25 oct. 2023

LA MAISON QUI VIVAIT-Partie 3 (Challenge Halloween/Jour 23)

 


Je dois dire que je fus assez étonné de la propreté et le soin de rangement qui se trouvait dans cette pièce, ainsi que de ce que j'avais pu voir du couloir nous ayant mené au salon, même si c'était de manière très brève et rapide. J'avais entendu dire que les personnes comme Ruagh, ce qu'on appelait communément « Les chercheurs de vérité », le nom gentil donné par les journalistes pour désigner les paranoïaques ou les complotistes, étaient souvent peu soigneux de l'environnement leur servant de quartier général. Documents étalés au sol, piles de livres placés n'importe où et sans le moindre ordre logique, table jonchée de nourriture issue de fast-food, dont des parts de pizza moisissant au bas d'un fauteuil juste à côté d'une canette de bière à moitié bue... Ce genre de clichés tenaces représentés dans les films ou les séries à bon marché, où cette catégorie de marginaux est largement montrée comme un symbole de ce qu'il y a de pire dans des sociétés. Une manière de dire « voilà ce qui vous attend si vous vous entêtez à vouloir voir le mal partout ».


Cependant, ce que je voyais autour de moi n'était en rien cette vision abusive colportée par des auteurs qui, en règle générale, étaient « poussés » par des producteurs voulant contribuer à mettre en avant ce stéréotype donneur de leçons. Cela était destiné à inciter les « prétendants » à devenir eux aussi des Chercheurs de vérité, afin de renoncer à un futur ponctué de crasse, de mauvaise hygiène de soi et de solitude. Bien au contraire, Ruagh était quelqu'un d'extrêmement soigné, impeccable sur lui, tel que j'avais déjà cru le comprendre de ce qu'Eilidh m'avait dit sur celui amené à devenir un grand ami, bien avant qu'on vienne au sein de son « royaume ». C'est le nom qu'il donne à la pièce où il passe le plus clair de son temps, sans pour autant négliger de faire le ménage, entretenir son aspect vestimentaire, en plus d'être un incroyable cuisinier, comme allait me le montrer les autres fois où je serais amené à le voir. Et quel que soit l'endroit où se portait mon regard, chaque livre était rangé dans des bibliothèques remplies à ras bord, chaque document scanné et imprimé disposés dans des boites à archives. Leur contenu inscrit sur la tranche, placés sur des étagères avec le même soin méticuleux que pour les ouvrages brochés présents dans chaque recoin de la pièce. Ruagh s'aperçut de ma surprise sur l'aspect « inhabituel » de l'environnement d'un homme tel que lui. Ce fut ce qui permit de briser la glace sur la raison de notre venue, à Eilidh et moi, dans le but de le rencontrer, et parler du sujet commun qui nous reliait.


- Pas trop déçu de voir que mon royaume, ma salle du trésor, ne soit pas conforme à l'idée qu'il est fait du lieu de travail de gens comme moi ? 

 

J'étais un peu gêné de cette attaque à peine dissimulée pour répondre à mon étonnement, mais je n'eus pas le temps de me défendre que déjà Ruagh se confondait en excuses :

 

- Désolé, je ne voulais pas me montrer arrogant ou dédaigneux envers vous, Mr McFerus. J'ai tellement l'habitude d'être la proie des clichés sur moi à l'extérieur de ma demeure, que j'en oublie parfois d'user de tact envers les rares personnes ayant eu l'autorisation de venir ici. Dont fait partie Eilidh... 

 

S'adressant à elle :

 

- Tu ne lui as donc pas précisé que je n'étais pas un ours mal léché, débordant de mauvaises manières, et vivant dans une déchetterie ? 

 

S'amusant de la question de Ruagh, Eilidh rétorqua :

 

- Non, en effet. Je me suis dit que lui laisser la surprise serait une bonne expérience sociale. Je suis comme ça : j'aime montrer l'envers du décor directement, plutôt que leur donner l'impression de défendre les mauvais garçons comme toi...

 

Ruagh riait de bon cœur.

 

- Ha, ha, ha. Touché... Je te reconnais bien là. Toujours directe et sans concession... 

 

Se tournant vers moi, Ruagh continuait :

 

- Je vous envie, Mr. McFerus. Vous ne pouviez pas trouver une meilleure personne pour vous accompagner dans la vie que cette magnifique personne qu'est cette chère Eilidh. Une perle nacrée de compréhension et de gentillesse.

 

- Ruagh, voyons. Tu veux vraiment me mettre mal à l'aise devant ma future moitié ?

 

A cette répartie, je rougissais malgré moi, surpris de cette annonce à peine voilée de l'avenir qu'elle envisageait avec moi, et me faisant cafouiller des mots trahissant ma gêne...

 

- Future moitié ? Je... Hummm... On est vraiment obligé d'étaler notre relation comme ça d'un coup, sans prévenir notre futur associé ?

 

- Comme c'est mignon... C'est la première fois que je vois un McFerus se rendre coupable d'embarras en public... ça vous rend déjà beaucoup plus humain que les autres membres de votre famille. Sans vouloir vous vexer...


Je souriais, ayant l'habitude d'être l'objet d'étonnement de mon comportement vis-à-vis de mon père ou des « jumeaux maléfiques », le surnom donné parfois par les détracteurs des actions opérées par feu Fingal avec la complicité de Daividh. Puis je répondais, cette simple phrase ayant réussi à me détendre en l'espace d'une seconde :

 

- Ça ne me vexe pas, aucun souci... Vous n'êtes pas le premier à voir en moi le « mouton noir » des mauvaises actions de ma famille. Je suis un peu comme Casper, le gentil fantôme, par rapport à ses oncles, Ruagh. Je peux vous tutoyer ? Comme nous sommes amenés à travailler ensemble, ça sera plus simple pour nos conversations. 

 

Je voyais un grand sourire s'afficher sur le visage de Ruagh, en même temps qu'Eilidh, semblant ravie qu'on puisse s'entendre aussi bien dès le départ.

 

- Décidément, vous n'êtes vraiment pas comme les autres McFerus. Et je ne peux cacher que je suis fan de ça... Honnêtement, j'appréhendais de rencontrer un membre de votre famille, en même temps que j'en éprouvais une forte excitation. Au même titre que votre étonnement concernant mon intérieur. Disons que la balle est au centre. 1 but partout. Et ok pour se tutoyer. Craig, c'est ça ? Je ne me trompe pas ?

 

- C'est bien mon prénom. Tu as bien retenu les infos d'Eilidh, qui est la meilleure négociatrice que je connaisse, en même temps qu'elle se montre être une personne pleine de surprise. Dans le bon sens du terme...

 

Eilidh ne pouvait réfréner un petit rire.

 

- Une négociatrice ? Hmm... Oui... Je me voyais plus comme une assistante sociale ou une psychologue de grand talent. Mais c'est un bon résumé de mes aptitudes. 

 

Moi et Ruagh on se mit à rire au même moment, avant que ce dernier reprenne.

 

- Et une fille douée d'une grande humilité, tu as oublié...

 

- Héééé ! Non mais dis donc Ruagh... Il faudra revoir ta manière de parler à une future grande dame...

 

Ruagh riait à nouveau :

 

- Ha, ha, ha... Désolé, princesse. Je veux dire, Mme McFerus en devenir. Je suis désolé de mon outrecuidance envers votre auguste personne...

 

- Mmmh.... Ça ira pour cette fois, Sir Stilesson. Mais que je ne vous y reprenne plus...

 

J'intervenais dans cette conversation « noble », tout en me retenant moi aussi de me laisser aller au rire bon enfant :

 

- Et moi, j'ai pas mon mot à dire ? Je vois que le virus « vite en besogne » de ma mère a déjà déteint sur toi... 

 

Eilidh s'adressait à moi, mélangeant sourire à la limite du diabolique et regard insistant :

 

- Auriez-vous décidé autrement mon cher futur époux ? Ou dois-je déjà préparer votre tombe céans ? 

 

- On dirait un mélange de mes parents et de Daividh... C'est flippant...


Cette fois, l'hilarité fut générale. La glace étant brisée de manière plus rapide que je ne l'aurais espéré. Puis, Ruagh reprenait son sérieux, tout comme nous, essuyant ses larmes de rire en même temps qu'Eilidh et moi.

 

- Je ne me souviens pas avoir autant ri depuis des lustres. Craig, Eilidh, je vous adore. Vraiment. Vous êtes trop mignons tous les deux. Je suis presque jaloux de votre complicité. Même mes amis spécialistes du Paranormal, je n'ai pas autant d'affinités avec eux qu'il y en a entre vous deux. Craig, vous êtes sûr que vous êtes un McFerus ? 

 

Eilidh répondait, gardant un petit sourire malicieux au coin des lèvres, en me désignant du regard :

 

- Je confirme. J'ai vu sa tache de naissance, caractéristique de tous les McFerus. Mais je ne dirais pas où elle est. Question de décence...

 

Ruagh affichait une fausse mine outrée, en affichant lui aussi un sourire non dissimulé.

 

- Je ne veux rien savoir de vos cochonneries... Je viens de manger... Bon, trêve de plaisanterie. Je suis rassuré en tout cas. Craig, je crois qu'on va vraiment bien s'entendre tous les deux. On va pouvoir passer au cœur du sujet maintenant je pense. Après tout, c'est pour ça que vous avez pris des risques pour venir ici ce soir...

 

- Je pense qu'effectivement on ne pouvait pas rêver mieux comme entrée en matière, et je sais déjà qu'on va former une super équipe. Grâce aux bons soins de ce merveilleux ange qu'est Eilidh.

 

Eilidh intervenait à nouveau :

 

- Tu ne connais pas encore toutes les facettes de ma partie démoniaque, mais oui, c'est une assez bonne description... Comme l'a dit Ruagh, je pense qu'on est prêt pour débuter la discussion qui nous intéresse tous ici.


Ainsi, Ruagh se lança dans une conversation qui allait chambouler une bonne partie de mes connaissances en matière de surnaturel et d'origines des mythes bibliques en particulier. Ce qui me fit entrevoir un avenir sombre, non seulement pour ma famille et l'Ecosse tout entière, mais sans doute aussi pour le monde entier, si ce que m'annonçait Ruagh s'avérait exact. Les mois à venir me prouveraient que ses soupçons, ses théories à première vue farfelues, s'appuyant sur des appréciations personnelles de sa part sur l'interprétation de documents anciens gaëliques, celtes et même de l'Eglise d'Ecosse, celle presbytérienne, sans oublier l'Eglise épiscopale, étaient bien la réalité de ce qui se cachait au sein du Manoir McFerus. Cette créature s'étant emparé de sa structure pour en faire son corps, le transformant en une maison vivante, conforme aux suppositions qu'Eilidh et moi avions formulées entre nous, loin des oreilles des membres de ma famille.


J'allais aussi apprendre autre chose de la part de Ruagh concernant ces derniers, qui s'avéraient être bien loin de l'image idéale que je me faisais d'eux. Si je ne serais pas étonné d'apprendre les malversations coutumières de mon père, propre à sa personnalité dominatrice se moquant ouvertement des conventions et règles de bienséance envers ceux et celles qu'il considérait quasiment comme des êtres inférieurs, je tombais des nues en découvrant les véritables personnalités de ma mère, ainsi que celles de mes frères et sœurs. Tous étaient reliés par d'horribles secrets dont j'ignorais l'existence, me faisant prendre conscience que je vivais au sein d'un nid de serpents tous plus avides de rancœur les uns que les autres. D'ailleurs, cette rancœur qui les habitait tous à différents niveaux était l'épicentre du problème. Ce qui avait nourri la « chose » vivant au sein du Manoir. Ou plutôt devrais-je dire maintenant, le Manoir lui-même, tellement il était évident qu'il n'était plus un assemblage de bois et de béton, mais bel et bien un amalgame de vie à part entière. C'est cette rancœur qui avait fait en sorte d'éveiller cette monstruosité, l'avait attirée et grossie, mois après mois, année après année.


Mon père était sans nul doute celui qui avait déclenché les différentes branches de ce mal insidieux qui formait les racines de ma famille. Lui qui avait causé la naissance des graines de discorde insidieuse que j'avais été incapable de voir depuis tant d'années de vie au sein de ce Manoir maudit. A bien y réfléchir, j'avais la nette impression que cette « chose » n'était pas ce qu'il y avait de pire dans le Manoir McFerus. Les actes horribles de mon père et des membres de ma famille feraient passer ceux révélés par d'autres noms prestigieux d'Ecosse, étalés dans les journaux à scandales, comme des mesquineries dignes d'une cour d'école. Mais pour revenir aux origines supposées de la créature qui était désormais le cœur, et le mot n'est pas anodin, du Manoir McFerus, le mieux est de vous retranscrire ce qui s'est dit ce soir-là, dont Ruagh m'a fait part.


- Craig, sais-tu ce qu'est un Léviathan ? 

 

- Un... Léviathan ? Tu veux dire que ce qui est sous le Manoir, serait cette créature mythique ? Impossible... Le Léviathan est décrit comme une créature immense, vivant dans les océans. Enfin, c'est ainsi qu'on la désigne en tout cas. 

 

- Ça c'est l'appropriation qu'en a fait l'Eglise. Mais tu n'es pas le seul à te conformer à cette image qu'on nous a tous éduqué. Je viens d'une famille très croyante, et le Léviathan était souvent apparenté à la Bête de l'Apocalypse. Ce que je m'apprête à te révéler risque de pas mal te faire comprendre que cette affiliation est on ne peut plus justifiée. Plusieurs textes vont dans le sens de cette « double identité » si l'on puis dire. Un rapprochement qui a volontairement été séparé, pour je ne sais quelle raison obscure. Ceci à la suite des diverses réécritures de l'Ancien Testament et plusieurs versions d'autres églises dissidentes. 

 

Ruagh reprenait sa respiration, et reprenait :

 

- Mais ce n'est pas le plus important. Le Léviathan, ainsi que ses diverses interprétations et formes, existe dans plusieurs religions, y compris dans les mythes les plus anciens. Ceux des civilisations précolombiennes notamment. Supay, le dieu du monde d'en dessous chez les Incas ; Kisin, dieu des tremblements de terre et de la mort chez les Mayas ; Les Tzitzimime, créatures squelettiques qui doivent créer l'apocalypse chez les Aztèques, sont sans doute ce qui se rapproche le plus de ce qu'est le Léviathan. Ou plutôt LES Léviathans. Car, contrairement à ce qu'on croit, c'est loin d'être une créature unique, mais une espèce à part entière qui vit sur Terre depuis son origine.

 

- Attends une minute... Tu essaie de me faire admettre que la créature qui est devenue le Manoir McFerus en fusionnant avec sa structure, n'est qu'un spécimen, et qu'il pourrait y en avoir d'autres comme elle ailleurs sur Terre ?

 

- C'est bien ce que j'ai dit, oui. C'est ce que m'ont appris mes différentes recherches, et crois-moi, c'est le fruit de plusieurs années d'étude de différents mythes à travers le monde. Même les plus petits, issus de nations ou d'autarcies dont il est extrêmement compliqué d'obtenir des informations sur les cosmogonies intégrées dans leurs légendes. Tu n'imagine pas à quel point il m'a été difficile de rassembler toute cette documentation et le prix que ça m'a coûté. Je me dois de remercier les actions de mes amis chasseurs de paranormal pour ça. 

 

Ruagh se repositionnait sur son fauteuil, croisant les mains, et continuait :

 

- Tu n'es pas sans ignorer qu'ils interviennent parfois au sein de demeures de particuliers pour chasser les esprits qui y habitent. Bon, je ne te cache pas que ce n'est que de la fumisterie, et je ne suis pas particulièrement fier de cette forme d'arnaques. Mais les peurs de ces gens sont souvent d'ordre psychologique, et une grande part de manifestations sont dues aux habitants eux-mêmes. L'un des membres de ces familles, terrifiés par des phénomènes paranormaux au sein de leur maison, que ce soit des poltergeists ou autre chose, sont, dans 90 % des cas, le fait de leur propension à « attirer » les fluides de nœuds telluriques où leurs maisons ont été construites. C'est comme un flux d'énergie qu'ils contrôlent involontairement, et qui créent ces manifestations. Mais bon, on n'est pas là pour parler de ça. Reste que ces interventions de mes amis sont payantes, et les revenus de ces « missions », dont certaines sont filmées et publiées sur leur chaine YouTube ainsi que leur site Web officiel, servent à financer l'acquisition de documents rares. Ou de graisser la patte à certains fonctionnaires de ces micro-pays, dans le but d'obtenir des copies d'archives en toute discrétion. 

 

- C'est une vraie entreprise que tu me décris là dis-moi...

 

- Ha, ha. J'avoue, oui. On peut dire ça. Et puis la monétisation de leur chaine YouTube sert aussi à financer mes différentes prospections et acquisitions à travers le monde. Et tout ça, sans bouger d'ici : tout se fait par téléphone, visios ou conversations écrites par mail interposés. Ou bien à travers des forums, qui sont suivis d'échanges dans des messageries privées, dont une grande partie sur Discord. Une vraie mine de renseignements à ce titre. Tu serais surpris de tout ce à quoi on peut avoir accès par ce réseau. 

 

- Mais alors, ce... Enfin, CES Léviathans, quel rapport avec la malédiction qui a parsemé l'histoire de ce terrain et remontant à l'exécution du groupe de druides celtes au sein de la forêt d'origine ? Celle qu'il y avait avant que mon père la fasse raser pour y construire le Manoir ?

 

- Tu es au courant de ça ? Intéressant... Eilidh m'avait dit que tu avais fait tes propres recherches, mais je ne pensais pas que c'était aussi poussé. Quand je t'aurais exposé tout ce que je sais, il faudra que tu me dises ce que toi tu as appris. Histoire qu'on recoupe nos connaissances, ce qui pourrait nous donner la perspective de solutions pour mettre fin au mal qui gangrène le Manoir McFerus. Même si, pour ma part, mais on y reviendra plus tard, le vrai mal qui règne là-bas, ce sont les McFerus eux-mêmes. Toi non inclus, je te rassure. J'ai bien compris que tu n'étais pas comme ceux de ta famille. L'exception qui confirme la règle... Ce qui me rassure en soi. Grâce à toi, à ton soutien, à ta coopération, on trouvera peut-être le moyen de faire cesser ce cauchemar en place, impliquant un changement radical de comportement de tes frères et sœurs. Tout comme tes parents. Mais ça aussi, on y reviendra ultérieurement.

 

Eilidh, qui jusque-là s'était contentée d'écouter sans intervenir, s'incrustait :

 

- Ruagh, tu m'as précisé que la famille de Craig n'était pas rose sur plusieurs points, mais tu as toujours refusé de m'en parler en détail. De peur que je lui en parle, sachant que j'étais lié à lui. Ce que je peux comprendre. Mais maintenant que nous formons ce petit groupe, j'aimerais vraiment savoir ce qui cloche. Je te l'ai dit : j'aime profondément Craig, et j'ai accepté de mettre en pause notre avancée intime, le temps qu'il sache la nature et le moyen de remédier au problème que représente cette créature. Je suis sincère quand je dis que j'ai envie de faire partie de la vie de Craig de manière plus prononcée. Ce ne sont pas des paroles en l'air de ma part. Même si ça doit me faire mal en sachant ce que sont vraiment les membres de ce qui sera sans doute ma future famille, je dois savoir...

 

S'adressant à moi :

 

- Et Craig encore plus que moi...


Ruagh se fermait à ce moment, conscient que la question des secrets de ma famille était un point sensible sur lequel il devrait être prudent. Ceci afin de ne pas déclencher un « clash » quant à ses révélations apprises par une personne officiant au sein du Manoir, et que j'avais très bien connue. Un homme que je considérais bien plus comme un ami et une sorte de second père que le simple domestique qu'il était censé être. Un homme, enfin, dont j'allais apprendre le lien important avec Ruagh, après avoir été coupable d'actes violents envers lui, sur l'ordre de mon père, et, par la suite, de mes frères Fingal et Daividh. Des représailles après que ceux-ci apprirent la tentative d'intrusion au sein de la propriété de Ruagh et ses amis. Mais pas seulement... Je savais que mes frères étaient loin d'être des saints, mais leur relation parfois conflictuelle avec Roy et Isobel m'avait souvent étonné, sans que je cherche à savoir la raison profonde les opposant.


Ce que j'allais apprendre sur l'origine de cette colère allait me marquer à jamais, tout comme les autres secrets des autres membres de ma famille. Tous coupables d'actes inqualifiables, y compris la douce Effie, sans doute la pire de toutes d'un point de vue éthique. Jamais je n'aurais pu soupçonner que celle que je considérais comme la plus adorable de mes frères et sœurs, à la timidité presque maladive et sa propension à se faire manipuler à outrance, cachait un être bien plus machiavélique que ce qu'elle montrait au grand jour. Même sa relation avec ce petit con de Steven Carles n'était qu'un masque, faisant partie des plans de ce monstre insoupçonnable de cruauté, et dont Isobel et Roy étaient les victimes directes, impliquant aussi Daividh et Fingal. Dans le même temps, je supposais que son comportement était la conséquence des monstruosités dont mon père avait fait part la concernant, l'ayant « transformée » psychologiquement, brisant l'âme pure qu'elle était, et l'ayant amené à devenir un être hautement diabolique à un point que je n'aurais jamais pu concevoir.


Quant à ma mère, elle n'était guère mieux... Ce qu'elle a fait... Ce qu'elle a obligé Fingal à commettre... Comment aurais-je pu imaginer qu'elle puisse être capable d'une telle inhumanité, d'un tel manque de compréhension ? Simplement dans un but de préserver l'image du nom de notre famille, et surtout dans un souci égoïste de se protéger elle et ses enfants... Dans cette profusion de secrets tous aussi terrifiants les uns que les autres, les actes d'Isobel et Roy étaient ce qui semblait le plus innocent, ayant cédés à des envies que toute famille digne de ce nom réprouverait. Dans leur cas, ils n'avaient été que des victimes de la méchanceté et l'obsession d'Effie, l'ayant conduit à des actions à l'opposé total de la personnalité que je pensais qu'elle était. Je ne pouvais pas approuver complètement le secret liant Isobel et Roy, et dans un sens, assez conforme à l'animosité déclenchée par mon père envers eux. Bien qu'il n'ait pas su le véritable lien les unissant. Une animosité dirigée surtout envers Isobel. Mais d'un autre côté, je pouvais comprendre ce qui les avait poussés à trouver une sorte d'ancre de secours à travers ce lien.


Mon père a toujours poussé chacun de nous à se lancer dans des domaines pouvant apporter le prestige à notre famille, et ce, à grande échelle. Daividh et sa carrière politique ; le succès des œuvres de Fingal ; celui des livres d'Effie... Ils étaient sa plus grande fierté. A plus faible échelle, la popularité de Roy, en tant que photographe artistique, entrait dans ces prévisions de notoriété et d'image qu'il avait inculqué à chacun d'entre nous. C'est la protection du choix non conforme, lui, d'Isobel, qui l'avait mis dans une relation conflictuelle envers mon frère. Je n'avais jamais bien compris en quoi le fait de protéger sa sœur, dans son désir de réussir dans le domaine de la photo de charme, bien que restant dans le soft très pudique, ai pu déclencher parfois des réactions aussi violentes de sa part. Je sentais qu'il y avait autre chose que le simple fait qu'elle s'expose en maillot de bain et en lingerie. Mais je ne pouvais pas m'imaginer l'ampleur et la raison, fort toute légitime si on se réfère aux convictions religieuses de mon père, qui apportait une énorme importance aux respects des règles de l'Église, qui avait creusé un tel fossé entre lui, Isobel et Roy.


Toutes ces révélations allaient causer un électro-choc, aussi bien à moi qu'à Eilidh, qui ne pourrait plus voir mes parents comme avant. Elle qui considérait déjà ma mère bien plus qu'une future belle-mère pleine de qualités, et envers qui elle avait déjà adopté une complicité importante, allait voir cette idéalisation, cette relation particulière entre elle et celle qu'elle voyait pratiquement comme une seconde mère, tomber du piédestal dans lequel elle avait mis leur relation. Mais pour l'heure, ce qui m'intéressait le plus, c'était de connaître les renseignement et théories développées par Ruagh concernant la menace qui m'apparaissait comme la plus primordiale. A savoir la créature hantant les sous-sols du Manoir McFerus, et qu'il pensait être le Léviathan de la Bible. Bien que l'image qu'il en avait, se confortant aux découvertes faites à travers toute la documentation récoltée au cours de nombreuses années de recherches, l'obligeant à dépenser des fortunes pour acquérir ce savoir, était très différente de ce que j'en savais. J'indiquais à Eilidh que les secrets des membres de ma famille devaient passer au second plan pour l'instant. Seul m'importait, dans un premier temps, les informations de Ruagh sur la créature et son lien avec le groupe de druides à l'origine de la malédiction.


- Eilidh... Je ne dirais pas que savoir ce qui en est sur ma famille, sur les secrets qu'ils cachent tous ne m'intéresse pas. Je mentirais à ce sujet. Mais je tiens à tout savoir, en priorité, sur ce qui les menace tous d'abord, et qui a déjà coûté la vie à ma sœur Isobel, ainsi qu'à mes frères Roy et Fingal. Je dois savoir si ce drame est menacé de se répéter, si je suis en mesure de l'empêcher, sauver ce qui reste de ma famille. Je sais que tu peux comprendre. Une fois que j'en saurais plus sur ça, je suis persuadé que Ruagh sera disposé à nous apprendre ce qui en est sur ces secrets. N'est-ce-pas Ruagh ?

 

Ruagh montrait alors un air triste :

 

- Vous êtes vraiment sûr de vouloir connaître ce que cache les McFerus ? Cela risque de vous faire tomber dans un gouffre d'incompréhension et de noirceur dont je ne peux même pas imaginer l'ampleur. Surtout toi, Craig. Je ne te connais que depuis ce soir, mais j'ai déjà compris que tu étais quelqu'un de bien, et je ne peux qu'approuver à 2000 % le choix d'Eilidh te concernant. 

 

Il esquissait un petit sourire discret, avant de faire un petit aparté.

 

- Et, sincèrement, j'espère pouvoir faire partie des invités à votre mariage quand il aura lieu. Non, ne rougis pas, Craig. Je sais que t'en crève d'envie autant que ta dulcinée... Tes yeux ne mentent pas...

 

Je ne pouvais effectivement pas cacher que je ne rêvais pas mieux que d'avoir une relation plus poussée avec Eilildh. Et si ma mère était là, je sais qu'elle arborerait ce petit sourire de satisfaction qui la caractérisait. Un sourire qui disait : 

 

- Tu vois ? Je savais bien que tu étais d'accord. Une mère sait toujours ce genre de chose concernant ses enfants...


Ma chère maman. Une fois connu ce qu'elle était réellement, je ne pourrais plus la voir comme avant. Même sachant ses motivations, même sachant ce qu'elle avait découvert concernant mon père et Effie, je ne pourrais jamais pardonner sa décision, ses choix, et les actes qu'elle avait forcé Fingal à commettre. Ce n'était pas ce que ferait une mère normale. Ce n'était pas l'image que j'avais d'elle. Son côté protectionniste, je le connaissais. Il pouvait parfois même être gênant lors de soirées, toujours soucieuse de savoir tout ce qui concernait ses enfants, parfois à l'excès. Mais pas que ça pouvait aller à user de telles extrémités, faisant d'elle une figure autre qu'une mère aimante et désireuse du bien-être de ses enfants chéris, dont le bonheur passait avant le sien. Elle allait se révéler avoir l'âme d'un être psychotique pouvant rivaliser avec la personnalité d'un chef de gang ou d'un serial killer. Je sortais de ce petit moment de questions encore sans réponse, empreint de nostalgie, en étant « réveillé » par Ruagh :


- Craig ? T'es avec nous là ? Tu as entendu ce que je t'ai dit au moins ? 

 

Je relevais la tête d'un coup, conscient que je m'étais plongé dans mes pensées mélangeant appréhension de savoir ces secrets de famille, et besoin d'avoir des réponses à mes interrogations du fait des paroles de Ruagh. Je rassurais celui-ci :

 

- Oh... Euh... Excuse-moi... J'étais perdu dans mes pensées... Je réfléchissais à plein de choses... Mais pour répondre à ta question, oui, et je pense parler au nom d'Eilidh aussi : je dois savoir ce qui en est concernant ma famille. Tu as ouvert une porte là-dessus, je te rappelle : tu ne peux plus te défiler en mettant un verrou dessus. Je ne l'accepterais pas. Et Eilidh non plus, je le sais...

 

Me voyant la regarder, celle-ci approuvait :

 

- Craig a raison, Ruagh. Tu en as déjà trop dit, ou pas assez. Je ne partirais pas d'ici avant que tu nous aie dit tout ce que tu sais concernant les McFerus. Même si ça doit faire mal...

 

Ruagh soupirait.

 

- Ok, ok. Après tout, vous êtes majeurs. Et je comprends tout à fait votre besoin de savoir. Mais je vous aurais prévenu : ce que je vais vous révéler sur la famille McFerus, ce n'est pas un roman à l'eau de rose. C'est plus proche d'un roman d'Eric McCormack niveau ambiance. Je vous assure que vous êtes très loin d'imaginer ce dont les McFerus ont été capables de faire. Y'en a pas un pour rattraper l'autre. Même si deux d'entre eux m'apparaissent plus comme des victimes que des coupables à proprement parler. Ça n'excuse pas ce dont ils se sont rendus coupable, surtout aux yeux du puritanisme religieux dont fait preuve toute église. Mais je ne me permettrais pas de juger ce qui les a poussés à agir. Je vous promets de vous dire tout ce que je sais, et même de vous indiquer qui a été mon « indic » m'ayant fourni tout ces renseignements inavouables. 

 

Je rassurais à nouveau Ruagh :

 

- Ne t'inquiète pas. Ni moi, ni Eilidh on t'en voudra de nous dire ce qui en est. On est conscient que c'est nous qui t'avons demandé de nous en informer, et ça ne changera rien à notre collaboration actuelle et future...

 

Eilidh rajoutait :

 

- Je partage l'avis de Craig, Ruagh. Tu n'as pas à culpabiliser après nous avoir fait part de ces révélations, vraiment. Tu l'as dit : on est des grandes personnes. On assumera notre choix de savoir. Mais pour l'instant, je crois que Craig veut savoir ce qui concerne la chose composant le « Manoir de la Mort ». Ça lui permettra, et à moi aussi, de nous éclairer, de savoir à quoi on a affaire. Ça nous donnera des réponses aux différentes morts ayant endeuillé, année après année, la demeure des McFerus...

 

Soupirant à nouveau, Ruagh reprenait :

 

- Ça marche... Bon, je m'étais arrêté où moi ? 

 

Je remettais de l'ordre dans la tête de Ruagh, en lui remémorant là où Eilidh l'avait coupé.

 

- Au lien entre le Léviathan et les druides...

 

Me remerciant d'un geste, m'adressant un sourire de satisfaction, Ruagh reprenait son récit :

 

- Ah, oui... Exact... Donc, pour reprendre les faits, à travers tous les documents que j'ai accumulés, les livres et les recherches internet pour certaines confirmations, voilà ce que je sais. Il n'y a pas vraiment de détails concernant l'origine de ces créatures sur Terre. Il existe des suppositions, mais ça ne reste que des théories qu'il est impossible de vérifier, au vu de l'époque probable et sans aucune possibilité de le confirmer. Certains théoriciens pensent que ces bestioles sont arrivées au moment de la 1ère extinction qui s'est déroulé sur Terre, à l'intérieur d'une météorite...

 

Je l'interrompais :

 

- Attends... Tu es en train de parler de la météorite qui a provoqué une ère glaciaire sans précédent, ayant entraîné la mort des dinosaures là ?

 

Ruagh souriait en coin :

 

- C'est tout à fait ça. Oui, je sais, c'est assez perché. Mais je vous ai prévenus : ça reste de la théorie. Et comme y'a pas de témoin assez vieux pour témoigner et attester de ça, je ne m'engagerais pas sur la voie de la confirmation concernant ça. Mais bon. Je peux continuer ?

 

- Oui, oui. Excuse-moi. J'éviterais de t'interrompre désormais.

 

- Pas de souci, vraiment. Ça montre que tu t'intéresses et que tu suis... Bon. Pour reprendre, cette fameuse météorite ayant déclenché cette onde gigantesque s'étant déversé sur l'ensemble de la planète, et vraisemblablement à l'origine de la séparation des continents...Quoique là encore, plusieurs scientifiques sont assez divisés sur la question... Cette fameuse météorite, donc, se serait enfoncée profondément sous Terre, et contrairement à certaines autres théories, elle n'aurait pas été la seule. Simplement, c'était la plus grosse. Celle qui a occasionné le plus de dégâts sur notre planète. 

 

A ce moment, Ruagh faisait une pause, le temps de prendre une bouteille d'eau sur la table, et prendre une gorgée.

 

- Excusez-moi, j'avais la gorge sèche, et y'a beaucoup à dire encore.

 

- Pas de souci. Prends ton temps...


- C'est gentil, merci. Alors, les théories supposent qu'il y aurait eu plusieurs petites météorites tombées dans le même temps, et le tout aurait pu faire partie des résidus d'une planète détruite à la suite de l'action d'une SuperNova, ou un truc du genre. Mais là, c'est encore un autre débat. Quoiqu'il en soit, toutes ces météorites, renfermant donc des créatures venues de ce monde détruit, et probablement déjà en sommeil avant même d'atteindre la Terre car les roches où elles étaient enfermées étant en quelque sorte des cocons, ont conservés les corps de ces bestioles pendant des millénaires. C'est encore une supposition, mais avec le temps, les roches de ces météorites se seraient effritées à la longue, libérant la poche où se trouvaient les créatures à l'intérieur, et les mettant en contact direct avec leur nouvel environnement, à des centaines, voire des milliers de kilomètres dans le sol, peut-être même à proximité du noyau terrestre. Ce qui aurait pu être, là aussi, une conséquence sur la tectonique des plaques que tout le monde connait.


Ruagh refermait sa bouteille et la posait sur la table, après avoir bu une nouvelle gorgée, reprenant son récit passionnant à plus d'un titre, m'ouvrant des perspectives que j'aurais été loin d'imaginer sur les origines du mal gangrénant le manoir familial.

 

- Craig, tu me parlais tout à l'heure de l'histoire des druides. Je pense que tu sais tout ce qu'il y a besoin de savoir sur cet épisode sanglant celte, pas besoin d'y revenir. Je vais plutôt me concentrer sur ce qui a été la cause des premiers éléments ayant provoqué la malédiction. Comme tu as dû le lire, les potions et diverses décoctions des druides que les romains craignaient d'être récupérés par d'autres groupes du même ordre, ont été déversées dans le sol avec les corps des druides. Comme tu dois le savoir également, le mélange de ces produits sont sans doute à l'origine de la toxicité du sol. Cet élément reste dans le domaine du crédible et résulte d'une réaction chimique tout à fait probable et je dirais même normale. Néanmoins, ce mélange a pu avoir une action qui a rongé le sol, s'enfonçant sous terre très profondément. Jusqu'à atteindre le reste de l'enveloppe du cocon d'une des créatures...

 

Je l'interrompais à nouveau :

 

- Donc, en résumé, ces produits auraient percé le cocon, ou du moins le résidu de cocon s'étant érodé après plusieurs siècles et donc étant devenu fébrile, ce qui aurait pu réveiller la créature qui y dormait ?

 

- C'est tout à fait ça. Il y a plusieurs autres théories contradictoires sur ce qui s'est sans doute passé ensuite, mais la plus crédible est la suivante : réveillé par la « fonte » du cocon la gardant en léthargie, la créature a « senti » des présences plus haut en surface, et, suivant son instinct de probable prédateur, serait remonté jusqu'à tomber sur le corps des druides fraîchement décédés...

 

- La chose s'en serait nourri ?

 

- Nourri, je ne sais pas si c'est le mot adéquat, mais en tout cas il devait y avoir quelque chose dans les corps qui lui était utile à son métabolisme. Au vu de ce que j'ai pu constater sur la personnalité des personnes ayant subi les attaques primaires, car, oui, mon « indic » m'a pas mal renseigné sur les petits « secrets » de ces victimes-là aussi, elles avaient toutes de la rancœur envers quelqu'un. Des désirs de vengeance, de colère, qu'elles gardaient enfermées en elle, sans le montrer. Et les druides, bien que morts, auraient gardés cette rancœur en eux. Là, on touche le spirituel, je vous préviens. Tous les trucs à base d'âme, de karma et autre. Mais c'est vraiment ce qui semble le plus probable. 

 

- Donc, la créature, attiré par la rancœur des druides envers les romains qui les ont tués, à cause de la peur que leurs pouvoirs suscitaient pour eux, aurait absorbée cette rancœur ? Et ça aurait pu contribuer à déclencher une forme d'évolution de son corps je suppose ?

 

Ruagh souriait à nouveau, semblant ravi de mon attention et ma disposition à comprendre et analyser ses propos :

 

- Eeh... Mais c'est que t'as un sacré cerveau... Je plaisante... Je sais bien que t'es très loin d'être con... La preuve : tu es venu jusqu'à chez moi pour m'écouter dire mes théories que n'importe qui prendrait pour des élucubrations d'un taré profond...

 

- Je ne suis pas n'importe qui...

 

Dis-je en souriant. Sourire auquel répondait par son équivalent Ruaghn avant de continuer :

 

- J'en suis conscient, tu peux me croire. Effectivement, cette créature se « nourrit » de la rancœur présente au sein de certaines personnes, et je mets ça entre guillemets, car je ne suis pas sûr que ce soit ce qui définit vraiment ses actions. Ce qui est plus que probable, en revanche, c'est que l'absorption de cette rancœur lui permet de se développer. De grandir ou de grossir si vous préférez. Il y a de très fortes chances qu'elle était toute petite dans son cocon, et qu'il lui a fallu plusieurs mois, voire plusieurs années avant d'atteindre une taille susceptible de lui permettre d'agir sur l'environnement au-dessus d'elle. Je m'explique : après avoir absorbé ce dont elle avait besoin dans les corps des druides, elle a du pouvoir agir sur le sol du terrain au-dessus d'elle dans un premier temps, absorbant sa « nourriture » à travers les animaux, qui ont été les premiers signes de la « malédiction ».


Je l'interrompais à nouveau :

 

- Mais les animaux... Je doute qu'ils aient une manifestation de rancœur en eux. Ça reste une émotion typiquement humaine. Peut-être de la peur à la rigueur, mais pas de rancœur...

 

- Décidément, tu me surprends de plus en plus par ton intelligence. C'est exactement la conclusion à laquelle je suis arrivé moi aussi. Comme tu l'as indiqué, à de rares exceptions près, comme l'Orque, une des espèces animales, hormis l'homme, capable de désir de vengeance, les animaux n'ont pas en eux cette rancœur nécessaire aux besoins vitaux de cette créature. Ce qui veut dire qu'elle ne se « nourrit » pas seulement de rancœur, mais aussi de peur. Je pense que la rancœur reste son besoin nutritif de base. Mais, au même titre qu'un homme piégé dans un environnement où il ne peut pas se nourrir selon ses habitudes, et suivant son instinct de survie, la créature doit parfois se contenter de la peur que suscite sa présence, voire une manifestation de ce qui représente son corps.

 

- Les fameuses excroissances aux allures d'artères ayant tué mes frères et sœurs donc ?

 

- Mmmh.... Eh bien, je pense plutôt qu'à ce moment, elle n'était pas encore capable d'avoir recours à ces excroissances comme tu dis, car elle n'était pas encore assez développée pour s'approprier l'environnement où elle se trouvait. Néanmoins, je suppose que ses facultés lui permettaient de créer une sorte d'attirance magnétique, ou un truc du genre, envers ses proies. Pour faire simple, elle agissait comme un aimant à « chair », bloquant ses proies en surface, afin de toucher ce qui était en contact avec le sol. A savoir les pattes des animaux, absorbant la peur créée par ce que ces proies ressentaient en se retrouvant piégées par la créature. C'est ce qui a permis de la « nourrir » suffisamment. Et je pense qu'elle a dû agir de même envers les premières victimes humaines vivantes, celles s'étant rendues dans les bois représentant son territoire de chasse. 

 

- Oui, je comprends ce que tu veux dire. C'est comme ça qu'elle a pu grossir par la suite, et développer après ça ses « artères », l'élongation de son corps à la végétation, qui devait déjà englober auparavant la totalité de la surface du sous-sol de la forêt. Comme les arbres et vraisemblablement certaines plantes. 

 

- Exactement ! Une fois cette étape franchie, elle pouvait augmenter ses possibilités de chasse, causant les nombreuses morts. Mais pour se développer plus, elle doit sûrement atteindre un « quota » d'énergie ou je ne sais quoi, qui lui permet de grossir. Et avec la réputation de forêt maudite, la « nourriture » s'est faite plus rare, la créature ayant déjà absorbée toute la faune possible en surface. 

 

- Du coup, privé de nourriture, et sans doute aussi dans un instinct de survie, elle s'est mise dans un état de semi-hibernation, attendant que des formes de vie daignent se mouvoir en surface. Un peu comme un chat qui est toujours aux aguets, bien qu'endormi en apparence. Les vibrations d'humains ou d'animaux sur le sol la réveillant et la faisant agir.

 

- Voilà. Ce qui fait que cette instabilité énergétique devait causer des régressions de son développement, comme une sorte d'anémie à chaque fois qu'elle ne pouvait pas se nourrir. 

 

- Et c'est la construction du Manoir qui lui a offert l'occasion d'obtenir un « stock » de nourriture plus conséquent et régulier...

 

- C'est ça. Dans le même temps, je pense que cette créature a besoin de juger du degré de dangerosité de ses proies. Elle doit procéder à un processus d'adaptation, ceci pour savoir quelle méthode d'attaque adopter pour chasser sa cible, et absorber ce dont elle a besoin. Ça doit intervenir après qu'elle ait déterminée la proie pouvant lui apporter la rancœur, ou à défaut la peur déclenchée par son action, comme elle a dû le faire par périodes pour ses précédentes sources de « nourriture ». 

 

- Oui, je vois. Ce qui explique pourquoi il y a eu de simples accidents, des agressions par moments, avant qu'il y ait des morts plus nettes. Elle testait la capacité de réaction de ses nouvelles proies, ayant sans doute remarquée que la surface était différente du bois qu'elle connaissait auparavant. 

 

- T'as tout compris. Et les corps « disparus » puis réapparaissant dans des lieux improbables, ça devait rentrer dans ce processus d'adaptation, d'analyse du nouveau type de proie en surface. Au bout d'un moment, elle a acquis des facultés plus importantes, lui permettant de faire traverser la matière de ses cibles, et les transporter dans des endroits différents et curieux, une fois « vidé » de ce dont elle avait l'utilité. C'était aussi une manière pour elle de comprendre les réactions des autres habitants de la surface, de ressentir leurs peurs et leurs rancœurs de manière plus appropriée à ses techniques de chasse. En gros, elle testait son environnement.


Ruagh reprenait une rasade d'eau, avant de continuer : 

 

- Et à force de se « nourrir » efficacement, elle a pu se développer toujours plus, se fondant dans l'environnement que représente le Manoir McFerus, fusionnant avec lui. Jusqu'à devenir lui... Les attaques dont vous avez été victimes résulte de ces périodes de tests de ses victimes. Ce qui explique pourquoi elle a mis autant de temps avant de s'en prendre à vous de manière plus directe et violente par la suite...

 

- Oui, je comprends... Le fait de les écraser, c'est sans doute une volonté de passer à un stade plus important. Elle a été attirée par la rancœur des membres de ma famille, se focalisant sur ceux qui en était doté le plus, pour les viser. Et en les écrasant, elle libérait leur peur, sans doute nécessaire autant que leur rancœur pour son métabolisme intérieur, source de sa vie. Une fois que ses victimes périssaient après ce traitement, une fois qu'elle les avait « vidées » de sa « nourriture », elle lâchait son emprise. 

 

Je mettais alors sur le feu une constatation que Ruagh n'avait pas encore évoqué.

 

- J'ai remarqué aussi que par moments, elle adoptait des périodes d'hibernation. Il y a des écarts de quelques mois ou années entre les attaques. Ça doit faire partie de son mode alimentaire.

 

Ruagh souriait, ravi apparemment que j'ai constaté également ce fait.

 

- Craig, tu es un génie. Presque un double de moi... Tu as très bien mis en lumière cette autre particularité. Je pense que son « estomac » doit avoir des limites suivant sa taille. Au bout d'un certain « quota » d'énergie récoltée, elle a besoin de ces périodes de ce qui pourrait être des phases de digestion, telle que je le conçois. Plus sa taille augmente, plus ces périodes sont importantes. Et, désolé de dire ça, mais quand elle a « consommé » Isobel, Fingal et Roy, son estomac était plein, causant une nouvelle période de digestion, et donc d'inactivité.

 

- Ne t'inquiète pas. J'ai passé le cap de me bloquer à chaque fois qu'on évoque la mort de mes frères et sœurs. N'aie plus peur d'en parler en ma présence. Je suis en accord avec ta théorie. Ça rejoint mes propres constatations, et le fait qu'on sente ces « fluides » parcourir les murs et planchers de la maison qui est devenu son corps, en accord avec sa faculté de s'approprier la matière de l'environnement où elle évolue. Ce que j'ignore, c'est combien de temps va durer cette étape de digestion, avant qu'elle décide de reprendre ses « repas » ...

 

Ruagh reprenait une gorgée d'eau de sa bouteille, avant de reprendre.

 

- Je suis comme toi. Je suis aussi dans l'inconnu à ce niveau...

 

- Mais dis-moi, encore une chose. Qu'est-ce qui te fait rapprocher le Léviathan de cette créature ? C'est quoi le ou les éléments qui te font penser qu'il s'agit bien de ce monstre mythique ?

 

Ruagh reposait sa bouteille, puis me répondait.

 

- Plusieurs choses en fait. Les méthodes de « chasse » ; l'aspect de son corps « intérieur » se montrant, par ce qui s'apparente à des artères ou des vaisseaux sanguins ; l'énergie dont elle se nourrit présent dans certains humains... ça rejoint les caractéristiques des avatars du Léviathan biblique, celui qui est présent dans les civilisations précolombiennes et de légendes d'autres pays que je t'ai déjà évoqué. Là aussi, dans plusieurs textes anciens, on parle d'assimilation de plantes, de bâtiments, de temples devenus « vivants », permettant de les définir comme le « ventre » de ces incarnations déifiques, selon les écrits découverts au sein de sites archéologiques. Et certains de ces attributs particuliers, la rancœur dont est doté le Léviathan Biblique envers Dieu, son refus d'adhérer à ses dogmes et une multitudes d'autres petits détails similaires dont il serait superflu de tout te décrire en profondeur, ça m'a conforté dans le fait que cette créature est le fameux Léviathan, bien éloigné de son statut d'être unique.

 

- Mais sa taille ? Le Léviathan biblique est désigné comme immense dès le départ...

 

- Comme je t'ai déjà dit, cela dépend des versions de la Bible. Dans certaines très anciennes, et sans me la jouer « Da Vinci Code », il est clairement indiqué que le Léviathan n'a pas toujours été aussi grand qu'on le pense. Dieu a créé une sorte de graine. Celle-ci a poussée. Il l'a cultivée pour en faire la créature évoquée dans les récits apocalyptiques. Elle a échappé à son contrôle, devenant agressive. Ayant peur d'elle et de ce qu'elle pourrait faire aux anges, il l'a alors jetée dans l'océan, pensant qu'elle s'y noierait. Mais la bête s'est adaptée à son nouvel environnement, avant de développer une rancœur envers son créateur. Se rendant compte que sa créature avait survécu, Dieu a cherché à lui faire comprendre qu'elle devait obéir à ses règles, après avoir constaté que la bête était à l'origine de plusieurs naufrages de bateaux. Sans compter l'état des victimes, qui montrait qu'on les avait vidées de leur substance. Affolé de ce que devenait sa création, qui pouvait menacer les hommes créés pour son propre plaisir afin d'être vénéré, et voyant qu'elle refusait de se soumettre à lui, car celle-ci considérait avoir été trahi par son « père », Dieu a donc du la détruire. 

 

- Je connais la suite. Le Léviathan n'est pas mort. Il s'est endormi. Attendant qu'on le réveille, attendant de pouvoir se nourrir pour se venger de Dieu. C'est ce qui a formé la base du mythe de Cthulhu endormi dans son palais sous les eaux au romancier H.P. Lovecraft. Cet être cosmique attendant, lui aussi, le moment où il pourrait revenir à la surface pour asseoir sa domination sur les hommes. Une grande partie de la cosmogonie lovecraftienne est d'ailleurs emprunté à des récits bibliques.

 

- C'est tout à fait exact. Maintenant, tu en sais autant que moi sur ce qu'est cette créature. Mais j'ignore encore comment la détruire. Le mieux qu'on pourrait faire, c'est faire en sorte qu'elle entre dans une nouvelle phase de sommeil, en la privant de « nourriture ». Mais pour ça, il faudrait quitter le Manoir, dans un premier temps, et faire en sorte que plus personne ne puisse se rendre sur place. Je ne suis même pas sûr que cette créature puisse être détruite. Et à vrai dire, il y a encore plus inquiétant...

 

- Plus inquiétant que l'existence de cette créature ? J'en doute...

 

- Tu vas voir que si. Tu te souviens que je t'ai dit qu'une théorie supposait qu'il y avait eu plusieurs météorites de petites tailles à l'origine de la 1ère extinction ?

 

- Oui... Je... Je vois où tu veux en venir... Il y aurait plusieurs Léviathans en sommeil, ou peut-être déjà réveillés. Voire même déjà en phase de développement, comme celui s'étant emparé du Manoir McFerus...

 

- Tout à fait. C'est une possibilité à ne pas négliger. Et il est fort possible que ces Léviathans ne soient que des bébés, ou du moins des enfants. La grosse météorite, celle qui a déclenché l'onde de choc ayant parcouru la Terre, provoquant la disparition des dinosaures, pourrait renfermer le cocon d'un adulte. Sans doute la mère de toutes les autres créatures...


Mon sang se glaçait à cette éventualité. Les actions du Léviathan constituant le Manoir McFerus était déjà terrifiantes, sans compter la perspective de ce qu'il pourrait devenir en grossissant plus, tel une forme de Blob immense une fois sorti de sa phase de digestion... Alors imaginer que ce n'était qu'un bébé, et que sa mère, supposément d'une taille dépassant l'entendement, pouvait se réveiller à son tour... ça pourrait signifier la fin de l'humanité tout entière, l'anéantissement de toute vie, voire la destruction de la planète. Cette dernière pouvant être littéralement absorbée dans son intégralité... Cette perspective était pire que tous les scénarios catastrophes qui avaient germés dans ma tête. Ceux où j'imaginais ce que pouvait être cette chose qu'était le Manoir... J'étais dans un état de terreur interne difficilement descriptible, quand Eilidh intervenait, n'ayant rien perdue du récit de Ruagh et de mes interventions. Elle rappelait à la mémoire de ce dernier sa promesse de nous dire en détail les secrets cachés des McFerus.


- Ruagh. Craig et moi avons entendus ce que tu nous as décrit. Et j'avoue n'être pas sûre d'avoir aussi bien compris que Craig de ce qui va découler de tout ça, de l'avenir du Manoir, de nous, et des alentours. Voire de l'avenir de l'humanité en cas de réveil de la « mère » de cette chose ayant pris possession de la demeure des McFerus. Mais j'aimerais que tu te tiennes à tes engagements dont on a parlé auparavant, avant de savoir ce qu'il serait possible de faire pour tout ça. 

 

Ruagh se fermait à nouveau, reprenant son air triste, avant de répondre à Eilidh.

 

- Les secrets des McFerus, c'est bien ça ? Les horreurs dont ils ont été coupables, et qu'ils continuent à exercer ?

 

- C'est bien ça. Désolé de minimiser tout ce dont tu as parlé, mais pour ma part, c'est ce que je veux savoir avant toute chose. Et Craig veut sûrement en avoir connaissance lui aussi... Après ça, on déterminera un autre jour pour se revoir, afin d'élaborer des solutions pour mettre fin au Léviathan...

 

- Je rejoins Eilidh dans ses propos. Comme elle l'a dit, je veux aussi savoir tout ce qui concerne les secrets de ma famille. Aussi difficile que sera la vérité. J'assumerais d'être au courant de leurs actes, et je verrais ce qu'il m'est possible d'accepter ou non. Sous réserve que tu puisses par la suite m'apporter des preuves de ce que tu avances...

 

Ruagh reprenait une gorgée d'eau avant de reposer la bouteille sur la table.

 

- Très bien. Chose promise, chose due. Mais comme dit précédemment, vous allez sans doute les voir très différemment une fois que je vous aurais tout révélé... Et quand aux preuves, Craig, aucun problème. J'ai tout ce qu'il faut ici pour te montrer que ce dont je vais parler est la stricte vérité, mettant en lumière les actes monstrueux des membres de ta famille. Le cas échéant, mon indicateur, qui, comme je l'ai également annoncé, est quelqu'un que tu as très bien connu, pourra te confirmer ces faits ainsi que la véracité des documents en ma possession. Il a été le témoin d'une partie de ces actes, il y a même participé. Donc, accrochez-vous bien à vos fauteuils. Je vais maintenant vous révéler les véritables et effroyables personnalités des McFerus...

 

À suivre…

 

Publié par Fabs

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire