22 oct. 2023

LA MAISON QUI VIVAIT-Partie 1 (Challenge Halloween/Jour 21)

 



Ces lieux ont toujours été maudits, depuis les temps les plus anciens : c'est ce que toutes les recherches que j'ai effectuées sur cette maison, sur ce terrain, ont pu m'apprendre. J'ai pu découvrir que nombre de morts ont parsemés l'histoire de cet endroit, et pas uniquement des humains. En retraçant les origines de la demeure, j'ai pu comprendre que bien avant que notre manoir y soit construit, des faits étranges se sont fait connaitre. Des animaux par dizaine périssaient en traversant les hectares couvrant ce qui allait devenir une propriété où se dresserait ce cauchemar vivant comme nul autre ne peut exister sur Terre. La faute à une antique malédiction. On raconte qu'autrefois, bien avant que la ville autour ne soit érigée, à l'endroit exact où se tient la maison aujourd'hui, se trouvait une forêt aux particularités étonnantes. 

 

La flore abritait des plantes étant l'apanage de druides celtes, et recevait fréquemment la visite de plusieurs d'entre eux. Des fleurs dont le pollen pouvait guérir des maux de toutes sortes une fois associées à d'autres ingrédients ; des mousses capables de faire disparaitre n'importe quelle blessure après avoir été apposées en cataplasmes sur les plaies ; des fougères dont les vertus thérapeutiques étaient sans équivalents à cette époque. Des cérémonies avaient lieu régulièrement, réunissant une sorte de groupe composé de plusieurs druides, s'imprégnant de l'atmosphère bénéfique de cette forêt unique. Nul ne sait ce qui s'est passé exactement, les raisons précises, mais il semblerait que ce groupe faisait peur. Plusieurs fois, l'action des potions, des remèdes qu'ils administraient aux habitants des villages alentours ont lancés des rumeurs folles.

 

On disait que ces druides pouvaient faire repousser des membres tranchés par la lame d'une épée, rendre beau un visage repoussant, donner la vigueur à un jeune soldat pour satisfaire son épouse insatiable, et même... Redonner la vie aux morts tombés au combat. Vous savez ce que c'est : parfois les rumeurs colportées par des personnes ignorant les effets de maladies inconnues se voyant guéris par des plantes, constituant la base même de la médecine d'alors, avaient une vision différente de la réalité. Ces ancêtres des colporteurs de Fake News des temps anciens, voyant les faits de loin, car n'étant pas autorisés à assister aux séances de soins, n'étaient témoins de ces « miracles » que par l'intermédiaire de fenêtres où ils s'étaient postés discrètement pour ne pas être vus des druides, ceux-ci ne voulant pas divulguer leurs secrets. D'où des interprétations faussées par l'obscurité ou la mauvaise vision des opérations visant à soigner leurs patients. 

 

Les « morts » pouvaient être en fait de simples comas, au même titre que la fameuse catatonie qu'on attribuait aux vampires au moyen-âge au sein de populaces ignorantes et influençables, a causé bien des morts inutiles du fait de méconnaissance médicale. Les membres coupés n'étaient sans doute que de profondes entailles, dont l'aspect pouvait faire penser à quelque chose de plus grave et semblant impossible à guérir. L'histoire est parsemée de médecins pris pour des sorciers, des mages qu'on pensait avoir pactisé avec le diable, à cause de leurs connaissances très poussées dans le domaine de la médecine et de la science pour leur époque. Ils étaient en avance sur leur temps, et leurs méthodes étaient mal comprises par les néophytes. En résulta donc des mauvaises interprétations ayant mené à un drame qui a marqué les lieux, marqué cette forêt à jamais. 

 

Si vous êtes féru d'histoire, vous n'êtes pas sans ignorer le mythe ridicule autour de la Comtesse Bathory, un des personnages historiques ayant servi de base à la rédaction du roman « Dracula » de Bram Stoker. On lui attribuait le statut de vampire, car, disait-on, elle se baignait dans le sang de vierges fraîchement tuées, expliquant la disparition de centaines de vierges dans la région. Mais ces faits reposaient sur des rumeurs colportées par la famille de Bathory, désireuse de s'emparer du pouvoir acquis par son mari après la mort de celui-ci. 

 

C'était un notable très puissant, craint et respecté, et Erszebeth Bathory, sa veuve, a hérité de sa fortune, tout comme son pouvoir politique. Elle s'est imposée comme une femme de poigne, une femme d'affaires très instruite, maniant économie, politique et analyse sociale, et provoquant la jalousie de beaucoup d'hommes n'acceptant pas qu'une femme puisse avoir autant de pouvoir. S'il est attesté que la Comtesse pouvait se montrer rude envers son personnel, allant jusqu'à frapper quiconque ne faisait pas son travail correctement, les punitions n'allaient pas jusqu'aux meurtres ou les séances de tortures qu'on lui attribuait. Même si elle avait une passion pour les instruments de ce type, qu'elle collectionnait, jamais aucune preuve n'a été apporté sur l'utilisation de ceux-ci. Le sang retrouvé sur certains était déjà sec et datant de plusieurs mois, voire plusieurs années, le rendant incompatible avec les crimes qu'on lui reprochait. Aucun cadavre n'a été retrouvé dans son manoir, et les fameux bains de sang devaient leur couleur rouge à l'utilisation de plantes donnant cette teinte à ses bains. 

 

Quand aux disparitions, une grande partie étaient du fait des servantes s'étant enfuies de la région, car ne supportant plus le caractère strict de Bathory. Ne pouvant demander à leurs parents de quitter leur poste, de peur de les décevoir ou ne pouvant plus leur apporter les revenus conséquents que son rôle de servante leur apportait, elles n'ont eu d'autre solution que de quitter leur foyer et partir loin de leur village, créant un climat de doute envers la « comtesse sanglante ». Mais ce ne devait être le fait que de quelques dizaines de ces jeunes filles. Le reste a été créé de toutes pièces par la famille de Bathory, afin de l'accuser d'être un monstre qui devait être enfermé, en s'aidant de l'appui de l'église qui dépêcha un émissaire ayant constaté des faits mal compris, détournés, faussés, menant à la chute de la Comtesse, et parachevé par un tribunal truqué.

 

Ce fut les mêmes conditions qui menèrent à ce que les druides furent considérés pour ce qu'ils n'étaient pas, leur attribuant des statuts de nécromanciens, doublés de serviteurs de dieux maléfiques. Ce qui était à l'opposé de ceux qu'ils revendiquaient honorer et bel et bien bénéfiques, rattachés à la nature d'où ils tiraient leurs savoir. Cette peur s'étendit des villages où les druides officiaient à d'autres plus éloignés, jusqu'à arriver aux oreilles de Rome. Craignant que les « pouvoirs » de ce groupe puisse nuire à l'emprise romaine sur la région, il fut ordonné de mettre fin aux agissements des druides jugés coupables de traiter avec des forces maléfiques et dangereuses pour la Pax Romana, la Paix Romaine. Ainsi, un détachement romain s'infiltra dans la forêt où le groupe s'adonnait à une de ses réunions habituelles, et massacra sans vergogne les membres du groupe. Les 7 druides qui composaient ce dernier furent enterrés sommairement sur place.

 

La présence de ces cadavres dans le sol, qui furent ensevelis avec la totalité de leurs décoctions, potions et autres produits créés grâce à la flore de la forêt, se mélangèrent, et créant sans doute des réactions chimiques conséquentes en se déversant sur les corps. Ce qui fit débuter la malédiction de ces lieux autrefois remplis d'éléments à même d'aider les humains de par leurs vertus guérisseuses. Le sol devint toxique, créant la genèse de plantes curieuses, empoisonnant les autres qui subirent des mutations au fil des années, tuant les animaux à cause de son atmosphère empoisonnée. Par la suite, la forêt acquit une réputation de lieu maudit, où seule la Mort pouvait se rendre. Elle devint la source de défis pour nombre de chevaliers, désireux de montrer leur courage en s'y rendant, afin de prouver leur valeur. Ils ne firent que s'ajouter aux morts déjà présents dans les lieux. Que ce soient les corps enfouis des 7 druides, ou bien les animaux ayant succombé aux effluves libérés par le sol de la forêt, s'imprégnant sur toute la flore, et tuant irrémédiablement tout être vivant qui consommait fleurs, plantes et fruits.

 

Les années passèrent. Si la toxicité de la forêt s'affaiblit avec le temps en apparence, offrant une atmosphère plus respirable, donnant son heure de gloire à quelques hardis aventuriers voulant prouver leur résistance et leur courage, en ce qui concernait la flore et le sol, rien n'avait changé. Ceux qui commettaient l'erreur de consommer tout produit des lieux mourraient inexorablement, empoisonnés. Avec le temps, même si le nom de ces bois était synonyme de mort et de malédiction, car ayant tué nombre de personnes en son sein, ils étaient implantés au sein d'un territoire qui fut acheté par un homme de noble famille, Lord Callum McFerus, durant le début des années 50. N'ignorant pas le statut maudit de la forêt, qu'il considérait comme une rumeur stupide, il fit raser l'intégralité de la forêt afin d'y faire ériger les fondations de son futur manoir. Le Manoir McFerus mit 5 longues années avant de s'élever sur cette terre, au cœur d'une région désertée de toute habitation aux alentours.

 

Callum McFerus était un noble très réputé, et l'annonce qu'il ait fait construire un manoir sur un terrain réputé maudit fit grand bruit, attisant à la fois inquiétude et intérêt. Au cours des années de construction, on vit ainsi toute une ville « pousser » non loin de ce qui fut autrefois un lieu déserté, à cause du statut de mort qu'on lui attribuait. McFerus s'amusait d'avoir permis à faire naître toute une ville, rien que par le prestige de sa présence d'un terrain à l'aura maudit, et se félicitait de modifier les mœurs et les croyances locales par la construction de son manoir. Ce dernier deviendrait le centre névralgique de ses affaires, son lieu de repos, et surtout le futur berceau de sa famille, fort de 6 enfants en plus de son épouse. Il était fier de ses enfants, tous promis à de belles carrières par ses soins, chacun montrant des aptitudes certaines dans l'art, ainsi que les affaires économiques et politiques. 

 

Tout aurait pu aller pour le mieux, si ce n'était que l'ancienne malédiction, qui semblait s'être endormie, se réveilla soudainement à travers les murs du Manoir des McFerus. Cela fit recréer un climat de peur dans la région, étant la cause de nombreuses morts mystérieuses qui firent les grandes lignes des journaux locaux et nationaux. Mais à ce stade du récit, je pense qu'il est de bon ton de me présenter : je me nomme Craig McFerus, 5ème enfant de la lignée des McFerus, fils de Callum et Eleonor. J'ai 3 frères : Roy, Fingal, et Daividh. Ainsi que 2 sœurs : Isobel et Effie. Au moment où j'écris cette lettre, je suis le seul survivant de ce que tous appellent dans la région la « famille maudite ». 

 

Une « réputation » qui nous a valu de devenir des pestiférés, faisant fuir l'un après l'autre les prétendants qui s'agglutinaient auparavant autour de nous pour espérer faire partie de notre clan, en profitant de l'aura de notre famille. Isobel était considérée comme la plus jolie fille d’Écosse, rien que ça. Et son métier de Top-Model y était pour beaucoup. Bien que mon père n'appréciait pas trop qu'elle se « prostitue » : ce sont les termes qu'il employait pour désigner son activité, en s'effeuillant sur des magazines pour ados prépubères. Elle a eu beau lui dire qu'elle ne faisait que se montrer en maillots de bain et lingerie, mon père ne voulait pas en démordre, et lui a demandé plusieurs fois de changer de « plan de carrière », celle-ci étant indigne pour le prestige des McFerus. Mais Isobel était au moins aussi têtu que ne l'était notre paternel. Ce dernier en revanche ne tarissait pas d'éloges sur Daividh, député à la Chambre des Lords, fierté complète de la famille, ainsi que Fingal, qui était un peintre renommé dont chaque toile s'arrachait.

 

Pour Roy, qui s'était lancé dans une carrière de photographe, et qui avait d'ailleurs eu l'occasion d'avoir Isobel comme cliente pour le compte des magazines que notre père qualifiait de « torchons pornographiques », c'était... plus... Délicat. Ce n'est pas vraiment le fait qu'il soit photographe qui le gênait, mais plutôt le fait qu'il contribue à l'image néfaste envers notre famille qu'il véhiculait. Ceci en encourageant Isobel à poursuivre ce qu'il n'arrivait pas à considérer comme un métier à ses yeux. De ce fait, rien que de savoir que Roy se pâmait comme tous les pervers achetant les revues où les photos de notre sœur se trouvait, c'était tout juste s'il ne parlait pas d'inceste les concernant. Ce qui provoquait, comme vous pouvez vous en douter, des disputes très prononcées entre eux 3, à chaque fois qu'Isobel parlait d'un nouveau shooting dont Roy avait signé les photos. 

 

En fait, elle appréciait que ça soit notre frère qui soit devenu presque complètement son photographe officiel, car elle savait qu'elle n'était pas soumise, lors de ces moments, aux yeux lubriques d'autres « pros » qui ne la voyait que comme un tas de viande qu'ils rêvaient de dévorer. Elle a déjà dû se passer des services de deux de ces « porcs », comme elle dit, qui lui avait fait des propositions déplacées, pour des magazines nettement plus dénudés, voire pour des films X. Mon père était au courant de ça, ce qui contribuait à sa haine du métier d'Isobel, et du rapport qu'elle entretenait avec Roy, ambigüe à ses yeux, alors qu'ils n'étaient pour moi  qu'un frère et une sœur se protégeant l'un et l'autre, sans rien d'autre qui soit matière à controverse. Effie, d'un naturel plus réservée, bien que tentant de défendre Roy et Isobel parfois, préférait ne pas s'incruster dans cette petite guerre, et se consacrait à son activité de romancière.

 

En seulement 2 romans, elle avait acquise une belle notoriété. On parlait d'adapter son premier roman sous forme de série TV, et sa première fan était notre mère. Elle adorait les romans policiers, et c'était justement la spécialité littéraire d'Effie. Un genre assez opposé au caractère d'Effie. Nombre de personnes, s'attendant à quelqu'un ayant une certaine assurance de la part d'un auteur policier, se sont souvent étonnées de la timidité presque maladive lors des interviews d'Effie. Celle-ci montrait toujours une grande gêne à certaines questions « intimes », notamment en parlant de son petit ami, Steven Carles, un célèbre rugbyman et star de l'équipe nationale. Quant à moi, je suis le seul à ne pas avoir de véritable métier, tel que me le rappelle, parfois trop souvent à mon goût mon père. Bien que pour moi, la poésie vaut bien tous les métiers du monde. Si mon père dit ça, c'est surtout parce que je n'ai pas encore été publié, et qu'à vrai dire, ça ne m'intéresse pas vraiment de ramener cet art à un produit commercial.

 

Ma mère adore mes poèmes. Mon père aussi, même s'il aimerait que j'ai une activité plus « prestigieuse », et que je me mette à chercher quelque chose de plus apte à mettre en avant notre nom de famille. Quand il se lance dans son pamphlet de chercher la gloire, sans pour autant verser dans le graveleux, et visant directement par ces mots Isobel et Roy, chacun se tait par respect, et on l'écoute pour la 101ème fois prodiguer ses idées sur la question. Bref, comme vous le voyez, notre vie est assez « animée ». J'ai oublié de préciser que nous habitons tous au Manoir, sauf Isobel, ce qui n'est pas plus mal, car ça évite que mon père et elle se prennent la tête plus souvent que ma sœur ne l'aimerait. Roy, lui, découche souvent, préférant dormir dans son atelier pour ne pas se mettre en retard sur son travail, ayant tendance à « oublier » de se réveiller à temps lorsqu'il dort au manoir. Steven, le petit ami d'Effie, lui, vient de temps à autre, surtout le week-end, ce qui forme un couple un peu particulier, ne se voyant que rarement dans la semaine. 

 

Quant aux « têtes » que sont Fingal et Daividh, cela dépend de leur temps à passer de femmes en femmes. Là-dessus, bien qu'étant dans une branche d'activité différente, autant dire qu'ils n'ont pas volé leur statut de vrais jumeaux. Un « privilège » dont ils ont souvent fait usage pour leurs histoires de cœurs multiples, se faisant passer l'un pour l'autre quand cela les arrange, à l'occasion de soirées. La presse a longtemps eu tendance à parfois les confondre, ce qui énervait notre père, s'empressant de téléphoner immédiatement aux fautifs, afin de leur « apprendre leur métier ». En revanche, il n'a jamais dit quoi que ce soit concernant leur vie de débauche, malgré le fait que Daividh multipliait les conquêtes féminines, dont aucune n'est venue au Manoir. Fingal non plus d'ailleurs, bien qu'il ait été plus « modéré », niveau femmes, par rapport à son frère. Ce qui ne l'empêchait pas de savourer les « prêts » dont Daividh le gratifiait lors de leur « échanges » de vie, le temps d'un soir. 

 

C'était un peu à cause de ça d'ailleurs, que Daividh, malgré ses nombreuses frasques amoureuses, n'a jamais véritablement eu à subir de « scandales ». Quand un article de presse l'incriminait, et que ça concernait une femme mariée, il précisait que, cette fois-là, c'était son frère le coupable, n'ayant jamais caché que Fingal et lui s'échangeaient les rôles à l'occasion. Ce qui fait que leurs conquêtes n'ont jamais été sûres pour l'un ou l'autre. Quand l'un tenait un discours inhabituel, on pensait qu'il s'agissait justement d'un jour où ils s'étaient intervertis. C'était même devenu un sujet de plaisanterie presque national. Des publicités ont fait référence à leur petit jeu, ce qui a contribué à la popularité des jumeaux. Contrairement à Isobel, ce sont des hommes, et ils n'exposaient pas leur corps. C'est le discours que tenait notre père quand Isobel demandait à ce dernier pourquoi ils n'avaient pas les mêmes remarques qu'elle concernant leur vie bien plus dans la luxure qu'elle ne le pratiquait. 

 

Bref. Cette vie tumultueuse de va-et-vient entre membres de notre famille a commencé à se dégrader il y a 2 ans de ça, pendant la semaine d'Halloween. Car ce quotidien dont je viens de vous parler, c'était ce que nous vivions avant que cette maison de malheur décide de nous éliminer l'un après l'autre, à chaque fois lors des jours précédant la fête célébrant le Samhain, Halloween. Une fête directement reliée aux Druides, et qui a toute son importance pour la suite. En fait, les morts ont commencé peu de temps après que notre père eu emménagé officiellement dans la maison, et nous tous avons été témoins, au cours des années, des mystères qui gangrénait notre demeure, tout comme d'autres causes directes du peu de présence de plusieurs d'entre nous en son sein. Plusieurs accidents ont eu lieu, impliquant des domestiques ou des invités, voire différents artisans ayant officié ici. Plombiers, menuisiers, architectes, électriciens, ou jardiniers. Les remplacements de personnel se sont enchaînés, jusqu'à ce que plus personne ne veuille travailler à la « maison de la mort ». 

 

Des accidents se caractérisant par des chutes incompréhensibles dans l'escalier pour l'un ; un lustre se détachant sans raison pour l'autre ; des brûlures au 3ème degré en alimentant la cheminée ; des courts-circuits alors que le courant était coupé ; le sol du jardin se dérobant d'un coup, créant une crevasse, et libérant une poche de gaz non décelée lors de la construction du manoir. Et quand ce n'étaient pas des disparitions pures et simples. Comme ce fut le cas pour plusieurs invités avant qu'on retrouve leur cadavre, des jours plus tard, au sein de lieux inattendus, dans des conditions plus qu'étranges. 

 

Corps retrouvé pendu à une gouttière du Manoir ; un autre, semblant avoir été à moitié dévoré par un animal sauvage, découvert allongé sur la table du petit salon ; une mort similaire voyait exposé le corps sur le lit d'une chambre pourtant vérifiée après avoir constaté sa disparition ; un autre retrouvé noyé dans la baignoire de l'une des 4 salles de bains, là aussi vérifiée avant qu'on le retrouve... A côté de ça, il y a eu plusieurs sons entendus à certaines périodes, que ça soit un jour ou une heure précise, dans des pièces bien particulières. Des horloges sonnant l'heure bien avant que l'aiguille l'affiche sur le cadran, des lattes de plancher qui se tordent, bien que le sol fût impeccable quelques minutes avant. Et il y avait cette impression constante d'être observé de toute part, à chaque pas franchi au sein de cette maison. Une aura macabre qui causa de nombreuses désertions de la part d'invités de mon père, venus au départ dans un but de discussions d'affaires pour un projet d'envergure. 

 

Les intéressés préférant parler de celui-ci à la table d'un restaurant, hors de la maison, plutôt que prendre le risque de ne pas rentrer chez eux, faisant référence, sans le dire directement, aux nombreux décès causés par la maison. Il y a eu plusieurs articles de journalistes freelances, c'est-à-dire appartenant à des sociétés de presse ne pouvant pas être influencées par mon père, qui se chargèrent d'établir une liste des victimes de la « maison de la mort », contribuant à l'aura mortelle du Manoir. Parfois, on avait l'impression d'entendre un cœur battre, bien que ce fût peu perceptible. Cela arrivait surtout quand on se rendait à la cave à vin, située au sous-sol de la maison, dans l'aile Est. Ce battement était encore plus perceptible près de la chaudière de l'Aile Sud. Mais il était impossible de déterminer avec exactitude d'où venait ce « rythme » incessant. Il semblait provenir de partout, du fait de la résonance des murs. 

 

Isobel a même indiqué avoir nettement senti son lit bouger, comme « soulevé » en pleine nuit, et la réveillant en sursaut. Roy, lui, a failli être ébouillanté sous la douche, pendant que Daividh et Fingal, manquèrent de se faire écraser par un tonneau de vin, qui s'était détaché de manière incompréhensible avant de rouler dans leur direction, au moment où ils goûtaient à un cru nouvellement acquis par mon père, sans son accord. Ce qui rendit mon père furieux. A ma connaissance, c'est la seule fois où il a élevé la voix contre eux. Effie, pour sa part, a cru voir des sortes de filaments, ou des lianes, au fond de sa penderie, bougeant comme s'ils étaient vivants. Elle a expliqué que l'un d'entre eux s'était même enroulé autour de sa jambe, lui faisant pousser des hurlements. Quand Roy et Isobel, les premiers à être arrivés sur place, arrivèrent dans sa chambre, ils la trouvèrent à moitié évanoui, une marque rouge sur la jambe droite.

 

Mon père a eu beau indiquer qu'Effie avait probablement fait un cauchemar, ou eu une hallucination à cause de la fatigue, personne n'a vraiment voulu croire cette explication. Effie pouvait être réservée, parfois avec des habitudes un peu particulières, du fait des tocs dont elles étaient pourvues et l'obligeant à effectuer certains « rituels », mais elle n'était pas une menteuse. Sans compter que cette marque sur sa jambe, elle n'avait pas pu se la faire toute seule. C'est à partir de là que nombre d'entre eux limitèrent leur présence dans la maison, Isobel décidant même de ne plus y séjourner et ne venant que de temps à autre. Il n'y avait que moi et Effie, en plus de nos parents, à vivre en permanence dans cette maison qui nous faisait peur à nous aussi. Même ma mère avouait qu'elle n'était pas rassurée quand elle se trouvait sans personne autour d'elle dans une pièce. Pour ma part, j'ai eu aussi mon lot de frayeurs.

 

Ça s'est présenté sous la forme d'objets tombant de meubles, de manière incompréhensible ; une augmentation subite de la température de ma chambre, ou au contraire une chute de celle-ci, transformant quasiment la pièce en succursale du pôle Nord. Une autre fois, ce fut dans la salle de musique, en présence de ma mère. Elle jouait souvent du piano trônant au centre de la pièce, et un jour, alors qu'elle me gratifiait d'une sonate de sa création, les crochets tenant les rideaux des fenêtres ont été littéralement éjectés du mur, envoyant les tentures sur ma mère et moi. Celle-ci n'a plus voulu retourner dans la salle pendant une semaine après ça.

 

Mon père, lui, était le seul à ne pas avoir été victime des bizarreries qui se déroulait au sein de cette maison. Il était comme « immunisé ». Même si ce terme peut paraître inadéquat à la situation. Mais le fait est qu'il n'a jamais assisté au moindre phénomène présent dans ces murs. A chaque fois, ça se passait en-dehors de sa présence. C'était comme si la maison veillait à ce qu'il ne voit pas ce qui se passait, sans qu'on en comprenne la raison. Le pire pour notre famille arriva il y a exactement 2 ans, 5 jours avant Halloween. Isobel était passée pour voir notre mère, profitant que notre père était occupé à traiter des affaires au coeur de la ville de Fort William, ce qui lui évitait de subir à nouveaux ses remontrances sur son activité. Elles prenaient toutes les deux le thé, discutant longuement comme rarement elles en avaient eu l'occasion. Leurs rares tentatives, en présence de mon père, se soldant immanquablement par une dispute, que ma mère tentait de minimiser tant bien que mal, et un départ en furie de la maison d'Isobel.

 

Contrairement à mon père, ma mère, elle, ne voyait pas le métier de ma sœur comme quelque chose de « sale » ou d'indécent. Elle trouvait admirable de porter les couleurs de marques de vêtements, et le fait qu'elle expose en partie son corps, elle voyait ça comme un prestige de la femme. Quelque chose que les hommes ne pourront jamais avoir comme importance. Pour elle, il n'y avait rien de plus beau que le corps d'une femme, et elle était très fière qu'Isobel participe à donner du rêve aux hommes, tout en permettant à une entreprise d'y trouver son compte. Et puis, comme elle le soulignait parfois à mon père, sans que cela le fasse changer d'avis sur le « comportement inadmissible de sa fille », aucune partie de son corps n'était complètement dévoilé. Cela faisait partie des accords qu'Isobel avait tenu à imposer aux sociétés la sollicitant pour les représenter. Aucune transparence des vêtements, pas de topless, ni d'exposition trop prononcée des fesses, et encore moins de poses trop « suggestives », sexuellement parlant. 

 

Je n'étais pas là ce jour-là, étant sorti trouver l'inspiration pour mes poèmes. C'est de la bouche de ma mère en larmes que j'ai su par la suite ce qui s'était passé, et que ni mon père, ni la police venue constater le décès, n'ont voulu croire. Elle et Isobel continuait de discuter de tout et rien quand soudain Isobel a senti que quelque chose montait le long de sa jambe. Comme une ficelle, ou quelque chose de proche. Voulant savoir ce qui en était, elle a regardé vers le bas, et tout s'est enchaîné très vite. Ma mère a vu s'élever du sol des centaines de filaments noirs et rouges, s'agrippant à la chaise où se trouvait Isobel, s'enroulant autour d'elle de toutes parts. Ma sœur a hurlé, écrasée par les milliers de fils à la texture étrange, libérant des filets de sang sur la table et le sol. Ma mère, affolée, a tenter d'arracher les fils, mais l'un d'entre eux a commencé à s'enrouler autour de son pied, et elle a tout juste eu le temps de l'enlever avant qu'elle subisse la même chose qu'Isobel. Cette dernière était tellement envahie de ces étranges filaments que ma mère ne voyait même plus son corps, n'entendant que ses hurlements, avant que ceux-ci se taisent.

 

L'instant d'après, les filaments se sont retirés du corps de leur victime, devant les yeux terrifiés et en larmes de ma mère, se glissant dans le sol avant d'y disparaître, laissant s'affaler le corps écrabouillé d'Isobel sur le carrelage, ce dernier se gorgeant de sang et de chair écrasée. Ma mère a hurlé à son tour, prenant dans ses bras ce qui restait du corps de ma sœur, cet amas difforme qui l'avait remplacée. Elle est restée tétanisée pendant de longues minutes, avant d'avoir la force d'appeler la police, puis mon père. Aussi bien ce dernier que les policiers montrèrent un visage blême en voyant ce qui restait d'Isobel sur le sol de la cuisine. Ma mère était hystérique, parvenant tout juste à répéter en boucle : 

 

- La maison l'a tuée... La maison l'a tuée... La maison l'a tuée...

 

C'était comme un mantra qu'elle récitait comme pour se protéger. Elle fut finalement emmenée à l'hôpital où elle reçut des soins intensifs. On lui administra des anti-dépresseurs, et fut isolée dans un étage de l'établissement à part, une aile peu utilisée, et ne pouvant être accessible qu'à certains membres de l'hôpital, à la demande de mon père. J'ai été prévenu par téléphone, comme mes frères et sœurs. Mon père, bouleversé à l'autre bout du fil, nous ayant appelés. Je ne l'avais jamais entendu pleurer, j'avais toujours cru qu'il était un roc qu'on ne pouvait pas briser. Mais pourtant, cette fois-là, la roche de son cœur s'est fendue en deux. Quand nous nous sommes réunis le soir, à la demande de mon père, ce dernier n'a cessé de s'accuser de tous les maux possibles concernant Isobel. Il disait que c'était sa faute si elle était morte, parce qu'il avait toujours dit du mal d'elle et son métier qu'il détestait. Le destin l'avait puni en lui enlevant celle que, malgré tout, il aimait tendrement, malgré leurs disputes incessantes. C'était justement pour la protéger qu'il avait tout fait pour qu'elle change de carrière. 

 

On a eu beau le consoler, lui dire qu'il ne fallait pas qu'il s'accuse de quelque chose dont il n'était pas responsable, il restait sur sa position. Il ne comprenait pas ce qui s'était passé, et même quand lui et moi on se rendit à l'hôpital le lendemain pour voir ma mère, ayant eu l'accord des médecins, car celle-ci était en état de raconter ce qui s'était passé, il n'est pas parvenu à croire ce qu'il pensait être un délire d'une personne traumatisée. C'est comme ça qu'il a tenté d'expliquer l'histoire de ma mère, détaillant la mort lente et inexorable d'Isobel par des filaments sortis du sol. Elle nous a affirmée qu'elle avait eu l'impression de voir des sortes de veines, de vaisseaux sanguins ou quelque chose d'approchant, en voyant la texture de ce qui avait tué Isobel. Depuis le drame, tout le monde dormait à la maison, afin de veiller sur notre père, qui avait cessé toute activité commerciale pour se remettre de la mort de ma sœur, laissant le soin à ses associés de s'occuper de ses affaires. On pensait qu'on ne pourrait pas vivre pire que cette journée, bien qu'on ne comprît pas tout, notamment ce qui l'avait tuée.

 

Cette nuit-là, une deuxième mort allait endeuiller notre famille, nous plongeant encore plus dans la terreur, et contribuant encore plus à notre surnom de « famille maudite ». On venait de souper, dans un quasi-silence.  Mis à part Fingal et Daividh qui cherchaient à détendre l'atmosphère tant bien que mal. Mais même moi je n'avais pas le cœur à parler. Fingal, se levant de table pour évacuer le stress du dîner, le plus triste qu'il ait eu de toute sa vie, se dirigea vers son atelier, s'attirant des regards mauvais de la part de mon père, Roy et Effie. Dans les faits, son véritable atelier se situait dans la ville proche. Je vous l'ai dit, après avoir vécu l'expérience traumatisante partagée avec Daividh dans la cave à vin, il avait préféré éviter de dormir le plus possible au sein de la maison, et s'était pris un studio luxueux lui servant d'atelier principal. Néanmoins, une partie de son matériel et de ses toiles se trouvaient ici. Après son départ, Daividh tenta d'excuser l'attitude de Fingal auprès de notre père :

 

- On en parlera demain. Je n'ai pas envie de me disputer avec lui ce soir, ni avec toi, ni avec aucun d'entre vous d'ailleurs. Nous sommes en deuil, je te rappelle. Votre mère est à l'hôpital, et je ne sais pas quoi penser de toute cette histoire délirante qu'elle a racontée pour expliquer la mort de ta sœur. Restons-en là pour l'instant. 

 

- Très bien. Je n'insisterais pas. Mais je connais Fingal bien mieux que toi, et je sais qu'il n'a cherché qu'à relativiser les choses. Son intention était louable. Ça ne sert à rien de se morfondre. Isobel n'aurait pas aimé qu'on soit aussi triste. Elle était la joie incarnée, bien que tu ne lui facilitais pas vraiment la tâche...

 

- ÇA SUFFIT ! JE NE VEUX PAS EN ENTENDRE DAVANTAGE !

 

Daividh n'avait pas bougé, interdit. Mon père fit alors un geste pour s'excuser :

 

- Excuse-moi... Je... Je ne voulais pas élever la voix... Je suis fatigué de tout ça... On discutera de toute cette affaire demain, tu veux bien ? 

 

Daividh montrait un air compréhensif, avant de répondre :

 

- Tu es tout excusé, papa. C'est ma faute. J'ai été maladroit dans mes propos. Je voulais juste défendre Fingal qui souffre tout autant que nous. Même s'il l'exprime différemment...

 

Après ça, il est parti en direction de sa chambre, pendant qu'Effie se levait à son tour :

 

- Je... Je vais me coucher papa. Moi aussi, tout ça m'a bouleversée. Je n'ai pratiquement rien mangé. Ça ne passe pas. Désolé. 

 

- Ce n'est rien, Effie. Je crois que nous sommes tous...

 

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. On entendait les cris horribles de Fingal, venant de son atelier, hurlant comme jamais il ne l'avait fait. Immédiatement, on s'est tous levés de table, courant en direction de l'atelier, bientôt rejoint par Daividh.

 

- Qu'est-ce qui se passe ?! Pourquoi il crie comme ça ?

 

Roy lui répondit :

 

- Tu crois qu'on est devenus médium ? A ton avis, pourquoi on se précipite vers son atelier ?

 

Daividh ne répondit rien, se contentant de suivre le mouvement et continuant de courir. On arrivait devant la porte du lieu de travail de Fingal, mais impossible de l'ouvrir. Mis à part Effie, trop fragile pour espérer apporter de l'aide, moi, mon père et Daividh on s'employa tour à tour a essayer de tourner la poignée, tentant de l'enfoncer. On s'y est même mis à trois, mais rien à faire. Pour une raison inconnue, quelque chose de l'autre côté bloquait la porte. C'est alors que Daividh fonça vers un mur du couloir derrière nous, avant qu'on entende un bruit de verre, et revint avec une hache. Un élément d'une installation anti-incendie comme il y en avait une dizaine dans tout le manoir. On s'écarta, et il abattit la hache sur le bois de la porte à plusieurs reprises. La pièce de l'autre côté était plongée dans la pénombre, si bien qu'on n'était pas sûr de ce qu'on a vu, mais on a eu l'impression de voir des sortes de fil collés contre la porte. Ce devait être ça qui l'empêchait de s'ouvrir. 

 

Face à cette vision, Daividh reculait, surpris de voir ces espèces de fils ou de cordes se déplacer dans l'obscurité. On apercevait aussi une silhouette plus loin, semblant parsemée, elle aussi, de ces mêmes fils, et d'où émanait les cris. Fingal ! Ce que je voyais semblait conforme à ce qu'avait décrit ma mère. On ne voyait pas grand-chose, juste des mouvements, mais on pouvait percevoir que le visage de Fingal était entouré de centaines de ces fils ou je ne savais quoi. Remis de sa surprise, Daividh reprit de fracasser la porte. La hache toucha plusieurs fils, et on a alors entendu nettement comme des plaintes, semblant venir de tout autour de nous. C'est alors que la masse de ces « choses » bloquant la porte sembla s'atténuer, puis disparaitre, tout comme ceux entourant la silhouette de Fingal, qui n'émettais plus aucun son. 

 

En entrant, allumant, on ne put que découvrir toute l'horreur se trouvant devant nous. Fingal était dans un état indescriptible, et toute la pièce était ravagée, les toiles renversées, les tubes de peinture éclatés au sol, des meubles presque brisés en deux. Il y avait du sang tout autour de ce qui restait du corps de Fingal. Daividh a foncé le premier, cherchant à faire réagir notre frère. Mais vu son état, nous savions tous qu'il n'y avait plus d'espoir. On n'a pu rien faire d'autre que s'approcher et tenter de calmer Daividh, qui avait pris le corps de Fingal dans ses bras. On cherchait à le séparer de la chair écrabouillée qu'il pressait comme on serre son doudou d'enfant. Il hurlait le nom de celui qui avait été plus qu'un frère jumeau pour lui. C'était une partie de son corps. Ils partageaient les mêmes passions pour divers domaines, dont les filles. On n'a pas osé insister plus, attendant la venue de la police que Roy venait d'appeler. 

 

Plus tard, une fois celle-ci sur place, Daividh dut se résoudre à lâcher le corps de celui qu'il aimait appeler son « double parfait », tellement ils étaient en phase tous les deux. Ils ne pourraient plus échanger leurs rôles, leur petit jeu préféré qui semait le doute auprès des nombreuses personnes étant en contact avec eux. Effie parvint à le raccompagner à sa chambre, usant de toute la diplomatie dont elle avait le secret. Bien plus tard, une fois la police partie, chacun fit de même. Effie était restée avec Daividh pour l'aider à s'endormir, après lui avoir donné des calmants, pendant qu'on n'osait même pas dire un mot, au vu du choc dans lequel on était. Le lendemain, les médias s'en donnèrent à cœur joie avec leurs titres : « La maison de la mort : Nouvelle victime » « La famille maudite » « Une malédiction au Manoir McFerus ? ». En temps normal, mon père aurait harcelé à mort tous les journaux, les sites d'infos et autres médias, en les insultant de tous les noms. Mais là, il était bien trop traumatisé, tout comme nous, pour réagir dans ce sens. 

 

L'atelier fut condamné, une fois que le reste des analyses fut pratiqué dans la journée. Daividh se murait dans le silence, il ne voulait parler à personne, refusant de quitter sa chambre. Il n'y avait qu'Effie qu'il autorisait à entrer, pour que celle-ci lui apporte à manger, posant un plateau-repas sur son bureau. Mis à part la « moitié » de Fingal, incapable de dire quoi que ce soit, on a tous fait notre déposition à l'inspecteur qui s'était déjà chargé du meurtre d'Isobel. Mais on n'avait pas grand-chose à dire, vu le peu qu'on avait vu. On a évoqué les fils, mais notre père mettait ça sur le coup du choc de la mort de notre sœur, de la pénombre... Il était en déni total sur ce qu'on avait tous vu, même si ce n'était pas distinctement. Le reste de la journée fut au niveau du souper de la veille, avant qu'on entende les cris de Fingal. Silencieux, morne, dans un climat de tristesse complet. Je pense que, chacun de notre côté, on essayait de comprendre ce qu'on avait vu, sans pouvoir lui donner d'explication. On pensait que ce serait la fin, mais cette année-là n'avait pas terminé de nous livrer sa moisson de larmes.

 

C'était le jour d'Halloween. Daividh ne quittait toujours pas sa chambre, ravagé par le chagrin. Personne ne s'est parlé ou presque. Il n'y avait guère qu'Effie qui servait d'intermédiaire, nous donnant des « nouvelles » de l'ermite qu'était devenu Daividh. Il ne serait plus jamais le même après ça, abandonnant tout, jusqu'à ce qu'on ne le reconnaisse plus, mais je vous en reparlerais ultérieurement. Notre père avait été convié à participer à une sorte de commémoration organisée par la ville, en mémoire d'Isobel et Fingal. Au départ, il n'était pas très chaud pour y participer, et nous non plus à vrai dire. Mais on ne pouvait pas ignorer un tel geste de sympathie de la part de ces gens qui avaient fait cet effort, ignorant les ragots de ceux qui profitaient de l'aubaine pour se faire un nom sur notre malheur. Des dizaines de vidéos estampillées « la maison de la mort » ou « la famille maudite » remplissait le web et les réseaux sociaux. Cette cérémonie, c'était l'occasion de montrer qu'on était reconnaissant auprès de ceux fustigeant cette appropriation du drame, et ayant organisé cette veillée.

 

Notre père acceptait de se rallier à notre logique, et se rendit à la commémoration. Effie préférait rester pour veiller sur Daividh, et moi je n'avais pas le cœur à me mêler à la foule. Roy, lui se lança dans une « opération compréhension », en voulant prendre des photos des lieux des crimes : la cuisine, toujours tachée du sang d'Isobel malgré l'intervention de spécialistes du nettoyage, payées par notre père, ainsi que l'atelier. Il avait prévu aussi de photographier d'autres pièces, notamment le sous-sol, vu que les fils, ou quoi que ce soit qu'on ait pu apercevoir, venait du bas de la maison. C'était le seul à avoir le courage de savoir ce qu'était la nature de cet ennemi invisible. Moi et les autres, on était bien trop sous le choc pour le suivre dans ses investigations. J'étais épuisé par tout ça, et je me suis endormi dans ma chambre, sans même m'en rendre compte. Il devait être environ 21 heures quand je fus réveillé par un énorme fracas venant d'en bas, suivi des cris de Roy et d'Effie. Apparemment, elle avait dû se laisser convaincre de partir à la recherche de réponses.

 

C'étaient les mêmes types de cri que pour Fingal. Des cris de terreur. Mais l'intensité, la tonalité, je ne saurais pas trop comment le décrire avec des mots, ils semblaient différents. Ceux de Roy étaient beaucoup plus intenses. Je passais devant la porte de la chambre de Daividh. Un moment, je voulus cogner à la porte, lui demander de m'accompagner en bas, mais les cris ne l'avaient même pas fait réagir et sortir. Je me disais que ça ne servirait à rien de tenter de le sortir de son mutisme. A ce moment, je pense qu'il était encore assommé par les calmants. Effie avait gardé avec elle la boite, car à midi, elle s'était rendu compte qu'il s'était servi copieusement, en plus de la dose qu'elle lui avait donné tôt ce matin. Mais elle m'avait dit qu'avec ce qu'il avait absorbé, il était bon pour dormir une bonne partie de la journée, et même plus. Elle avait hésité même à appeler les secours, de peur qu'il fasse une overdose, avant de constater qu'il respirait normalement. 

 

Je descendais les escaliers à toute vitesse, avant de me diriger vers la porte du sous-sol, dans l'aile Sud, là où se trouvait la chaudière. Les cris venaient de cette direction. Je n'eus pas le temps de mettre ma main sur la poignée, qu'elle s'ouvrait en trombe, laissant sortir une Effie affolée et en larmes, se jetant dans mes bras en m'apercevant.

 

- Roy... Il... Il est... Cette... Cette chose... Son cœur... Son cœur bat... Et... Tous ces fils... Ce.... Ce sont ses artères...

 

- Wow, wow, wow. Calme-toi. Où est Roy ? On discutera plus tard.

 

Elle me désignait l'escalier, pleurant de plus belle. Je m'engageais dessus, pendant que j'entendais Effie me parler à nouveau, et que les cris de Roy s'intensifiaient...

 

- C'est trop... Trop tard... La maison... La maison l'a attrapé... Elle... Elle est en train de le tuer...

 

Je ne comprenais rien à ce qu'elle me disait, mais ça ressemblait au « mantra » dont les policiers avaient parlé, celui récité en boucle par ma mère lors de la mort d'Isobel. Elle aussi tenait les mêmes propos, elle aussi disait que la maison avait tué sa fille... Quoiqu'il en soit, s'il y avait une chance de sauver Roy, je me devais de le faire, même si, au fond de moi, j'étais sans doute encore plus terrorisée qu'Effie. Mais ce fut en vain. Les cris s'étaient arrêtés, et je ne trouvais que le corps de Roy sur le sol, écrasé de la même manière que les autres. Jusque-là, j'avais réussi à me contenir, mais cette fois, c'était trop. Je tombais à genoux devant le corps massacré de mon frère, hurlant, me tenant la tête entre les mains, pleurant sur le corps de Roy, mes larmes s'incrustant dans la masse de chair qu'il était devenu. Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite, car trop submergé par le chagrin et le désespoir de voir les membres de notre famille décimés les uns après les autres, mais je compris une partie de ce qu'Effie avait voulu me dire.

 

J'entendais un battement de cœur. C'était très faible, et ça semblait venir du sol, résonnant à travers toute la pièce qui faisait écho. Ça semblait complètement improbable. Comment un son aussi faible parvenait à faire en sorte que je l'entende se résonner partout ? Il n'y avait pas que ça, mais je me disais, à ce moment, que j'hallucinais sans doute. Le... Le sol... On aurait dit qu'il... bougeait... qu'il bougeait au rythme de ces battements de cœur. C'était totalement insensé. Je me frottais les yeux, et les rouvrais. Plus rien ne semblait montrer de mouvements. Il y avait bien encore un léger son, mais bien plus lointain, presque imperceptible. Mais ce n'était pas le plus important. Comment j'allais annoncer à mon père que Roy avait été tué lui aussi ? Pour Daividh, je pense qu'il serait plus sage de ne rien dire, vu l'état dans lequel il se trouvait déjà, à moitié défoncé par les médicaments dans sa chambre. Et... Et ma mère ? Comment lui dire qu'après Isobel, Fingal et Roy avaient été tués, et de la même manière en plus ?...

 

Je ne vous cache pas que les heures qui suivirent furent un festival de larmes. Mon père, qui venait à peine de sortir de la cérémonie de commémoration pour Isobel et Fingal, je sentais qu'il était sur le point de s'effondrer au téléphone. J'entendais des gens autour de lui qui tentaient de savoir ce qui arrivait, mais lui ne pouvait que pleurer, incapable de dire le moindre mot pour expliquer son état de tristesse profonde. Peu de temps après, la police est arrivée, m'assaillant de questions, moi et Effie, sur ce qui s'était passé. Ma sœur fut plus à même d'expliquer les évènements. Roy et elle étaient descendus à la cave, après que notre frère l'aie convaincu de s'y rendre. Il disait qu'il avait peut-être trouvé quelque chose. Il avait entendu un son étrange, et il voulait la confirmation qu'elle l'entendait aussi. Arrivés en bas, alors qu'Effie avait effectivement constatée entendre ce son qu'elle identifiait être celui d'un battement de cœur, confortant l'idée de Roy, elle inspectait un côté de la cave pour savoir d'où il venait, pendant que Roy se rendait à l'opposé, afin d'avoir un périmètre large pour détecter l'origine de ce son insensé.

 

C'est alors qu'elle a entendu crier notre frère, hurlant même. Elle s'est retournée et à vu des centaines de fils noirs et rouges s'enrouler autour de Roy, comme le ferait un boa constrictor pour étouffer sa victime, le compressant, l'écrasant comme on presse une orange, laissant évacuer des litres de sang, et faisant tomber des morceaux de doigts et de chair au sol. Les « fils » sortaient directement de sous terre, mais pas seulement. Il y en avait qui venaient des murs, semblant sortir d'interstices des briques constituant les parois, au même titre que celles composant le sol, et ils donnaient l'impression d'artères humaines, à une échelle immense. Mais c'était bien ça : des artères et des veines qui écrabouillaient, en serrant toujours plus son corps, le pauvre Roy parsemé de douleur, qui ne ressemblait déjà presque plus à quelqu'un d'humain. Elle hurla à son tour. Terrifié à la fois de sa découverte et d'être la prochaine cible une fois que son frère aurait été réduit dans le même état que les précédentes victimes, Effie remonta les escaliers, et c'est là que j'arrivais, constatant la mort de Roy, broyé comme les autres. 

 

J'ai vu le regard circonspect de l'inspecteur, essayant vraisemblablement de démêler le vrai du faux dans ce qu'il pensait être le résultat d'un choc lui ayant fait voir autre chose que ce qui était réellement arrivé. Tout comme avant elle notre mère, qui avait aussi évoquée des artères « géantes » s'étant enroulées autour d'Isobel. Il m'informait que mon père avait été pris en charge par un psychologue de la police, après que les organisateurs de la commémoration où il s'était rendu l'ait prévenu de son état. En attendant de pouvoir lui trouver un rendez-vous pour un psychiatre compétent pour « retaper » le moral de victimes de drames à répétition de cet ordre. Il nous conseillait même de faire de même, au vu de la gravité qui touchait notre famille. Ce ne furent que les premiers crimes commis par cette maison, ou par la chose s'y cachant, usant de ses murs et ses sols pour s'en prendre à nous. Mais j'en ignorais encore la raison à ce moment. J'ignorais à quel point cette maison allait devenir le cœur d'une horreur défiant l'imagination...


à suivre... 


Publié par Fabs

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