14 oct. 2020

LA MALEDICTION DE LA SORCIERE

 


Halloween… La nuit des vampires, loups-garous, zombies et autres créatures, qui depuis des temps immémoriaux ont toujours fascinés les êtres humains, au point qu’ils se revêtent cette nuit-là de leur apparence, se prenant au jeu, du soir au lever du jour. Bien sûr, ce ne sont pour la plupart que des costumes, des masques, des maquillages, pour jouer à se faire peur, qu’on soit enfant ou bien adultes. Mais sous ces faux visages se cachent parfois une réalité bien tangible, capable de jouer des tours bien plus dangereux que ceux des petits monstres mignons faisant le tour des maisons en quête de bonbons, chocolats et autres friandises, à même de satisfaire leur gourmandise exacerbée. Tous les chapeaux pointus n’ont pas forcément été fabriqués, puis vendus aux fêtards en tous genres, dans une boutique colorée de toiles d’araignées factices, de citrouilles éclairées par une bougie et de mannequins aux effigies des grandes figures des films d’horreur. Certains sont bien réels, tout comme leur propriétaire. Et il n’est pas toujours bien sage de provoquer leur colère, sous peine de découvrir le vrai sens du mot terreur.

 

Un mot qui va montrer toute sa substance à Stanley et sa petite bande de potes, tout juste sortis d’un début de soirée sous l’emprise de l’alcool, après que ceux-ci aient eu la malencontreuse idée de s’amuser aux dépens d’une vieille femme aux habits élimés se trouvant sur leur route. Vêtue, comme nombre d’autres ce soir-là, du classique costume de sorcière, noir comme la nuit, et de son chapeau long assorti. Assise aux abords d’un parc, semblant se reposer d’un voyage fatiguant, elle attira l’attention de la petite bande éméchée à l’extrême, qui, la bêtise due à leur âge aidant, commença à user de grimaces pour se moquer de son aspect et de son visage qu’ils pensaient fait de latex propre aux masques disponibles dans n’importe quelle boutique spécialisée dans les fêtes célébrant l’évènement du 31 octobre. Sans doute agacés par son impassibilité, ils redoublèrent de stupidité en poussant la vieille contre la petite clôture où elle s’était adossée. Lui retirant son chapeau, le délabrant, malgré les protestations de cette dernière, qui tentait visiblement de garder son calme face à cette horde de pénibles demeurés. Une résistance qui ne fit qu’augmenter le degré d’irrespect de Stanley, la jetant au sol violemment, la rouant de coup avec ses pieds, bientôt imités par ses camarades, agissant comme de braves petits soldats obéissant aux agissement de leur chef. Le traitement dura plusieurs minutes, frappant toujours plus fort, côtes, jambes, bras et visage, sans tenir compte des hurlements de douleur de la pauvre vieille, riant comme s’ils se trouvaient face à un spectacle comique.

 

Au bout d’un moment, sans doute lassés de ne plus voir leur victime d’un soir bouger, sans même se poser la question de son état de santé, finirent leur œuvre en lui crachant dessus. Stanley parachevant l’œuvre dont il était l’initiateur en urinant sur le visage tuméfiée de la vieille femme, réveillant celle-ci de la torpeur due à la pluie de violence dont elle venait d’être victime. Mais la petite troupe ne s’était pas rendu compte de ce retour à la lumière, car ils étaient déjà en route pour d’autres probables méfaits. Tentant non sans mal de se relever, malgré les courbatures l’assaillant de toute part, la vieille femme trouva la force de se mettre à genoux, fusillant du regard les jeunes délinquants qui s’éloignaient peu à peu de son regard. Son visage, auparavant serein et fatigué fit place à la colère et la haine envers ses tourmenteurs. Elle psalmodia quelques phrases dans une langue inconnue, tenant à la fois du latin et d’un dialecte disparu, proférées en direction de la bande, les sourcils froncés, la bouche mauvaise, faisant ressortir les veines parsemant son visage bleui par la sauvagerie de son agression gratuite. Au bout de quelques minutes, elle arrêta sa mélopée vengeresse, en esquissant un petit sourire sardonique, visiblement satisfaite de son rituel quasi inaudible.

 

Plus loin, Stanley et sa bande continuaient leur épopée aux vapeurs alcoolisée, sans trop savoir où aller, se dirigeant presque par instinct au gré de la route qui se dressait devant eux. Au bout d’un moment, une étrange brume venant du ciel descendit lentement sur le petit groupe, les enveloppant peu à peu, avant de se densifier, formant un épais brouillard irréel. Ayant du mal à réaliser ce qui arrivait, à cause de la quantité de bières ingurgitées, sans même s’apercevoir de quoi que ce soit, les 4 membres du groupe, Stanley, Phil, Dorian et Stacy, se retrouvèrent séparés les uns des autres, plongés au cœur du brouillard, de plus en plus épais, formant une sorte de barrière naturelle, une zone qui allait bientôt leur révéler sa vraie nature, les emmenant en plein cœur de leurs pires cauchemars. Stacy, la seule à avoir encore un brin de lucidité, malgré son ébriété, fut la première à se rendre compte de l’absence de ses camarades, et de la présence du brouillard qui l’entourait. Elle appelait Stanley, mais il ne répondait pas. Commençant à quelque peu s’inquiéter de se retrouver seule au milieu de nulle part, elle cria plus fort, tentant d’obtenir une réponse de Stanley, puis de Phil et Dorian. Mais plus elle s’époumonait, plus la peur s’emparait d’elle, à mesure que le silence alentour s’était emparé de son espace. Elle commençait à paniquer fortement, quand elle aperçut devant elle une silhouette qui se dessinait au cœur du brouillard. Rassurée, elle se dirigea vers l’ombre rassurante, pressant le pas, pour être plus  près. 

 

Mais une fois arrivée devant la silhouette dont les traits étaient devenus visible, elle eut un mouvement de recul en voyant qui était devant elle. Son visage devint blafard, en proie à une panique profonde. Elle ne pouvait croire ce qu’elle voyait. C’était impossible. Devant elle se trouvait son père, mort depuis près de 5 ans. Mais son expression était pleine de vide dans son regard. On aurait dit une marionnette qui se serait libérée de ses fils. Puis, ce dernier sourit. Mais ce n’était pas vraiment un sourire à proprement parler. Plutôt un rictus. Exactement le même qu’il arborait avant de la frapper quand il était encore de ce monde. Elle ne comptait plus le nombre de bleus que ce dernier lui avait infligé durant son enfance, des coups par centaines. Donnés parfois simplement parce qu’elle avait eu le malheur de mettre de la terre dans l’entrée. Ou parce qu’elle avait mis la musique trop forte. Il l’avait terrorisée pendant des années, à tel point qu’elle supportait à peine quand quelqu’un lui touchait le bras. Elle s’était sortie de ce cauchemar grâce à un conseiller du lycée qui avait remarqué un bleu sur le haut de son cou. Une enquête s’ensuivit, et son père fut emprisonné. Quelques mois plus tard, on lui apprenait la mort de celui-ci, suite à une querelle avec un autre prisonnier. Un soulagement pour elle. Et le début d’une nouvelle vie. C’est après qu’elle avait rencontré Stanley et les autres.

 

Et pourtant, malgré la certitude qu’il était mort, il était bien là devant elle. Elle n’arrivait même plus à bouger, tellement elle était en proie à la panique. Panique qui augmenta quand son père défunt montra sa main pourvue d’un rasoir, qui semblait étinceler malgré le brouillard environnant. Elle aurait voulu à nouveau crier, mais elle n’y arrivait pas.  Elle ne pouvait pas non plus bouger, comme si une force invisible la retenait. Et quand son père s’approcha d’un coup pour lui trancher la gorge, elle eut à peine le temps de comprendre ce qui lui arrivait, avant de s’écrouler au sol, gisant dans une mare de sang, agonisant peu à peu, pendant que son père continuait de sourire en la regardant. En quelques secondes, sa vie s’arrêta. Au même moment, son père s’évanouit dans le brouillard comme il était venu.

 

Dans le même temps, à un autre endroit, Phil, comme Stacy avant lui, s’inquiétait de ne voir personne lui répondre, malgré les appels incessants qu’il lançait régulièrement. Ce silence l’angoissait. Il commença à fouiller sa poche afin d’en sortir son inhalateur. Mais dans la panique, tremblant des mains, il fit tomber celui-ci dans le brouillard. Se mettant à 4 pattes dans l’espoir de le retrouver, il entendit soudain des pas s’approchant de lui. Pensant dans un premier temps qu’il s’agissait d’un de ses camarades, il appela à nouveau dans la direction d’où venaient les pas. Mais ceux-ci lui semblaient curieux. Des pas lourds, avec un bruit de cliquetis. Comme des lames s’entrechoquant. Ça lui rappelait quelque chose, mais il n’arrivait pas à se souvenir. Se relevant peu à peu, peinant à respirer, il vit une silhouette qui perçait bientôt le brouillard. Et là, la peur l’envahit, en même temps qu’il commençait à suffoquer. Devant lui se trouvait le boucher qui lui faisait tellement peur quand il était enfant. A chaque fois qu’il devait aller acheter de la viande dans sa boutique, à la demande de ses parents, il bredouillait. En plus de ça, le boucher n’était pas vraiment un modèle de patience, et le pressait de lui demander ce que ses parents lui avaient demandé de prendre. Ce qui le faisait paniquer encore plus. Et une fois sur deux, il sortait de la boutique en courant, sans prendre quoi que ce soit. Et c’était son frère qui était obligé d’y aller à sa place. 

 

Mais il ne pouvait pas être là. Il avait été renversé par une voiture l’année des 15 ans de Phil. Un accident horrible. Le choc avait été tellement violent que ses tripes garnissait la route, maculant les trottoirs de sang, la tête avait été arrachée sous l’impact, et avait atterrie sur le capot de la voiture l’ayant renversée. Et pourtant, il était bien là en face de lui, la tête sur les épaules, ses tripes bien à l’intérieur, et avec toujours son air menaçant. Phil cherchait désespérément son inhalateur autour de lui. Il suffoquait de plus en plus à mesure que le boucher approchait. Soudain, il sourit : son inhalateur était là, à quelques centimètres. Mais alors qu’il se penchait pour le récupérer, un réflexe lui fit lever la tête. Juste à temps pour voir le boucher au-dessus de lui, brandir son hachoir dans sa direction. Phil n’eut pas le temps de crier que déjà l’instrument de mort s’abattit sur son crâne, le fendant en deux avec une force inimaginable, laissant échapper un flot de sang dans les airs, et mettant à nu son cerveau. Phil s’écrasa au sol, mort sur le coup, pendant que l’intérieur de son crane se déversait lentement devant lui, et que le boucher, satisfait, repartait d’où il était venu, dans les limbes du brouillard.

 

A quelques mètres, Dorian, tout comme ses malheureux amis avant lui, avait lui aussi tenté de faire connaître sa présence en criant, dans l’espoir d’une réponse. Mais en vain. Il ne comprenait pas. Il y avait seulement quelques instants, il n’y avait même pas de brouillard. Comment celui-ci s’était-il développé aussi vite ? C’était à n’y rien comprendre. En plus de ça, il avait horreur de se retrouver seul. Ca le mettait dans une panique démesurée. Sa claustrophobie lui avait toujours causé les pires terreurs. Pourtant, il n’était pas à proprement parler dans un endroit clos et fermé. Mais ce brouillard était tellement étrange, que le résultat était le même. Alors qu’il s’apprêtait à appeler à nouveau les autres, il entendit quelque chose derrière lui. Un son qu’il n’avait pas entendu depuis des années. Un grognement de chien. Mais pas n’importe quel grognement. Il ne reconnaissait que trop bien celui-ci. A cause de son bruit caractéristique de crissement de dents l’une sur l’autre qui semblait se mettre au diapason du son sortant de la gorge de l’animal. Il avait 9 ans à l’époque. Le voisin avait un rottweiler qui le terrorisait à chaque fois qu’il passait devant la barrière du jardin de ce dernier. Montrant les dents avec ce son particulier, comme pour lui signifier qu’il était prêt à lui sauter dessus. Un jour, n’y tenant plus, il avait balancé dans le jardin un morceau de viande, imbibé de mort aux rats. L’animal était mort dans d’atroces souffrances. Même si le voisin l’avait soupçonné, il n’avait jamais pu prouver que Dorian était à l’origine de l’empoisonnement constaté par le vétérinaire après l’autopsie. 

 

Pourtant, c’était ce même grognement qu’il entendait. Il n’osait même pas se retourner, tellement sa peur était grande. Il resta ainsi plusieurs minutes, alors que le grognement se faisait de plus en plus proche. La terreur l’envahissait à chaque seconde, n’osant toujours pas se retourner. Puis il se dit que c’était sûrement son imagination. Ce chien était mort. Il ne pouvait pas être là. Dorian prit alors une grande inspiration et se retourna d’un coup. Et là, le chien de son voisin, celui qu’il avait empoisonné était bel et bien en face de lui. Grognant et bavant. Et cette fois, il n’y avait pas de barrière pour les séparer. Ils restèrent ainsi plusieurs secondes à s’observer, avant que Dorian tente de s’enfuir en courant. Mais c’était peine perdue. Le chien lui sauta dessus, dirigeant ses crocs acérés vers sa gorge, qu’il déchiqueta à plusieurs reprises, arrachant des lambeaux de chairs qu’il jetait au loin, avant de reprendre son œuvre. Déversant une rivière de sang tout autour. Dorian tenta de se débattre, refoulant les attaques. Mais bientôt, ses forces l’abandonnèrent au fur et à mesure que sa gorge ressemblait plus à un trou béant qu’à autre chose. Au bout d’un instant, Dorian succomba aux morsures du molosse, et resta immobile, définitivement. Semblant satisfait, le chien cauchemardesque repartit à l’intérieur du brouillard.

 

Plus loin, Stanley, qui s’était assoupi sous l’effet de l’alcool, commençait à émerger peu à peu. Il lui semblait avoir entendu des cris dans son demi-sommeil. Mais il avait sûrement rêvé. Il voyait bien qu’il était seul. Il pestiférait, car il était persuadé que les autres l’avaient laissé là, à cuver sa bière. Il regardait autour de lui. Il venait juste de s’apercevoir de la présence du brouillard. Il y avait autre chose. Une odeur de brûlé. Mais il ne voyait aucun feu. En même temps, avec l’épaisseur du brouillard, s’il y avait un incendie quelque part, c’était presque impossible de voir quelque chose. Ce qui était bizarre, c’était que l’odeur semblait se rapprocher. Et plus elle se rapprochait, plus il entendait comme une sorte de grésillement. Comme quand un corps est en proie aux flammes. Un souvenir lui revint alors en tête. Ce fameux jour où il avait abandonné son petit frère dans cette cabane pourrie. Ca remontait à l’année dernière. Ce jour où, il avait voulu montrer à son jeune frère comment faire un feu. Comme ça ne prenait pas à cause du bois humide, il n’avait rien trouvé de mieux de vider sa fiole d’essence à briquet. Le feu était devenu incontrôlable. A cause de la panique, il s’était enfui, laissant son petit frère périr dans les flammes. Au bout de quelques minutes, pris de lucidité, il était revenu en arrière pour le sortir de là. Mais il était trop tard. Il voyait encore son petit frère se faire brûler vivant sous ses yeux, avec cette odeur et ce grésillement. 

 

C’était la même odeur que ce qu’il sentait en ce moment. A peine repensait-il à ça qu’il vit un corps en flammes traverser le brouillard. Un corps d’enfant. La sueur perlait sur son front à sa vue. Mais ce n’était pas à cause de la chaleur. C’était de la peur. C’était son frère qui était en face de lui. Son frère qu’il avait laissé mourir à cause de sa stupidité, et sa lâcheté. C’est après ça qu’il s’était mis à boire à outrance. Et il n’avait jamais arrêté depuis. Mais ça ne pouvait pas être vrai. Son frère était mort, il en était sûr. Il avait vu son corps carbonisé. Alors, comment pouvait-il être là, en face de lui ? Stanley voulait bouger, mais il avait l’impression que ses pieds étaient collés au sol. Impossible de les bouger. Et son frère qui continuait à brûler en s’avançant. Il lui criait de partir. Qu’il était désolé. Il ne voulait pas mourir. Mais ses paroles n’eurent aucun effet. Son jeune frère se colla à lui, l’entraînant dans une farandole de flammes. Stanley hurlait, pendant que les flammes décollaient sa peau, faisant fondre son visage et carbonisait le reste de son corps. Jamais il n’avait ressenti une douleur aussi intense. C’était comme si tout l’enfer s’emparait de lui. Il avait l’impression que plus il hurlait, plus la douleur s’intensifiait. Mais bientôt, il ne parvenait plus à crier. Son corps était réduit à un tas d’os et de chair brûlé, où les flammes continuaient à danser. Stanley n’était plus de ce monde, et au même moment les flammes qui avaient causé sa perte avaient disparues dans les hauteurs du brouillard.

 

Au bout de quelques minutes, le brouillard devint moins épais, s’amenuisant, avant de remonter vers le ciel d’où il était venu, laissant dans la rue 4 corps affreusement mutilés à la vue de tous. Des pas se firent bientôt entendre, se dirigeant vers le lieu du massacre. C’était la vieille femme venue constater la réussite de sa vengeance. Terrible, mais à la hauteur du crime dont elle avait été la cible. En tout cas, de son point de vue. Jetant un dernier regard sur ses anciens tortionnaires, elle tourna les talons, puis, quelques mètres plus loin, elle claqua des doigts, et en un instant, disparut dans un éclair de lumière incandescente, en plein cœur de la nuit d’Halloween.

Publié par Fabs

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