30 oct. 2023

KRIEGERISHER WOLF PROJEKT-Partie 2 : Le Territoire des Loups-Guerriers

 


Au centre de la pièce se trouvait une grande table comme on en voit dans les salles de chirurgie des grands hôpitaux. Métallisée, comportant sur les côtés des sangles épaisses en cuir fixées à la table. Les nombreuses traces de sang figurant sur sa surface ne laissaient aucun doute sur son utilisation, et je ne pouvais m’empêcher de penser aux sinistres travaux de Josef Mengele dans le cadre de l’expérimentation humaine. J’avais eu l’occasion de voir le résultat de certains « tests » à Auschwitz à une époque, et bien que soldat aguerri, je n’avais pu réfréner des hauts le cœur en voyant les monstruosités qu’il avait pratiqués sur les prisonniers lui servant de cobayes.

 

Je ressentais le même sentiment de malaise ici, bien que m’employant à ne pas le montrer à Hans et Alix. L’endroit était parsemé de meubles divers remplis d’instruments ensanglantés sur des tissus tout aussi imprégnés de taches de sang séchées, dont un grand nombre m’étaient inconnus, me faisant me demander quelles pouvaient bien être leurs fonctions exactes en dehors de déchirer des corps. Il y avait des multitudes d’autres formes de matériels, des armes au mur, et partout où je regardais on voyait des dizaines de pages écrites parsemant le sol, et des vestiges de ce qui avait sans doute été des éprouvettes ou quelque chose d’assimilé, totalement brisées. Le craquement du verre sous nos pieds formait une série de sons se rajoutant à l’atmosphère pesante qui englobait la pièce. Mais ce qui nous interrogea le plus, ce fut la présence d’une sorte de grande arche vers le fond de la pièce, dont la fonction nous échappait.

 

Cependant, ayant cru comprendre que les scientifiques travaillant ici étaient spécialisés dans l’étude des dimensions parallèles à la terre, ouvrant vers d’autres mondes, il était aisé de deviner que cette arche avait dû servir de portail menant à ces derniers. Il y avait des traces de coups à plusieurs endroits, ayant abîmé les boutons de l’espèce de panneau de contrôle rattaché à cet étrange appareil de forme rectangulaire, occupant tout l’espace du fond de la pièce Sur les côtés figuraient des grandes machines munies de centaines de voyants, de touches, de leviers, d’écrans. Ainsi que ce qui s’apparentait à un sonar de sous-marin.

 

Là aussi, il y avait des marques typiques d’une tentative de destruction de tout cet arsenal technologique comme jamais je n’en avais vu auparavant. En tout cas, pas d’aussi complexe. Certains leviers avaient été arrachés, jetés sur le sol, des morceaux de verre étaient disséminés sur les pupitres, des écrans étaient brisés, et on voyait très nettement des brûlures par endroits, indiquant qu’un incendie, sans doute provoqué par les nombreuses marques se voyant partout, s’était déclaré. On pouvait d’ailleurs remarquer des cendres à d’autres endroits du sol. A première vue, des carnets ou des livres avaient été détruits par le feu eux aussi. Tout ça montrait très clairement que la ou les personnes qui étaient ici avaient tentés de détruire toute cette installation, y compris l’arche. Soudain, alors qu’Alix et moi étions fascinés par ce curieux enchevêtrement mécanique et de câbles reliant les pupitres au portail qui jonchaient le sol également, nous entendîmes Hans s’exclamer :

 

Hans :

Was ist das ? [Qu’est-ce que c’est ?]

 

Nous nous retournions alors, et on voyait ce qui avait surpris le soldat, qui avait toujours montré jusqu’ici les preuves d’une force de caractère puissante, propre à un soldat du 3ème Reich et n’ayant peur de presque de rien, depuis le temps qu’il avait vu toute sorte d’étrangetés en notre compagnie. On avait senti un tremblement dans la voix, inhabituel de sa part, ce qui n’avait pas manqué de nous étonner et nous avait incité à nous diriger vers lui immédiatement. Ce fut à  notre tour d’être en position de surprise.

 

Fixé au mur avec des chaînes, se trouvait un squelette des plus singuliers. Une sorte d’amalgame entre un humain et un animal. Si le crâne, le torse et les bras semblaient bien être ceux d’un humain, tout comme une infime partie du visage, en revanche les os arqués des jambes, la forme des pieds et des mains, et plus encore ce qui s’apparentait à un museau en lieu et place de la bouche du nez, ainsi que la partie inférieure de la tête, étaient plus proches d’un… loup. C’était ça. Ce squelette avait toutes les caractéristiques d’un homme-loup, le lycanthrope présent dans plusieurs légendes de l’Europe, mais en même temps très différent. Les mythes traitant de ce type de créature indiquaient des transformations totales des humains atteint de ce mal les métamorphosant en animal avide de chair et de sang, prédisposé à tuer ceux se trouvant sur son chemin. Tandis que là, on avait l’impression que cette… chose avait vu sa mutation se figer, au vu du mélange homme/animal que l’on pouvait apercevoir.

 

Major Rosenhoff :

 - Vous pensez la même chose que moi, je pense, tous les deux ?

 

Andreas :

Que cette créature vient d’un autre monde ? Qu’elle a été ramenée via ce portail au fond de la pièce, celui qu’on vient de voir ?

 

Major Rosenhoff :

Exactement… Aussi dingue que ça puisse être, il est évident que ce squelette est une monstruosité venue d’une dimension autre que la nôtre… Himmler serait fasciné par ça, j’en suis persuadée. Bien qu’il n’aurait sans doute pas apprécié le fait qu’on fasse souffrir un animal, quel qu’il soit…

Se retournant vers Hans qui touchait le squelette :

Ne touchez à rien Hans ! Tant qu’on n’en sait pas plus sur tout ça, je pense qu’il vaut mieux agir avec prudence…

 

Je n’étais pas sûr de moi à ce moment, raison pour laquelle je n’ai rien dit à Alix, mais il m’avait semblé qu’Hans cachait sa main gauche, de façon à ce qu’on ne voit pas quelque chose s’y trouvant. Comme une marque de griffures. Cela aussi faisait partie des particularités de la chose enchaînée au mur. Ses mains, ou plutôt ses pattes, étaient constitués de longs doigts se terminant par de longues structures osseuses, propres à des griffes. Je voyais aussi Hans semblant s’appliquer à cacher du pied un élément au sol, sans doute du sang résultant de sa probable blessure, et il semblait nerveux.

 

Néanmoins, au même titre qu’Alix, j’étais curieux de savoir quels mystères cette pièce nous réservait encore. C’est alors que cette dernière mit la main sur ce qui semblait être un journal. Il y avait un titre évocateur : « Kriegerischer Wolf Projekt ».  La couverture comportait des traces de griffures et du sang. D’ailleurs, on avait remarqué d’autres traces brunâtres un peu partout sur les appareils et les murs, comme s’il y avait eu une lutte ici, et expliquant le désordre ambiant. Immédiatement, Alix m’a demandé de lire la dernière page du journal, histoire d’y trouver une explication à nos interrogations, pendant qu’elle farfouillait d’autres documents :

 

« 15 Avril 1943. Je n’ai pas eu le choix. J’ai dû tuer mon bien-aimé Patrick. Malgré tous mes efforts, je n’ai pas trouvé le moyen de le rendre à son état humain. Je n’ai pas pu isoler le gêne entraînant la mutation. Je ne supportais plus ses yeux embués de larmes, enfermés sous la carapace de ce monstre, au sein de sa cage. Comme les autres cobayes avant lui. Ceux-là même dont deux avaient réussis à s’enfuir hors de la maison, défonçant en partie la porte d’entrée, et les vitres du rez-de-chaussée. Les gardes ont réussi à les abattre à temps, avant qu’ils ne sèment la panique aux alentours, et alertent sur ce que nous faisons ici.  J’ai commis l’erreur de croire que je pourrais maîtriser la bête qu’était devenue Patrick. Je pensais avoir réussi à réveiller sa part humaine. Il avait même commencé à donner des signes indiquant qu’il me reconnaissait. Mais ce n’était qu’un leurre. A peine libéré de sa prison, il s’en est pris aux deux soldats SS chargés de nous surveiller présent à mes côtés. Ce qu’il leur a fait… Je préfère ne pas l’écrire, tellement c’est horrible. J’ai honte de moi : en tant que médecin, j’aurais dû tout tenter pour sauver ces hommes, m’employer à remettre Patrick dans sa cage. Mais j’avais peur.

 

La mutation agit plus rapidement suivant le nombre de blessures. Et il était déjà trop tard pour les soldats au vu de l’attaque dont ils avaient été victimes. Les cris des soldats, les hurlements de celui qui avait jadis été mon époux ont alertés les autres gardes, qui sont arrivés à leur tour dans la pièce. En voyant que leurs camarades montraient des signes de transformation, avant même qu’ils deviennent eux aussi des monstres, ils n’ont pas eu le même ressentiment que moi envers Patrick : ils les ont abattus, logeant plusieurs balles dans leur crâne. Ils ont bien tiré sur celui qui était la cause du changement de leurs camarades, mais ils étaient tellement terrorisés qu’ils n’ont pas pu viser la tête, et ils ont subi le même sort. Contrairement aux deux premiers, je n’ai fait qu’entendre leurs cris de souffrance et d’agonie. Durant le temps où ils subissaient ce déferlement de violence sur leur corps, j’ai pu décrocher un fusil dans l’autre pièce, et l’armer. Je n’ai jamais autant pleurée de toute ma vie. Patrick s’est écroulé devant moi en recevant la balle dans la tête que je venais de tirer. Avant de mourir, bien qu’il semblât avoir perdu la faculté de parler, tout en revêtant un semblant de forme humaine, j’ai croisé son regard. J’ai eu l’impression qu’il me pardonnait mon acte. J’ai pleurée de plus belle. Quand il a fermé les yeux, j’ai eu moins de difficulté à tirer sur les autres soldats en phase de mutation. 

 

16 Avril 1943. Je ne comprends pas vraiment la raison, mais les soldats blessés par Patrick, bien que morts, ont continués leur transformation, prenant les caractéristiques de cette maudite créature qui a franchi le portail dimensionnel. A mi-chemin entre l’humain et le loup. Je ne sais pas quoi faire. La radio des soldats a été détruite lors de leur confrontation avec Patrick. Je n’ai pas de moyen de communication. Je ne peux prévenir personne. J’aurais voulu expliquer que ce n’était pas ma faute à celui qui est la cause de toute cette folie. Je ne veux pas qu’il tue mes enfants. J’ai déjà perdu mon époux.

 

17 Avril 1943. Je crois que je vais devenir folle. Je ne m’en suis pas aperçue tout de suite. Sans doute à cause de la douleur de la perte de Patrick et le désespoir de ne pas pouvoir contacter le secrétariat d’Himmler. Si je ne parviens pas à lui parler très rapidement, il va croire qu’on a échappé à la vigilance de ses soldats, et qu’on s’est enfui. Et il tuera caroline et pierre. Mais il y a pire que ça. Enfin, ce n'est peut-être pas la meilleure expression à adopter. Rien ne peut être pire que la possible perte de ses enfants. Une minuscule trace de griffure au niveau du coude. Sûrement un « souvenir » de Patrick. Vu son emplacement, ça ne m’a pas sauté aux yeux. Je vais devenir comme « eux ». La griffure est très petite. Ce qui veut dire que la mutation va s’étaler sur plusieurs jours. Comme les premiers cobayes. Ceux qu’on mettait en contact direct avec cette créature. Ça me laisse le temps de mettre fin à cette aberration, ce projet et ses conséquences. On ne peut pas les contrôler. Je n’ai pas les mêmes compétences que Patrick pour mettre au point un produit permettant de soumettre ces monstres à une volonté. Une fois atteint par le mal, on devient des machines à tuer vivantes, ne cherchant qu’à augmenter sa meute.

 

18 Avril 1943. J’ai pris la décision de tout détruire. Je sais que je vais en souffrir, mais je sais que je ne verrais plus jamais mes enfants. J’espère qu’ils ne souffriront pas trop lors de leur exécution, qui semble inévitable désormais. Cela fait trop longtemps qu’Himmler est sans nouvelle du projet. Je suis sûr qu’il a déjà tenté de contacter ses hommes. En l’absence de réponse, il n’est pas difficile de comprendre qu’il a appliqué ses menaces concernant caroline et pierre. Je pourrais mettre fin à mes jours, mais jamais je n’en trouverais le courage. En tout cas, pas avec une arme. Prendre la décision de tuer Patrick m’a déjà été douloureux. Appliquer la même sentence sur moi, je sais que je ne pourrais pas.

 

19 Avril 1943. Je vais quitter cette maison et tenter de trouver un endroit où je pourrais mourir des pattes d’un animal sauvage. Je ne vois que ça pour résoudre le problème que constitue mon état. En espérant être dévoré pour ne pas nuire. J’ai pu constater à quel point les facultés de régénération de ces créatures dépassent tout ce qu’il est possible de concevoir. Seule la destruction du cerveau est efficace. J’ai brûlé tous mes travaux. Personne d’autre ne sera capable d’ouvrir le portail. Je voulais détruire le squelette aussi, mais ces choses n’en finissent pas de me surprendre dans le mauvais sens. Le feu ne les atteint pas, les températures très basses non plus. Ça ne fait que les ralentir un peu. Il n’y a que les lames d’arme blanches ,et les balles à pouvoir pénétrer la carapace que constitue leur épiderme. Et il faut que ce soient des balles particulières, telles que celles que Patrick a conçues. Il ne m’en reste que 4. Je ne sais pas comment en refaire.

 

20 Avril 1943. Je m’en vais sans regrets. J’ignore de quoi demain sera fait. Plus jamais quelqu’un ne doit accéder à ce monde. De ce que j’ai vu, seules les créatures vivantes peuvent transmettre le mal. J’espère ne pas m’être trompée. Ce sont mes derniers mots. A ceux qui liront ce journal, quel qu’ils soient, je vous en conjure : ne commettez pas la même erreur. Manipuler les mondes, créer des monstres pour gagner une guerre, c’est la pire idée qu’il puisse y avoir. Adieu.

 

Charlotte Tronheim. »

 

Major Rosenhoff :

Je vois… Voilà qui explique bien des choses… Donnez-moi ce journal Andreas. Je pense que l’intégralité de sa lecture m’apportera les éléments à savoir sur le déroulement de ce qui est arrivé ici dans les détails. Himmler devrait être intéressé également…

Voyant Hans rester appuyé sur le mur où se trouvait le squelette, elle s’adressa alors à lui :

Hans, vous allez bien ? Vous êtes blanc comme un linge…

 

Hans :

Oui… Enfin, je crois… Je… Je ne sais pas ce que j’ai… Excusez-moi Sturmbannführer… Je n’ai pas été franc… J’ai commis une erreur… J’avais peur de votre réaction après avoir vu ce que vous aviez fait à Günther…

 

Andreas :

Je crois comprendre… Vous avez touché le squelette n’est-ce-pas ? Ses griffes je parie…

 

Hans ne disait rien, mais son silence était éloquent…

 

Major Rosenhoff :

Ich habe die schnauze voll ! [J’en ai assez !] Blödian ! [Abruti !] Vous m’aurez vraiment tout fait ! Si vous n’étiez pas dans un tel état, je vous aurais fait comprendre ce que veut dire « ne pas toucher ». Esel ! [Ane Bâté]

S’adressant à moi :

Andreas ! Ramenez cette andouille dans la pièce principale. Installez-le sur le sol en attendant. Demandez à Gerhard de le surveiller, et cherchez un matelas, des couvertures, tout ce qui peut permettre de le coucher. Quand ce sera fait, vous irez avec Gerhard en chercher d’autres pour nous… Gib daz ! [ Dépêche-Toi !]

 

Je m’employais à aider Hans à rester debout, et, péniblement, je le ramenais de l’autre côté, après avoir confié le journal à Alix. Celle-ci nous emboitait le pas, avant de prendre les devants.

 

Major Rosenhoff :

Gerhard ! ça avance cette radio ? Vous avez trouvé ce qu’il faut pour la réparer ?

 

Gerhard :

Nein, Sturmbahnnführer [Non, Major] ! J’ai bien pu récupérer quelques éléments susceptibles d’être utile, mais ça va vraiment être très compliqué de réparer avec ça… Je vais faire ce que je peux, mais je ne garantis rien…

 

Major Rosenhoff :

Klären sie es ! [Débrouillez-vous] Avec ce qu’on vient d’apprendre, je dois faire mon rapport à Himmler le plus vite possible. Et surtout lui demander de nous sortir de ce pétrin en nous envoyant du renfort rapidement…

 

Gerhard me vit alors transporter un Hans étant au plus mal, tenant à peine debout, transpirant à grosses gouttes, et peinant à respirer. Immédiatement, il vint à notre rencontre :

 

Gerhard :

Oh, Mein Gott ! [C’est pas vrai] Hans ! Qu’est-ce que tu as ?

 

Andreas :

Je vous expliquerais plus tard. Occupez-vous de lui, installez-le du mieux que vous pouvez. Je vais tâcher de trouver ce qu’il faut pour l’allonger décemment… Et pour nous aussi…

 

Major Rosenhoff :

Cherchez aussi des médicaments ! Il doit bien y avoir de quoi faire baisser une fièvre dans cette maison ! Schneller ! [Plus Vite ! ] Quel imbécile ce Hans… Je suis entourée d’idiots finis. A part vous, Andreas bien sûr…

 

Les heures qui suivirent furent très tendues. Pendant qu’Alix consultait en détail le journal de Charlotte Tronheim pour en savoir plus, Gerhard et moi on s’était employés à mettre Hans en position confortable, sur le matelas que j’avais réussi à trouver dans la maison, avec plusieurs couvertures pour nous tous, à défaut d’autres matelas. J’avais aussi trouvé des médicaments, mais au vu du mal dont était atteint Hans, je doutais qu’ils servent à grand-chose. Alix était devenue nerveuse, et chaque contrariété était sujet à passer ses nerfs sur nous. Gerhard trimait comme pas possible sur la radio, mais avec le peu de matériel dont il disposait pour réparer, c’était quasiment mission impossible. Pour ma part, je restais au chevet d’Hans, dont l’état empirait d’heure en heure.

 

Malgré la tension, on a quand même fini par se coucher tard dans la nuit et à s’endormir. Le lendemain, on a pu s’apercevoir des premiers changements notables de Hans. Sa peau s’était durcie, se couvrant de poils épais, sa mâchoire commençait à s’allonger, tout comme ses doigts de mains et de pieds, ainsi que ses oreilles. Il passait son temps à gémir de manière quasi-continue, traversé de douleurs, se contorsionnant de partout, ce qui augmentait la tension déjà présente…

 

Major Rosenhoff :

On perd notre temps… J’ai lu tout le journal… Hans montre les signes évidents de mutation. Si on ne veut pas finir comme ceux qui étaient ici, on ferait mieux de l’achever… Regardez-le : c’est un futur danger. Il n’a déjà presque plus rien d’humain…

 

Gerhard :

Vous ne pouvez pas dire ça, Sturmbannführer ! Hans, c’est comme mon frère ! Il guérira, j’en suis certain…

 

Des mots qui accentuèrent l’agacement d’Alix, que je ne reconnaissais plus :

 

 Major Rosenhoff :

Au lieu de vous soucier d’Hans, occupez-vous de réparer cette foutue radio ! Elend assel ! [Misérable cloporte]

 

Pour ma part, j’avais pu trouver un peu de nourriture, et en voulant en donner un peu à Günther, qui s’était muré dans le silence depuis sa conversation « musclée » avec Alix, j’ai cru que cette dernière allait me tuer, me prenant une boite de corned-beef récupérée dans la cuisine que j’avais en main, la jetant au loin, les yeux injectés de sang.

 

Major Rosenhoff :

-   Lassen sie es ! [Laissez-le] Un traitre n’a pas besoin de manger ! Si je vous vois encore une seule fois tenter de lui donner ne serait-ce qu’une bouchée, je vous abats sur place avec lui… Cette petite merde devrait déjà être morte d’ailleurs… J’ai promis à Hans de le laisser le tuer, mais vu l’état dans lequel cet abruti se trouve, je devrais m’en occuper dès à présent…

 

Andreas :

Attendez au moins qu’Hans aille mieux avant de revenir sur votre décision. Si Hans se rétablit et qu’il voit que vous avez failli à votre parole, vous perdrez le respect qu’il vous témoigne désormais. Je sais à quel point vous étiez ennemis, mais il a changé depuis.

 

Alix me regardait, semblant indécise. Elle avait déjà son Luger en main, et l’avait pointé sur la tête de Günther, prête à tirer. Elle fixait mon regard quelques instants, avant de remettre son arme en poche.

 

Major Rosenhoff :

Très bien, Andreas. Je vais attendre encore 24 heures, juste pour vous faire plaisir. En témoignage d’amitié de notre passé commun. Passé ce délai, j’abattrais ce chien de Günther ! Keine einwände ? [Pas d’objection ?]

 

Andreas :

- C’est très clair, Sturmbannführer… Si demain matin Hans n’a pas retrouvé des signes de rétablissement, et se montre donc incapable d’accomplir sa tâche, je ne ferais plus preuve d’impudence, et vous pourrez tuer le traitre…

 

Major Rosenhoff :

Bien… Parfait, Andreas… Dites-vous que je vous fais une fleur pour cette fois. Mais s’il vous prend l’envie de me contredire à nouveau à l’avenir, quelle que soit la raison, je n’aurais aucune pitié à votre encontre. Habe ich mich richtig verstanden ? [Me suis-je bien fait comprendre ?]

 

Andreas :

 Sehr klar, Sturmbahnnführer [Très clair, Major]

 

Alix montrait un sourire satisfait, et retournait dans le petit coin qu’elle s’était aménagée, à l’écart de nos lieux de couche, afin de montrer son rang. Depuis le temps que je la connaissais, c’était la première fois que j’avais ressentie une vraie frayeur en sa présence. La trahison de Günther l’avait complètement transformée, et ce que nous avions découvert dans cette fameuse pièce où Hans avait contracté ce mal n’avait pas vraiment arrangé les choses. C’était même pire qu’avant. La Alix que je connaissais n’aurait jamais levé la main sur un de ses hommes, même pour une faute grave. Je la considérais comme un modèle de compréhension, pensant même qu’elle soit capable de pardon, chose rare pour un officier SS. Mais je m’étais trompé. Elle venait de montrer à quel point sa personnalité avait été façonnée par Himmler. Celle-ci s’était cachée pendant de longues années au fond d’elle, mis en retrait depuis sa rencontre avec Günther qui avait réveillé la fibre maternelle qu’elle refusait d’accepter.

 

Mais désormais, il n’y avait plus rien de cet Alix-là… Elle était devenue une pure SS. Peut-être même pire que ses homologues masculins. On ne connaît jamais vraiment les gens, et je le découvrais à cet instant. Gerhard ne disait rien, mais il ressentait la même peur que moi en présence d’Alix. Son expression quand elle lui avait crié dessus tout à l’heure, c’était de la terreur. Au même titre que moi il y avait quelques secondes, il avait craint pour sa vie, l’espace d’un instant. Lui qui suivait Hans dans son jeu de confrontation avec Alix, gagnant de la confiance, il était clair qu’il n’userait plus jamais de ce comportement. Si on sortait vivant de là, nos rapports avec notre Major, ce désormais inconnu au vu de la personnalité qui était en elle désormais, ne seraient plus jamais les mêmes. Mais pour l’instant, je me préoccupais plus de l’état d’Hans qui montrait de plus en plus les traits du visage des corps amassés dans la pièce où se situait la cage. Le loup prenait l’ascendant sur lui de manière exponentielle. Le lendemain, tout bascula. Après une nuit agitée, ou presque personne n’avait dormi du fait des gémissements de plus en plus importants d’Hans, le matin arrivé, on n’entendait plus celui-ci.

 

Pris d’inquiétude, je me levais en sursaut et regardais vers le lit de ce dernier. J’y trouvais un lit vide. Mais il n’y avait pas que ça. Les couvertures et le matelas étaient couverts de griffures, faisant sortir la bourre de la couche. Et… Et un grognement bien distinct se faisait entendre tout près de l’endroit où se trouvait Günther… Je regardais dans cette direction, et m’apercevais que Gerhard et Alix s’étaient rapprochés de moi, fixant le même endroit. Devant nous se trouvait la version en chair et en os du squelette que l’on avait vu dans la pièce du portail. Je crois qu’on a tous eu du mal à croire ce qui se trouvait devant nous. Mais il n’y avait pas de doute possible.

 

Hans avait laissé place à un lycanthrope, familièrement appelé loup-garou, posté en face de Günther qui affichait un air terrorisé, semblant nous demander de l’aide du regard. La bête qu’était devenue Hans se rapprochait encore plus, grognant de plus belle, pendant qu’Alix nous faisait signe de se rapprocher de l’escalier. Nos fusils, on les avait laissés près de la table où se situait la radio. Impossible de s’en rapprocher sans risquer de se faire attaquer par la créature. Et il y avait autre chose qui posait un problème. Le bouton. Le bouton qui permettait d’ouvrir les volets fermant toutes les issues de la maison. Il était juste derrière la chaise de Günther, juste derrière la créature.

 

Néanmoins, sur le coup, on n’avait pas vraiment le temps de réfléchir à ça. Rester dans cette pièce en présence de ce monstre, c’était voué à une mort certaine à plus ou moins long terme. Et alors, tout s’enchaîna. Les grognements furent remplacés par un hurlement terrifiant, ainsi que des cris de Günther, suivi d’un son de morsure, de mastication de la chair, de griffes s’abattant sur notre ancien compagnon. L’ancien traitre était réduit à un jouet pour ce loup hybride. Bientôt, il fut valdingué sur un côté de la pièce, toujours attaché sur sa chaise mais ne bougeant déjà plus, juste avant que le lycanthrope se jette sur lui et multiplie les attaques sur ce qui n’était plus qu’un tas de pâtée pour chien. Enfin pour loup en l’occurrence.

 

Gerhard a réagi plus vite que moi. Voyant l’opportunité qui nous était offerte, il a foncé droit vers le bouton d’ouverture, appuyant dessus, ce qui déclencha le système d’ouverture, dans un bruit cacophonique bien plus important que lorsqu’on l’avait entendu la première fois. Il revint tout de suite vers nous, sans pouvoir s’emparer d’un fusil, ceux-ci étant bien trop près de l’endroit où la bête se trouvait, et montrant un temps d’arrêt au vu du son des volets s’ouvrant dans la maison. Était-ce la peur qui fit modifier cette impression de son plus strident ? En tout cas, dès que Gerhard revint vers nous, il fonça directement vers l’escalier, sans se préoccuper d’autre chose. Je le suivais immédiatement, avec Alix juste derrière nous qui nous criait de courir le plus vite possible vers le haut de l’escalier.

 

 On a entendu d’autres grognements, plus intenses cette fois, alors que nous grimpions les escaliers, ouvrant la porte, et nous faufilant dans la maison. Les grognements s’intensifiaient, bien plus fort que tout à l’heure. Comme si… Comme s’il n’y avait pas qu’un seul monstre à nos trousses. Nous étions dans le couloir quand nos craintes se confirmèrent. Il y avait désormais un 2ème lycanthrope avec Hans. Le journal nous avait appris que plus les blessures par une créature étaient importantes, plus la phase de mutation s’accélérait. Et vu l’état de rage dont avait fait preuve Hans sur le pauvre Günther, cette phase avait sans doute battu tous les records de transformation.

 

Major Rosenhoff :

Los ! Los ! Avancez !] Je les retiens du mieux possible ! Ne vous occupez pas de moi !

 

Andreas :

-   Impossible Sturmbannführer : on ne peut pas vous laisser ici face à ces…

 

Major Rosenhoff :

C’est un ordre Sturmann ! Si vous ne partez pas immédiatement, je vous abats pour que vous ne subissiez pas de transformation ! Schneller !! [Plus Vite !]

 

Gerhard :

-   Sturmann ! On doit obéir ! C’est notre seule chance de survie ! On doit profiter de son sacrifice !

 

Je savais que les paroles de Gerhard étaient pleines de bon sens, mais mes jambes refusaient de bouger. Elles refusaient d’abandonner le Major, Alix. Je ne pourrais jamais lui avouer ce que je ressentais pour elle après cette foutue guerre. Comme si elle avait lu dans mes pensées, Alix m’adressa ses dernières paroles avant d’être à court de balles. L’intelligence des créatures leur avait donné l’instinct de se protéger la tête à chaque balle tirée par le Major, conscientes que c’était leur point faible. Même si je n’étais pas sûr que des balles normales puissent percer la peau de ces monstruosités. Mais je n’oublierais jamais ses derniers mots :

 

Major Rosenhoff :

 Andreas ! Je connais vos espoirs me concernant ! Je suis désolée que vos rêves ne pourront jamais être accomplis ! Oubliez ce que j’ai fait ces derniers jours, et ne gardez de moi que le souvenir de notre enfance !

 

Elle avait à peine eu le temps de me dire ça, que les créatures se ruèrent sur elles. Juste avant, elles semblaient la narguer, avançant lentement, j’avais même presque eu l’impression qu’elles souriaient, bien que sachant que c’était peu probable. Mais dès lors qu’elles ont compris qu’Alix n’avait plus de balles, elles ont changé de tactiques en accélérant leurs déplacements. J’ai tourné les talons, suivant Gerhard qui me criait de le suivre, courant sans m’arrêter. On est sorti de la maison, fuyant droit devant nous, quand on s’est retrouvé face à un nouvel obstacle. Une patrouille de soldats français se dressait sur notre chemin, nous tenant en joue, et nous sommant de nous rendre.


Au même instant, un énorme fracas venant de la maison se faisait entendre, causant un fébrilement de la part des mains tenant les fusils des soldats. On profitait de leur surprise pour tenter de se diriger vers le petit bois tout proche. Mais on a été pris dans la fulgurance de l’attaque de nos anciens compagnons devenus lycanthropes. On a malgré tout eu le réflexe de se jeter à terre pour éviter d’être touchés par le feu des balles crépitant des fusils des soldats terrifiés, criant en voyant déferler 3 monstres sur eux, déchirant leurs chairs, arrachant leurs gorges, plongeant leurs griffes dans leurs poitrines dans une farandole macabre de chair, de sang, et d’os.

 

 Gerhard était en retrait par rapport à moi, plus près que je ne l’étais du groupe se faisant massacrer par les 3 créatures qui furent jadis Hans, Günther et Alix. Cette dernière se démarquait des deux autres par son pelage, mais n’en était pas pour autant moins terrifiante. Je parvenais à attraper la main de Gerhard, le traînant quasiment par le bras pour le hisser jusqu’à moi, le forçant à se relever à la hâte, afin de courir vers le bois, laissant sur place ce maelström de cris de terreur où se mélangeait morsures, grognements et tirs de balles impuissantes à arrêter une telle fureur dévastatrice animale.

 

On a continué à courir le plus loin possible, s’enfonçant dans les bois, cherchant la sortie de la forêt afin de s’éloigner de ces lieux maudits. Après une heure de course quasi-ininterrompue, Gerhard montrait des signes de fatigue, demandant qu’on fasse une petite halte dans un recoin du bois. J’étais fourbu moi aussi, et je n’entendais ni grognements, ni bruit de pas pouvant indiquer la présence de ces monstres ou des soldats français. On pouvait reprendre notre souffle quelques minutes, sans trop de risques apparents. On devait s’être éloigné suffisamment pour considérer être plus ou moins en sécurité. Ne serait-ce que de manière éphémère. Mais on ne devrait pas s’attarder pour autant, trouver les nôtres, se diriger vers un camp, tout ce qui pouvait nous offrir une porte de salut.

 

A ce moment, je pensais qu’on serait tous les deux les rescapés de ce cauchemar. Mais je me trompais. Si je parviendrais à me tirer de cette situation, me permettant d’écrire mon récit par la suite, ce ne fut pas le cas de Gerhard… A dire vrai, je pense que s’il a manifesté son désir de s’arrêter, c’est justement parce qu’il s’était rendu compte de ce qu’il allait m’apprendre, m’obligeant à prendre la 2ème plus douloureuse décision de ma vie, juste après l’abandon d’Alix.  J’étais assis sur une souche d’arbre quand il s’est approché de moi, traînant la jambe.

 

Andreas :

Gerhard ! Tu es blessé ? Attends, je vais essayer de soigner ça avec les moyens du bord…

 

Il me faisait un signe de la main, pour stopper mon entrain, les larmes aux yeux.

 

Gerhard :

Inutile, Sturmann. Cette blessure-là, elle ne peut pas être guérie…

 

Andreas :

Cesse de dire n’importe quoi. Et tu peux m’appeler par mon prénom. On est entre nous ici. Tu n’es plus tenu par l’obligation militaire, vu notre situation.

 

Sa tristesse redoublait. Il montrait le bas de son uniforme plus en détail, dévoilant une longue trace de griffure. Je me retenais de pleurer à mon tour.

 

Andreas :

Quand ? Quand ça t’est arrivé ? Mais ça peut être soigné… Je suis sûr qu’une fois rejoint un camp, les médecins sauront…

 

Là encore, il faisait un geste de la main, avant de montrer plusieurs autres traces de griffures : sur sa jambe gauche, sur ses flancs et sur son épaule droite…

 

Gerhard :

Vous voyez, il n’y a plus rien à faire… Je suis foutu…

 

Andreas :

Arrête de me vouvoyer idioten ! [Idiot] Ne sois pas défaitiste… On peut encore…

 

Il ne me laissa pas finir ma phrase…

 

Gerhard :

Mein Sturmann… [Mon caporal] Je veux finir en soldat. C’est aussi pour ça que je refuse de vous tutoyer pour mes derniers instants. Je veux être digne jusqu’au bout. Mais pour ça, j’ai besoin de votre aide. En tant qu’officier, en tant que soldat, et en tant qu’ami. Je ne pourrais pas le faire seul…

 

Je craignais de deviner ce qu’il voulait dire. Je voulais lui signifier mon refus de mettre fin à sa vie. Je savais que c’est ce qu’il me demandait. Mais avec ce qui suivit, je n’eus pas vraiment le choix que d’accéder à sa demande… Il commençait à grimacer, se tordre de douleur, son visage débutait de se transformer, tout comme ses mains. Il résistait à la douleur, il me tendait son couteau, celui que nous avions tous, en plus de nos armes à feu.

 

Gerhard :

Je vous en prie, mein Sturmann. [Mon caporal] Je veux mourir pendant qu’il me reste un peu d’humanité. Je ne veux pas mourir en tant que monstre. Comme Hans et les autres. Vous… Vous devez… me tuer… La tête… Plantez le couteau… Dans la tête…

 

Il tombait à genoux, tentant de résister tant bien que mal à la mutation s’accentuant encore, de plus en plus visible, le loup prenant le dessus sur l’homme.

 

Gerhard : 

Tuez… Moi…Mein Sturmann... Vite….

 

Il avait fait tomber son couteau au sol, devant lui, hurlant à cause des douleurs de la transformation, mais parvenant à rester dans une position qui me permettrait de lui ôter sa vie. Tremblant à la fois à cause de la tristesse et de la peur, je me baissais, ramassais son arme, regardais une dernière fois celui qui avait autrefois été un ami en plus d’un soldat. Un ami que j’avais mainte fois tenté de soustraire à l’emprise d’Hans, en vain. J’avais failli en ce qui concernait ce fait. Je voulais rattraper mon erreur de ne pas avoir pu l’aider à ce moment. Et d’un coup net, je plantais le couteau au beau milieu de ce qui ressemblait de moins en moins à un front humain. J’ai laissé le couteau fiché dans la chair, poussant légèrement vers l’arrière le corps sans vie qui s’affala lourdement sur la terre du bois. J’ai fermé les yeux, ne les rouvrant qu’une fois avoir le dos tourné, et j’ai couru à nouveau, pour ne pas avoir la tentation de voir une dernière fois mon ami. Si je l’avais fait, je savais que je n’aurais pas pu repartir, et je serais resté auprès de son corps sans vie, jusqu’à ce que mon corps n’ait plus la force de rester debout et le rejoigne dans la mort.

 

J’ai avancé en perdant toute notion de temps, sans regarder en arrière, et j’ai fini par apercevoir un détachement armé avec des tanks devant moi. Mais cette partie-là, je vous l’ai déjà racontée. Voilà ce qui s’est passé et que j’ai raconté au Dr. Köllner et au Général Eberwald. Ai-je vécu tout ça ou non ? Je ne sais plus quoi croire en vérité. Je me souviens des paroles entendues lorsque j’ai relaté toute cette horreur, me heurtant à des regards qui en disaient long sur leur frontière d’acceptation.

 

Général Eberwald :

Vous ne pensez pas sérieusement que je vais croire toutes ces idioties indigne d’un soldat tel que vous, Sturmann ? Vous me décevez. Je pensais que vous auriez au moins la décence de reconnaître que vous aviez lâchement abandonné votre Major et vos hommes à leur sort. J’hésite entre vous exécuter pour désertion ou vous laisser enfermé ici à vie, jusqu’à ce vous vous décidiez à me dire la vérité…

 

Andreas :

Je vous aie dis la vérité, Grüppenführer, aussi aberrant soit-elle. Je vous avoue que j’ai parfois un peu de mal à y croire moi-même, mais mes souvenirs sont là pour me rappeler que je n’ai pas rêvé tout ça…

 

Dr. Köllner :

La mémoire peut nous jouer des tours, Sturmann. Il nen faut pas toujours s'y fier. Vous venez de vivre un traumatisme qui aurait pu briser n'importe qui. Pour ma part, je pense surtout que vous êtes en plein déni : votre inconscient refuse de vous faire voir les vraies images de ce qui s'est passé là-bas...


Andreas : 

Vous avez envoyé quelqu’un sur place ?

 

Général Eberwald :

Vous voulez m’apprendre mon métier, Sturmann ? Évidemment qu’une patrouille a été envoyée. Contrairement à vous, qui vous appuyez sur vos mensonges, je suis un soldat responsable, et surtout j’ai des comptes à rendre. Je me dois de donner des explications à Himmler. Expliquer pourquoi des scientifiques primordiaux pour la victoire ont subitement disparus avec les gardes chargés de les surveiller, et le fait que vous soyez le seul rescapé d’une mission basique qui s’est transformée en hécatombe. Ce qui me semble suspect.

 

Andreas :

Grüppenführer. Je ne suis pas un menteur. L’attaque que nous avons subie d’une troupe française, la fuite, la maison, les corps trouvés, la cage, le portail, le journal, les lycanthropes, tout est vrai. Comment je pourrais inventer un truc pareil ?

 

Dr. Köllner :

Vous savez, tous ceux travaillant pour l'Ahneberbe sont plus ou moins capables d'une grande imagination. Entre ceux disant avoir échappé de justesse au flux de lumière de l'Arche d'Alliance, et d'autre jurant avoir rencontré un diable rouge, fumant le cigare, et enrôlé au sein d'une organisation secrète, j'en ai entendu de toutes les couleurs...


Général Eberwald :

Mais moi, je ne suis pas un enfant croyant des contes de fées simplement parce que c’est relaté dans un livre. Alors, vous voulez vous taire, vous voulez persévérer dans vos inventions de romans n’ayant aucun sens ? Très bien. Faites comme bon vous semble. Mais vous en subirez les conséquences. Dès que j’aurais le rapport de la patrouille envoyée à la maison des « loups-garous », si vous échappez à une mise à mort, vous vous en tirerez bien. Sans compter que vous avez avoué avoir tué un soldat de sang-froid. Bien. J’ai assez perdu de temps. Je vous laisse avec votre dément, Herr Doktor…

 

Dr Köllner :

Je vous suis, Grüppenführer. Je ne vois pas l'utilité de rester plus, tant que le Sturmann refusera d'admettre avoir été victime d'un traumatisme ayant affecté sa vision des choses...


Et ça aurait pu effectivement en rester là, me faisant attendre le sort décidé par des hauts dignitaires mécontents d’avoir perdu deux scientifiques qui aurait pu leur offrir des chances d’avoir un avantage sur l’ennemi. Pour ceux-là, je suis le bouc émissaire idéal. Le général Eberwald a beau dire, je sais très bien qu’ils ont besoin d’un coupable pour expliquer l’échec de toute cette opération. Je peux dire tout ce que je veux, même s’il n’y avait pas eu la présence de ces créatures, et que Alix, Hans, Günther et Gerhard étaient morts différemment, à partir du moment que j’ai survécu, je suis celui qui doit payer. C’est aussi simple que ça. De toute façon, j’ai accepté mon sort. Et ce n’est pas la fin de l’histoire, comme ces derniers mots pourraient vous le faire penser. Non. Ce n’est que le commencement.

 

Au moment où j’écris ces lignes, j’ai entendu des centaines de cris venant de la cour, des grognements que je ne reconnaissais que trop bien, des bruits de morsures, de déchirures de vêtements, de griffes s’enfonçant dans la chair, des tirs de fusils qui ne pourraient arrêter le cataclysme en route. Le Général Eberwald m’a dit qu’il avait envoyé une troupe là-bas. Il y a un truc que j’ai bien compris avec ces lycanthropes. Bien qu’ayant oublié leur nature humaine, sombrant dans la partie animale en eux, ils sont capables de se souvenir d’élément-clés de leur vie d’humains. Comme se rappeler l’emplacement de camps, les heures les plus propices pour attaquer ce dernier, le nombre de fusils ou d’autres armes susceptibles de les mettre en danger, etc… etc… etc… Et surtout, ils savent que le secret de réussite d’une attaque, c’est de savoir anticiper les réactions de l’ennemi, et d’être en nombre, jouer de la surprise…

 

C’est de la stratégie militaire me direz-vous. Mais c’est exactement ce que sont ces lycanthropes : des stratèges cachés sous des poils et des mâchoires de loups. Mais contrairement à de simples soldats, ils sont capables de se déplacer à grande vitesse, d’utiliser leur environnement pour surprendre leur adversaire par des attaques en hauteur, et sont doté de pouvoirs de régénération et d’une force immense, leur assurant la mainmise sur les pauvres humains que nous sommes. Ce que j’entends au-dehors, c’est le résultat sans doute de plusieurs semaines où la petite troupe attaquée par Alix et les autres a grossie les rangs de cette menace en devenir, s’en prenant à d’autres groupes à leur tour, que ce soient des Allemands ou des Français. 

 

Peu leur importe la nationalité qui rejoint leurs rangs. Les lycanthropes sont tous frères, ils sont une véritable unité, au sens propre du terme. De ce que j’entends, le camp où je me trouve va encore plus agrandir la meute, et faire s’étendre toujours plus leur domination. Beaucoup s’inquiètent de savoir qui sera en mesure de gagner la guerre. Que ce soit l’alliance formée par les Britanniques et les Français ou l’autre côté. Aucun n’a vu venir la progression d’un autre type d’armée, plus sournoise, plus insidieuse, plus radicale dans ses actions. Ces lycanthropes, conscients de leur pouvoir, sont-ils capables d’adopter des attitudes humaines, afin d’inspirer encore plus de terreur ? Porter des uniformes, des fusils, mettre en place une hiérarchie, ou d’autres comportements propres à l’humain ?

 

Au vu de ce que je vois en cette seconde précise, je dirais que oui. La porte de ma cellule a volé en éclats quelques minutes après ce déferlement de terreur à l’extérieur. Une silhouette se montre dans la pénombre, avant de s’avancer vers moi. Malgré sa forme de lycanthrope, je sais que c’est elle. Son pelage, son regard, je n’ai aucun doute sur qui elle est : Alix. Et elle sait que c’est moi. Elle a sans doute reconnue et suivie mon odeur en entrant dans l’infirmerie. Elle ne parle pas, mais c’est inutile. Je sais ce qu’elle attend de moi. Elle veut juste que j’accepte de devenir comme elle, comme eux. Elle veut que je fasse partie de la meute.  Elle me laisse finir mon texte. Ce sera un souvenir pour ceux et celles se demandant comment l’invasion a commencée.

 

Elle est une Alpha. Je pensais qu’il nous serait impossible de nous réunir un jour, après ce qui s’est passé dans cette maison. Je me suis trompé. Je vais vous laisser maintenant. Alix m’attend pour que je rejoigne leurs rangs. Je suis impatient qu’elle me morde, qu’elle me griffe le corps autant qu’elle le voudra. Je me livrerais à elle sans concession. Hans, Gerhard et même Günther sont là, derrière elle. Il fut un temps où l’homme dominait le règne animal. Ce temps est révolu. Désormais, c’est l’ère du loup qui va s’installer. L’ère du Lycanthrope…

 

Publié par Fabs

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