1 oct. 2020

LA MEILLEURE DES VIANDES


 


Le marché de la viande. Colossale industrie qui génère des millions de bénéfices à travers différentes marques, où chacune rivalise d’ingéniosité pour proposer la meilleure qualité afin de s’élever au-dessus des autres. Tout est mis en œuvre pour attirer le maximum de clientèle à choisir leur produit, que ce soit par les emballages élaborées, les visuels attirants, la mise en avant des labels de qualité ou la traçabilité et l’origine des cheptels les plus en vogue suivant la région. Malgré l’expansion du phénomène Vegan, c’est un marché qui génère toujours plus d’adeptes à la recherche de la meilleure saveur à déguster goulument. Pour arriver à obtenir cela, les abattoirs chargés de fournir ces revendeurs conceptualisent des machines toujours plus complexes, afin de rendre cette saveur recherchée la plus proche de la perfection, dans le but de toucher le plus possible de futurs marchés. Mais qu’en est-il vraiment de ce qui compose cette viande tant appréciée ? Quelles sont les techniques utilisées pour obtenir cette qualité ? Et surtout, quel est le secret véritable derrière ce goût inimitable que l’on veut obtenir dans nos assiettes ?

C’est cette question qu’un jeune journaliste freelance en mal de reconnaissance a voulu chercher à résoudre, en enquêtant sur cette filière lucrative, afin de se faire un nom, en offrant au grand public des réponses détaillées sur la manière de mettre au point cette alimentation, capable de déchainer des passions chez certaines catégories de personnes, pour qui la viande est presque un art à part entière. Son enquête s’est intéressée à un abattoir de la région, réputé pour proposer une matière première à même d’attirer les revendeurs les plus exigeants quant à cette qualité recherchée. Mais il s’est vite heurté à un non catégorique de la part des exploitants du fameux abattoir, voulant préserver le secret de fabrication de leur entreprise. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne faisaient pas les choses à moitié, entourant leur propriété d’une sécurité accrue pour empêcher les fouineurs tel que Ludovic de découvrir leur méthode jalousement gardée.

Voulant malgré tout savoir plus que tout les raisons qui pouvaient pousser un simple abattoir régional à se protéger derrière une sécurité étonnante, Ludovic décida de se passer des autorisations de ladite entreprise pour mener à bien son enquête, qui, il en était sûr, lui apporterait enfin la reconnaissance dans le métier qu’il recherchait tant. Pour lui, il ne faisait aucun doute que cette protection exagérée cachait autre chose qu’une simple technique secrète de transformation de viande. Et il voulait absolument découvrir ce qui se tramait vraiment au sein des locaux de cet abattoir surprotégé.

Alors, il eut l’idée de se trouver un poste d’observation, un promontoire rocheux situé en amont du site de l’entreprise, lui permettant de voir les allées et venues se déroulant autour de l’enceinte de l’abattoir. Il passa ainsi plusieurs journées, armé de jumelles récupérées sur un site du Dark Web vendant du surplus militaire. Adresse obtenue grâce à un de ses contacts qui lui devait un service. Masqué par les épais fourrés situés sur la surface du promontoire, il observa le va et vient nuit et jour. C’est ainsi qu’il nota quelque chose qui lui semblait curieux. Une fois tous les 2 jours, des camions dotés d’inscriptions en alphabet cyrillique venait livrer leur marchandise à l’abattoir. Mais ce qui sortait de ces camions ne semblait pas être des bœufs ou des agneaux.

Si ses jumelles lui permettaient de voir distinctement ce qui se passait à l’extérieur du site, au  niveau des grandes grilles l’entourant, il lui était beaucoup plus difficile de voir avec netteté ce qui se passait à l’intérieur. Tout au plus pouvait-il voir qu’il s’agissait de sortes de grandes cages drapées de noir, montées sur des sortes de roulettes. C’était vraiment étrange toutes ces précautions pour cacher cette marchandise. Et encore plus qu’elle soit livrée par des camions ressemblant à s’y méprendre à ceux utilisés par l’armée russe. Une fois qu’il aurait trouvé comment pénétrer dans l’enceinte de l’abattoir, il serait curieux de savoir ce que contenaient ces fameuses cages. Mais pour l’heure, après 6 jours de surveillance continue, il n’avait pas encore trouvé de faille.

3 jours plus tard, la chance lui sourit enfin : à force d’observation, il avait remarqué un point du site où la surveillance ne se composait que de 2 gardes, qui était relevé toutes les 4 heures. Et lors de cette relève, l’endroit restait non surveillé pendant près de 20 minutes. Le timing risquait d’être serré, et non dénué de risques, car il lui fallait déjà s’approcher suffisamment du point sans se faire repérer au moment de la relève, mais néanmoins, il avait enfin trouvé le petit accroc dans la sécurité qui pourrait lui permettre de se faufiler, d’autant que l’endroit où se situait les gardes ne comportait qu’une seule couche de grillage, contrairement aux autres endroits qu’il avait pu observer, constitué de 3 couches.

Sans doute que les exploitants de l’endroit pensaient-ils que rien ne pouvait venir de cette région du site. Une aubaine que Ludovic ne pouvait manquer d’exploiter pour mener à bien son audacieuse intrusion. En plus de cela, il avait remarqué également que lors de l’arrivée des fameux camions transportant cette fameuse marchandise inconnue, la recrudescence de la sécurité se concentrait sur les alentours du déchargement des cages. Du coup, le point qu’il avait repéré se retrouvait sans surveillance pendant plus longtemps que les 20 minutes de la relève.

2 jours plus tard, muni de coupe-boulons pour découper une ouverture discrète dans le grillage, Ludovic se faufila jusqu’à l’endroit repéré, profitant de l’absence de la garde, occupé par l’arrivée des cages, se fraya une entrée personnalisée, et put pénétrer dans l’enceinte de l’abattoir mystérieux.  Avançant prudemment, il parvint jusqu’à une porte située devant lui, elle aussi sans surveillance, et dénuée de toute forme de serrure. Il poussa la porte, et se retrouva ainsi à l’intérieur. Se retrouvant dans un long couloir, il continua d’avancer, scrutant le moindre pas autour de lui, afin de ne pas se faire repérer. Sur sa gauche, il vit une grande porte battante dotée de grands hublots transparents. Il s’approcha et fixa ce qui se trouvait de l’autre côté.

Il vit alors une série de machines propres à ces dizaines d’abattoirs qu’il avait eu l’occasion de voir à travers des documentaires, où se relayait des quartiers d’animaux placés par des ouvriers, afin d’être transformé en ces morceaux de viande que tout carnivore qui se respecte, attendait fébrilement de voir débarquer dans son assiette. Rien de curieux ici, donc. Il continua son avancée dans le couloir jusqu’à arriver à une sorte de porte métallique où le mot « Privé » résonnait comme un appel à y pénétrer. Ce qu’il s’empressa de faire. A l’intérieur, un lieu des plus banal, avec son lot d’armoires, de classeurs de toutes sortes, et un bureau où figurait plusieurs dossiers.

Désirant en savoir plus, il s’approcha, histoire de voir ce que contenaient ces documents. Nouvelle surprise : il s’agissait plutôt de sortes de fiches d’identités avec des photos, de personnes venant d’endroits multiples : prisons, centre de rééducation, Ehpad,… Il y avait aussi des cartes de visites de médecins, de personnalités politiques ou encore de dignitaires militaires. Qu’est-ce que tout ça pouvait avoir comme rapport avec un abattoir ? Soudain, venant du couloir d’où il venait, il entendit comme des sortes de plaintes sourdes. Sortant de la pièce où il se trouvait, il tenta de trouver d’où pouvait bien venir ce son. Se guidant à l’oreille, il découvrit que les sons venaient de l’autre côté d’une autre grande porte battante. Malgré l’angoisse qui le tenaillait, il poussa la porte et se retrouva dans une grande salle immense où se trouvaient les fameuses cages qui l’avaient tant intrigué lors de son repérage pour pénétrer sur le site.

Là, il crut défaillir tellement le spectacle se présentant devant ses yeux semblait tout droit sortir d’une de ces représentations de l’Inquisition espagnole qu’il avait pu voir dans des livres d’histoires. Dans les cages se trouvaient des hommes, des femmes et même de simples ados, les mains attachées dans le dos, enchaînés, la bouche fermée ou plutôt cousue. Tous semblaient clairement être destinés à une chambre des tortures ou quelque chose d'assimilé. Comment pouvait-on faire subir de tels traitements à des êtres humains ? Ludovic tenta bien d’essayer d’ouvrir les cages, mais sans les clés, c’était sans espoir. Il voyait leurs yeux remplis de terreur, essayant de remuer dans tous les sens, pour essayer de se dégager de leurs entraves, et semblant appeler le jeune journaliste à les aider. Mais Ludovic ne pouvait rien faire pour eux.

Il entendit un autre bruit semblant venir d’une pièce voisine. Un bruit strident qui faisait penser au fonctionnement d’une scie circulaire en pleine action. Faisant un geste aux prisonniers en mettant son doigt sur la bouche, afin qu’il puisse s’approcher sans alerter ceux qui pouvaient se trouver de l’autre côté, il s’approcha furtivement de l’endroit d’où semblait provenir le fameux son. Une autre porte avec de grands hublots de forme rectangulaire se présenta alors à lui. Il se glissa sur le côté de la porte, afin de pouvoir voir ce qui se passait à l’intérieur sans être vu. Et là, Ludovic crut qu’il allait vomir tout ce qu’il avait pu consommer de solide ces 10 derniers jours.

A l’intérieur de la pièce, des hommes habillés de blouses de Bouchers étaient  affairés à découper des corps disposés sur ce qui ressemblait fort à une table d’opération. Du sang giclait à chaque découpe qu’ils pratiquaient, rejoignant celui jonchant déjà le sol, d’un rouge presque écarlate, tellement il y en avait. Sur un coin de la pièce, il vit des amas d’os humains de toutes tailles : fémurs, tibias, péroné,… Voilà à quoi étaient destinés les malheureux enfermés dans les cages. Ils n’étaient ni plus ni moins que de la viande à découper. Alors, c’était ça le secret si bien gardé de cet abattoir ? Rien que de penser qu’il avait peut-être déjà mangé une de ces pauvres hères sous forme de steak haché, de bavette ou bien d’entrecôte, il ne put plus se retenir et vomit sur le sol, tellement il était écœuré par ce spectacle digne du plus macabre des films de category III, comme en font régulièrement certaines firmes cinématographiques japonaises. Un geste qui risquait de lui être fatal.

Mais Les bouchers  de la pièce voisine entendirent le bruit et se ruèrent vers la porte les séparant de Ludovic. Celui-ci se releva non sans mal, et tenta de se diriger vers la sortie, ne voyant pas que l’un des bouchers  appuya sur une sorte de sonnette, déclenchant une alarme tonitruante à travers tout le site. Etant parvenu à revenir dans le couloir, il chercha à retrouver celle qui lui avait permis d’entrer dans cette succursale de l’enfer. Mais il était trop tard : devant lui, une véritable de cohortes de gardes  armés se dressèrent devant lui. Ludovic savait qu’il ne servait à rien de résister. Que pouvait-il bien faire face à des pistolets braqués sur lui. Il ne put qu’obéir à leurs ordres et mit les genoux à terre, les mains derrière la tête, comme un otage prêt à être exécuté.

Mais ce ne fut pas le cas : bien au contraire, sous les recommandations d’un des bouchers, les gardes  conduisirent Ludovic vers une autre porte menant à une autre chaine de transformation, située en contrebas de l’endroit où ils se trouvaient. Mais celle-ci n’avait rien à voir avec celle qu’il avait vue précédemment. Haute de près de 4 mètres, une gigantesque machine se dressait devant lui, devant laquelle se trouvait un long tapis roulant parsemé de tétines de fer. Les gardes, après lui avoir attaché pieds et mains, le disposèrent sur le tapis, puis déclenchèrent le fonctionnement de ce dernier, mettant immédiatement en route l’infernale machine, d’où sortaient d’autres tapis de fer de part et d’autres. Autour de lui, il put mieux mesurer l’ampleur, la complexité et le morbide de l’endroit à travers une véritable vision de cauchemar.

Il voyait d’autres bouchers affaires à sortir des corps humains débarrassés de leur peau, la chair à vif, dépourvu de leur tête et de leurs membres, accrochés à de grands crochets de fer, comme du vulgaire bétail. Plus loin, d’autres hommes pourvus de masques chirurgicaux poussait des bacs roulants d’où dépassait bras et jambes en pagaille. Ailleurs, c’était ce qui ressemblait à des cervelles humaines qui étaient placés sur un tapis roulant similaire à celui où il se trouvait, les membres vus précédemment avaient le même traitement. Le tapis les menait vers d’autres  énormes  machines, d’où sortait  à leurs extrémités des barquettes cellophanes par centaines, identiques à celles que l’on trouve dans la plupart des hypermarchés. Sur une autre chaîne, c’était d’autres organes qui étaient transformés : foies, pancréas, cœurs,... et c’était aussi pareil pour les corps suspendus, qui ressortaient sous forme de steaks, de viande hachée ou de faux-filet. L’horreur était totale. Voilà ce que l’on mangeait réellement en grande partie lors de nos repas familiaux. L’idée même qu’il ait pu dévorer des parties de ces malheureux enchaînés dans les cages de l’autre pièce le révulsait de la pire des façons. Même les os étaient réutilisés en tant que friandises pour chiens, ou broyés pour remplacer des farines animales.

Au fur et à mesure que Ludovic se rapprochait de la machine devant lui, il  put percevoir ce qui composait son intérieur : une série de hachoir à viande monumentaux, de scies d’une taille qu’il ne pensait pouvoir exister, de masses qui aurait pu faire jalouser n’importe quel personnage de Tex Avery. Plus il s’approchait de la machine de mort, plus Ludovic sentait sa vie arriver à son terme. Il n’essayait même pas de se libérer de ses liens. Ça ne servirait à rien. Il serait immédiatement repris et disposé à nouveau sur ce tapis de l’horreur. Il ne restait plus que quelques mètres. Ludovic commença à fermer les yeux, sans doute pour ne pas voir sa propre mort venir. Mais il ne les ferma pas assez tôt, ou plutôt, la terreur qui le saisit d’un seul coup l’en empêcha en voyant les masses lui briser chaque os de son corps dans un bruit imprononçable, les scies découper ses bras et ses jambes, expulsant chaque centimètre de chair composant son corps, projetant tout ce que ce que ce dernier possédait de sang dans les rouages de la machine béante, identique à une mâchoire d’une créature du Purgatoire.

La douleur qu’il ressentait était tellement intense qu’il n’arrivait même plus à crier, tellement il était tétanisé, alors que les instruments mortels continuaient leur œuvre, faisant de chaque entrailles qui avait fait de lui autrefois un être humain, une purée dégoulinante faite de sang et d’une multitude de morceaux de chair. Et alors que sa vie venait de partir de lui, les 2 hachoirs monstrueux fermant la chaine de la machine s’abattirent sur sa tête, exposant sa cervelle à l’air libre, avant que celle-ci se déverse lentement sur le tapis roulant, pendant qu’un liquide, mélange de rouge sanguin et de morve naissante suinte le long des parois coupées de son crâne.

Le calvaire de Ludovic venait de se terminer, tout comme sa vie était partie quelques minutes plus tôt. Il était maintenant réduit à une masse difforme de chair, de poussière d’os et de sang mélangé. Telle avait été sa punition pour avoir été trop curieux. Sa seule satisfaction, même s’il l’ignore, c’était qu’au moins, il ne finirait pas dans l’assiette d’un client de restaurant ou la poêle d’un gourmet impatient de déguster sa viande préférée. S’il y a bien quelque chose que cet abattoir de la mort ne plaisantait pas, c’était qu’il ne pouvait proposer à ses clients une viande aussi mal préparée que celle de Ludovic.

Maintenant, posez-vous vraiment la question : Êtes-vous bien sûr que cet abattoir soit le seul existant ? Pouvez-vous certifier que le rumsteck que vous aimez tant ne soit pas issu d’une chaîne identique de transformation ? Que la viande achetée dans votre supérette de quartier ou dans votre Grande Surface habituelle, n’ait pas été acheté par votre marque privilégiée dans l’un de ces abattoirs, avant d’être disposée dans les rayons frais ou surgelés ? Rien n’est moins sûr. Car dans la course à la qualité, tous les moyens sont bons pour proposer la meilleure des viandes.


Publié par Fabs

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