18 oct. 2023

METAMORPHOSES (HALLOWEEN'S BEER) (Challenge Halloween/Jour 17)

 


L’ambition, l’envie de vouloir rendre honneur à mon père, le désir de faire fructifier l’héritage qu’il m’a confié… C’est un peu tout ça à la fois qui m’a incité à commettre cette erreur impardonnable dont je suis coupable. A cause de moi, désormais, le prestige de la fabrique familiale de notre bière, celle-là même qui faisait la joie de milliers de consommateurs, est terni à jamais. Tout ça parce que je n’en ai fait qu’à ma tête, pensant mieux connaître les aléas du commerce que mon cher père qui avait fait tourner son entreprise 30 ans durant. Comment ai-je pu croire que je savais mieux les choses que lui, alors que je sortais tout juste de l’école de commerce dont il avait lui-même financé les 4 ans que j’y avais passé. Je pensais être à même de faire les meilleurs choix possibles pour assurer la continuité de celui qui avait su élever le nom de notre famille à ses firmaments, simplement parce que j’avais un diplôme. Et le résultat, il est là, dans les rues de Bruxelles.

 

Toutes ces hordes déambulant, attaquant tout ce qui passe à sa portée, mordant, déchirant les chairs, réduisant à néant des vies, ravageant des maisons, des commerces, détruisant des quartiers entiers. Même la police et l’armée appelé à la rescousse semblent impuissants face à cette déferlante de monstruosités qui envahissent tout, incapables de freiner ce virus implacable qui semble s’étendre chaque heure un peu plus. Il y a bien eu des messages lancés à la TV, à la radio, dans les journaux, pour prévenir les gens ayant achetés des produits de notre marque de ne surtout pas les consommer, et de ramener les exemplaires qu’ils possédaient aux commissariats les plus proches, ou à des centres dédiés pour récupérer la marchandise.

 

A cause de ce que j’ai fait, l’entreprise, la brasserie dont mon père était si fier va chuter, et faire faillite. Je ne vois vraiment pas comment je pourrais la sauver après un tel scandale devenu connu au niveau international. Et j’ai la chance que le test du nouveau produit, lancé spécialement pour Halloween, ne se soit déroulé que dans Bruxelles, et pas ailleurs. Il y avait au moins une recommandation de mon père que j’avais retenu. Je me dis qu’il a la chance, si l’on appeler ça de cette manière, de ne plus être là pour voir le désastre que j’ai causé. Désormais, on ne parlera plus de moi, de mon nom, de notre famille et nos produits, que comme des « création du diable », tel que j’ai pu l’entendre de la bouche de journalistes ayant couvert le drame qui pourrit la ville d’heure en heure. Bruxelles est devenue quasiment un Noman’s Land impénétrable pour les gens de l’extérieur, des postes de contrôle, des barrières ont été érigées un peu partout pour éviter que d’autres personnes entrent et se retrouvent être la proie des créatures que sont devenus les buveurs de bière, les habitués de notre marque.

 

Car oui, le produit en cause du carnage qui sévit ici est une bière. Une bière dont les composants ont créé la métamorphose de centaines de consommateurs à travers la ville. Et pourtant, ces composants, enfin l’un d’entre eux en particulier, ils sont connus depuis les tout débuts de l’entreprise de mon père, son créateur. Une simple enzyme, devenue graine par le biais de transformation chimique dont je serais incapable de vous décrire le processus. Une graine ayant donné naissance à une forme de houblon révolutionnaire, permettant de donner un goût unique à notre bière. Un goût qui occasionne une sorte de « dépendance », ou du moins une envie d’y regoûter régulièrement, sans que cela provoque de dérèglements du corps humain.

 

En soi, ce n’était rien de plus qu’une méthode alimentaire somme toute assez classique dans l’industrie agro-alimentaire, au même titre que les OGM par exemple. C’est courant de développer des additifs, des émulsifiants élaborés de telle sorte qu’ils créent une sensation unique pour le produit dans lequel ils ont été insérés. Tout ce qui compose l’alimentaire, de nos jours, en est rempli. Que ce soient les plats préparés, les sucreries, l’épicerie, et même des produits dits « naturels ». Le lait, les œufs et bien d’autres. Vous allez me dire : on ne peut pas modifier ce type de produits. Et je vous répondrais que ce serait bien naïf de croire que rien n’est modifiable dans l’alimentaire aujourd’hui. 

 

Je vous ai parlé des OGM tout à l’heure, utilisés pour les produits céréaliers, le maïs, le raisin et bien d’autres dont vous seriez surpris d’apprendre leur modification cellulaire en amont, par le biais de manipulation des semences qui les font pousser. C’est un peu le même principe pour le lait. La nourriture donnée aux bovins, aux chèvres et autres cheptels d’animaux produisant ce liquide à multiples usages, comporte ce type de modifications. Ce qui fait que quand les animaux le consomment, les gênes se collent aux parties internes du corps à l’origine de la « naissance » de ces futurs produits de grande consommation, comme une bactérie. Elles ne vont pas jusqu’à apporter des changements radicaux à leur ADN, loin de là. Pour ça, il faudrait agir directement sur l’animal. Néanmoins, à force de consommer cette nourriture modifiée, en s’incrustant dans leur corps jour après jour, elle agit comme tel, et opèrent à des changements à tout ce qui sert à la consommation humaine : le lait, la viande, la peau, les organes, les os. Rien n’est épargné, et c’est devenu une norme bien plus répandue que vous ne le pensez.

 

Même en achetant vos produits laitiers, vos côtes de bœuf, votre saucisson, et que sais-je d’autre dit « naturel » à des fermes « artisanales », vous n’êtes pas sûr d’échapper à ça. Simplement parce que ces fermes n’ont pas toutes la possibilité d’avoir la production nécessaire pour nourrir leurs bêtes, et doivent parfois recourir à des vendeurs extérieurs pour ça, de manière à ne pas empiéter sur leurs production propre, destinée à être revendu, parfois à perte, auprès de coopératives. Coopératives qui, de plus en plus souvent, obligent les exploitants agricoles à user de leurs semences s’ils veulent avoir l’assurance que leurs produits soient acceptés par les gérants de ces groupes. D’autres fois, les fermes dites indépendantes, voient leurs cultures intoxiquées par l’action des champs de leurs voisins. Même s’ils n’emploient pas d’OGM, s’ils ne font pas partie de coopératives ou système similaire, leurs propres champs peuvent se voir contaminés par les fermes avoisinantes qui, elles, en utilisent.

 

C’est un cercle vicieux auquel on peut rarement faire obstacle, qu’on le veuille ou non. Donc, vous voyez, le fait d’apporter des modifications à nos graines de houblon, afin de créer cette forme minime de dépendance, et s’assurer une clientèle fidèle appréciant le goût de notre bière, sans qu’ils s’en rendent compte, ce n’est pas nouveau, et absolument pas illégal, ni un danger à proprement parler pour la santé. Tout dépend du pourcentage toléré de certains produits utilisés dans ce sens. Désolé de vous l’apprendre, mais de nos jours, il y a très peu de produits véritablement naturels, y compris ceux avec l’étiquette « éco-responsable » ou avec des labels certifiés. Car, à un moment ou un autre, l’un des produits qu’ils utilisent pour la production de leurs stocks, a été modifié quelque part en amont, de manière volontaire ou non, répercutant ces manipulations au sein de chaînes complexes, dont même la traçabilité, aujourd’hui obligatoire, ne permet pas d’en connaître tous les secrets.

 

Le problème de la bière de ma famille ne vient pas de là, obéissant à un circuit de fabrication identique à nombre d’autres brasseries. La différence principale vient du fait que mon père produit lui-même les champs de houblon servant à la fabrication de notre bière. C’est quelque chose dont il a toujours été fier, et lui permettant de se démarquer de nos concurrents. Ce que beaucoup ne savent pas cependant, et que je vous révèle aujourd’hui, c’est la provenance de cet enzyme à l’origine des graines de houblon modifié étant le composant principal de notre produit phare. Nous produisons aussi d’autres alcools, mais dans une moindre mesure, et avec des chaînes de fabrication différentes. L’enzyme servant à notre bière ne vient pas de la Terre. Elle est issue d’une météorite que mon père a découvert lorsqu’il était jeune, dans un autre pays.

 

Il n’a jamais voulu dire dans lequel, j’ignore pourquoi. Peut-être par peur de faire du tort audit pays si quelqu’un d’autre qu’un membre de la famille venait à découvrir le secret de fabrication des graines de houblon, je ne saurais pas vous dire. Ce que je sais, en revanche, c’est qu’à l’époque, alors que je n’étais pas encore né, et que papa n’avait pas encore rencontré celle qui deviendrait ma mère, il a fait rapatrier en Belgique cette météorite. Elle n’était pas d’une circonférence très grosse, et même assez petite si on la comparait à d’autres trouvées un peu partout dans le monde. Mais malgré sa taille minime, elle restait imposante, et il ne pouvait pas l’acheminer par ses propres moyens. Et surtout aucun moyen de transport classique, réservé aux particuliers, ne lui aurait donné l’autorisation de l’importer. D’autant que, et je pense que vous êtes au courant, la découverte d’une météorite doit normalement être l’objet d’une annonce aux autorités de la ville, ou du moins la commune, où elle a été découverte. Entraînant forcément la communication de celle-ci à une instance scientifique, qui demandera un examen préalable, afin de vérifier qu’elle ne présente aucun danger dans le périmètre de sa position, avant une étude plus approfondie par la suite. Dans les faits, si mon père avait révélé avoir découvert cette météorite, il n’en aurait jamais profité. Tout au plus son nom aurait été évoqué dans un quelconque magazine dédié, ou dans les colonnes du journal local.

 

Les motivations de mon père de connaître comment exploiter les possibles ressources de cette météorite, je ne saurais pas non plus vous les dire. Papa nous a toujours parlé de son instinct de commerçant pour justifier d’avoir caché sa découverte, et l’avoir fait importer en Belgique de manière illégale, en se servant de ses contacts de l’époque. Le fait est, qu’une fois en sa possession dans notre pays, au sein de sa brasserie, car oui, elle existait déjà à ce moment, il a fait appel à un de ses amis, spécialiste en chimie et en géologie, en plus d’avoir un doctorat dans le cadre de l’étude des corps célestes. Rajouté à cela qu’il était suffisamment discret et dévoué à mon père pour garder le silence sur la présence de cette météorite. Ensemble, ils ont étudié pendant des mois les propriétés de l’objet. Enfin, surtout l’ami de mon père, celui-ci devant assurer le fonctionnement de sa brasserie, qui n’avait encore que 2 ans d’existence.

 

Ce fut long, mais au bout de plusieurs mois, Karel, l’ami de mon père, a pu déterminer toutes les possibilités offertes par la météorite, et surtout ce qu’elle renfermait. Une substance liquide étonnante selon ses dires, dont mon père pouvait tirer profit pour sa jeune entreprise. Les OGM n’étaient pas encore très présents en Belgique à l’époque, et je pourrais presque dire que lui et son ami étaient des quasi-précurseurs en la matière. Bien qu’officiellement, pour des raisons qu’il vous sera aisé de comprendre au vu de ce que je vous ai révélé auparavant, ils n’aient jamais pu en parler, pour éviter tout problème d’ordre juridique, et pouvant causer la fermeture de la brasserie de mon père.

 

 L’étude de la météorite par Karel a permis d’isoler une enzyme, au cœur de la substance, pouvant faire développer une dépendance, si elle était mélangée à un produit de consommation. Les possibilités de se servir de cet enzyme, après traitement, pour le houblon servant de base à la bière parut vite une évidence. Karel travailla encore de longues semaines pour faire de l’enzyme, dont il avait pu reproduire secrètement la composition afin d’en faire une version synthétique, un élément de base fusionné aux cellules de graines de houblon. Par mesure de sécurité, ils décidèrent ensemble du pourcentage de ce houblon « spécial » dans l’élaboration de la nouvelle bière en devenir qui deviendrait le produit phare de la brasserie, et donc de l’entreprise de mon père. Des tests de consommation, pratiqués à l’insu des bars et commerces où la bière était proposée, débutèrent, se prolongeant sur plusieurs mois, de manière à déterminer le bon pourcentage à adopter, pour obtenir une dépendance modérée pour les consommateurs, mais apte à faire de ce nouveau produit un succès, et point de départ de la réussite de la future marque familiale.

 

Après 6 mois de ces tests réguliers, ils trouvèrent le bon dosage. Ce que je ne savais pas, et que mon père m’a appris à part, pendant que nous étions seuls dans sa chambre où il était alité lors de ses derniers jours, c’était qu’il y avait eu 2 victimes de ces tests. Bien que lui et Karel n’ont jamais été certain que la bière soit en cause, car les « cobayes » involontaires étaient connus pour une autre forme de dépendance, celle de morphine. Ils avaient des contacts les fournissant régulièrement, ce qui les mettaient en danger au fur et à mesure qu’ils en consommaient. Était-ce la bière ou le mélange des deux qui causa la mort ? Sachant que le dosage utilisé n’avait servi que pour ces deux-là uniquement, des frères qui étaient des marginaux, que mon père connaissait depuis des années. Pas vraiment des amis, raison pour laquelle il avait décidé qu’ils seraient des cobayes idéaux pour ce dosage particulier, plus élevé que les autres tests pratiqués en bars.

 

Il y avait un doute que leur mort soit en relation avec leurs habitudes, plus que la bière elle-même. Néanmoins, l’état de leur corps, autopsié par la suite, avait interrogé le coroner chargé de découvrir la cause de leur décès. Il avait découvert sur leur corps à tous les deux des malformations. Les organes internes avaient grossi, leurs veines étaient saillantes, et des modifications importantes à leur mâchoire, révélant l’expansion de nouvelles rangées de dents, et d’étranges protubérances à leur langue, posèrent bien des questions. Rajouté à cela le décollage des oreilles, la chute quasi-totale des cheveux, et l’allongement des doigts et ongles des mains et pieds, et l’accroissement de la masse musculaire de la poitrine, des bras et des jambes. Des mutations extrêmement curieuses que la consommation excessive de morphine, dont la trace fut trouvée dans le sang lors de l’autopsie, ne pouvait pas complètement expliquer. Fort heureusement, rien ne fut découvert d’un autre agent étranger, pouvant faire découvrir l’existence du houblon spécial de la bière consommée par les deux frères.

 

La présence d’alcool fut bien trouvée, mais rien de particulier ayant pu titiller l’étonnement du coroner. En ayant discuté avec Karel, ce dernier supposait que l’explication pouvait venir de la morphine consommée par les deux frères, dont la présence avait pu « masquer » toute trace de leur création. Malgré tout, ces mutations sur le corps avaient fait peur à Karel et mon père, et ils décidèrent de ne pas franchir ce palier, et s’en tenir au pourcentage du dernier test pratiqué avant celui sur les deux frères, pour éviter toute conséquence fâcheuse. De toute façon, les résultats obtenus étaient plus que satisfaisant, et pouvaient assurer un succès important, au vu des demandes des consommateurs de savoir quand sortirait le « nectar », le nom qui fut donné à cette nouvelle bière hautement apprécié par ceux ayant eu la primeur de la goûter.

 

Mon père garda le nom, et elle devint la « Belgisch Nectar ». Le choix du néerlandais pour la désigner était un hommage aux origines flamandes de mon père, langue qui était le langage officiel de notre famille, bien que vivant dans la région Wallonne, où l’utilisation de celui-ci passait après le français. Très vite, la bière acquit une renommée très forte à Bruxelles, avant de s’étendre dans le reste du pays, puis dans les pays limitrophes. En quelques années, la « Belgisch Nectar » avait permis à mon père d’obtenir une notoriété grandissante, et les filiales de l’entreprise s’étendirent. Entre-temps, il rencontrait ma mère, qu’il épousa 1 an après, et je naquis 2 ans plus tard. Élevé dans l’objectif de prendre la suite, mon père m’apprit les rudiments du métier, et m’inscrit dans une école de commerce prestigieuse, car il tenait à ce que je bénéficie de la meilleure formation possible, pour assurer la pérennité de l’entreprise familiale.

 

Quand il ne fut plus en mesure d’assurer la supervision de la société, je fus naturellement nommé vice-président. Une fonction temporaire, bien qu’aux yeux de tous, j’étais déjà le président à part entière, l’état de santé de mon père ne lui permettant plus d’opérer à quoi que ce soit concernant l’entreprise. Malgré tout, tant qu’il était en vie, il restait le Grand Manitou, et j’avais souvent recours à son expérience en cas de doute sur des décisions de partenariat, de marketing ou d’autres domaines concernant le bon fonctionnement de ce qui était désormais mon héritage. Dans le même temps, je fis la connaissance de Karel, celui qui avait permis de créer le miracle ayant offert la fortune à notre famille. Quand mon père décéda, et que je devins officiellement le président, cherchant à faire honneur à mon père en étendant encore plus les territoires de ventes de notre société par le biais de notre produit phare, je demandais conseil auprès de Karel, voulant augmenter la teneur du houblon spécial, pour accentuer l’effet de dépendance de la bière, et ainsi accroître les ventes.

 

Karel me déconseilla de le faire, me rappelant ce dont mon père m’avait fait part. Je rétorquais que, de ce que j’avais compris, il n’était pas certain que la bière et le pourcentage du houblon spécial soit en cause, vu ce que consommait les deux victimes du malheureux test. Vu ce qu’il prenait comme produits, on pouvait supposer qu’ils prenaient d’autres drogues pharmaceutiques du même ordre, voire quelque chose de plus « dur ». Karel me disait que la prise d’autres drogues aurait été détecté lors de l’autopsie, mais vu que la présence du houblon spécial n’avait pas été découvert non plus, le doute était permis. Quoi qu’il en soit, je m’en tenais à son conseil, et ne changeais rien à la formule de la bière. Je me tenais à cette promesse pendant les premiers mois qui suivirent, jusqu’à ce que Karel rejoigne mon père dans l’au-delà. Dès lors, je n’étais plus tenu par aucune promesse, et je décidais d’opérer au changement de teneur du fameux houblon dans la fabrication de la bière.

 

Pour le lancement, je décidais de profiter de la semaine d’Halloween, pour lui donner le nom de « Speciale Vintage van Halloween », sous son nom principal. Une manière de promouvoir cette nouvelle formule en usant de marketing, et Halloween était le parfait tremplin pour ça. J’annonçais dans les médias la sortie prochaine d’une « édition spéciale » de la bière tant appréciée dans plusieurs pays, qui serait en vente le jour d’Halloween. Une nouvelle donnée quelques jours avant la date fatidique, et qui provoqua une marée de précommande auprès des revendeurs, comme les caves, commerces et bars. Je précisais néanmoins que pour le lancement, elle ne serait disponible qu’à Bruxelles. En cas de résultat positif, la bière reprendrait son nom officiel, sans son appellation d’Halloween, et serait distribuée dans tous les autres points de vente où chacun pouvait se procurer la version « classique ».

 

Ça provoqua un effet « monstre », et vous n’imaginez pas à quel point ce terme est on ne peut plus approprié à ce qui allait suivre. Nombre de ressortissants d’autres pays prirent d’assaut les hôtels de Bruxelles, pour pouvoir goûter à la « nouvelle formule » de la « Belgisch Nectar », et le jour d’Halloween, les bars ayant pris commande pour la proposer dans leurs commerces, et ne pas risquer d’être « à la traîne » de leurs concurrents, furent assaillis de clients. Idem pour les caves et autres commerces, voyant une affluence énorme, entre les clients ayant précommandé, et les autres. De nombreuses images étaient diffusées pour montrer l’effervescence du nouveau produit, et nombre de personnes dans les bars reprenaient plusieurs choppes à la suite du « Hemelse Nectar», le « Nectar Céleste », le patronyme attribué par les consommateurs.

 

C’était encore mieux que je l’espérais. Même ceux ayant achetés dans les caves et commerces revenaient là où ils avaient acquis une « première fournée », des interviews montraient des hommes précisant qu’il fallait absolument qu’il en reboive car il ne pouvait plus s’en passer. Dans d’autres endroits, la police du intervenir pour des esclandres déclenchés dans des points de vente pris à partie par des client voulant racheter du « Nectar Céleste », alors que les stocks étaient épuisés. Il se passait la même chose dans les bars devant faire face au même problème. Le succès de la demande dépassait très largement l’offre. Est-ce que c’était l’effet de l’augmentation du houblon spécial qui provoquait ça ? A dire vrai, cela m’inquiétait. J’espérais une accentuation de l’effet de dépendance, ce qui était indéniable, mais dans le même temps, la sensation de « manque » provoquait des accès de violence dans toute la ville de la part des consommateurs déçus de ne pouvoir obtenir plus de cette bière, devenue une vraie drogue à part entière. Et ce ne fut que le début…

 

Bientôt, des images montraient des clients frustrés étant atteint de mutations. Leurs muscles grossissaient, leurs veines devenaient saillantes sur tout leurs corps, leurs mains subissaient des métamorphoses, les faisant s’allonger, tout comme leurs ongles, leurs pieds déchiraient le cuir de leurs chaussures, car devenus trop grands pour être contenus dans ces espaces étroits. Partout, on voyait des gens mordre les tenanciers de bar, griffant ceux les entourant, qu’ils soient des consommateurs de la bière ou non, ne faisant pas de distinction entre hommes, femmes et enfants. Les métamorphoses devenaient de plus en plus importantes, déformant horriblement les visages, leurs yeux s’exorbitant, leur mâchoire faisant ressortir des dentitions semblant sortir d’un film d’horreur, des morceaux de leur peau tombait comme des fleurs se fanant, révélant leur chair à vif, de la bave sortant de la bouche aux allures de gueules de véritables monstres.

 

Les reporters se faisaient agresser, subissant eux aussi un très haut niveau de violence, voyant leurs membres se faire arracher par cette bande de surexcités semblant chercher à calmer leur douleur de ne pouvoir boire leur « drogue », en s’en prenant à tout ce qu’il pouvait autour de lui, se battant entre eux dans des combats sanglants. Les corps des victimes garnissaient les rues à chaque minute. Devant l’ampleur des émeutes grandissants de manière exponentielles, les autorités de la ville appelèrent des renforts de police venant d’autres villes, pour parvenir à maîtriser la situation. En vain. Des incendies éclatèrent, des vitres volaient en éclat, ceux atteints de métamorphoses allant jusqu’à pénétrer dans les jardins, s’en prenant aux animaux de compagnie, défonçant les portes de maisons et s’en prenant à leurs occupants, qu’ils traînaient au-dehors dans des états indescriptibles, tellement ils étaient déchiquetés, sous les cris d’enfants tentant d’échapper au sort de leurs parents.

 

Les policiers, jusque-là tenus de ne pas faire usage de leurs armes, reçurent d’autres instructions, les autorisant à tirer à vue sur tout agresseur trop violent, ce qui enclencha une situation inimaginable, qu’on aurait cru sortir des pires heures de l’histoire de l’homme. Mais le flot d’agressions était tellement important et venant de toutes parts, que même les policiers, même en tirant, ne parvenaient à changer la donne. La masse musculaire des « infectés » était telle que les balles semblaient ricocher sur eux, y compris leur crâne. Il n’y avait pas que leurs muscles et leurs membres qui étaient renforcés par l’effet de la bière, mais leurs squelettes également. C’était horrible. Où que l’on pouvait voir, suivant les images diffusées par des journalistes prenant des risques insensés pour relater les évènements, la folie était partout. Les agresseurs n’avaient presque plus grand-chose d’humain : ils étaient des animaux voulant apaiser la douleur du manque ressenti, et rien ne semblait pouvoir les arrêter, à cause de leur force surnaturelle.

 

Ne pouvant plus rien contenir, la décision fut prise de faire appel à l’armée, qui institua un couvre-feu aux rescapés, intimant l’ordre de fermer fenêtres, volets et portes, calfeutrer avec des meubles toute ouverture de leurs demeures, et de se cacher dans des endroits sûrs, comme des caves munies de portes solides et pouvant résister à de grands chocs. Des postes de contrôle tout autour de la ville furent érigées, comportant barrières et soldats à qui l’ordre de tirer à vue sur quiconque montrait des signes d’infection était donné. Des équipes de secours, secondées par d’autres soldats pour leur protection, s’engagèrent dans la ville pour essayer de sauver le plus possible de blessés, pendant que d’autres équipes militaires étaient chargées d’abattre les infectés, ou de secourir ceux pouvant encore se déplacer avec leurs jambes, en les escortant jusqu’aux différents postes de contrôle, où ils étaient pris en charge par des médecins, et des agents mandatés sur place pour les rassurer.

 

Quant à moi, je restais impuissant face à ce spectacle de désolation. Pour une simple augmentation de ce houblon spécial dans la composition de la bière qui faisait la fierté de l’entreprise familiale, j’avais déclenché une véritable apocalypse. Je tremblais à l’idée de ce qui se serait passé si j’avais décidé de lancer l’opération Halloween sur tout le territoire belge, voire d’autres pays où la bière était vendue. Je m’affalais sur mon canapé, pleurant de voir ce désastre terrifiant continuer de faire des victimes à chaque instant, et tout ça par ma faute… Finalement, une parade fut trouvée pour stopper les infectés : le feu. Malgré la résistance de la peau, des muscles et des os, ils étaient sensibles à la chaleur du feu. En connaissance de cet élément essentiel pour mettre fin à la situation, des centaines de lance-flammes furent distribués, heure après heure, à différentes équipes afin d’exterminer les infectés, tout en s’assurant de la sécurité des autres, les équipes de secours étant chargées dans le même temps de les mettre à l’abri.

 

En résulta un scénario catastrophe, où les corps enflammés, en proie à la terreur et la panique, semblant de ce fait retrouver une part de leur humanité perdue, se ruait au sol, dans les maisons, les commerces pour tenter d’éteindre le feu les rongeant, déclenchant des dizaines d’incendies partout en ville. Il fallut plusieurs heures avant que le calme revienne et que tous les infectés soient brûlés et tués. Les différentes équipes furent affairés toute la nuit, et il fallut attendre le milieu de la matinée du jour suivant pour que toute menace fut écartée et annoncée publiquement. Le levage des postes de contrôle et des barrières ne fut levé que deux jours plus tard, le temps de s’assurer qu’aucun infecté n’avait échappé à cette véritable purge. J’étais coupable de tout ça. J’ai assumé ma responsabilité de manière officielle devant les caméras d’une équipe de télévision, m’excusant pour tous les ravages causés à cause de mon désir de vendre plus la bière de ma société, en changeant la formule la composant.

 

Je n’ai pas donné de détails, ne disant rien de la météorite, de l’action de mon père et Karel, mais malgré mon silence, la vérité fut découverte. Le lien avec les deux frères, leurs symptômes, furent rapprochés des signes d’infection des personnes métamorphosées par l’effet de ma bière des dernières heures, avant ma déclaration. Je fus déclaré coupable à l’issue d’un procès ultra médiatisé, et la société familiale dissoute. Aujourd’hui, il reste encore des points de vente dans le monde proposant les derniers « rescapés » de l’ancienne bière, celle non-contaminée. Il fut prouvé, étude scientifique à l’appui, qu’elle n’était pas dangereuse comme l’était celle que j’avais modifiée, mais le mal était fait. Plus personne ne voulait en acheter. Les gens avaient bien trop peur. Ceux ayant des stocks chez eux affirmèrent avoir vidé le contenu des canettes dans les toilettes ou les lavabos, filmant le tout pour prouver qu’ils avaient bien procédés à cette « épuration ». Cela déclenchait une série de vidéos virales, qui participaient encore plus au phénomène de boycott d’une société n’existant déjà plus, et qui garderait à jamais l’image de gens malhonnête, ayant utilisé les buveurs de bière comme cobayes involontaires de tests honteux, indigne d’une entreprise familiale réputée comme celle de notre famille.

 

Notre nom était sali à jamais, et je ne pourrais jamais réparer ça. J’avais été condamné à rembourser des sommes colossales, et même la vente des locaux, du matériel, suite à la fermeture de la société par la justice, n’ont pas été suffisant. Nombre de personnes se sentent lésés, car ils savent qu’ils ne verront jamais l’argent de l’indemnisation auquel ils ont droit pour ma faute reconnue. Je ne peux pas les blâmer, au vu de tout ça, de traîner mon nom dans la boue à travers les réseaux sociaux. Je le mérite. Ma mère a dû reprendre son nom de jeune fille, pour ne plus être harcelé sur son téléphone ou sur ses réseaux par des insultes ou des menaces de mort, la jugeant aussi responsable de mes actes, alors qu’elle n’y est pour rien. Je suis désolé maman que tu aies subi ça par ma faute. Tellement désolé. Je sais qu’elle a pu bénéficier d’un programme de protection, et j’ai cru comprendre qu’elle va avoir une nouvelle identité, en vivant ailleurs. Elle m’a même dit qu’elle pensait quitter la Belgique. Elle avait honte d’y vivre après ce qui s’était passé, tellement elle culpabilisait aussi.

 

Je n’ai plus eu de nouvelles d’elle après qu’elle m’a eu annoncé son désir de partir, loin du pays, loin de moi. C’est ma punition, et je l’ai bien mérité. Je purge actuellement une peine de prison pour crimes involontaires et au moins une dizaine de chefs d’accusation. Désormais, la fête d’Halloween est intimement liée à ce drame à Bruxelles, et nombre de gens ayant vécu directement ce drame ont indiqué lors d’interviews télévisées, vues dans la petite salle média de la prison où j’ai été incarcéré, qu’ils ne pensaient pas fêter à nouveau Halloween dans les années qui suivraient. J’avais non seulement causé un désastre, avec des centaines de morts et de blessés graves, handicapant à vie des dizaines de personnes, mais en plus j’avais terni l’image même d’Halloween, cette fête tant aimée par des milliers de gens dans le monde. Et le sentiment de dégoût était encore pire en Belgique où tout s’est passé. Je ne pourrais jamais vivre assez longtemps pour expier ma faute. Je n’ai pu qu’obtenir d’avoir un peu de temps pour révéler tous les détails que je n’ai pas dit devant les caméras de télévision et à la police, à travers cet enregistrement.

 

Un « privilège » qui m’a été accordé, demandant que mes aveux soient envoyés aux principales télévisions belges, pour être diffusés. C’est bien peu en regard de ce que j’ai provoqué par mon orgueil, mon arrogance et mon ambition démesurée. J’ai vu le regard de certains prisonniers, me fixant avec de la haine dans le regard. Je suppose qu’ils avaient de la famille parmi les victimes, et qu’ils chercheront un moyen de me le faire payer, à un moment ou un autre, quand je m’y attendrais le moins. C’est sans doute mieux ainsi. Je finirais sans doute ma peine plus tôt que prévu, assassiné par l’un de ceux emprisonnés ici avec moi. De toute façon, à quoi bon continuer vivre ? J’ai détruit le nom de ma famille, détruit la vie de ma mère, obligé désormais de se cacher, détruit les rêves de centaines de famille. Il n’est que justice de devoir, à mon tour, fermer les yeux pour toujours. C’est le moins que je puisse faire pour ma rédemption…

 

Publié par Fabs

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