5 oct. 2020

LA MAISON DU BOURREAU


 

On peut difficilement expliquer un coup de foudre amoureux. Contrairement à ce qu’avancent les psychologues les plus réputés, ce n’est pas qu’une question de chimie. Ce serait bien trop facile que de résumer les sensations que l’on perçoit à une simple réaction moléculaire. L’amour que l’on ressent en se plongeant dans le regard de l’être choisi, en ayant l’impression que le temps autour de soi s’est arrêté, comme si ce qui permettait de nous mouvoir s’est soudain vu donner l’ordre de se figer, est beaucoup plus profond. Sur le moment, rien d’autre n’a plus d’importance que la vision qui s’est imprimée sur notre rétine, et fait battre notre cœur plus que de raison, sans que l’on puisse l’expliquer vraiment. Dans ces instants-là, les paroles de nos amis nous enjoignant de les rejoindre pour continuer à faire la fête, n’ont soudainement plus la moindre importance. C’est comme un instant de grâce dont nous serions le moteur inconscient, attendant que l’ordre soit donné par l’objet des pensées du moment de faire repartir nos mouvements, et s’avancer pour passer à la deuxième phase : la séduction.

Qu’importe l’âge, nous avons tous connus au moins une fois dans notre vie un tel moment. Avec plus ou moins de bonheur. Sans penser un seul instant que les conséquences puissent mettre notre vie en danger. Face à une telle vision de douceur idéalisée, que pourrait-il bien arriver de néfaste, après tout ? Dans la plupart des cas, c’est vrai, il n’arrive rien qui puisse être mauvais au destin qui nous est tracé. Tout au plus une montée de sueur, et, dans le pire des cas, d’être purement et simplement éconduit. Mais, comme dans toute situation semblant soumise à des règles strictes, il y a toujours au moins une exception. Eprouvante, dangereuse, douloureuse, voir même mortelle. Et quand on s’en rend compte, évidemment, il est trop tard pour reculer. Ici, pas de bouton « Reset » pour revenir au début, avant que tout bascule. On ne peut que subir et accepter notre choix.

C’est cette situation qui va plonger Nathan dans le plus horrible des cauchemars, le mettant aux prises d’une incarnation vivante de la folie à l’état pur, dans toute sa splendeur. Une chute inexorable dans un enfer terrestre le menant à découvrir la noirceur dont peut être capable ce qui avait pourtant toute l’apparence d’un ange de douceur. Cela avait commencé, comme dans toute belle histoire qui se respecte, par une rencontre fortuite au cours d’une soirée dansante, où Nathan avait été convié par une amie, dans le but de lui faire enfin rencontrer son âme sœur, et le faire quitter le club des célibataires endurcis. D’abord réticent, Nathan avait finalement accepté. Pas parce qu’il croyait en la réussite dont il pourrait être la cible, mais plutôt parce qu’il voulait faire plaisir, quitte à s’ennuyer à mourir. Une bonté d’âme ce Nathan. Mais peut-être aurait-il mieux valu pour lui ce soir-là d’écouter ce que lui dictait son instinct. Il aurait ainsi évité de se retrouver dans cet état statique énuméré auparavant, en apercevant Cynthia devant lui. Une jolie brune au sourire ravageur, qui semblait avoir repéré en Nathan une cible à atteindre. Un terme qui, vous le verrez plus tard, ne pouvait pas être plus éloquent, quant aux conséquences pour le pauvre Nathan par la suite.

Un petit hochement de tête discret, mais tout en sensualité, suffit pour décider Nathan à prendre son courage à deux mains, et se diriger vers la jeune beauté qui, il était sûr à cet instant, ne pouvait qu’être la réponse à ses interrogations sur son destin. S’approchant d’elle, oubliant ses craintes d’ado timide, il invita la déesse brune à danser. Ce à quoi celle-ci répondit simplement :

« Pourquoi pas ? » en lançant un regard incandescent au jeune téméraire, comme pour lui signifier que la soirée qui s’annonçait allait être brûlante. Encore un mot qui allait prendre tout son sens bien plus tard, pour le plus grand malheur de Nathan. Mais pour l’heure, ce dernier savourait l’instant présent. Dansant, plaisantant, riant de bon cœur, et se perdant dans les yeux de Cynthia. Une soirée magique à bien des niveaux, tel un conte de fée moderne, qui se conclut plus tard dans la soirée par une phrase à priori anodine :

« Viens. Suis-moi. J’ai envie de te connaitre plus en profondeur »

S’il avait su à cet instant ce que ces mots signifiaient pour Cynthia, Nathan serait certainement parti sans demander son reste. Mais quand on est amoureux, n’importe quel mot devient un signe évident d’un futur idyllique. Alors, Nathan l’a suivie. D’abord en traversant la salle surchauffée, croisant son amie qui l’avait invitée à la soirée, lui esquissant un sourire satisfait en le voyant aux bras de Cynthia, visiblement ravie que son plan matrimonial ait réussi. Même si elle s’interrogeait sur Cynthia. C’était la première fois qu’elle la voyait, et elle ne se rappelait pas l’avoir invitée, ni même qu’un de ses convives lui ait indiqué la présence d’une aussi belle jeune femme parmi leurs amies. Elle qui se targuait de tout connaître du moindre de ses invités… Mais qu’importe. Le principal, c’était que Nathan ait trouvé sa moitié. Alors, elle se replongea dans la fête, oubliant Nathan et Cynthia. Ceux-ci étaient maintenant dehors, et Cynthia pointa du doigt une maison située quelques centaines de mètres plus loin :

« J’habite la maison là-bas. Je te promets que tu te rappelleras de cette soirée toute ta vie. »

Nathan ne vit pas le petit sourire narquois en demi coin que Cynthia arborait à peine ces paroles données. Il était bien trop occupé à observer le visage parfait de Cynthia.

« Je te fais confiance là-dessus. Je sens que cette fin de soirée va être inoubliable. »

Arborant son plus beau sourire, Cynthia prit Nathan par la main, et l’entraîna vers ce qui allait être le lieu de son calvaire. Arrivés devant la maison désignée par Cynthia auparavant, celle-ci lui fit mine de se taire gentiment, en apposant un doigt sur ses lèvres. Elle sortit ensuite un bandeau d’un noir opaque de sa poche de jean, et s’empressa de le poser sur les yeux de Nathan, avant de nouer celui-ci derrière sa tête. Bien trop excité de la situation, Nathan accepta sans dire un mot ce petit jeu qui lui semblait innocent. Les yeux ainsi bandés, il suivit Cynthia qui le fit entrer dans la maison. Au bout de quelques mètres, ils arrivèrent devant une porte. Une fois ouverte, Cynthia fit descendre Nathan le long d’un escalier.

« Ou est-ce que tu m’emmènes ? »

« C’est une surprise ! »

Tout en descendant, Nathan sentit comme une odeur étrange qui semblait venir de plus bas. Une odeur assez dérangeante, pas très agréable à sentir même. A mi-chemin entre la pestilence et l’âcre. Il lui semblait même entendre des nuées d’insectes lui tourner autour, comme s’il était entré dans une sorte de volière réservée aux mouches, moucherons et autres bestioles du même type. Plus il descendait, escorté par Cynthia, plus l’odeur devenait forte, et lui montait à la gorge, manquant de lui faire lever le cœur. Il n’osait pas demander à Cynthia ce qu’était cette odeur qui respirait la mort. Car c’est bien de cela qu’il s’agissait. Il se rappelait avoir déjà senti une odeur similaire il y avait de cela quelques années, dans un bois. Avec des amis, il était tombé sur un cadavre de renard, rongé par les vers, les asticots et autres nécrophages. La bête avait les yeux mangés par ces derniers, son ventre était affaissé, son poil était devenu rêche, et une partie de ses tripes pendaient le long de son corps. Le résultat sans doute d’une bagarre avec un de ses congénères. L’odeur de ce jour-là, il semblait qu’elle s’était déplacé dans le temps, jusqu’à arriver à ce qui avait tout d’une cave, à en juger l’escalier que Cynthia lui avait fait descendre.

L’attitude de Cynthia avait changée tout d’un coup. Sa voix était devenue juvénile, enfantine, comme possédée par un esprit quelconque. Elle le fit asseoir sur ce qui semblait être une chaise, avant de commencer à lui attacher les mains derrière le dossier de cette dernière.

« Mais… Mais qu’est-ce que tu fais ? »

Pour toute réponse, Cynthia se contenta d’un « Chuuut ! », avant d’attacher également les jambes de Nathan. Il était maintenant incapable de bouger le moindre membre, et commençait à se demander s’il avait bien fait de suivre celle qui n’était qu’une inconnue pour lui, il n’y avait encore que quelques heures. Il n’avait rien contre les jeux d’ordre sexuel particulier, mais celui-ci était vraiment trop bizarre. Et il sentait toujours cette odeur de mort, qui était devenue encore plus forte. Au même moment, Cynthia défit son bandeau.

« Il est temps pour toi que je te présente ma famille »

A peine son bandeau enlevé, Nathan tressaillit d’horreur : devant lui se trouvait deux personnes, attaché tout comme lui. Mais l’une des 2 était curieusement penchée en avant, et du sang séché gisait en abondance à ses pieds. L’autre avait du scotch d’étanchéité sur la bouche. En me voyant, il donna l’impression d’essayer de parler en remuant jambes et bras, malgré les liens qui le retenait, comme s’il essayait de m’avertir d’un danger imminent, tout en désignant du regard Cynthia. Celle-ci reprit :

« Alors, à gauche, c’est Maman. Mais elle nous a quittée hier. Elle ne voulait plus jouer. Et à droite, c’est Papa. »

Semblant s’adresser à celui-ci, Cynthia continua :

« Dis bonjour à Nathan, Papa. »

N’osant même plus parler, tellement il était terrifié, Nathan comprit pourquoi celle que Cynthia avait désigné comme sa mère était penché en avant : elle était morte. C’était elle qui dégageait cette odeur qu’il avait senti en descendant les escaliers. Et en regardant l’homme à côté, il vit qu’il était parsemé de d’entailles sur le visage, les bras et les jambes. Par endroits, on voyait presque l’os semblant vouloir sortir de son emplacement. D’autres parties du corps semblaient avoir été brûlés d’une manière intense, comme avec un chalumeau. Complètement terrorisé à l’idée de subir le même sort, Nathan voulut parler, mais aucun son ne sortait de sa gorge, à cause de la terreur qui l’envahissait peu à peu. Cynthia se dirigea alors vers une petite table plus loin, où se trouvait ce qui ressemblait à un lecteur CD.

« Ca va te plaire. C’est une chanson d’amour »

Elle plissa les yeux, pendant qu’une chanson romantique commença à remplir l’espace. En totale contraste avec la situation qui se déroulait en ce moment même. En face de lui, le père s’agitait de plus en plus, menaçant de tomber. A nouveau, Cynthia changea de visage. Celui de la petite fille devint mauvais, et s’approcha de son père, comme prise de colère. Elle prit un long couteau posé sur un établi le long du mur, et se dirigea vers l’homme, et d’un coup bref lui trancha la gorge de droite à gauche, faisant gicler une rivière de sang qui se déversa sur le visage de Nathan. Cynthia s’adressa alors à Nathan :

« De toute façon, il n’aimait pas jouer avec moi. Et je déteste quand on gâche de la belle musique. »

Cynthia s’approcha alors de Nathan, après avoir pris une sorte de pince.

« Maintenant, on va pouvoir jouer, rien que toi et moi »

Avec la pince, Cynthia arracha un ongle de la main droite de Nathan. Celui-ci hurla de douleur, pendant que du sang coulait à profusion à la place où se trouvait son ongle précédemment. Le sourire aux lèvres, Cynthia recommença avec un deuxième, puis un troisième, un quatrième. A chaque fois, Nathan avait l’impression de voir sa vie s’enfuir de lui, tellement la douleur était insoutenable. Il avait l’impression que tout le sang de son corps était tombé au sol. Et alors qu’il pensait que Cynthia en avait fini avec lui, celle-ci, après être retourné vers l’établi, revint armée d’une perceuse électrique. Toujours souriante, alors que Nathan n’arrivait même plus à crier, elle utilisa l’appareil sur sa jambe gauche, faisant traverser la mèche de part en part, passant à travers l’os. Hurlant comme jamais, les larmes aux yeux, Nathan ne comprenait plus rien. Comment celle qui semblait sortir tout droit d’un paradis de beauté pouvait être en même temps un tel monstre de cruauté ? Cynthia perça à nouveau sa jambe à un autre endroit, puis son pied au niveau de la cheville. Ce n’était même plus des cris de douleur que lâchait Nathan : cela allait bien au-delà. A chaque fois que Cynthia s’éloignait, c’était pour revenir avec un autre instrument de torture. Sa folie semblait infinie : chalumeau sur les bras, aiguille à tricoter dans les oreilles, burin sur les orteils, rasoir sur les joues,… Son imagination de bourreau semblait sans limite. En voyant le sang parsemer le sol autour de la chaise où il se situait, Nathan maudissait le ciel de lui avoir fait rencontrer Cynthia. Il se maudissait aussi d’être venu à cette soirée. Pourquoi n’avait-il pas écouté son instinct et n’était-il pas resté tranquillement chez lui, comme d’habitude ?

Alors que Cynthia se préparait à repartir chercher un autre moyen de le torturer, Nathan demanda :

« Pourquoi ?... Pourquoi tu me fais ça ? Je croyais que tu m’aimais bien ! Explique-moi ! »

Toujours avec le sourire, Cynthia s’approcha de Nathan :

« Mon cœur, tu connais le vieil adage ? Qui aime bien châtie bien ? »

N’osant découvrir la réponse à cette question, Nathan hocha la tête, tétanisé à l’idée de ce que Cynthia pouvait encore lui faire. Celle-ci reprit :

 « Eh bien moi, je t’adore ! »

Nathan regardait Cynthia, et dans ses yeux, il ne vit que la folie la plus pure qu’il ait jamais vue. Il avait l’impression d’être coincé dans un épisode de la 4ème dimension, un cauchemar dont il ne parvenait pas à se réveiller. Il avait beau regarder autour de lui, il ne voyait aucune issue. Et même s’il y en avait une, attaché comme il était, avec l’état dans lequel son corps se trouvait maintenant, lacéré de toute parts, des trous en pagaille, d’où le sang sortait en permanence. Il était même étonné d’être encore en vie. Mais pour combien de temps ? La folie de Cynthia était bien au-delà de tout ce que les psychiatres du monde entier devaient connaître. Soudain, tout son corps se mit à trembler encore plus en entendant ce que Cynthia avait choisi comme nouveau « jouet ». Un bruit qu’il ne connaissait que trop bien pour l’avoir entendu des centaines de fois dans son enfance, à cause du métier de son père, qui était menuisier. Ce bruit tonitruant qui à lui seul était capable de résonner comme un symbole de terreur pure : une scie électrique ! Commençant à délirer en récitant des paroles de la bible, lui qui n’avait jamais pratiqué de toute sa vie, ni même entré dans une église, il ferma les yeux, comme attendant sa fin prochaine, pendant que le bruit strident des lames de l’instrument de mort s’approchait progressivement, masquant presque le rire devenu presque démoniaque de Cynthia qui avait atteint le summum de son délire psychotique.

D’un seul coup, comme une version féminine de Jack Torrance, Cynthia lui apparut sur un côté de son visage, devenu presque hystérique, la scie à la main, avant de fixer les mains du pauvre Nathan, comme si elle était en train de décider quelle partie du corps elle allait découper. Elle se positionna alors devant Nathan, sourit à nouveau, comme pour le rassurer, et s’affaira à découper sa main droite, envoyant des gerbes de sang des deux côtés.

Combien de temps son calvaire dura-t-il ? Il n’eut pas le temps de le savoir, car après 4 heures de ce « traitement », le corps, ou du moins ce qu’il en restait, de Nathan, ainsi que sa vie lâchèrent, laissant Cynthia dépitée, tel une petite fille voyant son jouet préféré devenu inutilisable. Lâchant au sol la scie électrique, Cynthia prit un mouchoir dans sa poche, pour essuyer le sang qui parsemait son visage. Ensuite, elle s’approcha de Nathan, comme pour vérifier s’il était bien mort, essayant de remuer sa tête, histoire de voir s’il restait de la vie en lui. Mais il y avait déjà un moment que Nathan n’avait plus la moindre étincelle d’existence. Elle se tourna alors vers les corps de ses parents, alors que les premières lueurs du jour commençaient à entrer dans la cave par les barreaux du soupirail, et s’adressa à eux :

« Mon jouet est cassé. Mais ne vous inquiétez pas : je fais un brin de toilette, et je vais aller en chercher un autre. »

Cynthia se dirigea vers le haut de l’escalier en continuant à chantonner la chanson qu’elle aimait tant, laissant son œuvre sanglante seule dans les ténèbres de la cave.

Nul n’est capable de déterminer la folie qui peut s’immiscer dans ce qui semble être le plus pur des êtres humains. Et c’est ce qui fait toute sa force. Alors, si un jour vous rencontrez ce qui vous parait être votre âme sœur, tel que vous n’auriez cru l’imaginer dans vos rêves les plus fous, et que vous la voyez vous observer comme si vous étiez une friandise à déguster plus que de raison, méfiez-vous qu’elle ne vous emmène pas dans un endroit où la raison a perdu tout pouvoir, et où la douleur peut atteindre un paroxysme rarement atteint, à l’intérieur de la maison du Bourreau.

 

Publié par Fabs

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