23 oct. 2023

LA MAISON QUI VIVAIT-Partie 2 (Challenge Halloween/Jour 22)


 

C’est là que j’ai commencé à me renseigner sur le passé de cette maison, notamment les précédentes agressions et morts ayant parsemé son histoire depuis que mon père l’avait fait construire. J’ai cherché à savoir ce qu’il y avait avant qu’une maison y soit érigée, découvrant le caractère maudit de ces terres, des siècles auparavant, ainsi que la mort qui attendait tous ceux et celles osant s’aventurer en son sein. Le rapport avec les druides, tout comme les potions et autres produits ayant été déversés dans le sol, provoquant des réactions chimiques en chaîne, étaient plus qu’évident en tant que base de cette « malédiction ». Mais ça n’expliquait pas l’origine de cette « chose », ni comment elle pouvait « utiliser » la maison pour se déplacer, et tuer ses occupants. Elle avait dû suivre un processus. Lors des années précédentes, je supposais qu'elle était plus petite, moins « vorace » en meurtres. Ce qui pouvait être la raison pour laquelle les crimes étaient épars l’un de l’autre, et ce, parfois sur plusieurs années. Sans doute avait-elle  « testées » ses futures proies. D’où les phases d’accidents, de victimes ayant échappé à la mort, pouvant expliquer ce que nous avions subis l’un après l’autre. 

 

Jusque-là, ça semblait logique. Mais alors pourquoi cette créature semblait ne pas viser mon père ? Que pouvait-il bien avoir qui représente un tabou, une règle à ne pas transgresser ? Je n’arrivais pas à comprendre, si ce n’est qu’elle avait détruit notre famille. Cette année-là, on a perdu 3 de nos membres, mais ce n’était que le début. Après ce drame, Daividh a abandonné la politique : il n’y trouvait plus d’intérêt. Il a multiplié les thérapies et groupes de parole pour parvenir à « ranger » dans sa tête la tragédie que nous avions subis cette semaine d’Halloween. Il lui a fallu des mois avant de pouvoir retrouver le courage de poser à nouveau ses pieds sur le sol de la maison. Effie a rompu avec Steven. Ce dernier ne comprenait pas ce qu’elle endurait psychologiquement, ou du moins il n’essayait pas de comprendre. Les deux se sont éloignés l'un de l'autre peu à peu à cause de ça, jusqu’à la rupture totale. 

 

Mais ça n’était pas vraiment une surprise. Je pense que même sans ça, leur couple n’a jamais été très solide. Leur relation était trop instable, et il était assez clair que Steven voulait profiter de l’aura et du succès d’Effie à son propre avantage, en se faisant connaitre en tant que futur mari de la grande romancière à succès. Je sais qu’il lui avait parlé mariage à plusieurs reprises, mais Effie voulait avoir du temps pour y réfléchir, et avec ce drame, la question était carrément passée aux calendes grecques. Steven voyant son stratagème prendre l’eau, il a décidé de partir, afin de se mettre à la recherche d’une autre proie. Ma mère a subi une longue thérapie, placée dans un centre spécialisé durant 6 mois, avant de pouvoir supporter de vivre à nouveau au sein de cette maison, en acceptant la mort de 3 de ses enfants, survenue en l’espace de quelques jours. Il y a eu un évènement curieux. Après cette semaine horrible, la « chose » cachée dans les murs de la maison n’a plus donné signe de vie. Je le sais car je suis resté vivre en son sein, malgré ce qui s’y était passé. Effie aussi, car n’ayant pas d’autre endroit à habiter, tout comme notre père. Après quoi notre mère y est revenue. Je pense qu’elle a été rassurée d’apprendre qu’aucune autre « attaque », aucune autre mort ne s’y était déclenchée. C'est là que j’ai compris un élément du mode de vie de cette créature.

 

Elle semblait suivre des périodes d’hibernation, de sommeil. Je m’en suis aperçu en décortiquant les différents décès et accidents  survenus entre les murs de la maison. Il y avait eu une série de morts violentes, de « disparitions », suivies de réapparition des corps. J'y voyais une forme de transition de sa part pour déterminer quel type d’attaque adopter, ou peut-être une forme « d’essai », d’adaptation, dans le but de s’accaparer peu à peu les parties de la maison, ses déplacements dans celle-ci, en utilisant ses moindres parcelles de « terrain ». Ou bien peut-être encore était-ce dû aux victimes elles-mêmes. De ce que je savais, les corps « perchés » à certains lieux, ou retrouvés dans des lieux improbables, supposaient que la chose pouvait faire traverser la matière à ses proies, au même titre qu’elle- même semblait en avoir la capacité. D’où le fait de ces dispositions bizarres. Elle ne les broyait pas encore à cette période, car elle n’avait sans doute pas eu l’utilité d’une quantité aussi importante de ce dont elle avait besoin dans les corps,  comme cela avait été le cas lors de la semaine qui a endeuillée notre famille. 

 

Plus elle « mangeait », même si je ne comprenais pas encore quelle substance du corps humain lui était utile, plus elle avait besoin d’un cycle d’hibernation important. Cependant, je ne pouvais pas exposer mes théories à mon père. Son esprit cartésien refusait toujours de croire à l’existence d’une créature pouvant se mouvoir dans la maison, étant même « devenue » celle-ci, malgré tous les mystères entourant les morts. Il était  également inutile d’en parler à Daividh, qui ne voulait plus entendre parler de quoi que ce soit concernant cette maison et ce drame. Il acceptait déjà d’y revenir de temps à autre, quand notre mère y soit revenue pour s’y installer, car ne voulant pas rompre les liens, mais ça s’arrêtait là. Quant à Effie, elle était plus ou moins dans les mêmes dispositions que Daividh, à la différence qu’elle y vivait de manière récurente. Mais elle non plus ne désirait pas que le souvenir de cette semaine lui soit rappelé. Elle jugeait que la chose avait décidée de repartir, voyant, mois après mois, qu’elle ne se manifestait plus. Elle était restée au départ pour veiller à ce que notre père ne soit pas la prochaine victime. Au moindre signe suspect, elle se serait empressée, avec mon aide, à le faire sortir de cet endroit maudit et mortel.

 

Elle aussi était dans une sorte de déni, refusant d’admettre que, pour une raison que j’ignorais, notre père semblait échapper aux envies de la chose. Quant à ma mère, pour une raison évidente, cause de son désir de revenir car pensant que plus aucun drame n’y surviendrait, vous vous doutez bien qu’il était hors de question que je lui parle de mes recherches et découvertes sur cet « ennemi intérieur ». J’ai oublié de préciser qu’avant que je me mette à chercher toutes ces bribes d’informations, juste après le drame, nous avons tous suivi les conseils de l’inspecteur Erskin Donaldson : nous avons tous consulté un psychiatre. Le même pour tous. Les séances se faisaient parfois en groupe, tous ensemble ; parfois individuellement, mais à des jours différents les uns des autres, de manière à ne pas se croiser. C’est à l’occasion de ces séances que j’ai rencontré Eilidh. Eilidh Murray, la secrétaire du Dr. Lachlann Reid. En réalité, il s’agissait de la fille d'une amie du Dr. Reid. Elle était arrivée il y avait peu dans la région, après le divorce de ses parents. Ne voulant pas choisir entre vivre avec son père ou sa mère, elle avait décidé de s’éloigner du cadre stressant que représentait cette situation qui l’avait beaucoup perturbée.

 

Ses parents étaient mariés depuis 24 ans. Il a suffi d’une incartade du père d’Eilidh avec une « croqueuse d’hommes » faisant partie des clientes du cabinet d’avocats qu’il dirigeait, pour que tout bascule. Les « réunions privées », qui se déroulaient tard le soir, ont fini par rendre Mme Murray suspicieuse. Cette manière de faire était inhabituelle de la part de son mari, et ça coïncidait avec une de ses affaires récentes, incluant une femme à la réputation sulfureuse, Rhona Drachs. C’était d’ailleurs à cause de sa propension à être attirée par les hommes mariés qu’elle s’était retrouvée à être poursuivie en justice. Mr. Murray avait réussi à obtenir un non-lieu, pour manque de preuves. Il avait axé sa défense sur le passé de la plaignante, celle-ci ayant passé plusieurs séjours en maisons psychiatriques par le passé, et sujette à une surabondance de prise de médicaments pour calmer son anxiété chronique. La « pauvre victime » s’est alors employée à « remercier » Mr Murray à sa manière, en lieu et place des honoraires demandés pour le travail fourni.

 

Seulement, les « discussions » tardives de Mr Murray et sa cliente n’étaient pas très discrètes, et surtout les deux amants ignoraient qu’une autre avocate du cabinet, amie de l’épouse trompée, s'était retrouvée témoin involontaire de leur "discussions privées". Cela s'est déroulé un soir où elle eut l'obligation de revenir à son bureau, afin d'y récupérer des dossiers, dans le cadre d’un travail de recherches pour une affaire qu’elle désirait prolonger chez elle. Les sons venant du bureau de Mr Murray étaient équivoques et sans ambiguïté possible. L’avocate en a parlé à son la mère d’Eilidh, et une discussion houleuse eut lieu dès le retour du mari volage. Une demande de divorce suivit très vite. Eilidh a énormément souffert de ça, raison pour laquelle venir au sein de la ville proche du manoir s’étant érigée autour après sa construction, loin de chez elle, s'était révélé être la solution idéale pour souffler et oublier les frasques de son père. Celui-ci s’étant installé par la suite avec sa désormais nouvelle compagne. Jusqu’à ce que celle-ci, en vienne un jour à se lasser de son nouveau « jouet », en décidant de jeter son dévolu sur une autre future proie. Mariée bien évidemment, suivant son « processus » de chasse favori.

 

Eilidh savait que Rhona Drachs ne supporterait pas très longtemps une vie « posée » auprès de Mr Murray. Il était évident qu’elle irait très vite voir ailleurs, vers d’autres champs fertiles mâles, brûlant de désir pour la vamp insatiable qu'elle était. Ce qui engendrerait fatalement pour son père une tentative de reconquérir son ex-épouse, en s’excusant de toutes les manières possibles. Eilidh savait que son paternel était incapable de rester seul. Si Rhona partait, ce qui, à ses yeux, semblait plus que certain, "l'abandonné" n’aurait de cesse de chercher un palliatif à sa solitude. Elle ne voulait pas voir le manège opéré par son père, et assister à l’acceptation de sa mère du retour de son ex-mari auprès d’elle. Supporter leur séparation avait déjà été douloureux. Elle en voulait énormément à son père pour cette raison. Prendre le risque de les voir à nouveau réunis, comme si rien ne s’était passé,  ça ne lui serait pas supportable. Le Dr. Reid était un ami de sa famille, du côté de sa mère. Et comme elle sortait d’une école spécialisée pour travailler dans l’administratif médical, en attendant de pouvoir étendre ses études dans ce secteur d'activités, le cabinet du Dr. Reid était l’idéal. 

 

Celui-ci s’était montré ravi d’aider Eilidh. Celle-ci soupçonnait même, vu les nombreux appels téléphoniques du docteur à sa mère, que les deux avaient peut-être eu une relation à une époque, bien avant la rencontre avec son père. Elle espérait juste que le passé qu’elle avait fui ne se répercuterait pas ici, et que le Dr Reid ne profiterait pas du départ du mari adultère pour courtiser sa mère. Elle sentait que l’attirance de l’un pour l’autre n’avait sans doute jamais véritablement été tarie : elle l’avait compris aux sourires affichés par sa génitrice quand le Dr Reid l’appelait. Elle se disait que c’était peut-être justement cette complicité, jugée sans doute « trop intime » entre les deux, qui avait peut-être été l’étincelle pour son père de céder aux avances de Rhona, car n’ignorant pas l'ancienne relation des deux amis . Lors de mes venues pour mes séances avec le Dr Reid, on discutait souvent Eilidh et moi. On se voyait parfois en dehors de ses heures de travail, autour d’un verre au Pub de la ville. 

 

Ça a été le début d’une belle histoire entre nous. C’est comme ça qu’elle m’a fait rencontrer Ruagh Stilleson, un féru d’ésotérisme, d’histoires étranges, et grand spécialiste de tout ce qui tourne autour des mythes de la région. En particulier celui concernant la demeure des McFerus. C’était un sujet qui le passionnait à l’obsession. J’appris ainsi qu’il avait tenté à plusieurs reprises d’obtenir l’autorisation de venir au sein du manoir, en compagnie d'amis connus pour avoir créé une sorte de petite société spécialisé dans les phénomènes paranormaux, en particulier les maisons dites « hantées ». Essuyant refus après refus, il avait alors essayé de s’introduire dans la propriété pour y glaner des informations, ne pouvant pas se limiter aux simples rumeurs entourant le « Manoir de la Mort ». Mais lui et ses amis ont été repérés par le système de surveillance très élaboré que mon père avait fait installer il y a longtemps, sans que cette info circule. Ce qui fait que Ruagh ignorait la présence de caméras partout dans la propriété. Mon père, dès qu’une intrusion non-autorisée lui fut signalée sur son portable, via des détecteurs de mouvement disséminés, eux aussi, partout autour du Manoir, a tout de suite envoyé des domestiques pour chasser les indésirables.

 

Et parmi eux, il y avait Beathan. Une vraie armoire à glace de plus de 2 mètres de taille, et accessoirement chef cuisinier de l’époque. Depuis, suite aux nombreux décès au sein du Manoir, il a démissionné, ne voulant pas être l’une des prochaines victimes de la « maison de la mort ». Mais ce soir-là, Ruagh et ses compagnons chasseurs d’étrange ont été vivement reconduits à l’extérieur du domaine. C’est d’ailleurs depuis ce jour que la sécurité autour de la demeure a été revue à la hausse. En particulier l’électrification du grand portail donnant accès à la propriété. Ruagh a alors développé une sorte de paranoïa autour de l’histoire macabre du terrain sur lequel a été érigé le Manoir. J’ignorais tout de ces faits, car j’étais très jeune quand ils se sont déroulés, et mon père n’a pas l’habitude de parler de ce genre de « détails » quand ils se déroulent. J’étais certain que même mes frères et mes sœurs ignoraient cet épisode, tout comme ma mère. C’était un homme très discret sur ses affaires et le moyen de les résoudre, et surtout, comme il nous le disait parfois, il ne voulait pas nous alarmer d’aucune sorte avec des futilités comme la sécurité de notre lieu de vie, ou les contrats concernant son activité. Ce que j'apprendrais plus tard me prouverait le contraire concernant mes frères Daividh et Fingal.


Quoi qu’il en soit, Ruagh, du fait de son obsession paranoïaque concernant notre famille et le Manoir, était souvent sujet à des « crises » quand on lui disait qu’il devrait arrêter de pourchasser des chimères. Ça c’était quand ses interlocuteurs étaient polis. Ce qui était rarement le cas. Et Ruagh ayant un caractère le poussant à s’emporter facilement, dès lors qu’il sentait qu’on ne le prenait pas au sérieux quand il disait qu’il devait y avoir quelque chose de pas clair concernant ces nombreuses morts, il déclenchait régulièrement des bagarres. Le chef de la police avait connu ses parents avant qu’ils quittent la région, laissant leur fils seul avec ses lubies, et devait régulièrement intervenir lorsque Ruagh montrait des comportements inappropriés suite à ses accès de colère. Néanmoins, il le connaissait suffisamment pour savoir que ce n’était pas un mauvais bougre, s'employant toujours à faire au mieux pour lui éviter des problèmes graves avec la justice. A chaque nouvelle incartade de sa part, il lui donnait le choix : faire une thérapie de quelques jours pour calmer les esprits échauffés qu’étaient les victimes des rixes qu'il déclenchait, ou bien il serait dans l’obligation de laisser la justice suivre son cours. Ce qui occasionnerait un séjour en cellule pour répondre aux attentes de ceux et celles ayant subi ses coups.

 

Finley McDrogney, le Chef de la police, parvenait à limiter les dégâts, en discutant longuement avec les victimes des coups de Ruagh. Il obtenait, la plupart du temps, la compréhension de ces dernières, celles-ci abandonnant les poursuites, retirant leurs plaintes, avec l'assurance que Ruagh se fasse soigner. Il y avait bien eu quelques « réfractaires » à cet arrangement, s’étant limitées malgré tout au paiement de dommages et intérêts pour violences physiques, et obligation de payer les frais de soins des victimes, mais ça restait rare. Le chef McDrogney était très respecté, et chacun savait son attachement à la famille de Ruagh, qu’il tentait, tant bien que mal, de protéger de lui-même. Eilidh, du fait donc des venues au cabinet du Dr Reid de « Mr. Punch », le surnom donné à Ruagh, dans le cadre de ces arrangements, l’avait souvent entendu parler des dizaines de documents sur l’histoire du Manoir et le terrain en sa possession, remontant à l’antiquité, et incluant des Druides. 

 

Ce qui recoupait mes propres recherches. Eilidh pensait que si je voulais en savoir plus sur la malédiction entourant le Manoir et ma famille, ainsi que la « chose » qui y habitait, Ruagh se révélait être l’homme idéal pour récolter des informations. Elle ne croyait pas trop à ce que je lui avais dévoilé, en lui faisant promettre d’être discrète, ceci pour éviter que ça vienne aux oreilles de mon père. Par peur que ce dernier me fasse un sermon dont je préférais me passer. Mais elle me savait sincère dans mes propos, et sentait que j’avais besoin d’en parler avec quelqu’un qui irait dans mon sens. Je sais qu’elle a fait ça dans le but d’être plus proche de moi, pour me faire sentir qu’elle ferait tout pour me faire plaisir. Sans doute aussi dans le but que je comprenne que j’avais peut-être eu juste des hallucinations, à cause du traumatisme subi de la mort d’Isobel, Fingal et Roy. Mais j’appréciais ce geste de sa part, très fortement. Je comprenais qu’elle puisse émette des doutes sur ce que je pensais avoir vu, sur mes recherches. Cependant, le lien qui nous rapprochait, jour après jour, était tellement fort, que je ne pouvais pas lui en vouloir de ne pas donner crédit à tout ce que je disais concernant le Manoir et la mort de mes frères et sœur. C’était adorable de sa part. 

 

Du coup, très vite, elle s’est arrangée pour demander discrètement à Ruagh, sachant où il habitait, s’il accepterait de me rencontrer, afin qu’on puisse échanger nos informations sur la « Maison de la Mort ». Ce dernier accepta avec joie, trop heureux que quelqu’un d’autre que lui s’intéresse au passé du Manoir McFerus, et plus encore qu’il s’agisse d’un McFerus en personne qui accepte de lui parler. Eilidh m’annonça qu’il était excité et impatient de me rencontrer, et on organisa un rendez-vous chez lui. Bien évidemment, je n’ai pas parlé de cette future visite à quiconque de ma famille, que ce soit Effie, ma mère, et surtout mon père. Il me paraissait évident que si j’évoquais Ruagh à ce dernier, vu qu’il l’avait chassé. Je comprenais, par les propos d’Eilidh, qui s’était basée sur les confessions de mon futur « ami », que mon père m’empêcherait de le voir. Je le savais même capable de mettre fin à ma participation à la thérapie familiale, pour cette raison. Ou du moins, il demanderait au Dr. Reid que les séances me concernant ne se déroulent qu’au Manoir, afin d’éviter que je rencontre Ruagh de trop près. 

 

Ce qui me priverait des mes soirées avec Eilidh, et ça, il n’en était pas question. Je savais qu’elle désirait qu’on aille plus loin dans notre relation, et bien que le voulant ardemment également, je voulais me libérer de ce poids sur ma conscience me rongeant depuis les morts ayant meurtri ma famille, dont moi-même. Les séances du Dr. Reid me faisaient du bien, mais elles ne me donnaient pas les réponses que j’aspirais à obtenir. Ça me coûtait, et je savais que ça blessait quelque peu Eilidh, même si elle ne le montrait pas. Mais tant que je n’aurais pas ces réponses, je ne parviendrais pas à me consacrer totalement à une relation plus intime et stable avec elle. La rencontre s’est déroulée un peu plus de 6 mois après les évènements ayant coûté la vie aux 3 membres de ma famille ayant découvert, malgré eux, la vérité sur ce qui avait été la cause de toutes les morts survenues au Manoir McFerus par le passé. Ma mère était rentrée depuis 3 semaines au Manoir à ce moment. J’ai pris comme excuse d’un rendez-vous romantique avec Eilidh.

 

Cette dernière est venue plusieurs fois au Manoir, après notre discussion concernant l’éventualité de converser avec Ruagh. J’ai eu l’impression qu’elle était toujours plus compréhensive après chaque visite sur place, sur mon besoin d’en savoir plus sur le secret situé sous le sol de la demeure. Elle comprenait que, au contraire de Ruagh, ce n’était pas vraiment une obsession dans mon cas de comprendre, mais une nécessité de libérer mon âme en sachant ce qui avait véritablement tué mes frères et sœurs. Il me fallait des réponses, pour retrouver ma sérénité perdue après cette semaine d’Halloween tragique. Et quand elle a ressenti l’oppression se situant au sein du Manoir, le glacement de ses os en prenant le thé dans la cuisine, car sachant ce qui s’y était déroulé,  voyant la tache de sang imprégnant le sol qu’il était impossible de faire disparaitre, elle a vraiment changé d’opinion sur tout ça. Elle appréciait les sourires de ma mère, ravie de découvrir sa future belle-fille, et n’hésitant pas à parler de descendance ouvertement. Ce qui mettait Eilidh dans un état quasi-conforme à celui d’une huitre voulant se renfermer dans sa coquille, tellement elle était gênée de ses propos.

 

Moi et mon père, on avait beau dire à ma mère d’être moins directe dans ses propos, elle se taisait pour mieux en parler à Eilidh, hors de notre présence, en prenant l’excuse de l’aider à nettoyer les tasses, ou n’importe quoi pouvant lui permettre de converser sans contrainte à celle qu’elle voyait déjà dans une robe blanche, me tenant la main, au sein d’une église. Je voyais Eilidh rougir encore plus dans ces moments. J'ai parfois tenté d’intervenir, afin de dire à ma mère d’arrêter de la harceler. Mais mon père, se retenant de rire, m'indiquait d’un geste de ne pas intervenir. Il me confiait plus tard qu’il n’avait pas eu de tels moments de joie dans la maison depuis le drame de la semaine d’Halloween, ma mère n'ayant pas eu un visage aussi radieux depuis des mois. Il lui avait rendu visite régulièrement au centre de soins où elle avait été hospitalisée, ceci dans le but de  la « libérer » des visions folles dont elle avait été témoin. Et à chaque fois, il n’avait vu qu’une expression presque vide d’émotions de sa part, semblant absente à ce qu’il lui disait quand il lui demandait comment elle se sentait.

 

Eilidh redonnait à ma mère l’envie de vivre ici, mettant de côté ce qui s’était passé. Bien qu'étant consciente qu’elle ne pourrait pas oublier l’absence de ses enfants, et sachant pertinemment qu’elles ne les reverraient jamais. Elle souffrait de ne pas avoir pu assister à leurs funérailles. Elle s’était rendue chaque jour sur leur tombe après son retour, se retenant de tomber en larmes à chaque visite au cimetière. Mon père avait été témoin des efforts qu’elle déployait pour ne pas montrer sa tristesse. Alors, il ne voulait pas que je gâche ces instants de joie qu’elle affichait en présence d’Eilidh. Il voyait la relation qui s’installait entre elle et ma mère, et il était heureux qu’elle apprenne à revivre grâce à cette complicité naissante. Il me rassurait à voix basse :

 

- Je pense qu’Eilidh a la force de pouvoir résister aux insistances de ta mère. Je ne veux pas me ranger complètement de son côté, et je suis conscient que ces propos doivent être quelque peu déstabilisant pour une jeune fille de son âge, mais je ne serais pas contre non plus à l’idée de quelque chose de plus construit entre vous.

 

- Je l’crois pas. Tu vas pas t’y mettre aussi ? ça ne fait que quelque mois qu’on sort officiellement ensemble. Et toi et maman vous parlez déjà mariage ? On n’est plus dans les années 50, on marie plus les gens au moindre flirt.

 

Mon père se retenait de rire. Une expression que je pensais qu’il avait, tout comme ma mère, effacé de son mode de vie.

 

- Tu marques un point. C’est vrai que les mœurs ont changé, à mon grand regret. Je parlerais à ta mère. Je lui dirais d’être moins insistante sur la question. Mais regarde- là. Regarde comme son visage est resplendissant depuis que tu nous a présenté Eilidh. Tu sais que votre couple suscite beaucoup de jalousie de la part des jeunes hommes de la ville. J’ai cru comprendre qu’elle a éconduit plusieurs prétendants avant de te rencontrer. En même temps, je peux la comprendre. J’ai appris qu’ils avaient loin de se comporter en  « gentlemen » avec elle, très « rentre-dedans », comme vous dites entre jeunes.

 

- Oui, elle m’a parlé de ça, en insistant sur le côté « ringard » de chacun d’eux, voire… Comment elle m’a dit déjà ? Ah oui : « d’animaux de ferme devant une portion de pâtée ». Aucun style, aucune forme d’élégance. 

 

Mon père laissait échapper un petit rire discret.

 

- Décidément, cette jeune fille a tout pour plaire. Et je suis ravi qu’elle t’ai choisie, toi plus qu’un autre…

 

Ayant entendu le rire de mon père, Eilidh se retournait :

 

- Dites donc, vous deux : vous complotez sur moi dans mon dos ? 

 

Ma mère s’incrustait dans la conversation : 

 

- Ah ça, tu vas devoir te faire aux messes basses des hommes de la famille McFerus : c’est une tare qui est inscrit dans leur gênes, et ton père veille à ce que chaque mâle de la fratrie entretienne cette impolitesse…

 

Je m’offusquais, tout en ne pouvant cacher un sourire, ce qui était en opposition directe à ce que je voulais indiquer :

 

- N’importe quoi ! N'écoute pas ma réfractaire de mère, Eilidh… Je suis pas comme ça…

 

Elle répondait d’un air sarcastique, le sourire aux lèvres : 

 

- Tu n’en donne pas vraiment l’air… 

 

Se tournant vers mon père, elle continuait :

 

- Mr. McFerus, je ne me permettrais pas de donner de leçon, vu que je ne fais pas encore partie de la famille. %ais peut-être serait-il de bon ton d’enseigner d’autres méthodes de communication entre vous ? Ou en tout cas, de le faire de manière plus discrète ? 

 

Sa réponse déclencha un fou rire général, apportant une ambiance joyeuse appréciée.

 

- Pas encore dis-tu ? Je vois… Il semblerait que mon épouse a réussi à semer ses germes pour te convaincre. Ce sont les propos de quelqu’un qui n’est pas en opposition à faire bientôt partie du cercle familial…

 

- Papa ! 

 

Eilidh, continuant à sourire, s’adressait à nouveau à mon père, tout en dirigeant son regard vers moi.

 

- Tout dépendra du bon vouloir de l’héritier ici présent quant à ma place future ici…

 

Soupirant, et réfrénant un rire :

 

- Je vois… C’est un complot de famille. On se croirait dans le roman éponyme d’Agatha Christie… Vous êtes tous aussi flippant les uns que les autres…

 

Ce qui déclencha un nouveau fou rire général. Eilidh avait été complètement adoptée, et Effie la considérait déjà comme une sœur. Seul Daividh ne l’avait pas encore rencontrée. Ce qui n’était pas plus mal, avec son tempérament de dragueur. Depuis qu’il assistait à ses groupes de parole, il reprenait du poil de la bête comme on dit, revenant peu à peu à ce qu’il était, avant que le drame de la semaine d’Halloween détruise son mental d’acier. J’avais déjà prévenu Eilidh à son sujet, mais elle m’avait affirmée qu’elle était habituée à calmer les ardeurs des petits roquets tirant la langue dès qu’ils apercevaient un visage féminin. Comparer Daividh à un roquet, c’était tellement proche de son caractère. Je savais qu’il envisageait de reprendre son activité d’auparavant. Il avait gardé de nombreux contacts prêts à le relancer efficacement dans la machine politique, n’attendant que son feu vert pour annoncer le retour de « Big Daividh » au sein des requins d’Écosse. Un petit surnom que mon père attribuait à l’ensemble des concurrents de mon frère, à l’époque où ce dernier était encore député.

 

Ces moments de joie s’accompagnaient néanmoins d’autres plus angoissants. Si Eilidh cachait son appréhension de se retrouver dans la cuisine, se mêlant à l’enthousiasme de mes parents la concernant, et particulièrement de ma mère, elle avait plus de mal dans d’autres endroits de la maison. Il n’y avait plus eu d’autres manifestations de la part de la « chose », mais on ressentait quand même son action passée, par des sortes de sensations en frôlant les murs. C'est difficile à expliquer, mais dès qu’on mettait la main sur un mur, un parapet d’escalier, un plancher, ou tout ce qui constituait la maison en elle-même, meubles et objets n’étant pas concerné par cela, on ressentait une étrange impression. Celle de toucher quelque chose de vivant. Comme s’il y avait des ondes, ou une sorte de « courant » parcourant les éléments de la demeure.

 

Ce n’était pas de la chaleur, au contraire. C’était glaçant, mais on ressentait vraiment comme de la « vie » au contact des murs et ce qui y rattaché directement. Je vous ai dit que ça excluait les meubles, mais il y avait des exceptions. Comme celui constituant la cuisine équipée, composé de placards, du four, du frigidaire, de l’évier et du plan de travail. Ou encore la chaudière des sous-sols de l’aile Sud, les tonneaux de la cave à vin, les étagères des chambres. Les lits étaient épargnés. Apparemment ce qui était « fixé » aux murs, certains tableaux en faisant partie, subissait cette « influence », ce contrôle de la maison. Les objets et meubles simplement posés échappaient à cette règle. Je n’avais plus entendu de pulsations cardiaques là où avait été tué Roy, ni même de sons multiples comme auparavant. Malgré tout, il restait cette étrange sensation de « fluides » parcourant murs et planchers. Je vous parlais des tableaux tout à l’heure. J’avais parfois l’impression que les figures peintes me fixaient en silence, me suivant du regard. 

 

Je sais : c’est ridicule. Ce ne sont que des peintures, et à vrai dire ça ne concernait que les tableaux peints par Fingal, pas les autres. Ce qui m’avait amené à en conclure que la créature, la chose, l’esprit ou quoi que ce soit s’étant emparée de la structure même de la maison, « absorbait » ce qui avait été créé par les personnes qu’elle avait tué. Ça supposait que ce qu’elle « mangeait » sur ses victimes avait un rapport avec cet état de fait. Un rapport avec le « courant » ressenti en touchant les éléments de base de la maison, et ce qui était en contact direct avec eux par l’intermédiaire de diverses fixations creusées dans le bitume ou le bois. C’est pourquoi toute lampe, tout lustre, toute décoration, aussi minime soit-elle, et liée par un trou permettant à l’objet de tenir sa place, étaient autant de potentiels dangers pouvant être soumis à la volonté de cette demeure, qui apparaissait de plus en plus comme une menace à long terme. Certes, elle ne montrait plus de signes de manifestation aucune, mais on sentait que ce qui s’était emparé de la structure de la maison était bien là, en sommeil, prêt à ressurgir dieu seul savait quand. Et Eilidh avait ressentie la même chose que moi. Elle s’était confiée à moi sur ce ressentiment malaisant.

 

- Craig, dis-moi…. Est-ce… Est-ce que tu ressens quelque chose de… d’inhabituel quand tu touches les murs ou autre chose ?

 

- Tu veux dire… Une… Sensation de… Vie ? C’est bien ce que tu essaie de me dire ? 

 

- Oui… Je… Je sais que ça paraît ridicule, insensé. Mais quand je mets la main sur le papier peint, le bois de l’escalier, ou bien, comme tout à l’heure dans la cuisine, le revêtement de l’évier, des placards… Tout ce qui semble relié directement à la maison, j’ai la sensation d’un mouvement à l’intérieur, d’un courant, un fluide… Je vais sans doute vraiment te paraître étrange, mais… C’est comme… Comme du sang circulant dans un corps…

 

Je la regardais, rassuré de ne pas être le seul à avoir eu cette sensation que j’avais remarqué depuis plusieurs mois. Je pense que ça y était déjà avant, mais que ce n’était pas assez fort pour qu’on se rende compte de cette « présence ». Sans doute parce que la « chose » n’avait pas acquise une domination encore suffisante pour contrôler l’intégralité des murs, ou qu’elle n’avait pas la force suffisante pour qu’on s’aperçoive de la circulation de ce « sang » à l’intérieur des murs. En fait, cette impression de « fluide », de « courant » passant à travers tout ce qui composait cette maison et ce qui y était relié, je l’ai ressenti après la semaine d’Halloween, quand Isobel, Fingal et Roy avaient péri de la main de cette créature. Le fait de les avoir absorbés, ou quelque chose dans ce sens, ça lui avait permis de passer à un autre stade d’évolution, la rendant plus forte, s’assimilant encore plus à la maison qu’elle contrôlait de toute part. Dans cet ordre des choses, je craignais plus que tout le « réveil » de ce qui se cachait dans les murs de la demeure. Je craignais que le sommeil de cette chose prenne fin, et décide de reprendre son repas là où elle s’était arrêtée. Je tranquillisais Eilidh sur son appréhension, lui indiquant qu’elle n’était pas la seule à avoir cette perception se dégageant des murs du Manoir.

 

- Ce n’est pas insensé. J’ai la même sensation depuis des mois déjà. Depuis que mes frères et sœurs…

 

Elle prenait alors un air empli de tristesse : 


- Je suis désolée. Je te rappelle de mauvais souvenirs. Ce… Ce n’était pas mon intention, excuse-moi…

 

Je lui souriais, posant une main sur sa joue.

 

- Non, ne t’inquiètes pas. Je sais très bien que ce n’est pas le cas. Mais cette maison… Elle n’en finit pas de me surprendre, dans le mauvais sens du terme. A dire vrai, ça me rassure que tu ressentes ça toi aussi. Je me sens moins seul. Je ne pouvais pas en parler, car on m’aurait pris pour un fou. Même toi.

 

A son tour, elle posait une main sur une de mes joues.

 

- Craig… Je ne peux pas nier que, quand tu m’as parlé la première fois de ce qui s’était passé ici, de ces… « fils », ces « artères » si je me souviens bien, de ces pulsations semblant venir d’un cœur dont le son envahissait tout le sous-sol, j’ai mis ça sur le coup du traumatisme que tu avais subi. Comme nombre d’autre personne je pense, le Dr. Reid en premier. Il a beau être un très bon psychanalyste, doublé d’un excellent médecin, il est comme toute personne officiant dans le secteur médical. C’est quelqu’un de cartésien, qui ne croit que ce qu’il voit. Et encore. Il cherchera toujours à trouver un sens logique à une situation qu’il ne comprend pas. 

 

Elle baissait la tête, avant de reprendre : 

 

- J’ai été comme lui, sans doute parce que je subissais son influence en tant que patron, et en tant qu’ami de ma famille. Mais avec ce que j’ai constaté aujourd’hui, je remets en question ce que je pensais être. Je ne suis pas encore sûr d’apporter du crédit à tout ce que tu m’as dit, mais je veux y croire. Cette maison… Elle… Te fous pas de moi, mais… Elle semble…Vivante…

 

- Jamais je ne me permettrais de me moquer de toi. D’autant que c’est la vérité. Je ne comprends pas tout non plus, mais tu as raison : cette maison… est vivante… Aussi dingue que ça puisse paraître. Ce n’est plus seulement une créature vivant dans les sous-sols et se baladant à l’intérieur des murs et des planchers, sans que je comprenne pourquoi ni comment. C’est bien plus que ça désormais. Elle vit… Elle respire peut-être.

 

Je posais ma main sur le mur proche, et continuait :

 

- Ce « courant » qu’on ressent en touchant ce qui la compose, ou relié à elle ; ce « sang » qui circule, c’est la preuve qu’elle a évoluée : elle a atteint un autre stade d’existence. Ce n’est plus une sorte de parasite squattant les lieux. Elle est DEVENUE la maison. C’est totalement dingue, mais c’est bel et bien la constatation à laquelle je suis arrivé. C’est pourquoi le fait de parler à Ruagh pourra peut-être m’apporter certaines réponses. Peut-être que lui sait des choses que j’ignore, et qui pourra me permettre d’empêcher son réveil, faisant tout recommencer…

 

- Je suis sûr que vous vous entendrez à merveille. Il n’est pas le dérangé que les gens de la ville pensent qu’il est. Il a juste un mode de pensée qui diffère de la plupart d’entre nous. C’est quelqu’un de consciencieux, de têtu aussi, et qui a des valeurs qu’il défend bec et ongles. Ce qui lui a valu ses problèmes. Mais les thérapies à répétition chez le Dr. Reid lui ont apporté le calme dont il avait besoin. Il est plus réfléchi, il fonce moins dans le tas comme avant. Et il a hâte de rencontrer un McFerus… Tu n’imagine pas à quel point j’ai vu son visage s’illuminer quand je lui ai proposé de te rencontrer… C’était comme un gosse à qui on a promis son jouet préféré…

 

- J’imagine bien. Moi aussi, je suis pressé de discuter avec lui de tout ça. A nous deux, on arrivera peut-être à percer le mystère de ces lieux, de cette chose qui s’est emparé de cette maison. Je sais que c’est forcément lié aux druides qui, jadis, ont été tués sur ce terrain. Mais j’ignore à quel niveau leurs corps, ou leurs esprits, a pu agir pour faire de ce terrain un lieu maudit où la mort semble prendre plaisir à s’installer. 

 

On a discuté encore un peu, et puis on est parti de la maison ce jour-là, se rendant au petit snack où on avait l’habitude de prendre nos repas en tête à tête, histoire d’évacuer toutes ces questions qui nous martelaient le crâne l’un et l’autre. Le temps a passé, et Eilidh m’informait que Ruagh proposait une date pour qu’on puisse se voir sans attirer l’attention. Il serait seul, sans ses collègues chasseurs de phénomènes paranormaux. C’est ce qui lui a pris du temps pour établir une date. Il voulait les éloigner sans les brusquer, sans qu’ils se doutent d’une rencontre importante. Ce n’est pas qu’il ne leur faisait pas confiance, mais ils n’étaient parfois pas très discrets sur leurs activités. Ça faisait rire pas mal de personnes, vu qu'ils avaient une réputation de marginaux qui lui avaient tourné la tête dans tous les sens, le faisant devenir le taré qu’il était. Ruagh se moquait bien de ce qu’on disait sur lui, tout comme il savait que ses amis avaient le même ressentiment sur leurs détracteurs les considérant comme des illuminés notoires, se servant de leurs activités pour qu’on parle d’eux. 

 

Ils les connaissaient très bien, et il savait parfaitement que, s’ils avaient connaissance de sa rencontre avec un McFerus, le point d’orgue de leurs recherches pouvant leur apporter un « plus » indéniable à leurs soupçons, leurs convictions que le « Manoir de la Mort » recelait quelque chose de pas catholique, prouvant leurs théories sur la question, sur ce qu’était l’origine de tout ça, ils ne pourraient pas se retenir d’en parler sur leur chaine YouTube et leurs réseaux. Et ça, Ruagh ne le voulait pas. Pas tant qu’il n’aurait pas réuni les preuves pour inonder tout le web, avertir que tout ce dont il parlait depuis des années étaient la stricte vérité. Il voulait une preuve irréfutable que les sous-sols du Manoir McFerus contenait une créature qui défiait la logique scientifique, pouvant donner un coup de fouet aux affirmations scientifiques. 

 

Mais surtout, parce que j’avais accepté de le rencontrer grâce à l’aide précieuse d’Eilidh, qu’il respectait énormément :  il ne voulait pas que ma réputation, en tant que McFerus, subisse les contrecoups de leur indiscrétion. L’aide que je lui fournirais, il garderait ça pour lui, sans indiquer la provenance de ses sources. Ni comment, et par qui, il avait obtenu ces preuves. Il était conscient que m’impliquer pourrait me valoir de gros soucis d’ordre familial, car mes parents ne me pardonneraient sans doute pas l’indélicatesse d’avoir agi dans leur dos, menaçant l’image de la famille McFerus. Éloigner ses amis peu discrets était devenu une nécessité. Mais il fallait que ça se fasse naturellement, en profitant d’un cadre idéal pour qu’ils ne soient pas dans les environs, avec le risque qu’ils aient connaissance de ma visite. D’autant plus qu’Eilidh tenait à être présente, elle aussi. Elle voulait montrer son total dévouement à la mission, la quête que je m’étais alloué. Et aussi, par là même occasion, me montrer à quel point elle était prête à tout faire pour prouver son amour dévoué et total envers moi.

 

Ruagh avait trouvé l’excuse parfaite pour que ses comparses ne soient pas présents et ne risquent pas de faire tout capoter, ceci en allant raconter partout qu’ils avaient rencontrés un McFerus, pouvant appuyer leurs thèses sur le secret caché au sein du « Manoir de la Mort ». Une observation d’OVNI avait été annoncé de manière très médiatique il y avait quelques jours, impliquant une personnalité bien connue du monde du showbizz, ainsi qu’un scientifique. Des personnes hautement reconnues comme fiables et sérieuses dans leurs propos. Si ceux-ci avaient dit avoir observés et vus cet OVNI, ça ne pouvait pas être pris à la légère. Il fallait que des spécialistes de la question du Paranormal, et autres sujets proches, soient en mesure d’interviewer les témoins les plus importants qu’il ait pu y avoir ces 20 dernières années. Ruagh a su arrondir les angles pour les persuader qu’ils n’auraient pas d’occasion aussi primordiale pour étayer la preuve de l’existence d’autres formes de vie ailleurs que sur terre, utilisant une technologie supérieure à la nôtre. 

 

Il a pu les convaincre, en les rassurant sur le fait qu’il ne pouvait pas les accompagner, persuadés qu’ils sauraient être au top, même sans lui,  pour rapporter une interview, et peut-être des preuves que les témoins n’ont pas osés offrir à des sceptiques. Il ne pouvait les accompagner, car il devait continuer de suivre sa thérapie imposée, sous peine que la moindre absence à une séance soit perçue comme une « désertion volontaire » de son suivi. Ce qui pouvait l’envoyer purger une peine de prison en conséquence. L'équipe a compris que Ruagh n’était pas en position de les suivre, et ont pris leur véhicule en direction de la région d’Edimbourg. Ruagh avertirait Eilidh le lendemain, une fois certain que ses amis ne repasseraient pas, au cas où ils se seraient rendu compte qu’ils avaient oublié du matériel, comme ça leur était déjà arrivé à de nombreuses reprises.

 

Non, là, il les avaient eus au téléphone le soir même de leur départ, avant de contacter Eilidh. Ils avaient fait halte à un Motel, et s’apprêtaient à y passer la nuit avant de repartir vers leur objectif. Donc, aucun risque qu’ils sachent qu’on allait se rencontrer et discuter de tout ce qu’on savait l’un et l’autre au sujet du Manoir McFerus, de la malédiction s’y trouvant, et les divers récits et rumeurs ayant parsemé l’histoire des bois d’origine, les druides, et le reste. Tout ce qui constituait les bases pouvant expliquer la nature de la créature ayant « fusionnée » avec le Manoir. Mes parents, eux, tout comme Effie, seraient persuadés que moi et Eilidh serions en tête à tête pour une soirée romantique. Sans doute convaincus qu’on en reviendrait avec un projet de mariage, ou du moins de quelque chose de plus concret sur notre relation. Comme le fait qu’Eilidh vienne s’installer de manière durable au Manoir, tel que ma mère lui avait proposé, avec tout son tact habituel, comme vous pouvez l’imaginer.

 

Eilidh lui avait promis d’y réfléchir, ce à quoi Effie y a rajouté son grain de sel, en lui disant qu’elle se chargerait elle- même de la décoration de sa chambre, et qu’elle avait juste à lui dire ce qu’elle préférait. De quoi stresser encore plus aussi bien moi qu’elle sur les espoirs de futur de notre couple de la part de ma chère famille, aussi impatiente que bourrée d’indélicatesse pour nous forcer la main. Finalement, le soir de la rencontre arrivait. Eilidh et moi, on avaient fait en sorte de dîner à un petit restaurant, s’arrangeant pour être vus par des amis de mes parents, n’ignorant rien des « plans » de ces derniers pour nous rapprocher le plus possible d’un point de vue marital. 

 

Après le repas, on a feint une promenade digestive à travers les rues de la ville. Je connaissais plusieurs petites ruelles peu fréquentées. La veille, nous avions dissimulé des tenues pour nous changer dans l’une d’entre elles, dans le but de parfaire notre « invisibilité » aux yeux des petits corbeaux de renseignements de mes parents. C'était une sécurité obligatoire, afin qu’ils ne suspectent pas notre vrai objectif de soirée. Le subterfuge fonctionna parfaitement, et, habillés de notre nouveau look façon « Assassin’s Creed », nous sommes arrivés à la maison de Ruagh, à l’arrière de celle-ci. Une précaution supplémentaire : nous voulions mettre tous les atouts de notre côté pour que personne ne soupçonne notre entrevue, ainsi que la discussion qui allait suivre. Eilidh cogna à la porte arrière en usant d’un code convenu. Quelques instants plus tard, un homme à la stature imposante, d’une quarantaine d’années, ouvrit la porte. Il nous invita à entrer, tout en observant aux alentours, afin de s'assurer qu’il n’y ait pas de témoins indiscrets. Rassuré à ce sujet, il refermait la porte derrière nous, et je pouvais enfin converser avec Ruagh, après qu’il nous ait invités à le suivre vers son salon. Là où j’allais apprendre des informations capitales sur ce qu’était réellement cette chose ayant fait du Manoir McFerus son nouveau corps…

 

A suivre…

 

Publié par Fabs

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