché une sorte de coma ou un truc du genre. Je ne me suis même pas rendu compte que je m’effondrais. J’en ai même aucun souvenir. Ce que je sais, c’est que je me suis réveillé plus tard dans le parc public, un couteau de cuisine en main, du sang partout sur mon t-shirt et mon pantalon, avec en face de moi le corps horriblement mutilé d’un petit garçon. Le corps éventré, les poumons dans les paumes de ses mains, l’extrémité de ceux-ci rentrés dans la chair des avant-bras, et des pièces de 25 cents sur les yeux. J’ai cru un moment que je rêvais encore, et pour m’en persuader, j’ai utilisé la pointe du couteau pour me piquer la joue. La douleur était bien trop réelle pour que ça soit un rêve. Ce qu’il y avait devant moi était bien réel. Le rituel d’April. Mais ce n’était pas elle qui l’avait commis. Ce n’était pas elle qui avait tuée ces gosses ces derniers jours à l’approche d’Halloween.

 

Pris de panique, tremblant de partout, j’ai glissé la main dans mes poches. Je devais savoir. J’en ai ressorti les yeux du gosse. Horrifié, je les ai jetés loin devant moi. Il y avait un détail pour lequel je n’avais pas fait attention. Sans doute à cause de mon état empirique. Les pièces de 25 cents. Les journaux n’ont jamais précisé qu’il s’agissait de pièce datant des années 40, ce qui aurait pu m’alarmer à ce moment, et m’interroger sur la présence d’April dans notre monde. Comment un esprit aurait-elle mis la main sur des pièces actuelles ? De plus, je savais par nos entretiens qu’elle avait toujours plusieurs « couples » de pièces lorsqu’elle se préparait pour un meurtre. Une habitude qu’elle avait au cas où, en voulant placer les pièces, elle lui échappait des doigts et tombaient dans le corps. Autre chose : April était très méticuleuse, prenait son temps. Jamais elle n’avait de sang ailleurs que sur ses gants, qu’elle brûlait après chaque meurtre.

 

Là, les crimes avaient été désignés comme brutaux, sauvages, presque indiqués comme ceux d’une bête sauvage, car le corps avait été ouvert d’une manière très brutale, avec du sang partout sur l’herbe autour du corps. Ça ne correspondait pas du tout au style maniaque et propre d’April. J’étais donc bien la tueuse des meurtres de ces derniers jours, et April n’avait pas rejoint notre monde. Il y avait de fortes chances que les silhouettes aperçues étaient bel et bien des hallucinations issues de mon état sous emprise de médicaments. J’ai paniqué à cette révélation. A force de parler avec April, à force de « voyager » dans sa tête, c’était comme si elle m’avait fait « don » de sa propension à tuer. J’avais remarqué les derniers temps de mon manque d’émotion en voyant les meurtres commis par mon « sujet ». C’était un signe que mon inconscient s’identifiait déjà à elle. Et cela n’a fait qu’empirer. J’ai fini par m’enfuir sans regarder derrière moi. J’ai entendu des cris :

 

 -   C’est elle ! C’est la meurtrière !

 

 -   Arrêtez-la !

 

Je remontais mon t-shirt gavé de sang jusqu’au visage, m’enfonçant dans les petites ruelles avoisinantes, attendant que la nuit vienne pour échapper aux divers groupes de « justiciers » qui ne s’occuperaient certainement pas d’attendre la police pour faire en sorte que la nouvelle Sorcière Tueuse d’Halloween soit hors d’état de nuire. J’avais vu à la télévision ces véritables milices armées, qui étaient appelés à ne pas intervenir dans l’action de la police. Mais dire à ce type de groupe de ne rien faire, c’est comme demander à un chat de ne pas faire ses griffes sur un canapé neuf : c’est peine perdue. Dès qu’on a le dos tourné, le chat n’en fera qu’à sa tête. Une milice, c’était la même chose. J’ai profité de la nuit pour parvenir à rentrer chez moi, sans être vue. J’aurais pu appeler la police, me dénoncer, mais avant je devais faire quelque chose. Je devais faire cette vidéo, mais elle serait très différente de ce que j’avais prévu au départ.

 

Ce serait juste un face cam, sans visuel, en expliquant tout ce qui m’est arrivée, et en présentant les objets donnant la preuve de la culpabilité d’April. Vous vous souvenez que je vous ai dit que j’avais détruit la bague ? Eh bien ça aussi, je l’ai imaginé. Et pourtant, à ce moment-là, je n’étais pas encore gavé de médocs, mais mon esprit était déjà suffisamment embrumé pour confondre réel et hallucinations. Je l’ai retrouvée au milieu des dizaines de boites vides sur la table de la cuisine. Intacte. Alors, je me suis installée à mon bureau, après avoir mis des vêtements propres. Si j’avais filmé avec mes habits pleins de sang, jamais la vidéo n’aurait été acceptée par les bots examinateurs. En faisant une vidéo « propre », avant qu’on se rende compte de mes propos, il y avait plus de chance qu’elle passe. Donc, voilà, maintenant que vous savez toute l’histoire, je vous montre les fameux objets : la bague, le récipient ayant contenu la drogue fabriquée par April, et le reste.

 

A vous de juger si tout ce que je vous ai raconté vous semble dingue, issu d’un cerveau totalement barré, ou bien la stricte vérité. Je ne sais pas si beaucoup comprendront ce qui va suivre. Je vais juste rajouter qu’avant de tourner cette vidéo, j’ai numérisé tous les documents qui devaient servir pour établir les faits et preuves de la culpabilité d’April Northburn, et les ai mis sur mon blog. Là où je mets déjà tous les documents servant de suppléments à mes vidéos, afin que vous, abonnés, puissiez prendre le temps de les lire et analyser tranquillement chez vous. Ce sera mon épitaphe. Vous avez sans doute remarqué la présence aussi depuis le début de la vidéo de ce petit bidon d’essence et du zippo à côté ? C’est pour corriger mon erreur. L’erreur que j’ai eu de remettre cette bague la 2ème fois, point de départ de toute cette folie. L’erreur d’avoir conversé avec une criminelle, et la laisser conditionner, sans que je m’en rende compte, mon cerveau, et faisant de moi celle qui lui a succédé, perpétrant ses actes à notre époque.

 

La tueuse que je suis devenue, je ne peux pas la laisser en liberté, je ne peux pas laisser vivre. Mais je veux choisir de quelle manière mourir. Pas trop rapidement, du fait d’une foule en colère, ce qui serait injuste vis-à-vis de la souffrance des enfants à qui j’ai ôté la vie. Pas trop lentement non plus, ben parce que pour le spectacle, ça ne serait pas fun. Oui, je trouve encore le moyen de faire attention à votre confort d’abonnés. Peut-être que cette vidéo ne sera jamais vue. Peut-être que le comité d’examen de YouTube la bloquera après sa mise en ligne, sans qu’un plus grand nombre l’ai partagée ou sauvegardée. Il y a même la possibilité qu’elle bloquée avant sa même qu’elle soit en ligne. 

 

Mais j’aurais au moins eu la satisfaction d’avoir libéré ma conscience en disant la vérité sur April Northburn, sur son « héritage » dont elle m’a dotée, et sur les morts d’enfants ayant remplis de tristesse leurs familles. Maintenant, il est temps pour moi de vous quitter, définitivement. Encore désolé d’avoir toujours voulu être trop consciencieuse et bornée. Cette fois, j’ai non seulement entrainé ma perte, mais également celle d’innocents. Ce qui est impardonnable. Depuis le début de cette chaine, j’ai toujours voulu montrer la vérité. Cette fin en forme de chant du cygne à la sauce Phénix, elle est à mon image. Prenez soin de vous, creusez autant que vous pouvez pour savoir la vérité, et ne craignez pas de sacrifier jusqu’à votre vie pour que les secrets de l’histoire criminelle connue et cachée soit révélée au monde entier. Joyeux Halloween à toutes et tous quand même…

 

Publié par Fabs

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