4 oct. 2023

20.000 CAUCHEMARS SOUS LES MERS (Challenge Halloween/Jour 4)


 

Est-ce que l’enfer existe ? Vous êtes sans doute nombreux à vous être posé cette question, au moins un jour dans votre vie, sans avoir de réponse. Que vous soyez épris de religion ou non, je pense qu’on a tous besoin de trouver une excuse, une explication à tout ce qui ne nous parait pas naturel, aussi anodin soit ce à quoi on est confronté. Ça peut être bénin, comme ces foutus clés de voiture qui se cachent on ne sait où à chaque fois qu’on les cherche et qu’on en a un besoin urgent, ou bien le réveil qui est systématiquement éteint quand on se réveille le matin et qui se rallume dès qu’on a posé le pied sur le tapis du sol, courant partout pour tenter de rattraper notre retard, sans qu’on en sache la raison. Parfois, c’est plus flagrant, comme la propension à chuter juste après avoir croisé le regard d’un collègue qui vous a pris comme Némésis naturel, ou bien le fait   d’éviter la mort à chaque coin de rue. Que ce soit par un conducteur ayant perdu le contrôle de son véhicule, ou la chute incompréhensible de l’enseigne d’un vendeur de lunettes.

 

Malgré tout, ces petits tracas de la vie quotidienne ont toujours une explication plus ou moins logique, dû à un bug technique, ou simplement parce que l’on a une malchance rare, quand tout ce qui nous arrive n’est pas simplement du à une paranoïa ou des idées fausses sur ceux et celles nous entourant à notre encontre. Il arrive pourtant des cas où le surnaturel est bien réel et nous fait plonger dans un cauchemar, un abîme sans fond d’où on ignore si on pourra en réchapper un jour. Si j’ai employé les termes « plonger » et « abîme », ce n’est pas sans raison : c’est à cause de ce que j’ai vécu, de ce que je vis toujours à l’heure actuelle, au cœur d’un sous-marin qui faisait ma joie de marin.

 

Vous vous souvenez du début de ces lignes ? Je vous ai indiqué qu’on s’est tous demandé si l’enfer existait quelque part, dans notre dimension ou une autre. Eh bien, la réponse est oui. J’ai vu l’enfer, et je suis encore coincé à l’intérieur au moment où vous lisez ces lignes. Si tant est que quelqu’un les lira un jour. Car là où je suis, je ne suis pas certain que mon journal parvienne à atterrir sous le regard de quelqu’un. Je ne sais même plus si je me trouve toujours sur terre à l’heure actuelle, tellement tout ce qui est arrivé, tout ce qui s’est montré à mes yeux dans les profondeurs de l’océan me semble totalement étranger au monde que je connaissais. Je garde le secret espoir que ce sous-marin finira par retrouver le chemin des eaux de la Terre, et que nos cadavres, ainsi que la lecture de mon journal, offriront la preuve que quelque part sous l’océan il existe un passage vers l’Enfer, et il est bien pire que tout ce qui a pu être décrit dans les livres…

 

Mais il serait plus compréhensible pour vous que je reprenne depuis le début, afin que vous puissiez mieux comprendre ce qui m’a amené à vous dire mes mots précédents. Je suis le 1er Lieutenant Tyler Evrard, secondant le Capitaine Edward Norfolk à bord de l’USS Wyoming V. Un sous-marin nucléaire du type Ohio. Un nouveau bâtiment qui faisait la fierté de l’US Navy, qui a nécessité près de 8 ans pour sa construction, avec l’aide des meilleurs ingénieurs du pays, et l’aide de scientifiques militaires aguerris, dont certains venant hors des USA. Il fallait bien ça pour mettre au point ce bijou de l’industrie navale, porteur de torpilles munies d’ogives nucléaires d’un nouveau genre. Pour faire simple, les ingénieurs se sont inspirés des type Poséidon des sous-marins russes, mais sans les défauts que ceux-ci peuvent occasionner, tout en ayant la même force destructrice, si ce n’est plus. Ils sont capables de causer des dégâts extrêmement importants à des environnements côtiers, comme des ports ou des bases navales, sans pour autant avoir d’impact à long terme sur la faune et l’écosystème marin.

 

Une révolution aussi bien technique qu’écologique. Même si je suis conscient que parler d’écologie pour des armes massives tels que les ogives nucléaires de torpilles peuvent sembler anachronique. Mais c’est pour mieux vous faire sentir la portée technologique de ce sous-marin et son armement. Les torpilles furent nommées « Halloween ». Un petit clin d’œil au fait que certains scientifiques ayant participé à leur confection aient souligné que ces torpilles pourraient ouvrir une brèche vers l’Enfer, et en faire sortir les créatures les plus dévastatrices. Ils affirment qu’elles sont capables par leur puissance de faire reléguer la période d’Halloween, cette date où les frontières entre nos mondes se réduisent pour laisser passer démons et autres monstres, à une cour de récréation. Pour mieux parfaire le symbole, il fut décidé de lancer sa patrouille d’inauguration la semaine précédant Halloween justement. Avec un équipage composé de 72 hommes. Là encore, ce nombre n’a pas été choisi au hasard.

 

Il s’agit de l’addition du chiffre 66 et du 6, formant le célèbre 666 symbolisant le diable. Chiffre qui fut d’ailleurs apposé sur la coque des missiles. Un équipage restreint, car il s’agissait avant tout de tester les capacités du sous-marin et ses ogives dans des conditions volontairement difficiles. D’où le choix de ne pas recourir aux 135 hommes habituels pour un bâtiment de ce type. L’USS Wyoming V était présenté comme le fleuron de la Navy, et son voyage inaugural, qui servirait à tester les « Halloween » en eaux profondes, dans des zones écartées de toutes voies maritimes usuelles pour les bateaux de commerces ou de plaisance, devait permettre de prouver son efficacité en cas de conflit majeur obligeant à une force de frappe sous-marine dévastatrice pour l’ennemi visé. Nous étions tous confiants, et j’étais fier d’avoir été choisi pour faire partie du personnel. Le capitaine Norfolk avait demandé personnellement à m’avoir en second, et il ne voulait aucun autre que moi.

 

Le départ s’est fait en grande pompes, avec tout le gratin de la marine présent au port de départ. Une citrouille avait été dessinée sur les côtés de la coque extérieure du sous-marin, toujours dans l’esprit d’Halloween. Au départ, certains avaient suggérés à la place un pentagramme, mais cela avait été refusé, pour ne pas se mettre à dos les institutions religieuses du pays, qui verraient cela d’un mauvais œil. Déjà que les références au 666 du diable avaient été sujets à polémique, les hautes instances de la Navy ne voulaient pas en rajouter plus et provoquer un scandale de mauvais augure pour la future mission. La mission s’est déroulée sans encombre, comme n’importe laquelle. Nous avions plongé une fois que les côtes américaines n’étaient plus visibles, à raison d’une poussée de 5 mètres par minute, ce qui est une moyenne classique, restant à une profondeur de 400 mètres de fond, c’est-à-dire au cœur de la zone mésale maritime (entre 200 et 1000 mètres de profondeur), le temps de parvenir à notre objectif. Là où nous tirerions deux torpilles « Halloween » à un endroit défini.

 

C’était un lieu particulier tout près d’une zone abyssale découverte récemment, et donc pas encore répertoriée. Une expédition océanographique y avait envoyé des ROV, ces petits robots contrôlés à distance qui a pu établir la profondeur de l’abysse. Elle dépasse les 5.700 mètres, se rapprochant d’une zone hadale, c’est-à-dire plus de 6000 mètres de profondeur, et une approximation de la faune et les caractéristiques géologiques. Mais à la différence d’autres abysses connus, comme la Fosse des Mariannes, la plus célèbre, les appareils du ROV n’ont pas pu relever de données précises. L’obscurité y étant telle qu’aucun des projecteurs surpuissants du petit robot n’ont pu percer l’opacité des eaux. On ignore totalement si de la vie s’y trouve. En tout cas, il n’y fut décelé aucune trace de bioluminescence d’espèces animales, comme souvent dans ces lieux. Le ROV n’a donc pas pu savoir non plus l’aspect géologique et connaître la composition de quelconque paysages rocheux s’y trouvant. Cet abysse était un mystère à plusieurs niveaux.

 

C’est sans doute la raison qui a fait que ce lieu a été choisi pour les essais. Du fait de la disparité apparente de la faune, les ressacs consécutifs aux essais des torpilles « Halloween » n’auraient pas d’impact sur l’écosystème se trouvant dans la fosse avoisinante. La cible choisie était une petite colline rocheuse surplombant l’abysse. Suffisamment dense pour pouvoir juger de la puissance des torpilles de notre sous-marin, et dont les éclats ne risqueraient pas d’avoir des effets néfastes sur la faune proche très disparate. Cela faisait aussi partie des curiosités de la zone. L’expédition avait relevé qu’aucune espèce marine ne vivait autour de la fosse, dans un périmètre de près de 2000 mètres. Et même Au-delà, il n’y avait que des coraux et quelques rares mollusques. Il semblait que la vie elle-même se méfiait de cet abysse et préférait ne pas s’en approcher. Du moins, c’est ce que nous pensions tous…

 

La préparation du tir s’est faite de manière très rigoureuse. Nous savions les enjeux, et voulions tout faire pour que la réussite soit totale. Et ce fut le cas. L’explosion consécutive à l’impact des deux torpilles lancées sur le massif rocheux près de la fosse provoqua de tels remous que notre sous-marin subit pendant plusieurs minutes des secousses mettant à mal la stabilité de tout le personnel. Pour imager, même ceux chargés des écrans de contrôle, en position assise et bénéficiant de moyens de fixation prévues en cas de choc intenses, ont été mis à mal, et ont du mal à ne pas tomber sur le sol métallique. C’était impressionnant. Et plus encore quand le nuage de poussière commença à s’évaporer, emporté par le faible courant. 

 

A dire vrai, ce n’est pas tout à fait exact. Du peu que certains comme moi avons vu, on a eu l’impression que les gravats, la poussière du massif avaient été comme « avalés » par l’abysse proche. Quand la visibilité fut plus nette, on a clairement vu des morceaux qui avaient été envoyés à l’opposé de la fosse être aspirés par elle, rebroussant chemin avant de disparaître dans le trou béant qui la composait. C’était juste avant que nous entendions ces étranges plaintes lointaines. Je sais que ça peut paraître aberrant, mais on entendait vraiment ce qui ressemblait à des sons semblant venir de l’abysse. C’est après que le cauchemar a commencé, nous entraînant dans une succession d’évènements tous aussi terrifiants et incompréhensibles les uns que les autres… 

 

Je ne sais pas cela a eu une cause directe, ou si la superstition de certains membres du personnel ont déteint sur le reste de l’équipage, mais nous étions le 31 octobre, le jour d’Halloween. Après avoir constaté l’étrangeté occasionné par l’abysse, le sous-marin s’est retrouvé victime de ce qui avait causé « l’avalement » des débris de la petite colline sous-marine. Il était aspiré vers la fosse, inexorablement. On a tout tenté pour redresser le sous-marin qui, sous la pression de l’aspiration, s’est mis à la verticale, causant, comme vous pouvez vous en douter, une vraie panique à bord. Nombre des hommes ont été blessées, projetés sur les parois, parvenant tout juste à s’accrocher aux aspérités des murs, aux tuyaux pour ne pas se retrouver le crâne fracassé contre le sol de manière violente. Certains n’ont pas eu les réflexes suffisamment avisés pour l’éviter, ayant le corps transpercé après avoir été projeté contre des poignées de porte, ou d’autres éléments contondants présents dans les couloirs, voire les rambardes des escaliers menant à la tourelle du sous-marin, ayant été arrachées par la pression de l’aspiration de plus en plus importante.

 

Nous avons lutté de notre mieux pour l’éviter, mais le Wyoming V a chuté dans l’abîme, sans qu’on n’ai rien pu faire. Curieusement, une fois dans l’abysse, le sous-marin s’est repositionné à l’horizontale, mettant fin à la peur de tout le personnel n’ayant pas succombé. Il y avait des dizaines de morts, du sang partout, des hommes blessés à des niveaux divers. Allant de la simple éraflure au visage au bras sectionné net, causant des hémorragies spectaculaires. On se serait cru sur le tournage d’un film d’horreur, sauf que là, il n’y avait pas d’effet de maquillages, ou d’effets en CGI. Tout était bien réel. Et la peur sur le visage des survivants était loin d’être feinte. Ceux qui le pouvaient aidait le médecin de bord qui faisait partie de ceux ayant pu miraculeusement s’en sortir sans dommages corporels. Le sous-marin était devenu un vrai hôpital, on utilisait les chambres des matelots tués comme chambre de soins. L’une servit même à entasser les corps des défunts. On dénombra 27 victimes à ce moment. 27 marins qui auraient la chance de ne pas voir ce qui nous assaillirait par la suite…

 

Je ne sais pas si on peut vraiment parler de chute, car on n’avait même pas l’impression de bouger. C’était comme si on restait sur place, et vu l’obscurité anormale du dehors, conforme aux constatations de l’expédition que je vous ai mentionnée précédemment, il nous était impossible de savoir si nous risquions de toucher un obstacle, comme un promontoire ou quelque chose de la même teneur. Ce qui était certain par contre, c’était ce que nous indiquait les instruments de bord, montrant notre descente, et accentuant notre peur de finir écrasé par la pression de l’eau, disloquant le sous-marin. Il était prévu pour supporter une plongée de près de 900 mètres, très au-dessus d’un appareil habituel, et nous étions déjà à près de 600 mètres en dessous de la surface. D’ailleurs, on entendait des craquements métalliques constants, ce qui était la preuve que notre sursis se réduisait de minutes en minutes. Impossible de se déplacer. La « force » nous ayant aspirée semblait bloquer toute tentative de se dépêtrer de son attraction.

 

Et puis, de manière tout aussi abrupte que ce qui nous avait précipité dans l’abysse, le sous-marin s’immobilisa. C’était ce que montrait les appareils de contrôle de plongée. On s’était stabilisé à 775 mètres de profondeur. Le métal se tordant était régulier, et les premiers signes de terreur se firent entendre. Je dis bien entendre, car tout d’abord ce furent les marins blessés qui hurlaient dans les cabines où ils étaient alités. Le capitaine et moi on a alors assisté à des scènes horribles où ces malheureux criaient tellement qu’ils en perdaient leur voix, se bloquant la mâchoire dans une position grotesque. Certains saignaient des yeux à force de les écarquiller, en proie à des frayeurs tellement intenses que nous étions obligés de les attacher à leur lit avec les moyens du bord pour éviter qu’ils se fassent encore plus de mal. Une solution devenue nécessaire après que 3 d’entre eux se soient mutilés de façon atroce, se labourant le visage, les bras, les jambes avec leurs ongles ou leurs dents.

 

Ils disaient que des monstres étaient dans leurs cabines, des poissons qui flottaient garnies de plusieurs rangées de dents leur croquant la gorge, des masses gélatineuses s’engouffrant dans leurs corps et dévorant leurs organes, ou encore des sortes de pieuvres aux formes humanoïdes serrant leurs poitrines jusqu’à l’explosion. Mais ils étaient les seuls à voir ce dont ils parlaient. Le capitaine et moi, tout comme le médecin de bord ne virent rien de tout les délires dont ils parlaient. Nous mettions ça sur notre situation peu enviable, génératrice d’un stress intense pour ces hommes au mental plus fragile qu’ils le montraient. Mais ça ne s’arrêta pas seulement aux blessés. Peu à peu, tout l’équipage sombra également dans la folie complète. L’un après l’autre, ils hurlaient, parlaient des mêmes créatures vues par les premiers cas, et même d’autres dont je ne me souviens même pas de la description donnée, tellement les détails donnés par ceux persuadés de les voir était du domaine de l’impossible, et défiant toute logique.

 

Cette hystérie collective dura plus de trois heures durant, mettant nos nerfs à dure épreuve, au capitaine, au médecin et moi, qui ne savions plus comment faire. Trois heures qui emportèrent dans la mort 14 autres marins, sombrant par asphyxie, à force de crier, ou se mutilant horriblement. Et ce n’était que le début. On a eu une lueur d’espoir quand un des pilotes nous annonça que le sous-marin pouvait à nouveau bouger. La propulsion nucléaire semblait fonctionner à nouveau. Mais on ne pouvait pas revenir à la surface. Le système de remontée était toujours bloqué par quelque chose dont on ne comprenait pas le principe. On ne pouvait aller que de l’avant, ce qui était déjà un progrès. Mais ne voyant rien de ce qu’il y avait au-dehors, la situation n’était guère mieux. On ne savait pas où on se dirigeait. On ne savait pas si on allait à droite ou à gauche, les instruments étaient devenus comme fou, et ne nous fournissait aucune indication précise. L’indicateur de plongée restait fixe. C’était comme si on nous forçait à suivre une voie invisible, comme si le sous-marin était désormais manipulé par une main qu’on ne pouvait voir.

 

Et on a finalement vu tout ce dont nous parlait les précédentes victimes. D’abord à l’extérieur, sortant de l’obscurité, se collant aux hublots, montrant leurs formes improbables et difformes, aux textures qui n’appartenaient à rien de connu d’un point de vue scientifique. Certaines de ces monstruosités avaient ce qui pouvait ressembler à une bouche. On les voyait les ouvrir, semblant crier, mais aucun son ne sortait de leur gueules cauchemardesque. En revanche, nos oreilles percevaient leurs cris, malgré les parois de notre submersible. C’était comme des poignards qu’on nous enfonçait directement dans les tympans. Assourdissant, faisant suinter du sang de nos oreilles, de notre nez, de nos yeux. Bientôt, quelques créatures entrèrent dans la cabine de pilotage, traversant les parois métalliques. Ça n’avait pas de sens. Leurs formes, je ne saurais même pas comment les définir. Elles avaient des allures de bêtes marines, mais c’était comme des mauvais assemblages de pièces irréfléchies. Des lego mis bout à bout sans structure définie, des dessins dont la perspective défiait tout sens logique.

 

Il y en avait de petites tailles, pas plus grosses qu’une boite d’allumettes, se faufilant sur les jambes des pilotes, hurlant de terreur à leur vue, avant de creuser la chair pour s’introduire à l’intérieur des corps, et en ressortir à un autre endroit, dans un bruit de craquement d’os, laissant évacuer des gerbes de sang mélangé à une substance proche de la mélasse. D’autres créatures, plus grandes, esquissaient des sourires sur ce qui ressemblait à des visages sans yeux, ni nez, ni quoi que ce soit d’autres. Juste des sourires sur une surface vide, semblant plonger dans un néant aussi noir et opaque que l’extérieur. J’ai vu le Capitaine se faire éventrer la tête par deux autres types de créatures, chacune tirant d’un côté, jusqu’à ce que son cerveau soit visible. Le médecin a eu un sort tout aussi monstrueux, sa peau arrachée par une sorte d’étoile de mer géante ayant une tête d’anguille et des dents de requin. Il se fit croquer plusieurs parties de son corps, avant d’être démembré de toute parts.

 

Je préfère ne pas énumérer toutes les horreurs que j’ai pu voir à ce moment. Dans le même temps, j’entendais d’autres cris de marins semblant se répercuter de partout dans le vaisseau. D’autres créatures s’étaient introduites ailleurs, s’en prenant au reste de l’équipage. J’ai honte de l’avouer, mais j’ai profité que toutes ces créatures sorties tout droit de cet enfer aquatique soient occupés à démantibuler mes camarades pour m’enfermer dans la cambuse. Je me suis cloîtré dans le noir, après avoir barricadé le derrière de la porte avec tout ce que je pouvais trouver comme meuble présent dans la pièce. Une précaution inutile, vu que les créatures pouvaient traverser les parois, mais j’étais dans un tel désespoir, une telle terreur que je ne parvenais plus à réfléchir intelligemment. Malgré tout, à ma grande surprise, aucun monstre ne vint là où j’étais. Je pensais à une chose. Toutes les pièces ou endroits où ces créatures étaient apparues étaient pourvues de lumière.

 

Se pouvaient-ils que ce soit ça qui conditionnent leur venue, et déterminent leurs actions. Comme j’étais dans le noir, les créatures ont dédaigné la pièce, pensant peut-être que rien ne s’y trouvait, ou pensant qu’il ne pouvait s’y trouver que des monstres comme eux. Tant que je resterais ici, je pouvais espérer me trouver en sécurité. En tout cas, je me raccrochais à cette éventualité, bien que sommaire et résultant d’une constatation qui pouvait se révéler erronée. J’ai continué à entendre les cris de mes compagnons en proie à ces monstruosités venus des abysses. J’ai perçu le déchirement de leurs chairs, le broiement de leurs squelettes, le son de dents mordants leur peau, accompagné de succions indiquant que quelques créatures aspiraient leur sang ou d’autres parties de leur corps rendu à l’état liquide. J’étais enclin à penser tout et n’importe quoi des facultés de ces horreurs, au vu de ce que j’avais déjà été témoin.

 

Les heures me paraissaient interminables. Cependant, les cris ont fini par se faire plus rare, les hurlements laissant peu à peu la place au silence le plus total. Pour autant, je n’avais pas le courage de me déplacer pour vérifier si les créatures étaient reparties de là d’où elles venaient. La fatigue et le stress ont fini par me faire fermer les yeux. Je me suis assoupi sans même m’en rendre compte. Je ne sais pas trop combien de temps j’ai dormi. Je me souviens juste du silence absolu qui suivit l’ouverture de mes paupières. Un silence de mort, et le mot est on ne peut plus adéquat. J’étais épuisé, anxieux de ce que je risquais de voir, mais je devais savoir. J’en avais assez de me morfondre, et de craindre pour ma vie. Je ne dis pas que j’ai eu des tendances suicidaires à cet instant, mais je voulais en finir avec cette peur. Ça m’était devenu insupportable. Alors, je me suis levé, j’ai retiré tous les obstacles que j’avais mis contre la porte de la cambuse, lentement. Je ne sais pas trop pourquoi, mais je l’ai fait aussi discrètement que possible. C’était illogique, vu que je me décidais à sortir droit vers le danger, voire même la mort, mais sur l’instant, mon cerveau n’était plus vraiment en mesure d’avoir des décisions propres à la réflexion.

 

En ouvrant la porte, j’ai à nouveau fermé les yeux. Quitte à mourir en subissant l’attaque d’une de ces créatures, une fois aperçu, je préférais ne pas voir ce qui causerait la fin de ma vie. J’ai attendu quelques minutes, mais rien. Aucune trace de morsure, de jambe qu’on m’arrachait ou d’une partie de mon corps traversé par un quelconque membre gluant ou autre. Je rouvrais les yeux, et je ne voyais aucun monstre, quel que soit l’endroit où se portait mon regard. Juste un spectacle morbide où s’amoncelaient les corps en charpie de mes anciens compagnons, éventrés, leurs têtes écrabouillées, leurs organes ressortis ou en grande partie dévorés, quand leurs membres étaient rattachés au tronc, ce qui était rare. Mais plus aucune trace de ces créatures. J’ai poussé le vice en inspectant chaque recoin du sous-marin, et je n’en ai vu aucune. Pour autant, le cauchemar n’était pas terminé. J’étais vivant certes, mais toujours prisonnier de ces abysses d’où je ne pouvais pas sortir.

 

Si je relançais le moteur de l’appareil, je prenais le risque d’avertir ces monstres au-dehors, cachés dans l’obscurité, qu’il restait une proie leur ayant échappé. De toute façon, je n’étais même pas sûr que j’aurais pu faire redémarrer le sous-marin. Celui-ci était presque dans une obscurité proche de celle de l’extérieur. Je m’en étais aperçu déjà dans l’ensemble des couloirs et pièces un peu partout, et c’était la même chose dans la cabine de pilotage. Je supposais que la machinerie de la turbine nucléaire avait été endommagée, et il ne faudrait sans doute pas beaucoup de temps avant de me retrouver dans le noir total. Je me retrouvais être le seul être vivant de ce tombeau aquatique, dérivant je ne savais où. Peut-être que la force nous ayant amené au sein de son monde avait fini par lâcher prise, maintenant qu’elle avait « épurée » ce qu’elle avait peut-être considéré comme un parasite n’ayant pas sa place sur son lieu de vie.

 

Je me rendais compte que je venais de personnifier cet abysse, comme si c’était un être vivant à part entière, pensant et réfléchissant comme un humain. Ça semblait tellement impossible et stupide. Mais pas si éloigné finalement de ce qu’on avait vécu. Sinon, comment expliquer avoir été aspiré de la sorte en son sein, comment donner une explication de l’impossibilité de remonter, une fois stabilisé, semblant être tenu de suivre un chemin dont on ne pouvait pas s’écarter ? Peut-être que c’était ce qui constituait cet abysse : un être vivant d’une ampleur colossale, ayant en lui ce qu’on pourrait apparenter à un système immunitaire. Dans ce sens, le sous-marin et tout ce qu’il contenait avait été perçu comme un parasite à éliminer pour éviter d’avoir une maladie dans son organisme. Ce n’était pas si idiot, vu comme ça. Et maintenant que le « virus » était sans danger, qu’il n’était qu’une coque sans risque de contamination, il ne représentait plus de surveillance de la part de ses anticorps.

 

Je me confortais à cette idée en voyant l’indicateur de plongée. 478 mètres. Et ce nombre décroissait. Lentement, mais il décroissait. Ce qui veut dire qu’il remontait peu à peu. Je jubilais intérieurement, mais ma joie fut de courte durée. La teneur en oxygène, primordiale pour ma survie, n’excédait pas une heure. Jamais le sous-marin ne pourrait revenir à la surface en un temps si court. Je serais mort asphyxié bien avant ça. J’étais donc condamné. C’est là que j’ai pris la décision d’écrire ce journal. Un testament pour ceux qui viendraient à découvrir ce mausolée flottant, une fois revenu en haut. Une explication au massacre qui avait eu lieu ici. J’ignore si les instruments que j’ai sous les yeux reflètent la réalité, ou si c’est un songe que je fais, pour oublier qu’en fait, je plonge encore plus dans les ténèbres de l’abysse. Cet enfer qui a valu la mort de tout l’équipage.

 

Maintenant, vous savez. Vous savez que l’Enfer existe, et qu’il se trouve quelque part au fond de l’océan. Oubliez les démons avec leurs queues fourchues, leurs cornes, les gouffres plein de flammes et autres idioties énumérées dans les manuscrits et créées de toute pièces par des moines aux idées discutables. Le vrai Enfer est bien plus terrible que ces petits diablotins ricanant, jouant aux dés pour savoir dans quel cercle on va être dirigé. Les habitants de l’Enfer, le vrai Enfer, ne vous envoient que dans un seul endroit, un seul cercle. Il n’y a pas de passeur vous emmenant dans une barque, il n’y a pas de dieux pesant vos péchés et vos bienfaits sur une balance. Il n’y a que des monstres abominables qui vont vous déchirer à la fois votre corps, votre âme et vos espoirs de revoir la lumière du jour. Ici, il n’y pas d’Orphée pouvant venir vous libérer, il n’y a pas de gardien que vous pouvez charmer par la musique d’une lyre pour revenir chez les vivants. Il n’y a que la peur, le désespoir et la mort pour vous tenir compagnie.

 

Je ne sais pas si on lira mon journal, ni ce que vous en ferez, mais croyez-moi : il y a pire que la mort elle-même, bien pire que l’image de cette faucheuse bien terne en regard de ce qui vous attend si vous décidez d’aller au plus profond des océans. Il y a peut-être d’autres abysses comme celle où je suis prisonnier, d’autres portes de l’Enfer d’où vous ne ressortirez pas une fois à l’intérieur. Les océans sont très loin d’avoir livré tous leurs secrets, et vous n’imaginez pas toutes les monstruosités qui s’y cachent, attendant dans l’ombre de vous entraîner dans leur royaume pour se délecter de votre corps.

 

Si j’ai un conseil à vous donner, fuyez la mer. Fuyez le métier de marin, quel que soit votre spécialité, votre corps de métier. Pour l’instant, les habitants de l’Enfer s’en tiennent à rester chez eux, au fond des abysses. Mais je reste persuadé qu’un jour, ils décideront de monter à la surface. Et ce jour-là, vous n’avez même pas idée de l’apocalypse qui s’en suivra, car il n’est pas dit que ces créatures se limitent à se déplacer uniquement dans leur environnement premier, là où l’équipage du Wyoming V a vécu 20.000 cauchemars sous les mers…

 

Publié par Fabs

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